Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté pris par le préfet de la Haute-Garonne à son encontre le 27 février 2024 et portant, selon lui, obligation de quitter le territoire français, fixation de la Croatie comme pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français.
Par un jugement n° 2401219 du 5 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté préfectoral du 27 février 2024 portant transfert de M. A... aux autorités croates.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 4 avril 2024 sous le n° 24TL00838, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 mars 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné a retenu que les simples déclarations de M. A... permettaient de remettre en cause les informations issues du fichier " Eurodac " selon lesquelles l'intimé avait sollicité une protection internationale en Croatie ;
- à titre subsidiaire, la même décision aurait pu être prise en se fondant sur le fait que les empreintes de M. A... avaient été relevées dans ce pays.
La requête a été communiquée le 2 mai 2024 à M. A..., lequel n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance en date du 27 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 juin 2024.
II - Par une requête enregistrée le 4 avril 2024 sous le n° 24TL00839, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 5 mars 2024 sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné a retenu que les simples déclarations de M. A... permettaient de remettre en cause les informations issues du fichier " Eurodac " selon lesquelles l'intimé avait sollicité une protection internationale en Croatie ;
- ce moyen, sérieux, est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions en annulation présentées par l'intéressé ;
- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la mise en œuvre de la procédure de transfert de M. A....
La requête a été communiquée le 2 mai 2024 à M. A..., lequel n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance en date du 27 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 juin 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né le 9 septembre 1999 à Mardin (Turquie), est entré en France le 19 septembre 2023 et s'est présenté à la préfecture de l'Oise le 10 octobre 2023 pour y présenter une demande de protection internationale. Lors de l'enregistrement de son dossier, le relevé des empreintes digitales de l'intéressé et la consultation du fichier " Eurodac " ont conduit les services préfectoraux à estimer que la Croatie pouvait être l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile au sens des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités françaises ont adressé aux autorités croates, le 25 octobre 2023, une requête tendant à la reprise en charge de M. A.... En l'absence de réponse expresse de la part de ces dernières, les autorités françaises leur ont notifié le 23 novembre 2023 un constat d'accord implicite. Par un arrêté du 27 février 2024, le préfet de la Haute-Garonne a prononcé le transfert de M. A... aux autorités croates. Par un autre arrêté pris le même jour, la même autorité a assigné l'intéressé à résidence dans le département de l'Hérault. M. A... a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 février 2024 portant, selon lui, obligation de quitter le territoire français, fixation de la Croatie comme pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français. Par un jugement rendu le 5 mars 2024, le magistrat désigné par le président de ce tribunal, après avoir regardé la demande de l'intéressé comme dirigée contre l'arrêté portant transfert aux autorités croates, a annulé cet arrêté. Par la requête n° 24TL00838, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 24TL00839, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant présentées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.
Sur les conclusions en annulation présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00838 :
En ce qui concerne le moyen retenu par le premier juge :
2. D'une part, selon l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. / (...) ". En outre, aux termes de l'article 18 de ce même règlement : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ; / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; / (...) ".
3. D'autre part, selon l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale (...) et la transmet au système central (...). / 3. Les données dactyloscopiques (...) qui sont transmises par un État membre (...) sont comparées automatiquement avec les données dactyloscopiques transmises par d'autres États membres qui sont déjà conservées dans le système central. (...) / 5. Le système central transmet automatiquement le résultat positif ou négatif de la comparaison à l'État membre d'origine. / (...) ". En vertu de l'annexe II au règlement (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 constitue une preuve pour la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale, le " résultat positif fourni par Eurodac par suite de la comparaison des empreintes du demandeur avec les empreintes collectées au titre de l'article 9 du règlement "Eurodac" ". Il résulte de l'article 11 du règlement n° 603/2013 qu'une personne est identifiée par le numéro de référence attribué par l'Etat membre où ses empreintes ont été prélevées à l'origine. L'article 24 du même règlement précise que, dans ce numéro de référence, le chiffre suivant la ou les lettres d'identification désignant l'Etat membre indique la catégorie de personnes ou de demande. Il résulte de ce même article 24 que le chiffre " 1 " désigne les demandeurs de protection internationale et le chiffre " 2 " les personnes interpellées lors du franchissement irrégulier d'une frontière en provenance d'un pays tiers.
4. Il résulte de l'ensemble des dispositions susmentionnées que la preuve de l'entrée irrégulière sur le territoire des Etats membres par une frontière extérieure, déterminant la responsabilité d'un Etat membre au titre de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013, ou la preuve de la présentation d'une demande de protection internationale dans l'un des Etats membres, déterminant la responsabilité de cet Etat au titre de l'article 18.1 du même règlement, sont constituées par le résultat positif transmis par " Eurodac " à la suite de la comparaison des empreintes du demandeur d'asile et de celles collectées sur le système central informatisé. De plus, une telle preuve fait foi jusqu'à ce qu'elle soit réfutée par une preuve contraire.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, notamment des fiches " Eurodac " produites par le préfet de la Haute-Garonne, que les empreintes digitales de M. A... relevées lors de sa présentation à la préfecture de l'Oise le 10 octobre 2023, ont été identifiées comme identiques à celles relevées par les autorités croates le 21 juillet précédent, d'une part, sous le n° HR 1 2305700980R, correspondant à un demandeur de protection internationale et, d'autre part, sous le n° HR 2 2305700979Q, correspondant à une personne interpellée à l'occasion du franchissement irrégulier d'une frontière extérieure. Il ressort par ailleurs des termes de l'arrêté litigieux que les autorités françaises ont saisi les autorités croates d'une requête aux fins de reprise en charge de M. A... sur le fondement de l'article 18.1 précité du règlement (UE) n° 604/2013 correspondant à la situation d'une demande de protection en cours d'examen dans l'Etat requis et qu'elles ont constaté l'accord implicite né du silence conservé par ces autorités sur cette requête. Il ressort des mentions du jugement attaqué que, lors de l'audience devant le magistrat désigné, si l'intimé a reconnu avoir été interpellé lors de son passage en Croatie, il a en revanche déclaré ne pas avoir introduit une demande d'asile dans ce pays, ainsi qu'il l'avait déjà soutenu lors de son entretien individuel à la préfecture de l'Oise le 10 octobre 2023.
6. En l'absence de tout autre commencement de preuve avancé par M. A..., ses seules allégations ne sont néanmoins pas suffisantes pour remettre en cause la valeur probante de l'indication issue du fichier " Eurodac " selon laquelle il a été enregistré comme demandeur de protection internationale par les autorités croates. La circonstance que lesdites autorités n'ont pas répondu de manière expresse à la requête aux fins de reprise en charge de l'intéressé présentée par les autorités françaises n'est notamment pas de nature à laisser douter, par elle-même, de l'existence de la demande d'asile révélée par le résultat " Eurodac " n° HR 1 2305700980R. Par suite, c'est à juste titre que le préfet de la Haute-Garonne a pu se fonder sur l'existence d'une telle demande et, par voie de conséquence, sur l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013, pour prononcer le transfert de M. A... aux autorités croates. De plus et en tout état de cause, la même décision aurait pu être prise par le préfet, en vertu du même pouvoir d'appréciation, en se fondant sur le franchissement irrégulier de la frontière croate en application de l'article 13.1 du même règlement, sans que l'intéressé ne se trouve privé d'une garantie procédurale.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... en première instance au soutien de sa demande d'annulation de l'arrêté prononçant son transfert aux autorités croates.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par l'intimé :
8. Les moyens invoqués dans la demande introductive d'instance de M. A... devant le premier juge, dirigés contre de prétendues décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français, ne peuvent qu'être écartés comme inopérants dès lors que l'arrêté préfectoral en litige, pris sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013, ne contient aucune décision de cette nature.
9. S'il ressort des mentions du jugement attaqué que M. A... s'est prévalu devant le premier juge de risques de mauvais traitements auxquels il pourrait se trouver exposé en cas de retour en Turquie en raison de son appartenance à la minorité kurde, une telle argumentation est inopérante à l'encontre de l'arrêté contesté, lequel a pour seul objet de le transférer en Croatie pour l'examen de sa demande d'asile et non de l'éloigner vers son pays d'origine.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 27 février 2024 en litige.
Sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00839 :
11. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 5 mars 2024, les conclusions du préfet tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement rendu le 5 mars 2024 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : La demande en annulation présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne sous le n° 22TL00839.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 8 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Jazeron, premier conseiller,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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Nos 24TL00838, 24TL00839