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22/07/2024 | FRANCE | N°22TL21756

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 22 juillet 2024, 22TL21756


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Mas Tapage a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Domazan à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de raccordement d'un bien immobilier au réseau public d'électricité et, subséquemment, d'annuler l'avis défavorable émis le 22 mai 2018 par le maire de ladite commune sur la demande de raccordement de ce bien.



Par un jugement n° 2001661 d

u 14 juin 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société Mas Tapage ainsi ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Mas Tapage a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Domazan à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de raccordement d'un bien immobilier au réseau public d'électricité et, subséquemment, d'annuler l'avis défavorable émis le 22 mai 2018 par le maire de ladite commune sur la demande de raccordement de ce bien.

Par un jugement n° 2001661 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société Mas Tapage ainsi que les conclusions présentées par la commune de Domazan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 août 2022, la société civile immobilière Mas Tapage, représentée par Me Giudicelli, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 juin 2022 ;

2°) de condamner la commune de Domazan à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de raccordement de son bien immobilier situé sur les parcelles AI nos 437 et 438 au réseau public d'électricité ;

3°) d'annuler, subséquemment, l'avis défavorable émis le 22 mai 2018 par le maire de Domazan sur la demande de raccordement du bien à ce réseau ;

4°) d'enjoindre au maire de Domazan de lui accorder un avis favorable en vue du raccordement de son bien au réseau électrique dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Domazan une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus du maire de Domazan de raccorder son bien au réseau électrique est illégal et traduit un détournement de pouvoir dès lors qu'elle est titulaire d'une autorisation d'urbanisme revêtant un caractère définitif depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 juillet 2014 ;

- l'illégalité du refus de raccordement en litige constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune et peut être valablement invoquée au soutien de ses conclusions indemnitaires alors même que ledit refus présenterait un caractère définitif ;

- le bien immobilier en cause doit être nécessairement raccordé au réseau électrique dès lors que l'autorisation d'urbanisme est définitive, que le maire avait donné un avis favorable au raccordement le 13 février 2015 et qu'elle a signé un protocole d'accord avec la société Enedis sur le montant du raccordement le 20 juillet 2017 à la suite d'un litige judiciaire ;

- l'autorisation d'urbanisme n'est pas devenue caduque puisque la non-réalisation des travaux est imputable au comportement de l'administration et de la société Enedis, lesquelles ont bloqué son projet en dépit des décisions juridictionnelles rendues en sa faveur ;

- l'illégalité du refus de raccordement au réseau électrique opposé par le maire est à l'origine d'un préjudice dont elle demande réparation à hauteur de 50 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2022, la commune de Domazan, représentée par Me Poitout, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Mas Tapage une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête d'appel est irrecevable en ce qu'elle n'est pas motivée ;

- les conclusions tendant à l'annulation du refus de raccordement sont tardives au regard tant du délai de recours de droit commun que du délai de recours raisonnable ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables en ce que la société requérante n'a pas précisé le fondement de responsabilité invoqué et la nature du préjudice allégué ;

- l'irrecevabilité de la demande tendant à l'annulation du refus de raccordement entraîne nécessairement l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires subsidiaires ;

- le moyen tiré de l'absence de caducité de l'autorisation de travaux n'est pas fondé : l'autorisation en cause est périmée depuis le 31 juillet 2017 et l'autorisation de raccordement du 13 février 2015 est elle-même devenue caduque depuis le 13 février 2018 ;

- l'absence de réalisation des travaux ne lui est pas imputable mais résulte du litige entre la société requérante et la société Enedis s'agissant du coût du raccordement ;

- à titre subsidiaire, le raccordement est impossible en raison, d'une part, de l'état de ruine du bâtiment et, d'autre part, des prescriptions du plan local d'urbanisme et du plan de prévention des risques naturels d'inondation ; il n'existe en outre aucun projet d'extension du réseau électrique dans ce secteur non constructible voué à l'agriculture ;

- à titre infiniment subsidiaire, la société requérante ne précise pas la nature du préjudice invoqué et la non-réalisation des travaux résulte de sa propre négligence.

Par une ordonnance en date du 3 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le décret n° 2008-1353 du 19 décembre 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- et les observations de Me Castanet, représentant la commune intimée.

Considérant ce qui suit :

1. La société Mas Tapage a déposé, le 11 avril 2008, une déclaration préalable de travaux pour la réhabilitation et le cloisonnement intérieur d'un bâtiment en mauvais état situé sur les parcelles cadastrées AI nos 437 et 438, sises lieu-dit " Mas Tapage ", sur le territoire de la commune de Domazan (Gard). En l'absence de décision expresse prise par le maire, la société pétitionnaire a bénéficié d'une décision tacite de non-opposition à déclaration préalable, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Nîmes dans un jugement n° 1102206 du 8 novembre 2012, puis par le Conseil d'Etat statuant au contentieux dans une décision n° 367611 rendue le 30 juillet 2014. La société Mas Tapage a demandé le raccordement de son bien au réseau public d'électricité le 4 février 2015 et a obtenu un avis favorable du maire de Domazan sur cette demande le 13 février 2015. Elle a déposé une nouvelle demande de raccordement en mai 2018 auprès de la société Enedis, laquelle a recueilli l'avis de la commune en application de l'article R. 323-25 du code de l'énergie. Par un courrier adressé à ladite société le 22 mai 2018, le maire de Domazan a émis un avis défavorable sur cette demande de raccordement.

2. La société Mas Tapage a envoyé au maire, le 13 mars 2020, un recours préalable par lequel elle sollicitait l'émission d'un avis favorable sur sa demande de raccordement au réseau public électrique et, à défaut, l'octroi d'une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant, selon elle, de l'illégalité du refus opposé par la commune sur cette demande. Par une lettre du 8 avril 2020, le maire a rejeté l'ensemble de ces prétentions. La société Mas Tapage a saisi le tribunal administratif de Nîmes d'une demande tendant, d'une part, à la condamnation de la commune de Domazan à lui payer une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice susmentionné et, d'autre part, à l'annulation subséquente de l'avis défavorable émis par le maire le 22 mai 2018. Par la présente requête, ladite société relève appel du jugement du 14 juin 2022 par lequel le tribunal administratif a rejeté l'ensemble des conclusions de sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. L'article L. 111-12 du code de l'urbanisme dispose que : " Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. ". L'article R. 424-17 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision tacite de non-opposition mentionnée au point 1 du présent arrêt, mentionne que : " Le permis de construire (...) est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. / Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année. / Les dispositions du présent article sont applicables à la décision de non-opposition à une déclaration préalable lorsque cette déclaration porte sur une opération comportant des travaux. ". Selon l'article 1er du décret du 19 décembre 2008 prolongeant le délai de validité des permis de construire, d'aménager ou de démolir et des décisions de non-opposition à déclaration préalable : " Par dérogation aux dispositions figurant aux premier et troisième alinéas de l'article R. 424-17 (...), le délai de validité (...) des décisions de non-opposition à une déclaration intervenus au plus tard le 31 décembre 2010 est porté à trois ans. ". Enfin, selon l'article R. 424-19 de ce code : " En cas de recours devant la juridiction administrative contre le permis ou contre la décision de non-opposition à la déclaration préalable ou de recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité prévu à l'article R. 424-17 est suspendu jusqu'au prononcé d'une décision juridictionnelle irrévocable. ".

4. Il ressort des termes du courrier du 22 mai 2018 mentionné au point 1 ci-dessus que, pour se prononcer défavorablement sur la demande de raccordement du terrain de la société Mas Tapage au réseau public d'électricité, le maire de Domazan a relevé, d'une part, qu'un tel raccordement n'était justifié par aucune construction ni aucune autorisation d'urbanisme, d'autre part, que le terrain se situait en zone agricole du plan local d'urbanisme de la commune dans laquelle les constructions non nécessaires à l'exploitation agricole sont interdites et, enfin, que le même terrain se situait en zone d'aléa fort du plan de prévention des risques d'inondation du bassin versant aval du Gardon dans laquelle les constructions nouvelles sont interdites.

5. Il résulte de l'instruction que le silence conservé par le maire sur la déclaration préalable de travaux du 11 avril 2008 a fait naître une décision tacite de non-opposition le 11 mai 2008 au bénéfice de la société Mas Tapage. En application des dispositions citées au point 3 du présent arrêt, la décision tacite dont s'agit se trouvait soumise à un délai de validité de trois ans. Dès lors que la société requérante a indiqué avoir débuté les travaux dans une lettre adressée au maire le 22 février 2011 et que la commune intimée ne conteste pas la réalité de cette assertion, le délai de validité de la décision tacite en cause ne peut toutefois être regardé comme ayant expiré dès le 11 mai 2011. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le préfet du Gard a introduit, le 8 juillet 2011, un déféré contre cette décision auprès du tribunal administratif de Nîmes. En application des dispositions précitées de l'article R. 424-19 du code de l'urbanisme, l'action contentieuse ainsi engagée a eu pour effet de suspendre le délai de validité de la décision tacite jusqu'au prononcé de la décision du Conseil d'Etat mentionnée au point 1 ci-dessus, soit jusqu'au 30 juillet 2014. Ledit délai a alors recommencé à courir pour la durée restante, soit jusqu'au 3 juin 2015. Il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas même allégué par la société requérante que les travaux se seraient poursuivis entre le 11 mai 2011 et le 3 juin 2015 ou qu'une prorogation de la décision tacite de non-opposition aurait été sollicitée dans le délai de deux mois précédant cette dernière date comme l'exige l'article R. 424-22 du code de l'urbanisme. Dès lors, la décision tacite de non-opposition devait normalement devenir caduque le 3 juin 2015.

6. Le délai de validité d'une décision de non-opposition à déclaration préalable est interrompu lorsqu'un fait imputable à l'administration est de nature à empêcher la réalisation ou la poursuite des travaux. En l'espèce, la société Mas Tapage soutient que les agissements de la commune de Domazan et de la société ERDF auraient fait obstacle à l'exécution des travaux projetés en empêchant le raccordement de son bien au réseau électrique après l'intervention de la décision du Conseil d'Etat. Il résulte cependant de l'instruction, d'une part, que le maire a rendu un avis favorable à ce raccordement le 13 février 2015 ainsi qu'il a été dit au point 1 du présent arrêt et, d'autre part, que la société ERDF a validé la demande de raccordement le 19 mars suivant. Si la société Mas Tapage souligne que ce n'est que le 20 juillet 2017 qu'elle a signé un accord avec la société Enedis, venue aux droits de la société ERDF, sur le coût du raccordement litigieux, une telle circonstance ne constitue pas un fait de l'administration de nature à faire obstacle à l'exécution des travaux, alors que la société requérante avait elle-même indiqué, par une lettre du 28 juillet 2011, que l'opération pourrait se réaliser avec une " solution autonome " en cas d'impossibilité de raccordement au réseau. Par suite, le délai de validité de la décision tacite de non-opposition du 11 mai 2008 a bien expiré le 3 juin 2015 et le maire a ainsi pu valablement retenir, dans son nouvel avis le 22 mai 2018, que la nouvelle demande de raccordement dont il était saisi ne portait pas sur des travaux régulièrement autorisés.

7. Il résulte de ce qui a été exposé aux deux points précédents que le premier motif invoqué par le maire de Domazan dans l'avis en litige n'est pas entaché d'une erreur de droit et ne procède pas d'un détournement de pouvoir. Par conséquent et alors que la société Mas Tapage ne conteste par ailleurs pas le bien-fondé des autres motifs opposés par le maire pour refuser le raccordement de son bien au réseau électrique, l'avis en cause n'est entaché d'aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de la commune. Il s'ensuit que les conclusions indemnitaires de la société requérante doivent être rejetées et que ses conclusions tendant à l'annulation de l'avis du maire ne peuvent aussi, en tout état de cause, qu'être rejetées.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par la commune de Domazan en défense, que la société Mas Tapage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté l'ensemble des conclusions de sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

9. Le présent arrêt rejette les conclusions indemnitaires et en annulation présentées par la société Mas Tapage et n'implique donc aucune mesure d'exécution particulière au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par conséquent, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par ladite société doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Domazan, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque à verser à la société appelante au titre des frais non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros à verser à la commune à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Mas Tapage est rejetée.

Article 2 : La société Mas Tapage versera une somme de 1 500 euros à la commune de Domazan sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Mas Tapage et à la commune de Domazan.

Délibéré après l'audience du 8 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Jazeron, premier conseiller,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au préfet du Gard, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL21756


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21756
Date de la décision : 22/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : POITOUT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-22;22tl21756 ?
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