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18/07/2024 | FRANCE | N°24TL00554

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 18 juillet 2024, 24TL00554


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a prononcé son transfert aux autorités croates ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence.



Par un jugement n° 2307834 du 3 janvier 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté de transfert du préfet de la Haute-Garonne du 2

7 décembre 2023 ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence pris à l'égard de M. C....
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 27 décembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a prononcé son transfert aux autorités croates ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2307834 du 3 janvier 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté de transfert du préfet de la Haute-Garonne du 27 décembre 2023 ainsi que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence pris à l'égard de M. C....

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 1er mars 2024, sous le n° 24TL00554, et une régularisation de pièces, enregistrée le 25 mars 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 janvier 2024 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rejeter les demandes de M. C... présentées devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2023 prononçant son transfert aux autorités croates et de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- il n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en prononçant le transfert de M. C... vers la Croatie ; la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement dit B... A... ne trouvant à s'appliquer que lorsque le transfert est de nature à emporter des conséquences irréversibles sur l'état de santé du demandeur d'asile souffrant d'une pathologie grave ;

- les documents médicaux produits par M. C... pour attester de son état de santé sont dépourvus de valeur probante en ce qu'ils émanent du personnel médical associatif et non d'un médecin ou d'un établissement de santé indépendant de toute considération militante et ne permettent pas d'établir l'existence d'une pathologie d'une particulière gravité de nature à faire obstacle au transfert mais se bornent à reprendre les déclarations de l'intéressé ;

- l'origine des troubles de santé de l'intimé et leurs conséquences en cas de transfert en Croatie ne sont pas démontrés ;

- conformément aux articles 31 et 32 du règlement B... prévoyant la procédure à suivre pour limiter les conséquences du transfert sur le demandeur, les autorités croates ont été destinataires des informations relatives à l'état de santé de M. C... afin d'assurer la continuité de ses soins.

M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 17 mai 2024.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, M. C..., représenté par Me Mercier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, à lui verser directement, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en cas de refus d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable en ce qu'elle est entachée d'incompétence de son signataire et, à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 juin 2024, à 12 heures.

II. Par une requête, enregistrée le 1er mars 2024, sous le n° 24TL00555, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2307834 rendu par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse le 3 janvier 2024.

Il soutient que la requête par laquelle il a saisi la cour comporte un moyen sérieux de nature à justifier, en l'état de l'instruction, outre l'annulation du jugement litigieux, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées à l'appui de la demande soumise au tribunal.

M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 17 mai 2024.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, M. C..., représenté par Me Mercier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, à lui verser directement, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en cas de refus d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable en ce qu'elle est entachée d'incompétence de son signataire et, à titre subsidiaire, que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 juin 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces de ces deux dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme El Gani-Laclautre a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant afghan, né le 25 mai 1994, dans la province de Kapisa, déclare être entré sur le territoire français le 5 septembre 2023. Le 8 septembre suivant, il a présenté une demande d'asile auprès du guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture de police. Cette demande d'asile a été enregistrée en procédure dite B..., le relevé des empreintes décadactylaires de M. C... ayant relevé qu'il avait introduit une demande d'asile auprès des autorités croates, le 31 août 2023, lesquelles ont été saisies d'une demande de reprise en charge à laquelle elles ont favorablement répondu. Par un arrêté du 27 décembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne a prononcé le transfert de M. C... aux autorités croates. Par un arrêté du même jour, cette autorité l'a assigné à résidence.

2. Sous le n° 24TL00554, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 3 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés du 27 décembre 2023, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure dite normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile et, enfin, mis à la charge de l'État une somme de 1 250 euros, à verser à Me Mercier, conseil de M. C..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, à lui verser directement en cas de refus d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Sous le n° 24TL00555, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.

3. Les requêtes précitées n° 24TL00554 et n° 24TL00554 sont dirigées contre un même jugement et présentent à juger des questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 24TL00554 :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête :

4. Aux termes de l'article R. 431-12 du code de justice administrative : " (...) Les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'État sont signés par le ministre intéressé ". Aux termes de l'article R. 811-10 du même code : " (...) Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'État (...) ". L'article R. 811-10-1 du même code dispose que : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'État lorsque le litige est né de l'activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : / 1° Entrée et séjour des étrangers en France (...) ".

5. Par un arrêté du 13 mars 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Haute-Garonne a délégué sa signature à M. D... E..., chef du bureau de l'asile et signataire de la requête, à l'effet de signer, notamment, l'ensemble des mémoires en défense et requêtes en appel relatifs au contentieux des étrangers devant les juridictions administratives. La présente requête n'étant pas exceptée de cette délégation de signature, la fin de non-recevoir tirée de l'incompétence du signataire de la requête doit, dès lors, être écartée.

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :

6. Pour annuler l'arrêté de transfert du 27 décembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal s'est fondé sur la circonstance que le préfet de la Haute-Garonne a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par cet article.

7. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " (...) 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre A... afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre A... ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable (...) ".

8. La faculté laissée à chaque État membre, par le paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

9. Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété le paragraphe 1 de cet article à la lumière de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens de cet article. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, doivent vérifier auprès de l'État membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, précisant que, le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement B... A....

10. Alors même que M. C... n'avait fait état d'aucun problème d'ordre médical dans le cadre de son entretien individuel organisé en préfecture le 14 septembre 2023, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Garonne, destinataire d'éléments médicaux adressés par le conseil de l'intéressé le 23 décembre 2023, soit quelques jours avant la convocation en préfecture destinée à lui notifier l'arrêté de transfert prévue le 27 décembre suivant a tenu compte de ces informations d'ordre médical qu'il a, par ailleurs, transmises aux autorités croates, le 28 décembre 2023, après avoir préalablement recueilli son accord. En informant, par le truchement du formulaire type pour l'échange de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert en application de l'article 32 paragraphe 1 du règlement B..., les autorités croates des éléments en sa possession relatifs à l'état de santé de M. C..., en précisant la nature de la pathologie dont il souffre, le traitement médicamenteux qu'il observe en France et la nécessité d'une assistance médicale d'ordre psychologique à son arrivée en Croatie, afin d'organiser la continuité de ses soins dans le cadre du transfert, le préfet de la Haute-Garonne doit être regardé comme ayant fourni l'ensemble des informations nécessaires, pertinentes et suffisantes pour permettre à cet État membre, qui s'est expressément reconnu responsable de l'examen de sa demande d'asile, d'assurer la prise en charge médicale que requiert l'état de santé de l'intéressé à son arrivée, dans le cadre du principe de confiance mutuelle instauré entre les États membres destiné à assurer un traitement des demandeurs d'asile conforme aux exigences de la charte, de la Convention de Genève et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En outre, il ne ressort des pièces du dossier, notamment des éléments médicaux produits par M. C..., ni que ce dernier présenterait une affection mentale ou physique qui ne pourrait être prise en charge en Croatie, État membre disposant de structures médicales adaptées à son état de santé, ni que le transfert de l'intéressé serait susceptible d'entraîner un risque réel et avéré de dégradation significative et irrémédiable de son état de santé constitutif d'un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt mentionné au point 9. Dès lors que la situation de M. C... ne justifiait pas de mettre en œuvre de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne n'a, par suite, pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation contrairement à ce qu'a estimé le premier juge.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... en première instance et en appel au soutien de sa demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux du 27 décembre 2023.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués devant le tribunal à l'encontre de la décision de transfert :

13. En premier lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

14. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.

15. L'arrêté prononçant le transfert de M. C... aux autorités croates vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales. Il relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. C..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsqu'il s'est présenté devant le guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture de police puis de la préfecture de la Haute-Garonne et précise que la consultation du système Eurodac a révélé que l'intéressé était connu des autorités croates auprès desquelles il avait sollicité l'asile. La décision de transfert en litige, qui comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui la fondent est, par suite, suffisamment motivée.

16. En deuxième lieu, il ne ressort pas de l'arrêté en litige, en particulier de son exhaustive motivation, que le préfet de la Haute-Garonne n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation particulière de M. C....

17. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac (...) ".

18. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre contre signature, le 14 septembre 2023, la brochure intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A) et la brochure intitulée " Je suis sous procédure B... - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), en langue pachto qu'il a déclaré comprendre, et en a accusé réception sans réserves. Par ailleurs, il ressort du résumé de l'entretien individuel organisé le même jour, d'une part, que l'intéressé a déclaré avoir compris l'ensemble des termes de l'entretien, réalisé avec l'assistance d'un interprète en langue pachto et, d'autre part, que l'information sur les règlements applicables lui a été remise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

19. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien. / 5. L'entretien a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien rédigé un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ".

20. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 18, que M. C... a bénéficié le 14 septembre 2023, jour de l'enregistrement de sa demande d'asile, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement du 26 juin 2013. Il ressort du résumé produit par l'administration que cet entretien a été mené par un agent qualifié de la préfecture de la Haute-Garonne, par le truchement d'un interprète en langue pachto, laquelle est comprise par l'intéressé. Il en ressort également que l'intéressé a pu s'exprimer sur sa situation personnelle et son parcours migratoire et qu'il a été, notamment, été mis à même de présenter toutes observations utiles sur la perspective d'un transfert aux autorités croates. M. C... n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'élément précis de nature à laisser penser que l'entretien ne se serait pas tenu selon les modalités prévues par l'article 5 du règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure suivie serait irrégulière au regard des dispositions de cet article doit être écarté.

21. En cinquième et dernier lieu, il ressort des mentions contenues dans l'arrêté en litige que le préfet de la Haute-Garonne a examiné la possibilité, prévue par le paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, pour les autorités françaises en charge de l'asile de se reconnaître compétentes pour examiner la demande d'asile de M. C.... Par suite, l'autorité préfectorale, qui a expressément examiné la possibilité de mettre en œuvre la clause dérogatoire prévue par ces dispositions, ne s'est pas estimée en compétence liée pour édicter la décision de transfert.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

22. En premier lieu, sur renvoi de l'article L. 751-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article L. 732-1 du même code dispose que : " Les décisions d'assignation à résidence, y compris de renouvellement, sont motivées ". La décision assignant à résidence M. C... vise les dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8. Elle mentionne, en outre, que M. C... fait l'objet d'un arrêté de transfert aux autorités croates édicté le même jour, qu'il ne peut immédiatement le territoire français mais que l'exécution de son transfert demeure une perspective raisonnable. La décision en litige, qui comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent en le fondement et, par suite, suffisamment motivée.

23. En deuxième lieu, l'illégalité de la décision de transfert n'étant pas établie ainsi qu'il a été dit aux points 6 à 21, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait, par voie de conséquence, illégale, doit être écarté.

24. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile. (...) En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée. (...) ".

25. Il ressort des pièces du dossier que M. C... ne pouvait quitter immédiatement le territoire français mais que son éloignement demeurait, à la date de la décision en litige, une perspective raisonnable compte tenu de la réponse favorable apportée par les autorités croates à la demande de reprise en charge faisant courir un délai de six mois en vue d'organiser son transfert. Par suite, en assignant à résidence l'intimé, l'autorité préfectorale n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

26. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés du 27 décembre 2023 portant transfert et assignation à résidence. Dès lors, les demandes présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de ces deux arrêtés préfectoraux doivent être rejetées. Il en est de même, par voie de conséquence des conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête n° 24TL00555 :

27. Dès lors qu'il est statué, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2307834 du 3 janvier 2024 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.

DÉCIDE:

Article 1 : Le jugement n° 2307834 du 3 janvier 2024 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande de M. C... devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 27 décembre 2023 portant transfert aux autorités croates et assignation à résidence et les conclusions qu'il a formulées en appel sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée dans le cadre de la requête n° 24TL00555.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Mercier.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°s 24TL00554 - 24TL00555


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00554
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

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Étrangers - Séjour des étrangers - Restrictions apportées au séjour - Assignation à résidence.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : MERCIER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-18;24tl00554 ?
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