Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, à titre principal, d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, et à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile.
Par un jugement n° 2207393 du 17 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, après avoir admis à titre provisoire M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1er), a fait droit à sa demande d'annulation, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans cette attente (articles 2 et 3), a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 250 euros à verser à Me Tercero en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, et dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. A..., la somme de 1 250 euros à verser à ce dernier (article 4), et enfin a rejeté le surplus des conclusions de sa demande (article 5).
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler les articles 2 à 4 de ce jugement.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a retenu comme fondé le moyen tiré de ce que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'asile n'aurait pas été régulièrement notifiée à M. A... ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.
Par une décision du 22 novembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 23 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été reportée et fixée en dernier lieu au 20 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Haïli, président-assesseur a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., né le 8 juillet 1995 à Conakry (Guinée), de nationalité guinéenne, déclare être entré sur le territoire français le 28 août 2019. Il a sollicité son admission au bénéfice de l'asile le 10 septembre 2019. Cette demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision du 7 juillet 2021, confirmée par une ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile le 14 septembres 2022. Par un arrêté du 6 décembre 2022, le préfet de la Haute-Garonne a obligé M. A... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par la présente requête le préfet de la Haute-Garonne interjette appel du jugement du 17 février 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a fait droit à la demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". D'autre part, l'article L. 542-2 du même code dispose que : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) d) une décision de rejet dans les cas prévus à l'article L. 531-24 et au 5° de l'article L. 531-27 ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 532-19 du même code : " La date de notification de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui figure dans le système d'information de l'office, et qui est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques, fait foi jusqu'à preuve du contraire ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que l'étranger originaire d'un pays sûr qui sollicite son admission au bénéfice de l'asile a le droit de séjourner sur le territoire français jusqu'à ce que la décision rejetant sa demande lui ait été régulièrement notifiée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. En l'absence d'une telle notification, l'autorité administrative ne peut pas regarder le demandeur à qui l'asile a été refusé comme ne bénéficiant plus de son droit provisoire au séjour ou comme se maintenant irrégulièrement sur le territoire national. Eu égard à la présomption instaurée par l'article R. 532-19 précité, il appartient au demandeur qui conteste les mentions de l'application TelemOfpra d'apporter des précisions et justifications de nature à les remettre en cause.
4. Pour annuler l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, le premier juge a estimé que le pli portant notification de la décision de rejet par l'Office français de protection des étrangers et apatrides de la demande d'asile n'avait pas été régulièrement notifié à M. A... dès lors que le courrier avait été envoyé à l'adresse du " Forum Réfugiés " et non à celle de l'association " Adelphité par CVH " et que, si l'application TelemOfpra indiquait également que l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile a été notifiée à l'intéressé le 4 octobre 2022, le préfet n'établissait ni même n'alléguait que des diligences auraient été accomplies pour transférer le pli contenant l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile concernant le requérant à sa nouvelle adresse auprès de l'association " Adelphité par CVH ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a effectué aucune démarche pour signaler à l'administration une nouvelle domiciliation postale. Or, bien que cette nouvelle adresse soit la conséquence du changement de titulaire du marché public relatif aux prestations de premier accueil des demandeurs d'asile, qui a pris effet au 1er janvier 2022, et même si l'administration n'ignorait pas cette modification, il ne lui appartenait pas d'envoyer le pli à une autre adresse que celle indiquée par le demandeur d'asile. Il s'ensuit que M. A... ne peut se prévaloir de la circonstance que la décision de rejet de sa demande d'asile ne lui aurait pas été régulièrement notifiée pour estimer qu'il continuait à bénéficier du droit provisoire au séjour et demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a retenu ce motif pour annuler l'arrêté du 6 décembre 2022 contesté.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté en litige :
S'agissant de la légalité externe :
6. Par un arrêté du 19 octobre 2022, n° 31-2022-10-18-00001, publié le même jour au recueil administratif spécial, accessible tant au juge qu'aux parties sur le site internet de la préfecture, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme D... B..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer l'ensemble des décisions relatives à la police des étrangers, ce qui inclut notamment les arrêtés de transfert de demandeurs d'asile aux autorités étrangères et les mesures d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.
7. Lorsqu'il présente une demande d'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, il pourra faire l'objet d'un refus de titre de séjour et, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé d'une mesure d'éloignement du territoire français. Il lui appartient, lors du dépôt de sa demande d'asile, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Il lui est loisible, tant au cours de l'instruction de sa demande, qu'après que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile aient statué sur sa demande d'asile, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux.
8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... ait sollicité, sans obtenir de réponse, un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il ait été empêché de présenter des observations avant que ne soit prise la décision portant obligation de quitter le territoire français. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'intéressé aurait eu de nouveaux éléments depuis le refus par de sa demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, à faire valoir, susceptibles de conduire le préfet à prendre une décision différente. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'en prenant à son encontre la mesure d'éloignement, sans la mettre en mesure de présenter ses observations, le préfet aurait porté atteinte au principe général du droit de l'Union européenne garantissant à toute personne le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle l'affectant défavorablement, ne peut qu'être écarté.
9. Enfin, l'obligation de quitter le territoire prise à l'encontre de l'étranger dont la demande d'asile a été rejetée une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de façon définitive par la Cour nationale du droit d'asile n'est pas prise pour l'application de la décision par laquelle le préfet statue, en début de procédure, sur l'admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile. Dans ces conditions, le moyen invoqué par M. A..., qui a été admis provisoirement au séjour au titre de l'asile, selon lequel il n'aurait pas reçu d'informations suffisantes par le guide du demandeur d'asile qui lui a été remis lors de la présentation de sa demande d'asile, est inopérant, et ne peut qu'être écarté.
S'agissant de la légalité interne :
10. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". L'article R. 611-1 du même code dispose que : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. " L'article R. 611-2 ajoute que cet avis " est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu : 1° D'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier ; 2° Des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".
11. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.
12. D'une part, il ressort du procès-verbal d'entretien de l'intéressé du 19 avril 2021 devant les services de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que M. A... a fait état de maux de têtes et d'évanouissement, sans autre précision. Toutefois, l'intimé n'a produit auprès de l'administration, préalablement à la mesure contestée, aucune pièce sur son état de santé qui laisserait présumer qu'une absence de prise en charge médicale aurait pu avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pourrait effectivement pas bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. Au surplus, il est constant que M. A... n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il déclare séjourner en France depuis 2005.
13. D'autre part, s'il ressort du dossier de première instance que M. A... souffre d'une maladie de Crohn colique, les deux certificats produits en date du 28 décembre 2021 et du 17 janvier 2023 indiquant qu'il est suivi pour une pathologie intestinale sévère, se bornent à établir que son traitement et son suivi sont indispensables. Par ailleurs, M. A... ne démontre ni que le traitement qu'il suit en France, dont il ne donne aucune précision, ne serait pas disponible en Guinée ni qu'il ne serait pas en mesure de bénéficier d'un traitement et d'un suivi équivalents à ceux dont il bénéficie sans qu'il y ait lieu d'exiger une prise en charge médicale en tous points équivalente à celle dont il dispose dans le système de santé en France.
14. Par suite et dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en édictant la mesure d'éloignement en litige. Pour les mêmes motifs, il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle.
15. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. Comme il a été dit précédemment, et eu égard en particulier à la circonstance que les pièces médicales versées, qui se bornent à décrire la pathologie de l'intéressé, ne permettent pas de témoigner des conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge, ni ne se prononcent en tout état de cause, de façon circonstanciée sur la possibilité d'accéder à un traitement approprié dans son pays d'origine, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en édictant une obligation de quitter le territoire français à son encontre et en fixant le pays de destination, le préfet aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 6 décembre 2022 par lequel il a fait obligation à M. A... de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par suite, il y a lieu d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué et de rejeter le surplus des conclusions de la demande de M. A... présentée devant le Tribunal administratif de Toulouse.
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2207393 du 17 février 2023 du tribunal administratif de Toulouse sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. C... A... et à Me Tercero.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024
Le rapporteur,
X. Haïli
Le président de chambre,
D. Chabert
Le greffier,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23TL00632