Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), assureur de cet établissement public, ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner, sur le fondement de la garantie des vices cachés et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, la société par actions simplifiée Pellenc Languedoc-Roussillon à leur verser la somme de 164 187,52 euros, dont 114 007,52 euros reviennent à l'assureur et 50 180 euros à l'assurée, ces sommes devant être assorties des intérêts au taux légal capitalisés en réparation des préjudices liés à la destruction par incendie d'un tracteur équipé d'une épareuse à bras hydraulique.
Par un jugement n° 2005997 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juillet 2022 et le 24 avril 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et la société mutuelle d'assurance des collectivités locales, représentées par Me Audouin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 juin 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner, à titre principal, sur le fondement de la garantie des vices cachés et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, la société Pellenc Languedoc-Roussillon à leur verser la somme globale de 164 187,52 euros, dont 114 007,52 euros reviennent à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales et 50 180 euros reviennent à la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée ;
3°) de mettre à la charge de la société Pellenc Languedoc-Roussillon les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- en matière mobilière, seule la connaissance certaine du vice caché par l'acheteur, établie par la date de remise du rapport d'expertise au tribunal, marque le point de départ du départ du délai de deux ans pour former une action en garantie des vices cachés ; la connaissance certaine du vice correspond au 5 avril 2019, date de remise du rapport de l'expert désigné par le tribunal ;
- c'est à tort que le tribunal n'a pas engagé la responsabilité du vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés alors que la destruction par incendie du tracteur résulte d'un vice inhérent à cet engin dont l'origine n'était pas connue avec certitude ;
- il n'existe pas de jurisprudence du Conseil d'État selon laquelle le vice doit être regardé comme connu dans toute son ampleur à la date du rapport d'expertise amiable lorsque les conclusions d'une telle expertise concordent avec celles de l'expertise judiciaire ultérieurement ordonnée ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'action était prescrite ;
- l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Montpellier présentait un caractère utile pour connaître l'origine exacte et la cause des désordres dont l'acheteur public n'avait pas connaissance avec certitude ; le régime de l'action en garantie des vices cachés doit être adapté aux spécificités du droit des marchés publics et du droit public, notamment en ce qui concerne les critères d'utilité conditionnant la désignation d'un expert judiciaire en droit administratif en application de l'article R. 532-1 du code de justice administrative ;
- en tout état de cause, l'assureur de la société Pellenc Languedoc-Roussillon a, dans un premier temps, reconnu que le tracteur était à l'origine du sinistre, tout comme le rapport d'expertise interne de son assureur du 21 octobre 2016, avant de se rétracter et de se retrancher derrière la position de son fournisseur fabricant, la société Claas ; cette reconnaissance est assimilable à un aveu de l'acheteur de nature à interrompre toute prescription ou forclusion à l'encontre de l'acheteur public en application de l'article 2240 du code civil ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de la société Pellenc Languedoc-Roussillon est engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux en application de l'article 1254 du code civil, cette société n'ayant pas la qualité de simple revendeur ;
- elles sont fondées à obtenir l'indemnisation de leurs préjudices dans les conditions suivantes :
* 100 648 euros au titre du remplacement de l'ensemble du tracteur dont 72 000 euros correspondent au coût de rachat du tracteur et 28 800 euros à celui de l'épareuse, déduction faite de la franchise d'assurance ;
* 25 680 euros au titre de la différence de prix pour le rachat d'un nouveau tracteur alors que l'ancien n'était pas amorti ;
* 12 000 euros au titre de l'immobilisation du tracteur pendant dix mois du 13 mai 2016 au 9 mars 2017, date de rachat d'un nouvel équipement ;
* 10 000 euros au titre de la désorganisation du travail des agents techniques restés inoccupés en l'absence de matériel ;
* 5 262 euros et 4 319,52 euros au titre des frais d'expertise amiable réglés par l'assureur au laboratoire Lavoué et au cabinet Fretay ;
* 2 500 euros au titre des frais de gardiennage de l'engin du 13 mai 2016 au 24 avril 2019 ;
* 2 010 euros au titre des frais d'enlèvement du tracteur ;
* 816 euros au titre des frais de déplacement du tracteur pour les opérations d'expertise ;
* 800 euros au titre de la détérioration d'une clôture réglés à l'assureur de la victime ;
* 152 euros au titre de la franchise d'assurance réglée par la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée ;
- il y a lieu de mettre les frais d'expertise à la charge de la société Pellenc Languedoc-Roussillon.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2023, la société Pellenc Languedoc-Roussillon, représentée par Me Conquet, conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la condamnation prononcée à son encontre soit limitée à la somme de 100 800 euros correspondant à la valeur du tracteur et de l'épareuse. Elle demande, en outre, à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et de la société mutuelle d'assurance des collectivités territoriales au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, l'action en garantie des vices cachés est prescrite en application de l'article 1648 du code civil dès lors qu'elle a été introduite plus de deux ans après la découverte du vice par l'acheteur public ; ce délai biennal ne peut être interrompu que par une demande en justice en vertu des articles 2241 et 2242 du code civil et court à compter de la découverte du vice par l'acheteur, soit à partir du moment où ce dernier a pu avoir connaissance du vice affectant le bien vendu ; aucun report du point de départ du délai biennal n'est possible à compter de la date de remise du rapport d'expertise judiciaire si l'acquéreur avait eu connaissance des vices affectant le bien dans toute son ampleur et ses conséquences avant ou au cours de la demande d'expertise ; or, l'acheteur public a découvert le vice dans toute son ampleur et ses conséquences le 18 octobre 2016, date du rapport de l'expert mandaté par son assureur dont les conclusions concordent avec celles de l'expert désigné par le tribunal ; cette date constitue le point de départ du délai d'action de deux ans ; s'il est constant que ce délai a été interrompu par la saisine du tribunal aux fins de désigner un expert pour faire courir un nouveau délai de deux ans à compter de l'ordonnance du 26 janvier 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal a ordonné une expertise, ce délai s'est achevé le 26 janvier 2020 ; par suite, le délai de l'action en garantie des vices cachés était expiré depuis onze mois lorsque l'acheteur public a saisi le tribunal au fond le 28 décembre 2020 ;
- à titre subsidiaire, l'acheteur ne démontre pas en quoi le défaut rendait le bien impropre à son usage alors que le tracteur a été utilisé pendant près de trois ans sans difficultés ; il lui appartenait d'agir contre le producteur du tracteur sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
- à titre très subsidiaire, sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux dès lors, premièrement, qu'elle n'a pas la qualité de producteur, deuxièmement, que la responsabilité de vendeur ou de fournisseur ne peut être subsidiairement engagée qu'en cas d'impossibilité d'identifier le producteur, et, enfin, troisièmement, que ce régime ne s'applique qu'à la réparation de dommages résultant d'atteintes à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis, aucun justificatif des frais exposés n'est produit à l'exception de la franchise d'assurance de 152 euros ; les frais d'expertise amiable engagés par les appelants ne sauraient être mis à sa charge alors qu'elle a également exposé de tels frais sans pour autant être responsable de l'incendie qui trouve sa cause dans un défaut de fabrication du tracteur.
Par une ordonnance du 27 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 avril 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- les observations de Me Moukouko, substituant Me Audouin, représentant la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et la société mutuelle d'assurance des collectivités locales, et celles de Me Conquet, représentant la société Pellenc Languedoc-Roussillon.
Considérant ce qui suit :
1. En 2013, la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée a fait l'acquisition, dans le cadre d'un marché public conclu avec la société Pellenc Languedoc-Roussillon, d'un tracteur de marque Claas modèle Arion 620 équipé d'une débrousailleuse à bras hydraulique. Ce tracteur a été mis en service le 7 novembre 2013. Le 13 mai 2016, cet engin a pris feu alors qu'il circulait sur le territoire de la commune de Bessan (Hérault), épareuse à l'arrêt, avec à son bord un agent technique. Après avoir diligenté une expertise amiable au contradictoire de la société Pellenc Languedoc-Roussillon et de la société Claas France, et en l'absence d'accord entre les parties, la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et son assureur ont obtenu, par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n° 1705122 du 26 janvier 2018, la désignation d'un expert dont le rapport a été remis le 5 avril 2019. La communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et la société mutuelle d'assurance des collectivités locales, agissant dans le cadre de la subrogation légale prévue à l'article L. 121-12 du code des assurances, demandent à la cour d'annuler le jugement du 2 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la société Pellenc Languedoc-Roussillon à leur verser la somme globale de 164 187,52 euros, à titre principal sur le fondement de la garantie des vices cachés et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable au litige :
2. Aux termes de l'article 1641 du code civil : " Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ". Aux termes de l'article 1643 du même code : " Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie ". L'article 1644 de ce code dispose que : " Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ". L'article 1646 du même code précise que : " Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente ".
3. Les règles résultant des articles 1641 à 1649 du code civil relatifs à la garantie des vices cachés sont applicables à un marché public de fourniture.
En ce qui concerne l'exception de prescription biennale retenue par le tribunal :
4. En premier lieu, le premier alinéa de l'article 1648 du code civil dispose que : " L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ". Il résulte de ces dispositions que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte par l'acheteur de l'existence du vice, de son étendue et de sa gravité.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2239 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ".
6. Le délai biennal prévu par le premier alinéa de l'article 1648 du code civil pour intenter l'action en garantie des vices cachés constitue un délai de prescription susceptible, dès lors, d'interruption et de suspension et non un délai de forclusion. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article 1648 du code civil, combinées à celles des articles 2239 et 2241 du même code, que le délai biennal auquel est soumise l'action en garantie des vices cachés est interrompu par une citation en justice et qu'il est, en outre, suspendu lorsque le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article R. 531-2 du code de justice administrative, fait droit à une demande d'expertise présentée avant toute action au fond en garantie des vices cachés, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.
7. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". Aux termes de l'article 2241 du code civil : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ". Alors même que l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile réservait un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action. Il en résulte qu'une citation en justice, au fond ou en référé, n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.
8. L'article L. 121-12 du code des assurances dispose que : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ". D'une part, l'assureur qui bénéficie de la subrogation instituée par ces dispositions dispose de la plénitude des droits et actions que l'assuré qu'il a dédommagé aurait été admis à exercer à l'encontre de toute personne responsable, à quelque titre que ce soit, du dommage ayant donné lieu au paiement de l'indemnité d'assurance. D'autre part, l'assureur de l'acheteur public, susceptible d'être subrogé dans ses droits, bénéficie de l'effet interruptif d'une citation en justice à laquelle l'acheteur public a procédé dans le délai de garantie biennale.
9. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'incendie du tracteur qui s'est déclaré le 13 mai 2016, la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et son assureur ont diligenté des opérations d'expertise amiable au contradictoire de la société Pellenc Languedoc-Roussillon. Cette phase a donné lieu à un rapport d'expertise amiable et à un rapport complémentaire établis par le cabinet Fretay et associés et le Laboratoire Lavoué les 14 et 18 octobre 2016 mais les parties ne sont pas parvenues à un accord pour régler amiablement de ce sinistre et il subsistait un désaccord sur l'existence du vice, son étendue et sa gravité. Le délai biennal a, dès lors, commencé à courir le 18 octobre 2016.
10. Il résulte également de l'instruction que les appelants ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, le 27 octobre 2017, soit dans le délai biennal, d'une demande, présentée sur le fondement de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, tendant à prescrire une expertise aux fins non seulement de constater les désordres causés au tracteur et à son épareuse, d'en rechercher l'origine et les causes mais aussi de déterminer la nature et le coût des réparations ou de chiffrer le coût de remplacement de ces équipements, à laquelle il a été fait droit par ordonnance n° 1705122 du 26 janvier 2018. Le rapport de l'expert a été déposé le 5 avril 2019 au greffe du tribunal. Dès lors que seules ces opérations d'expertise judiciaire ont permis à l'acheteur de connaître de manière exhaustive et circonstanciée l'existence du vice caché affectant le tracteur, son étendue et sa gravité, le délai de prescription biennale prévu au premier alinéa de l'article 1648 du code civil pour exercer l'action en garantie des vices cachés, lequel constitue un délai de prescription et non de forclusion, ainsi qu'il a été dit au point 6, a donc été interrompu jusqu'au 5 avril 2019 et un nouveau délai d'action de deux ans a couru à l'égard de l'acheteur public à compter du 6 avril 2019, conformément aux articles 1648 et 2239 du code civil.
11. L'assureur de l'acheteur public, susceptible d'être subrogé dans ses droits, bénéficiant de l'effet interruptif d'une citation en justice à laquelle l'acheteur public a procédé dans le délai biennal, l'action en garantie des vices cachés de la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et de son assureur n'était, dès lors, pas prescrite en application de l'article 1648 du code civil, lorsqu'ils ont saisi, le 23 décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier, contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges.
12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les causes juridiques soulevées par la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et son assureur tant devant le tribunal administratif de Montpellier que devant la cour.
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de la société Pellenc Languedoc-Roussillon sur le fondement de la garantie des vices cachés :
13. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que le tracteur dont la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée a fait l'acquisition a été totalement endommagé par un incendie d'origine électrique ayant démarré sous la cabine du conducteur. Cet incendie, intrinsèque à l'engin, a été provoqué par l'entrée en contact entre, d'une part, un câble électrique qui sert à alimenter la cabine et, d'autre part, la canalisation rigide hydraulique de relevage arrière, ce contact ayant créé un point chaud suivi d'une zone de fusion à l'origine du départ de feu alors que le tracteur roulait et que le bras hydraulique supportant l'épareuse était à l'arrêt et en position remontée. Il résulte également de l'instruction que le vice en litige est lié à une non-conformité électrique suivie d'un court-circuit franc entre le câble de puissance précité et la canalisation rigide hydraulique destinée au relevage arrière. Cette non-conformité, inhérente au tracteur et qui a contraint à son immobilisation complète, rend cet engin agricole impropre à sa destination normale. Elle doit, dès lors, être regardée comme un vice rédhibitoire au sens de l'article 1641 du code civil. Ce vice était inconnu de la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée, acheteur non professionnel, lors de la conclusion de la vente, et ne pouvait pas être décelé par elle. Par suite, la responsabilité de la société Pellenc Languedoc-Roussillon doit être engagée au titre des vices cachés affectant la chose vendue.
En ce qui concerne les préjudices indemnisables :
14. Aux termes de l'article 1644 du code civil : " Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ". L'article 1645 du même code dispose que : " Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ".
15. Il résulte des dispositions de l'article 1645 du code civil une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant.
S'agissant des préjudices subis par la société mutuelle d'assurance des collectivités locales :
16. En premier lieu, le vice caché a entraîné la destruction complète du tracteur et de l'épareuse à bras hydraulique, ce qui empêche de rendre la chose et implique la restitution du prix. De plus, il est constant que la société mutuelle d'assurance des collectivités locales a indemnisé la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée à hauteur des sommes toutes taxes comprises de 72 000 euros et de 28 800 euros au titre du remplacement à neuf du tracteur et de l'épareuse, sommes dont il convient de déduire la franchise d'assurance laissée à la charge de son assurée à hauteur de 152 euros. Par suite, la société Pellenc Languedoc-Roussillon doit être condamnée à verser à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales, subrogée dans les droits de son assurée, la somme de 100 648 euros au titre de la restitution du prix du tracteur et de l'épareuse endommagés.
17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise amiable établi entre la société appelante et la société MAAF assurances, que l'incendie du tracteur a également endommagé le portail et le mur de clôture d'une riveraine, ce sinistre présentant un lien direct avec l'incendie causé par les vices cachés affectant le tracteur. La société d'assurance mutuelle des collectivités locales, qui a indemnisé la société MAAF Assurances, assureur de cette tierce personne, à hauteur de 800 euros toutes taxes comprises ainsi que cela résulte de la quittance subrogative du 16 août 2017 produite en première instance est, dès lors, fondée à demander la condamnation de la société Pellenc Languedoc-Roussillon à lui rembourser de ce montant.
18. En troisième et dernier lieu, les frais d'une expertise amiable diligentée par l'acheteur public dans le cadre de désordres résultant de vices rédhibitoires affectant la chose acquise peuvent être compris dans l'indemnité due par les vendeurs responsables si cette expertise a été utile pour la détermination du préjudice indemnisable.
19. Il résulte de l'instruction, notamment des notes d'honoraires produites en première instance par les appelantes, que la société mutuelle d'assurance des collectivités locales a exposé les sommes arrondies de 2 821 euros et 2 268 euros en règlement des notes d'honoraires établies par le cabinet Fretay et le laboratoire Lavoué au titre des frais d'expertise amiable. Il résulte également de l'instruction que cet assureur a dépensé une somme de 816 euros toutes taxes comprises pour le démontage de la cabine du tracteur pour les besoins de ces expertises amiables. Ces frais, qui doivent être regardés comme ayant été utiles aux parties et au juge pour établir la réalité et la consistance des préjudices, présentent, dès lors, un caractère indemnisable. Par suite, la société Pellenc Languedoc-Roussillon doit être condamnée à verser à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales la somme de 5 905 euros au titre des différents frais exposés au cours de la phase d'expertise amiable.
S'agissant des préjudices subis par la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée :
20. En premier lieu, en application des dispositions précitées de l'article 1645 du code civil, la garantie à laquelle le vendeur est tenu à raison des défauts de la chose vendue implique seulement la restitution du prix qu'il en a reçu. Dès lors qu'il n'établit pas que l'indemnité versée par son assureur ne couvrirait pas le prix d'achat initial du tracteur et de l'épareuse, l'acheteur public n'est pas fondé à demander à réclamer une indemnité complémentaire de 25 680 euros correspondant à la différence entre le coût de rachat d'un nouveau tracteur et l'indemnité d'assurance qui lui a été versée. En tout état de cause, la réalité de ce préjudice n'est pas établie en l'absence de facture d'achat du nouvel engin.
21. En deuxième lieu, en se bornant à soutenir, sans produire aucun élément à l'appui de ses allégations, qu'elle a subi des préjudices financiers à hauteur de 12 000 euros au titre de l'immobilisation du tracteur pendant dix mois du 13 mai 2016 au 9 mars 2017, date de rachat d'un nouvel équipement, de 10 000 euros au titre de la désorganisation du travail des agents techniques restés inoccupés en l'absence de matériel, de 2 010 euros au titre des frais d'enlèvement du tracteur et, enfin, de 2 500 euros au titre des frais de gardiennage du 13 mai 2016 au 24 avril 2019, la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée n'établit pas la réalité de ces chefs de préjudice. Par suite, ses prétentions indemnitaires sur ce point doivent être écartées.
22. En troisième et dernier lieu, il n'est pas contesté qu'une franchise contractuelle de 152 euros est restée à la charge de la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée. Par suite, il y a lieu de condamner la société Pellenc Languedoc-Roussillon à lui verser cette somme.
23. Il s'évince de ce qui précède que la société Pellenc Languedoc Roussillon doit être condamnée à verser la somme de 107 353 euros à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales et celle de 152 euros à la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée.
En ce qui concerne, à titre subsidiaire, la responsabilité de la société Pellenc Languedoc-Roussillon du fait des produits défectueux :
24. Aux termes de l'article 1245 du code civil : " Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ". L'article 1245-1 du même code précise que : " Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne. / Elles s'appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ". Enfin, l'article 1245-6 de ce code dispose que : " Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée. (...) ".
25. Il résulte de l'instruction, en particulier des différents rapports d'expertise, que la société par actions simplifiée Claas France a été identifiée comme étant le producteur du tracteur en litige, la société intimée indiquant, en outre, sans être contredite sur ce point, que ce producteur a été assigné en justice par les appelants devant le tribunal judiciaire de Béziers. Dès lors que l'engagement de la responsabilité du vendeur sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux présente un caractère supplétif et que le producteur du tracteur en litige a pu être identifié, les conclusions par lesquelles les appelantes demandent, à titre subsidiaire, l'engagement de la responsabilité de la société Pellenc Languedoc-Roussillon sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
26. Il résulte de tout ce qui précède que les appelantes sont seulement fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur action en garantie des vices cachés comme prescrite et, par voie de conséquence, à ce que la société Pellenc Languedoc-Roussillon soit condamnée à verser à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales la somme de 107 353 euros et à la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée celle de 152 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
27. D'une part, la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et la société mutuelle d'assurance des collectivités locales ont droit aux intérêts au taux légal sur les indemnités que la société Pellenc Languedoc-Roussillon est condamnée à leur verser dans le cadre de la réformation prononcée au point 26 du présent arrêt, à compter du 23 décembre 2020, date de la saisine du tribunal.
28. D'autre part, aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 23 décembre 2020, date de la première saisine juridictionnelle des appelantes. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 23 décembre 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés aux litiges de première instance et d'appel :
29. En premier lieu, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ". Compte tenu de la réformation prononcée au point 26, il y a lieu de mettre les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Montpellier du 17 avril 2019 à la somme de 5 470,37 euros toutes taxes comprises, à la charge définitive de la société Pellenc Languedoc-Roussillon en sa qualité de partie perdante.
30. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée et de la société mutuelle d'assurance des collectivités locales, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la société Pellenc Languedoc-Roussillon demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Pellenc Languedoc-Roussillon une somme de 750 euros à verser tant à la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée qu'à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1 : La société Pellenc Languedoc-Roussillon est condamnée à verser une somme de 107 353 euros à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales et une somme de 152 euros à la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2020. Les intérêts échus au 23 décembre 2021, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 470,37 euros toutes taxes comprises par l'ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Montpellier du 17 avril 2019 sont mis à la charge définitive de la société Pellenc Languedoc-Roussillon.
Article 3 : La société Pellenc Languedoc-Roussillon versera à la communauté d'agglomération Hérault-Méditerranée et à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales une somme de 750 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 2005997 du 2 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée, à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales et à la société par actions simplifiée Pellenc Languedoc-Roussillon.
Copie en sera adressée, pour information, à M. B... A..., expert.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21695