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04/07/2024 | FRANCE | N°22TL21877

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 04 juillet 2024, 22TL21877


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société H Efficience a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2012, 2013 et 2014.



Par un jugement n° 2002788, 2002789 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Nîmes a déchargé, en droits et pénalités, la société H Efficience des cotisations suppl

émentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société H Efficience a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2012, 2013 et 2014.

Par un jugement n° 2002788, 2002789 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Nîmes a déchargé, en droits et pénalités, la société H Efficience des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 2014 à hauteur de réductions de base de 246,10 euros et de 23,67 euros et a rejeté le surplus de sa demande après l'avoir jointe avec une autre.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 août 2022, et trois mémoires complémentaires enregistrés le 18 avril 2023, le 31 mai 2023 et le 19 juin 2023, la société H Efficience, représentée par Me Alle et Me Bichard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2012, 2013 et 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration, qui s'est fondée exclusivement sur les conclusions d'une enquête pénale, a méconnu le principe d'indépendance des procédures fiscale et pénale ;

- elle a dénaturé une vérification de comptabilité en contrôle sur pièces ;

- elle a rejeté l'ensemble des frais comptabilisés en estimant à tort qu'ils correspondaient à ceux visés dans l'enquête pénale ;

- elle ne pouvait se contenter de transposer les conclusions de cette enquête, qui porte sur une période différente ;

- les charges qu'elle a comptabilisées sont justifiées ;

- elle doit être déchargée des pénalités en conséquence du caractère infondé des rectifications ;

- ces pénalités ne sont pas justifiées, dès lors qu'elle démontre sa bonne foi.

Par quatre mémoires en défense, enregistrés le 27 janvier 2023, le 11 mai 2023, le 8 juin 2023 et le 21 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2023.

Des pièces complémentaires ont été produites par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le 6 mai 2024, et communiquées au titre des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- les conclusions de M. Clen, rapporteur public,

- et les observations de Me Alle pour la société H Efficience.

Considérant ce qui suit :

1. La société H Efficience, qui est spécialisée dans la fourniture de prestations de services multimédia à la personne destinés aux patients d'établissements de santé et aux personnes dépendantes en établissement ou à leur domicile, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces portant sur les exercices clos les 31 décembre 2012 et 2013 et d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, à l'issue desquels l'administration fiscale a réintégré dans ses bénéfices imposables des frais de déplacement, d'hôtellerie et de restauration. La société a été en conséquence assujettie, au titre des exercices clos les 31 décembre 2012, 2013 et 2014, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et à des pénalités correspondantes, dont elle a demandé la décharge au tribunal administratif de Nîmes. Par un jugement du 1er juillet 2022, le tribunal a déchargé, en droits et pénalités, la société H Efficience des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 2014 à hauteur de réductions de base de 246,10 euros et de 23,67 euros et rejeté le surplus de sa demande. La société fait appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de sa demande.

Sur les conclusions en décharge :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, le principe d'indépendance des procédures fiscale et pénale ne s'oppose pas à ce que l'administration fonde des rappels d'imposition sur des éléments recueillis auprès de l'autorité judiciaire. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration, qui a en l'espèce repris à son compte des indications mentionnées dans un procès-verbal de synthèse d'une procédure d'enquête préliminaire, sans d'ailleurs se fonder exclusivement sur ces conclusions, aurait en l'espèce méconnu ce principe doit être écarté.

3. En second lieu, le moyen tiré de ce que le service a dénaturé une vérification de comptabilité en contrôle sur pièces n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

4. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) / (...) / 5. Sont également déductibles les dépenses suivantes : / a. Les rémunérations directes et indirectes, y compris les remboursements de frais versés aux personnes les mieux rémunérées ; / b. Les frais de voyage et de déplacements exposés par ces personnes ; / c. Les dépenses et charges afférentes aux véhicules et autres biens dont elles peuvent disposer en dehors des locaux professionnels / (...) / Les dépenses ci-dessus énumérées peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

5. Il résulte de l'instruction, notamment d'un procès-verbal de synthèse d'une procédure d'enquête préliminaire établi par le service régional de police judiciaire de Clermont-Ferrand, que des frais de déplacement, d'hôtellerie et de restauration exposés par M. B... A... dans le cadre de son activité de directeur technique et commercial de la société Delta 2i ont été, entre les mois de janvier 2012 et d'octobre 2014, comptabilisés à l'identique par cette société et la société H Efficience sur la base d'états mensuels que l'intéressé adressait simultanément à ces dernières. Il a été relevé, à ce titre, que M. A... transmettait mensuellement ses états de frais à son épouse, unique salariée de la société H Efficience, dont elle est la présidente. Il a été également constaté que M. A... payait ses dépenses d'hôtel, de restaurant et de train en utilisant la carte bancaire de la société H Efficience et que ces frais lui étaient ensuite remboursés par la société Delta 2i dans le cadre de notes de frais. Par ailleurs, il utilisait un véhicule de la société Delta 2i, qui prenait en charge ses dépenses de carburant, et percevait, de la société H Efficience, des indemnités kilométriques pour les mêmes déplacements. Dans ces conditions, l'administration fiscale a estimé, conformément aux conclusions de l'enquête pénale, que l'intégralité des dépenses inscrites dans les comptes " missions réception ", " frais de déplacement ", " frais restaurant " et " indemnités kilométriques " de la société H Efficience constituaient des frais engagés au profit d'un tiers à l'entreprise. Alors que ces faits étaient corroborés par l'absence de présentation de justificatifs suffisants de ces charges, qui n'ont pas été regardées comme ayant été exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise, l'administration a, en conséquence, réintégré les montants correspondants dans les résultats des exercices en litige.

6. La société H Efficience affirme que les frais remis en cause par le service comprennent des dépenses engagées par sa dirigeante dans le cadre de l'activité commerciale de l'entreprise et que, compte tenu des liens entretenus avec la société Delta 2i, qui exerce l'activité de vente et d'installation de systèmes informatiques appelés " e-medis " dans des établissements de santé, elle démarchait des clients avec M. A.... Toutefois, en se bornant à produire l'agenda dématérialisé de sa directrice pour la période de janvier 2012 à avril 2014, des listings de frais, des tickets de caisse et factures non nominatifs, des pièces libellées au nom de M. A..., de " A... " ou d'autres personnes, des justificatifs concernant des charges ne relevant pas de celles qui ont été remises en cause par le service et des documents illustrant l'activité économique des sociétés H Efficience et Delta 2i, la société requérante, qui n'a d'ailleurs procédé à aucune refacturation partielle à la société Delta 2i à raison des frais engagés, n'apporte aucun élément permettant de rattacher les frais remis en cause à sa propre activité et dans son intérêt direct. Il en est de même des factures établies au nom de la dirigeante de la société H Efficience, qui se rapportent à des dépenses ne correspondant à aucun déplacement professionnel avéré. Dans un arrêt définitif du 11 mars 2021, la 6ème chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Nîmes a d'ailleurs condamné pénalement M. et Mme A... au motif que cette dernière avait fait supporter délibérément et pendant trois ans par sa société, pour un montant de 72 615 euros, les frais de déplacement de son époux dans le cadre de ses fonctions de directeur commercial de la société Delta 2i. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a refusé, pour la détermination du bénéfice net imposable à l'impôt sur les sociétés, la déduction de l'ensemble des frais de déplacement, d'hôtellerie et de restauration inscrits en comptabilité et visés dans l'enquête pénale, à l'exception de ceux qui ont été admis par le tribunal administratif de Nîmes. La circonstance que cette enquête concernait des faits commis au cours d'une période, comprise entre les mois de janvier 2012 et d'octobre 2014, qui ne correspond pas exactement à celle des rectifications en litige, qui s'étend du 8 juin 2011 au 31 décembre 2014, est, dans ces mêmes conditions et alors d'ailleurs que les montants retenus ne sont pas identiques pour l'exercice clos en 2014, sans incidence sur leur bien-fondé.

En ce qui concerne les pénalités :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré de ce que la société H Efficience doit être déchargée des pénalités en conséquence du caractère infondé des impositions contestées doit être écarté.

8. En second lieu, d'une part, aux termes du I de l'article 1727 du code général des impôts : " Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard (...) ". Les intérêts de retard qui ont été mis à la charge de la société H Efficience indépendamment de toute appréciation portée par l'administration fiscale sur son comportement ne sauraient être utilement contestés par la circonstance qu'elle aurait agi de bonne foi.

9. D'autre part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". En relevant l'existence d'une double comptabilisation injustifiée de charges ayant pour conséquence une diminution des bénéfices imposables de la société H Efficience, les liens familiaux existant entre le bénéficiaire de ce dispositif et la présidente et unique salariée de la société requérante et le caractère répétitif des manquements sur plusieurs exercices consécutifs, l'administration établit la volonté délibérée d'éluder une partie de l'impôt dû. Par suite, le moyen tiré de ce que l'application de la majoration prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas justifiée doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que la société H Efficience n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par la société H Efficience est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle H Efficience et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22TL21877 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21877
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales - Détermination du bénéfice imposable.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net.


Composition du Tribunal
Président : M. Barthez
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: M. Clen
Avocat(s) : SELARL ELLAW;SELARL ELLAW;SELARL ELLAW

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;22tl21877 ?
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