Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E..., épouse B..., Mme F... E..., épouse D... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Revel à leur verser la somme de 45 000 euros en réparation du préjudice moral que leur a causé le décès de leur mère à la suite d'une chute du 18 novembre 2019.
Par un jugement n° 2120747 du 3 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier auquel la demande a été attribuée par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat l'a rejetée.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2022, les consorts E..., représentés par Me Nakache, doivent être regardés comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 3 novembre 2022 ;
2°) de condamner la commune de Revel à verser à chacun d'eux la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de cette commune les frais d'huissier s'élevant à la somme de 384,09 euros et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de la commune de Revel est engagée du fait de la carence fautive de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police de la circulation ; ainsi, le maire n'a pas pris les mesures de police permettant aux personnes en fauteuil roulant d'accéder aux trottoirs de la place de la galerie du Couchant ;
- sa responsabilité est également engagée du fait du défaut d'entretien de l'ouvrage public ; le trottoir, qui présente un dénivelé d'une quinzaine de centimètres, ne fait l'objet d'aucune signalisation ; eu égard à sa nature, à ses caractéristiques et à son emplacement, un tel obstacle ne fait pas partie de ceux qu'un usager doit normalement s'attendre à rencontrer ;
- les circonstances de la chute de la victime sont suffisamment caractérisées ; l'impossibilité d'accéder au bateau du trottoir et l'absence de signalement du dénivellement du trottoir sont directement à l'origine de la chute de la victime ; la preuve de ce lien de causalité direct est apportée par les attestations et pièces versées au dossier ;
- ils sont en droit de prétendre au versement d'une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du décès de leur mère.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2023, la commune de Revel, représentée par Me Ducroux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des appelants la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la preuve du lien de causalité entre le préjudice subi et les fautes invoquées n'est pas rapportée dès lors que les pièces versées au débat ne permettent pas d'établir les circonstances précises et exactes de la chute accidentelle ;
- à titre subsidiaire, le maire n'a commis aucune carence fautive dans l'exercice de ses pouvoirs de circulation ;
- à supposer même qu'une faute soit retenue à l'encontre de la commune, la faute d'inattention de la victime doit être retenue.
Vu les autres pièces de ce dossier.
Vu :
-le code de la route,
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Beltrami,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mouakil représentant la commune de Revel.
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 novembre 2019, vers 15 h 30, Mme E..., âgée de 84 ans et invalide à 85 %, a chuté sur la voie publique en sortant du cabinet de consultation de sa podologue situé 6, galerie du Couchant dans le centre de Revel (Haute-Garonne), ce qui lui a occasionné un traumatisme crânien sans perte de connaissance. Elle est décédée le 27 novembre 2019. Le 2 novembre 2020, ses trois enfants, Mme E..., épouse B..., Mme E..., épouse D... et M. E... ont présenté à la commune de Revel une demande préalable indemnitaire fondée, d'une part, sur la carence fautive du maire de la commune dans le cadre de ses pouvoirs de police municipale et d'autre part, sur le défaut d'entretien de l'ouvrage public. Par une décision du 15 décembre 2020 la commune précitée a rejeté leurs demandes. Les consorts E... relèvent appel du jugement du 3 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes indemnitaires.
Sur la responsabilité de la commune :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle du représentant de l'État dans le département, de la police municipale (..) ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité de passage dans les rues, quais, places et voies publiques (..) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents (..) ". L'autorité municipale qui exerce la police municipale a, en application de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, l'obligation d'assurer la sûreté et la commodité de passage dans les rues de la commune. La responsabilité de la commune peut être engagée du fait d'une carence de son maire à prévenir les risques d'accident résultant de la méconnaissance de cette obligation.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 427-10 du code de la route, dans sa version applicable au litige : " I.- Tout véhicule à l'arrêt ou en stationnement doit être placé de manière à gêner le moins possible la circulation. II.- Est considéré comme gênant la circulation publique l'arrêt ou le stationnement d'un véhicule : (...) 5° Sur les emplacements où le véhicule empêche soit l'accès à un autre véhicule à l'arrêt ou en stationnement, soit le dégagement de ce dernier ; (...). IV.- Tout arrêt ou stationnement gênant prévu par le présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe ". Il résulte de ces dispositions que le stationnement d'un véhicule sur un emplacement qui empêche soit l'accès à un autre véhicule à l'arrêt ou en stationnement, soit le dégagement de ce dernier constitue un stationnement gênant passible de l'amende prévue pour les contraventions de deuxième classe.
4. En second lieu, si, en matière de dommages liés à une voie qui constitue un ouvrage public, la personne publique doit apporter la preuve de l'entretien normal de la voie, il appartient à la victime d'établir l'existence de l'obstacle et d'un lien de causalité direct et certain entre celui-ci et le dommage.
5. Comme indiqué au point 1, Mme G... E... a fait une chute, le 18 novembre 2019 à Revel en quittant, en compagnie de sa fille, le cabinet de sa podologue pour rejoindre le véhicule de cette dernière stationné sur la place réservée aux personnes à mobilité réduite, située en face du cabinet. Si les appelants prétendent qu'alors que leur mère avait l'habitude de se déplacer en fauteuil roulant, elle n'a pas pu l'utiliser le jour de son accident et a été contrainte d'emprunter le trottoir à pied, munie de ses cannes en raison du stationnement d'un véhicule sur l'abaissement du trottoir, ils ne démontrent cependant pas, par la seule attestation de sa fille, au demeurant peu circonstanciée, qu'au moment de la chute, un véhicule était effectivement stationné au niveau de ce trottoir. À supposer même qu'un véhicule ait bien stationné au niveau de l'abaissement du trottoir, ce stationnement sur un emplacement qui empêchait soit l'accès à un autre véhicule à l'arrêt ou en stationnement, soit le dégagement de ce dernier constituait un stationnement gênant passible de l'amende prévue pour les contraventions de deuxième classe. Il en résulte que le maire de Revel n'était pas tenu de prendre un arrêté pour interdire et sanctionner le stationnement des véhicules devant les bateaux des trottoirs entourant la place Philippe VI de Valois. Dans ces conditions, le lien de causalité entre la chute de la victime et la carence du maire à assurer la commodité des passages dans le cadre de ses pouvoirs de police municipale n'est pas établi. Par suite, les appelants ne sont pas fondés à engager la responsabilité pour faute de la commune du fait de la carence fautive de son maire à prévenir les risques d'accident résultant de la méconnaissance de son obligation d'assurer les commodités de passage.
6. Les appelants incriminent également l'absence de signalisation du trottoir d'une quinzaine de centimètres de hauteur comme constituant l'ouvrage à l'origine de sa chute. Toutefois, si la podologue fait état, dans son attestation du 24 juillet 2020, de ce que la victime lui a indiqué ne pas avoir vu le dénivellement du trottoir, ni cette attestation, ni aucune autre pièce n'émanent de personnes ayant été témoins directs de l'accident. Dès lors, aucun élément ne permet ni d'attester de ce que les caractéristiques de l'ouvrage en cause seraient à l'origine de la chute, ni de situer l'endroit exact de celle-ci. Du reste, il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal de l'huissier du 22 novembre 2019 que le trottoir incriminé ne représente qu'une petite marche d'une hauteur ne dépassant pas quelques centimètres. Cet ouvrage constituait ainsi un obstacle n'excédant pas celui auquel un usager de la voie peut normalement s'attendre à rencontrer, y compris au cas d'espèce, et malgré le taux d'invalidité de 85 % de la victime dès lors qu'elle était assistée de sa fille. Dans ces conditions, les appelants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité pour défaut d'entretien de l'ouvrage de la commune de Revel.
7. Il en résulte que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes indemnitaires. Par voie de conséquence, les conclusions devant être regardées comme présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Revel, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme réclamée par les appelants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacun des appelants le versement à cette commune de la somme de 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête des consorts E... est rejetée.
Article 2 : Mme E... épouse B..., Mme E..., épouse D..., et M. E..., verseront, chacun, à la commune de Revel la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E..., épouse B..., à Mme F... E..., épouse D..., à M. C... E... et à la commune de Revel.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL22611