Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 août 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de la transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2305014 du 30 août 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 8 août 2023, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête enregistrée 19 octobre 2023 sous le n° 23TL02460, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 30 août 2023 sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que ce moyen, sérieux, est de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ;
- l'exécution de ce même jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la mise en œuvre de la procédure de transfert engagée à l'encontre de l'intéressée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, Mme A..., représentée par Me Lescarret, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le moyen invoqué par le préfet ne revêt pas un caractère sérieux de nature à justifier outre l'annulation du jugement attaqué, ses conclusions à fin d'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 8 août 2023.
Par une décision du 15 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
II - Par une requête enregistrée le 19 octobre 2023 sous le n° 23TL02462, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 août 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, Mme A..., représentée par Me Lescarret, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) dans le cadre de l'effet dévolutif, d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne et d'ordonner au préfet de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 24 heures suivant la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à tout le moins de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen invoqué par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé ;
- les arrêtés du préfet de la Haute-Garonne sont entachés d'un défaut de compétence de son auteure ;
- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes est entaché d'un défaut de motivation en fait ;
- cette décision est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article 17.1 du règlement n° 604/2013 ;
- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en application des dispositions de l'article 17.1 du règlement n° 604/2013 et méconnait également l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Par une décision du 15 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante malienne, née le 12 février 1994 est entrée selon ses déclarations en France le 25 mai 2023 et s'est présentée le 31 mai suivant à la préfecture de la Haute-Garonne pour y déposer une demande d'asile. Par un arrêté du 8 août 2023, le préfet de la Haute-Garonne a décidé du transfert de Mme A... aux autorités italiennes. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL02462, le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 30 août 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de réexaminer dans le délai de deux mois la situation de Mme A... ainsi que de la munir dans l'attente d'une attestation de demande d'asile et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Lescarret en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 23TL02460, le préfet demande à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement. Les requêtes susvisées nos 23TL02460 et 23TL02462 étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur l'admission de Mme A... à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par deux décisions du 15 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A... le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'octroi d'une aide juridictionnelle provisoire.
Sur la requête n° 23TL02462 :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :
3. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée, / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères, / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations, / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert, / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement, / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...). ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, lequel doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement constitue une garantie pour le demandeur d'asile.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de la Haute-Garonne le 31 mai 2023, conduit par un agent des services de la préfecture, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat en langue bambara, langue que l'intéressée a déclaré comprendre. L'intimée s'est vue remettre, lors de cet entretien, d'une part, le " Guide du demandeur d'asile en France " et la brochure intitulée " Les empreintes digitales et Eurodac " et, d'autre part, les deux fascicules constituant la brochure commune mentionnée au paragraphe 2 de l'article 4 du règlement précité, à savoir le fascicule A intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et le fascicule B intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", dans lesquels se trouvent l'ensemble des informations énumérées au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. L'ensemble de ces documents étaient rédigés en langue bambara, langue officielle de son pays d'origine. Par ailleurs, si Mme A... soutient qu'elle ne sait pas lire cette langue, il ressort d'une part des pièces du dossier que les pages de garde de ces brochures ont été signées par l'intéressée ainsi que par l'interprète en langue bambara. D'autre part, le résumé de l'entretien, produit par l'administration, précise par ailleurs que l'intimée a été informée de la procédure engagée à son encontre et ne fait apparaître aucune difficulté de compréhension ou de communication entre l'intéressée et l'agent de la préfecture ayant conduit cet entretien. Il en ressort au contraire que Mme A... a été mise à même de poser les questions utiles sur la procédure à laquelle elle était soumise et qu'elle a présenté des observations circonstanciées sur la perspective d'un éventuel transfert aux autorités italiennes. En outre, à supposer même que l'interprète n'ait pas pu lire en langue bambara lesdites brochures, le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement imposait seulement de communiquer à Mme A... par oral les informations nécessaires à sa bonne compréhension et n'exigeait pas qu'il soit procédé à une lecture intégrale de la vingtaine de pages que représentent les brochures A et B, seules visées par l'article 4. Enfin, si Mme A... soutient que l'entretien n'aurait duré " à peine plus de quinze minutes ", il n'apparaît pas que la durée de l'entretien aurait été insuffisante pour lui fournir les éléments requis sur la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Il s'ensuit que l'intéressée n'a pas été privée des garanties prévues par l'article 4 du règlement précité. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés litigieux, le premier juge a accueilli le moyen tiré de ce que la mesure de transfert aux autorités italiennes était entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de cet article.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance et en appel au soutien de sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 8 août 2023.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme A... :
7. En premier lieu, l'arrêté de transfert en litige mentionne que Mme A..., déclarant être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 25 mai 2023, s'est présentée à la préfecture de la Haute-Garonne, le 31 mai suivant, pour y formuler une demande d'asile. Il précise également que, lors de l'enregistrement de son dossier complet, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé le fait qu'une demande d'asile avait été introduite auprès des autorités italiennes le 21 mars 2023. Les autorités italiennes, saisies le 19 juin 2023 d'une demande de reprise en charge de l'intéressée, ont fait connaître leur accord 28 juin 2023 sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il précise en outre que lors de l'entretien individuel du 31 mai 2023, Mme A... a pu formuler des observations quant à un éventuel transfert vers les autorités italiennes, qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier de l'intéressée que celle-ci souffrirait d'une pathologie d'une particulière gravité et que l'exécution de son transfert emporterait une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé et que l'impossibilité d'accéder à des soins adaptés en Italie n'est pas établie. Ces éléments permettent à l'intéressée de comprendre les motifs sur lesquels s'est fondé le préfet de la Haute-Garonne pour déterminer que l'Italie était responsable de l'examen de sa demande d'asile et prendre la décision de transfert. Par suite, cet arrêté, qui comporte l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.
8. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet a procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de Mme A... avant d'édicter la décision de transfert. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien. / 5. L'entretien a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien rédigé un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, que Mme A... a bénéficié le 31 mai 2023, jour de l'enregistrement de sa demande d'asile, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement du 26 juin 2013. Il ressort du résumé produit par l'administration que cet entretien a été mené par un agent qualifié de la préfecture de la Haute-Garonne en langue française, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat en langue bambara, que l'intéressée a déclaré comprendre. Il en ressort également que Mme A... a pu s'exprimer sur sa situation personnelle et son parcours migratoire et qu'elle a notamment été mise à même de présenter toutes observations utiles sur la perspective d'un transfert aux autorités italiennes. L'intimée n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'élément précis de nature à laisser penser que l'entretien ne se serait pas tenu selon les modalités prévues par l'article 5 du règlement. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure suivie serait irrégulière au regard des dispositions de cet article doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". L'article 17 de ce règlement stipule : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs.
12. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation de l'arrêté du 8 août 2023, que le préfet de la Haute-Garonne a examiné la situation de Mme A... au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et a estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire application de ces dispositions dérogatoires dès lors, notamment, qu'il n'était établi ni l'impossibilité d'accéder à des soins adaptés, ni que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité d'assurer sa protection ou l'exposeraient à un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile, ni qu'il existait des défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs. Par suite, le moyen selon lequel le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur de droit au regard de ces dispositions doit être écarté.
13. En cinquième lieu, Mme A... soutient qu'au regard des conditions d'accueil des demandeurs d'asile transférés en Italie, le préfet de la Haute-Garonne a, d'une part, commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité et, d'autre part, méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, l'Italie étant un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces conventions. A l'appui de ses allégations visant à établir des défaillances systémiques dans l'accueil des demandeurs d'asile en Italie, Mme A... fait état de sa situation de " particulière vulnérabilité " eu égard notamment à son isolement et son état de santé compte tenu de ce qu'elle est atteinte du virus de l'hépatite B et qu'elle a des caries dentaires. Toutefois, en se bornant à produire à l'appui de ses propos d'une part, deux ordonnances médicales et le compte-rendu de consultation de prévention au sein du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration accompagné d'un courrier du médecin le 12 juin 2023 et d'autre part, différents articles de presse, des rapports généraux ainsi que des décisions de justice nationales et étrangères, Mme A... n'établit pas qu'elle ne pourrait pas bénéficier de soins appropriés en cas de transfert vers l'Italie ou que son état de santé s'opposerait à l'exécution de ce transfert. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'Italie aurait effectivement et depuis le 5 décembre 2022, date d'une circulaire du ministre de l'intérieur italien, refusé les réadmissions de demandeurs d'asile en provenance de la France. De plus, cette circulaire précise que l'obstacle à l'exécution du transfert de tels demandeurs vers l'Italie est limité dans le temps et uniquement motivé par des raisons techniques liées au fait que les structures d'accueil sont sous pression. Ces éléments, ne permettent donc pas d'établir que la demande d'asile de l'intéressée ne serait pas examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et à caractériser des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil et d'examen des demandes d'asile alors que les autorités italiennes ont explicitement accepté la reprise en charge de l'intéressée postérieurement à cette circulaire ou qu'elle serait susceptible de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ni que les de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auraient été en conséquence méconnues.
14. En sixième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". L'article 13 du même règlement dispose que : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ". Aux termes de l'article 18 de ce règlement : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; (...) ".
15. Il ressort des pièces versées au dossier que l'Italie, consultée par la France le 19 juin 2023 sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement n° 604/2013 au motif que Mme A... avait formulé une demande d'asile dans cet Etat le 21 mars 2023, a accepté expressément de reprendre en charge l'intéressée sur ce fondement. Si Mme A... soutient que les autorités françaises auraient dû saisir les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de l'examen de sa demande de protection internationale en application des dispositions de l'article 13 précitées au motif que ses empreintes décadactylaires aient été relevées le 23 février 2023 dans ce même Etat, il ressort des pièces produites par le préfet de la Haute-Garonne, qu'à la date d'enregistrement de sa demande asile en France, l'Italie était l'Etat membre dans lequel Mme A... avait introduit sa demande de protection internationale pour la première fois. Dans ces conditions, alors que Mme A... ne conteste pas cette circonstance, le préfet de la Haute-Garonne, a pu déterminer à bon droit, que les autorités italiennes étaient compétentes pour reprendre en charge Mme A... sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions précitées ne peut être accueilli.
16. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 8 août 2023 portant transfert de Mme A... aux autorités italiennes. Il en résulte que c'est également à tort que le premier juge a enjoint à l'autorité préfectorale de réexaminer la situation de l'intéressée et qu'il a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte de l'intimée :
17. Le présent arrêt, qui annule le jugement du tribunal administratif de Toulouse et rejette la demande présentée par Mme A... n'implique aucune mesure d'exécution au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions de l'intimée présentées sur ce fondement dans l'instance n° 23TL02462 ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la requête n° 23TL02460 :
18. Dès lors qu'il est statué au fond par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du jugement du 30 août 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
Sur les frais liés aux litiges :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les sommes réclamées par l'intimée au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 30 août 2023 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse ainsi que les conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL02460.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme B... A... et à Me Lescarret.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
N. Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.
Le président-rapporteur,
D. ChabertLe président assesseur,
X. Haïli
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 23TL02460, 23TL02462