Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Hivory a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 26 novembre 2021 par lequel le maire de Bellegarde du Razès, agissant au nom de l'Etat, s'est opposé à sa déclaration préalable de travaux présentée le 20 septembre 2021 pour l'implantation d'un pylône relais de radiotéléphonie mobile sur un terrain situé au lieu-dit " Sant Urbo " sur le territoire de cette commune.
Par un jugement n° 2200404 rendu le 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, annulé l'arrêté du 26 novembre 2021, d'autre part, enjoint au maire de prendre une décision de non-opposition à déclaration préalable et de délivrer un certificat de non-opposition à la société Hivory dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et, enfin, rejeté le surplus des conclusions présentées par la société.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a censuré le motif de refus fondé sur l'article L.111-11 du code de l'urbanisme tenant à l'absence de desserte du terrain par le réseau d'électricité dès lors que les conditions d'application de cet article étaient réunies et que l'article L. 332-8 du même code, permettant de faire supporter au porteur de projet le coût de l'extension du réseau, n'empêchait pas qu'un tel motif soit valablement opposé ;
- c'est également à tort que les premiers juges ont censuré le motif d'opposition fondé sur l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme dès lors que le pylône projeté est de nature à porter atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux et des paysages avoisinants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, la société par actions simplifiée Hivory, représentée par Me Bon-Julien, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la requête du ministre est irrecevable faute d'accomplissement des formalités de notification prévues à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;
- à titre subsidiaire, le jugement attaqué doit être confirmé en raison de l'illégalité des motifs invoqués par le maire pour faire opposition à sa déclaration préalable ;
- le jugement pourrait également être confirmé en raison de l'illégalité de l'arrêté au regard de l'article 222 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dès lors que cet arrêté a pour effet de retirer une décision tacite de non-opposition à déclaration préalable.
Par une ordonnance en date du 22 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code des postes et des communications électroniques,
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Hivory, agissant dans le cadre d'un mandat confié par la société SFR, a présenté, le 20 septembre 2021, une déclaration préalable de travaux pour l'implantation d'un pylône relais de radiotéléphonie mobile sur la parcelle cadastrée section OB n° 393, située au lieu-dit " Sant Urbo ", sur le territoire de la commune de Bellegarde du Razès (Aude). Par un arrêté pris le 26 novembre 2021, le maire de cette commune, agissant au nom de l'Etat, s'est opposé à la déclaration préalable ainsi présentée. Par un jugement rendu le 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a, sur la demande de la société Hivory, annulé l'arrêté du 26 novembre 2021 et enjoint au maire de Bellegarde du Razès de prendre une décision de non-opposition à déclaration préalable et de délivrer un certificat de non-opposition à ladite société dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement. Par sa requête, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur le bien-fondé des différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui, et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à se prononcer sur les autres moyens de première instance. Dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus ne justifie l'annulation, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens.
En ce qui concerne le motif de refus opposé par le maire sur le fondement de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme :
3. L'article L. 111-11 du code de l'urbanisme dispose que : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. / (...) ". Les dispositions précitées poursuivent le but d'intérêt général d'éviter à la collectivité publique ou au concessionnaire de service public d'être contraints, par le seul effet d'une initiative privée, de réaliser des travaux d'extension ou de renforcement des réseaux et de garantir leur cohérence et leur bon fonctionnement en prenant en compte les perspectives d'urbanisation et de développement de la collectivité. Il s'ensuit qu'une autorisation d'urbanisme doit être refusée lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d'autre part, l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation.
4. En outre, selon l'article L. 332-8 du même code, dans sa version modifiée par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Une participation spécifique peut être exigée des bénéficiaires des autorisations de construire qui ont pour objet la réalisation de toute installation à caractère industriel, notamment relative aux communications électroniques, agricole, commercial ou artisanal qui, par sa nature, sa situation ou son importance, nécessite la réalisation d'équipements publics exceptionnels. / Lorsque la réalisation des équipements publics exceptionnels n'est pas de la compétence de l'autorité qui délivre le permis de construire, celle-ci détermine le montant de la contribution correspondante, après accord de la collectivité publique à laquelle incombent ces équipements ou de son concessionnaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 332-15 de ce code : " L'autorité qui délivre l'autorisation de construire, d'aménager, ou de lotir exige, en tant que de besoin, du bénéficiaire de celle-ci la réalisation et le financement de tous travaux nécessaires à la viabilité et à l'équipement de la construction, du terrain aménagé ou du lotissement, notamment en ce qui concerne la voirie, l'alimentation en eau, gaz et électricité (...). / Les obligations imposées par l'alinéa ci-dessus s'étendent au branchement des équipements propres à l'opération sur les équipements publics qui existent au droit du terrain sur lequel ils sont implantés et notamment aux opérations réalisées à cet effet en empruntant des voies privées ou en usant de servitudes. / L'autorisation peut également, avec l'accord du demandeur et dans les conditions définies par l'autorité organisatrice du service public de l'eau ou de l'électricité, prévoir un raccordement aux réseaux d'eau ou d'électricité empruntant, en tout ou partie, des voies ou emprises publiques, sous réserve que ce raccordement n'excède pas cent mètres et que les réseaux correspondants, dimensionnés pour correspondre exclusivement aux besoins du projet, ne soient pas destinés à desservir d'autres constructions existantes ou futures. / (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment des informations produites par la société Hivory à l'appui de sa déclaration préalable, que le terrain d'assiette du projet de pylône en litige n'est pas actuellement desservi par le réseau public d'électricité et que l'alimentation du projet nécessite une extension de ce réseau, sur une longueur de 597 mètres, depuis le transformateur situé au sud de la partie agglomérée du village de Bellegarde de Razès. La société pétitionnaire a précisé dans sa déclaration préalable qu'elle prendrait à sa charge les coûts liés à l'extension du réseau électrique en application de l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme ou de l'article L. 332-15 du même code. Il ressort par ailleurs de la motivation de l'arrêté contesté que, pour s'opposer aux travaux projetés par la société Hivory, le maire de Bellegarde du Razès a relevé, sur le fondement de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme, que la commune n'envisageait pas de desservir la parcelle en électricité dans un avenir proche et que l'extension du réseau ne pouvait pas être mise à la charge du pétitionnaire au titre des équipements propres mentionnés à l'article L. 332-15 de ce code dès lors que sa longueur était supérieure à 100 mètres.
6. D'une part, il est constant que le maire de Bellegarde du Razès n'a pas procédé à la consultation de l'autorité gestionnaire du réseau public d'électricité avant de se prononcer sur la déclaration préalable de travaux présentée par la société Hivory. Par suite et alors même que les parties s'accordaient sur la longueur de l'extension requise pour la desserte de la parcelle par ledit réseau, le maire ne peut être regardé comme ayant accompli les diligences appropriées pour recueillir les indications nécessaires à son appréciation s'agissant de la faisabilité technique de l'extension du réseau d'électricité, du délai de réalisation des travaux, ainsi que de leur coût et, notamment, de la partie de ce coût susceptible de rester à la charge de la collectivité.
7. D'autre part, alors que la société Hivory a indiqué dans le formulaire de déclaration préalable qu'elle prendra en charge le coût des travaux d'extension du réseau public d'électricité sur le fondement de l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme ou de son article L. 332-15, le maire s'est borné à relever que la longueur de l'extension nécessaire ne permettait pas de mettre les dépenses correspondantes à la charge de l'intéressée en application de l'article L. 332-15, sans se prononcer sur la possibilité de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 332-8. Il ressort pourtant des pièces du dossier que les travaux d'extension en cause étaient rendus nécessaires, sur une longueur de 597 mètres, par le seul projet de la société Hivory, lequel est prévu sur une parcelle isolée et éloignée des parties urbanisées de la commune et s'inscrit par ailleurs dans le cadre de la mission d'intérêt général poursuivie par la société SFR en vue de l'amélioration des communications électroniques. Eu égard aux caractéristiques du projet ainsi rappelées, les travaux d'extension du réseau public d'électricité nécessaires au raccordement du pylône relais en litige doivent être regardés comme revêtant, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'un équipement public exceptionnel pouvant être mis à la charge du bénéficiaire de l'autorisation d'urbanisme en application de l'article L. 332-8 précité du code de l'urbanisme, de sorte que le coût de tels travaux n'incomberait pas, même partiellement, à la commune.
8. Eu égard à ce qui a été dit aux points précédents et alors même que la commune n'envisage pas l'urbanisation de la zone dans laquelle la société Hivory prévoit l'édification du pylône relais, le maire de Bellegarde du Razès ne pouvait légalement s'opposer à l'opération en litige sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne le motif de refus opposé par le maire sur le fondement de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme :
9. L'article R. 111-27 du code de l'urbanisme dispose que : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ". Pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder le refus de l'autorisation, il appartient à l'administration d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que le projet de construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Il est exclu de procéder, dans le second temps de ce raisonnement, à une balance d'intérêts divers en présence autres que ceux énoncés à l'article R. 111-27.
10. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet se situe dans le paysage rural et vallonné des collines du Razès et de l'ouest audois, principalement constitué de parcelles agricoles et viticoles, mais ne faisant l'objet d'aucune protection particulière sur les plans paysager et patrimonial. Le site d'implantation prévu par la société Hivory est distant de plus de 700 mètres du village de Bellegarde du Razès, lequel ne comporte aucun monument protégé. Malgré sa hauteur de 42 mètres et sa position dominante sur une colline sans arbres de haute tige aux alentours, le pylône treillis de couleur grise n'apparaît pas de nature à porter atteinte à ce paysage non dénué d'intérêt, mais dépourvu de caractère remarquable. En outre, le risque de saturation visuelle invoqué par l'administration, lié à la présence d'autres pylônes dans les environs, n'est pas établi par les pièces du dossier, alors notamment que l'antenne relais la plus proche se trouve à plus de 4 kilomètres du site. Dans ces conditions et alors même que l'architecte des bâtiments de France a exprimé ses réserves sur l'implantation retenue par la société dans son avis simple du 10 novembre 2021, le maire de Bellegarde du Razès a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme en s'opposant aux travaux projetés en raison de leur impact sur le paysage environnant.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Hivory, que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé l'annulation de l'arrêté pris par le maire de Bellegarde du Razès le 26 novembre 2021 et a enjoint à ce dernier de prendre une décision de non-opposition à déclaration préalable et de délivrer un certificat de non-opposition.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros à verser à la société Hivory en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Hivory sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société par actions simplifiée Hivory.
Copie en sera adressée au maire de Bellegarde du Razès.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL00413