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21/03/2024 | FRANCE | N°22TL00221

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 21 mars 2024, 22TL00221


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 18 janvier 2022 sous le n° 22MA00221 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 22TL00221 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis des mémoires enregistrés le 10 mai 2022, le 31 janvier 2023 et le 12 avril 2023, la société à responsabilité limitée du Col des Trois Sœurs, représentée par le cabinet d'avocats SK et Partner, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2021 par lequel la préfète de la Lozè

re lui a refusé l'autorisation unique sollicitée en vue de la construction et de l'exploitati...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 18 janvier 2022 sous le n° 22MA00221 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 22TL00221 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis des mémoires enregistrés le 10 mai 2022, le 31 janvier 2023 et le 12 avril 2023, la société à responsabilité limitée du Col des Trois Sœurs, représentée par le cabinet d'avocats SK et Partner, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2021 par lequel la préfète de la Lozère lui a refusé l'autorisation unique sollicitée en vue de la construction et de l'exploitation d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent composée de quatre aérogénérateurs et d'une hauteur de pâle de 150 mètres sur le lieu-dit " Col des Trois Sœurs " sur le territoire de la commune de La Panouse ;

2°) d'enjoindre à la préfète de la Lozère de procéder à un nouvel examen de sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté en litige a été signé par une autorité incompétente ;

- il est entaché d'une incompétence négative, la préfète de la Lozère s'étant estimé liée par l'avis de l'autorité environnementale du 16 juillet 2020 ;

- les motifs opposés par la préfète relatifs à l'exigence de la demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées procèdent d'une erreur d'appréciation dès lors qu'après l'application des mesures d'évitement et de réduction, l'étude d'impact a indiqué que les effets résiduels du projet sur les espèces avifaunes, de rapaces et chiroptères ne justifient pas le dépôt d'une telle demande de dérogation ;

- le risque que le projet comporte pour les espèces protégées n'est ainsi pas suffisamment caractérisé compte tenu des mesures proposées et il ne peut être utilement opposé les enjeux forts pour certaines espèces concernées.

Par des mémoires en défense enregistrés le 10 novembre 2022 et le 30 mars 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 mars 2023, la clôture de l'instruction a été reportée et fixée, en dernier lieu, au 13 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- et les observations de Me Williot, représentant la société requérante.

Une note en délibéré, produite par la société du Col des Trois Sœurs, représentée par le cabinet d'avocats SK et Partner, a été enregistrée le 12 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société du Col des Trois Sœurs a déposé auprès des services de la préfecture de la Lozère, le 18 novembre 2016, une demande d'autorisation unique au titre des installations classées pour la protection de l'environnement pour la construction et l'exploitation d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent regroupant quatre aérogénérateurs d'une puissance unitaire de 3,45 mégawatts, soit une puissance totale de 13,8 mégawatts et d'une hauteur maximale en bout de pale de 150 mètres, sur le territoire de la commune de La Panouse. Par un arrêté du 22 septembre 2017, le préfet de la Lozère a rejeté sa demande d'autorisation unique au motif d'un impact significatif du projet sur les enjeux paysagers et patrimoniaux locaux sur le fondement de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme. Par un jugement n° 1703540 du 21 octobre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté préfectoral au motif que l'autorité préfectorale avait commis une erreur de droit en considérant que le projet était de nature à avoir un impact significatif sur les enjeux paysagers et patrimoniaux locaux, incompatible avec les objectifs de préservation de ces enjeux, puis, en décidant pour ce motif de ne pas poursuivre l'instruction de la demande de la société du Col des Trois Sœurs et de la rejeter dès le stade de l'examen préalable. Par voie de conséquence, le tribunal administratif a enjoint au préfet de réexaminer la demande d'autorisation dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. A l'issue de cette instruction reprise, la préfète de la Lozère, par un arrêté du 18 novembre 2021, a de nouveau refusé de délivrer l'autorisation unique sollicitée le 18 novembre 2016. Par la présente requête, la société du Col des Trois Sœurs demande l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté attaqué :

2. Par un arrêté du 4 septembre 2020, publié le jour même au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Lozère, la préfète de ce département a donné délégation à M. Odinot, secrétaire général de la préfecture, afin de signer tous arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Lozère à l'exception de certaines décisions, au nombre desquelles ne figurent pas les autorisations pour l'exploitation d'un parc éolien. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté doit être écarté.

3. Il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni des autres pièces du dossier, en particulier de la procédure d'instruction administrative, que la préfète de la Lozère se serait estimée en situation de compétence liée à la suite de l'avis émis le 16 juillet 2020 par la mission régionale d'autorité environnementale Occitanie sur le projet en litige. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

4. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement : " I. - A titre expérimental (...) sont soumis aux dispositions du présent titre les projets d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent (...) soumises à l'autorisation prévue à l'article L. 512-1 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : " Les projets mentionnés à l'article 1er sont autorisés par un arrêté préfectoral unique, dénommé " autorisation unique " dans le présent titre. / Cette autorisation unique vaut autorisation au titre de l'article L. 512-1 du code de l'environnement (...) permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, autorisation de défrichement (...). / L'autorisation unique tient lieu des permis, autorisation (...) mentionnés à l'alinéa précédent pour l'application des autres législations lorsqu'ils sont requis à ce titre (...) ". Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées (...) au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...) sont considérées comme des autorisations environnementales (...) avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du (...) code (de l'environnement) que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables (...) / 2° Les demandes d'autorisation au titre (...) de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...) régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ".

5. L'ordonnance du 26 janvier 2017 n'a ni pour objet ni pour effet de modifier rétroactivement les dispositions régissant la procédure de délivrance d'une autorisation unique prévue par l'ordonnance du 20 mars 2014. Ainsi, la procédure d'instruction de la demande d'autorisation unique que la société pétitionnaire a déposée le 18 novembre 2016 est régie par l'ordonnance du 20 mars 2014 et son décret d'application n° 2014-450 du 2 mai 2014.

6. Il ressort de la motivation de l'arrêté attaqué que, pour refuser de délivrer à la société requérante l'autorisation unique sollicitée, la préfète de la Lozère s'est fondée, au titre des articles 11 et 12 du décret précité du 2 mai 2014, sur ce que le dossier de demande d'autorisation environnementale restait incomplet ou irrégulier en l'absence de dépôt d'un dossier pour instruire une demande de dérogation sur les espèces protégées en application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats ", que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

8. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

9. Il résulte de l'instruction que le projet de parc éolien en cause est localisé sur la commune de La Panouse, au niveau du Col des Trois Sœurs, sur une ligne de crête en limite de la commune de La Villedieu, dans la moitié nord du département de la Lozère et se situe dans une zone à enjeux forts d'après la carte de synthèse du schéma régional éolien. Le projet consiste en l'implantation de quatre aérogénérateurs de 150 mètres de hauteur en bout de pale pour une puissance totale installée prévue de 12 à 13,8 mégawatts et se situe à proximité d'un autre projet éolien " A... B... " porté par une autre société en cours d'instruction, à environ 3,5 kilomètres.

10. D'une part, il résulte de l'instruction que sur le site d'implantation du projet éolien en litige, trente-deux espèces patrimoniales et menacées et/ou sensibles à l'éolien sont observées, notamment le Milan royal, le Milan noir, le Bouvreuil pivoine, le Roitelet huppé, le Pipit farlouse, le Tarier des prés, la Linotte mélodieuse, la Bondrée apivore, le Pic noir, l'Alouette lulu, le Grand-duc d'Europe, la Chouette de Tengmalm, la Pie-grièche écorcheur, le Busard Saint-Martin, le Busard cendré, le Circaète Jean le Blanc et l'Engoulevent d'Europe. Le projet se situe dans les périmètres de plans nationaux d'actions (PNA) du Milan royal, de la Pie-grièche grise et proche des zonages d'hivernage du Milan royal et du domaine vital du Vautour fauve, et la Pie-grièche écorcheur bénéficie également d'un plan national d'actions. L'étude d'impact produite par la société requérante, dans son volet consacré aux enjeux liés au Milan Royal et au Circaète Jean-le-Blanc, espèces nicheuses à grand territoire, souligne que l'importance de l'enjeu de ces deux espèces est considérée comme " fort à très fort ", mais qualifie de " faible " l'importance résiduelle des effets négatifs du projet sur celles-ci. S'agissant en particulier du Milan Royal, qui bénéficie d'un plan national d'actions, l'étude d'impact indique que cette espèce est " en danger d'extinction " en Languedoc-Roussillon, que ce rapace est très sensible à l'éolien en termes de mortalité par collision, qu'il fréquente régulièrement le site en période de reproduction pour chasser, et précise que l'implantation des quatre éoliennes se situe sur les deux voies de migration situées au niveau du Col des Trois Sœurs et au sud de la Serre de Pierre et n'exclut ainsi pas tout risque de collision. S'agissant du Circaète Jean-le-Blanc, inscrit dans l'annexe I de la directive " Oiseaux ", l'étude mentionne que l'enjeu pour cette espèce est " fort à très fort ", que le rapace survole régulièrement le site en période de reproduction lors de ses prospections alimentaires, ce qui n'exclut pas ainsi, eu égard à la sensibilité particulière de cette espèce à l'éolien, les risques de collision. L'étude d'impact indique également que pour les espèces migratrices ou les espèces sédentaires à très grands domaines vitaux telles que le Milan royal et le Circaète Jean-le-Blanc, qui peuvent croiser plusieurs parcs éoliens au cours d'un même vol alimentaire, le projet en litige sera susceptible d'augmenter pour ces deux rapaces le risque de mortalité par collision. Au titre des mesures d'évitement et de réduction, si la société pétitionnaire se prévaut de l'implantation des éoliennes dans des zones à enjeux ornithologiques faibles en dehors des territoires de reproduction des espèces patrimoniales et de la prise en compte des périodes sensibles pour la faune dans le calendrier des travaux, il ne résulte pas de l'instruction que ces mesures seraient de nature à altérer efficacement le risque de collision compte tenu du secteur de prospection alimentaire de ces grands rapaces et des impacts prévisibles modérés à forts sur ces espèces, soit par risque de collision, soit par perturbation et altération des sites de reproduction, d'alimentation et de repos. En outre, il résulte de l'instruction que la mesure de réduction type détection/effarouchement/arrêt ne concerne que deux mâts E1 et E2 sur les quatre du parc éolien, et que sa mise en place est subordonnée à la concrétisation du projet de parc éolien voisin dit " A... B... ", et qu'aucune mesure de compensation des zones effarouchées n'est proposée, en dehors de celles déboisées. Dans ces conditions, eu égard aux effectifs de spécimens de ces espèces contactés et des impacts qu'emporte ce projet, alors en outre que l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale Occitanie du 16 juillet 2020 relève que " l'analyse des impacts cumulés est très insuffisante ", ces mesures ne peuvent être regardées, en l'espèce, comme atténuant de manière significative le risque de mortalité important prévalant pour ces espèces menacée, notamment en période de migration et celui de l'altération de leur habitat de chasse et de nidification. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les autres mesures préconisées par l'étude d'impact pour réduire les incidences du projet durant la phase d'exploitation, consistant à limiter l'attractivité des espaces sous-éoliens pour la faune volante, en maintenant un couvert végétal nu serait, dans les circonstances de l'espèce, de nature à atténuer de manière significative le risque que le parc éolien ferait courir à la préservation de ces espèces susceptibles de survoler le site en période de migration. De même, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la mise en œuvre d'un suivi de la mortalité de ces espèces, dès lors qu'une telle mesure n'est pas de nature à éviter les atteintes à la conservation de l'espèce qu'elle ne pourrait que constater a posteriori et ne saurait donc pallier les insuffisances des autres mesures de réduction proposées quant à leur garantie d'effectivité.

11. D'autre part, il résulte également de l'instruction qu'une quinzaine d'espèces de chiroptères a été recensée dans l'aire d'étude, avec notamment des espèces à forte valeur patrimoniale comme la Barbastrelle d'Europe, le Molosse de Cestoni, le Grand murin, la Pipistrelle de Kuhl, la Noctule commune et la Noctule de Leisler et que les impacts en cette zone forestière et humide seront importants, tant par destruction directe, que par destruction de gites ou attraits par ouverture de lisière (pistes, emplacement des éoliennes). Il résulte de l'instruction qu'outre ces espèces inventoriées, les enregistrements réalisés par l'étude d'impact n'ont pas couvert l'ensemble de la période de présence des chiroptères, cette étude n'ayant pas intégré dans l'estimation des impacts, la Grande noctule et la Pipistrelle de Nathusius. Par ailleurs, l'étude d'impact souligne que le risque de mortalité lié à des collisions et des barotraumatismes est qualifié de " fort " pour les chiroptères de haut vol tels que la Pipistrelle commune, la Pipistrelle de Kuhl, la Noctule de Leisler, la Noctule commune, la Séroline commune et la Vespère de Savi. S'agissant des deux premières espèces, il résulte de l'instruction que le niveau d'activité sur le site d'implantation du projet au niveau de la canopée, zone préférentielle de chasse pour les chiroptères, est le plus élevé de haut vol, que ces espèces présentent une sensibilité forte au risque de collision et que les travaux de défrichement envisagés pour la réalisation des éoliennes sont susceptibles de détruire les gîtes arboricoles et de déranger les colonies de ces deux espèces implantées à proximité des éoliennes. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les modèles d'éoliennes choisis ont un diamètre de rotor important qui réduit la distance au sol à 36 mètres laissant peu d'espace entre la canopée et le bout des pales. A cet égard, l'étude d'impact ne démontre pas en quoi la distance d'éloignement entre les lisières et les éoliennes d'un rayon de 60 mètres serait suffisante pour limiter utilement les risques de mortalité, eu égard aux recommandations de l'accord sur la conservation des populations de chauve-souris européennes (EUROBATS) et de la société française pour l'étude et la protection des mammifères (SFEPM), selon lesquelles les appareils devraient être implantés à 200 mètres au moins des lisières boisées. Enfin, il résulte de l'instruction que l'éolienne E4 doit être implantée à proximité de deux zones humides dont les abords seront dégagés par le défrichement, créant un espace particulièrement attractif pour la faune volante, et les installations des éoliennes E1 et E2 se situent sur des corridors de déplacement où les plus grands nombres de contacts ont été enregistrés. Si la société requérante soutient que l'étude propose de mettre en place une régulation du fonctionnement des éoliennes en les arrêtant du 1er mai au 30 octobre du coucher au lever du soleil pour des vents inférieurs à 6 m/sec et des températures supérieures à 8°C en début de nuit, il résulte de l'instruction, comme le relève d'ailleurs la mission régionale d'autorité environnementale Occitanie dans son avis du 16 juillet 2020, que l'étude ne justifie pas ces choix par rapport aux espèces ou groupes d'espèces, et par rapport à leur activité en fonction du vent et des températures propices au vol. De même, il résulte de l'instruction que le projet sollicité prévoit des paramètres de bridage pour des vitesses de vent inférieures à 8m/s alors qu'un projet voisin situé à 3,5 kilomètres comprenant les mêmes enjeux propose un bridage à 7,5m/s. Par suite, la société requérante n'établit pas que les choix retenus pour le paramétrage du bridage du parc limitent adéquatement les risques de collision sur les espèces de chauves-souris concernées. Si d'autres mesures de réduction des atteintes portées aux espèces protégées sont exposées dans l'étude d'impact, en particulier des mesures permettant de limiter l'attractivité des espèces à proximité des éoliennes, le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé eu égard aux risques de collision des chiroptères.

12. Enfin, et au demeurant, il est relevé que dans son avis du 2 juillet 2020, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Occitanie a souligné que le projet engendrera des impacts conséquents tant sur l'avifaune et que sur les chiroptères et les habitats " a minima ", que de nombreuses espèces concernées par les plans nationaux d'actions en faveur des espèces menacées ou sensibles à l'éolien seront impactées, en pointant qu'outre l'ancienneté des inventaires, la séquence mesures d'évitement, de réduction et de compensation (ERC) n'est pas aboutie, puisque des secteurs a enjeux forts ne sont pas évités, des mesures de réduction sont encore à développer, et en concluant que ces impacts prévus doivent faire l'objet d'une demande de dérogation espèces protégées. De même, dans son avis du 16 juillet 2020, la mission régionale d'autorité environnementale Occitanie a relevé que l'étude des effets cumulés de la société pétitionnaire aurait dû utiliser les éléments issus des études d'impact des projets voisins pour mettre à jour ses inventaires datant de 2015 et étayer ses analyses et recommande de renforcer les mesures proposées au titre des enjeux naturalistes qui sont élevés et apparaissent sous-évalués sur le secteur retenu et conclut qu'une demande de dérogation à la stricte protection des espèces apparaît nécessaire, mais n'est pas mentionnée dans le dossier. L'autorité environnementale recommande notamment d'étudier un scénario permettant le déplacement des éoliennes E1, E2 et E4 dans les habitats peu sensibles tout proches de ceux retenus. Enfin, dans son rapport en date du 20 juillet 2021, l'inspection des installations classées a préconisé de rejeter la demande d'autorisation environnementale unique du projet de la société pétitionnaire, faute de disposer des éléments permettant d'instruire une demande de dérogation sur les espèces protégées relevant de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Dans ces conditions, ainsi qu'il a été dit aux points précédents, eu égard à la nature et aux effets des mesures d'évitement et de réduction retenues par le projet qui, au vu des nombreuses insuffisances substantielles de l'étude d'impact ainsi relevées, ne permettent pas de justifier l'écart constaté entre l'importance maximale des enjeux, de modéré à fort et très fort des thèmes dont s'agit, et l'importance résiduelle des effets négatifs retenue par la société pétitionnaire, de faible à très faible, lesdites mesures ne peuvent être regardées comme présentant des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent d'atténuer le risque pour les espèces protégées concernées à un degré permettant de ne pas y déceler de risque suffisamment caractérisé.

13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que c'est à bon droit que la préfète de la Lozère a estimé que le risque que le parc projeté fera peser sur la conservation des populations d'oiseaux et de chiroptères dont s'agit susceptibles de fréquenter le site, notamment en période de migration, est suffisamment caractérisé. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Lozère a commis une erreur d'appréciation en estimant qu'elle aurait dû déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées pour au moins deux espèces, le Milan Royal et la Circaète Jean-le-Blanc et un groupe d'espèce de chiroptères à l'appui de sa demande d'autorisation unique, et que, dès lors, en l'absence de l'autorisation sollicitée devait être refusée.

14. Il s'ensuit que les conclusions en annulation de la requête doivent être rejetées, et par voie de conséquence les conclusions en injonction.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la société du Col des Trois Sœurs au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société du Col des Trois Sœurs est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée du Col des Trois Sœurs et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de la Lozère.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.

Le président-assesseur

X. HaïliLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL00221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL00221
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Xavier HAÏLI
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : SK & PARTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;22tl00221 ?
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