Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 23 mai 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de la transférer aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2303260 du 21 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 23 mai 2023, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête enregistrée 18 août 2023 sous le n° 23TL02116, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 21 juin 2023 sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que ce moyen, sérieux, est de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ;
- l'exécution de ce même jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la mise en œuvre de la procédure de transfert engagée à l'encontre de l'intéressée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2024, Mme B..., représentée par Me Bachelet, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) à titre principal, de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne comme irrecevable ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête du préfet de la Haute-Garonne est irrecevable dès lors qu'elle n'est pas signée par le préfet de la Haute-Garonne et qu'aucune délégation de signature à l'effet de former appel à l'encontre du jugement n'est établie ;
- les moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne ne revêtent pas un caractère sérieux de nature à justifier outre l'annulation du jugement attaqué, ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 23 mai 2023, et reprend ses écritures de première instance.
Par une décision du 9 février 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme B... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
II - Par une requête enregistrée le 18 août 2023 sous le n° 23TL02117, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes était entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 janvier 2024 et 24 janvier 2024, Mme B..., représentée par Me Bachelet, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) à titre principal, de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne comme irrecevable ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
4°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 23 mai 2023 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle totale, à lui verser en personne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête du préfet de la Haute-Garonne est irrecevable dès lors qu'elle n'est pas signée par le préfet de la Haute-Garonne et qu'aucune délégation de signature à l'effet de former appel à l'encontre du jugement n'est établie ;
- les moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne ne sont pas fondés et elle reprend ses écritures de première instance.
Par une décision du 9 février 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme B... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne, née le 12 mars 1985 est entrée selon ses déclarations en France le 7 février 2023 et s'est présentée le 14 février 2023 à la préfecture de la Haute-Garonne pour y déposer une demande d'asile. Par un arrêté du 23 mai 2023, le préfet de la Haute-Garonne a décidé du transfert de Mme B... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL02117, le préfet de la Haute-Garonne fait appel du jugement du 21 juin 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 23 mai 2023, a enjoint au préfet de réexaminer dans le délai de deux mois la situation de Mme B... ainsi que de la munir dans l'attente d'une attestation de demande d'asile et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Bachelet en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 23TL02116, le préfet demande à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce même jugement. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur l'admission de Mme B... à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par deux décisions du 9 février 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme B... le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. En conséquence, les demandes de l'intéressée tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire se trouvent dépourvues d'objet.
Sur la requête n° 23TL02117 :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée en défense par Mme B... :
3. Aux termes de l'article R. 431-4 du code de justice administrative : " Dans les affaires où ne s'appliquent pas les dispositions de l'article R. 431-2, les requêtes et les mémoires doivent être signés par leur auteur et, dans le cas d'une personne morale, par une personne justifiant de sa qualité pour agir. " Aux termes de l'article R. 431-13 du même code : " Sont en outre applicables devant les cours administratives d'appel les dispositions des articles (...) R. 431-4 (...) applicables devant les tribunaux administratifs. ".
4. La requête d'appel est signée par Mme A... D..., adjointe au chef de bureau de l'asile à la préfecture de la Haute-Garonne. Mme D... a été habilitée par le préfet de la Haute-Garonne, en vertu d'un arrêté du 13 mars 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du 15 mars 2023, pour signer en matière de transfert des ressortissants étrangers vers les Etats membres de l'Union européenne " l'ensemble des pièces, mémoires en défense et requête en appel, relatives au contentieux de toutes décisions prises en matière de droit des étrangers, devant les juridictions administratives et judiciaires (...) ". Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'incompétence du signataire des écritures du préfet en appel doivent être écartées.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :
5. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée, / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères, / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations, / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert, / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement, / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. (...). ".
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, lequel doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement constitue une garantie pour le demandeur d'asile.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture de la Haute-Garonne le 14 février 2023, conduit par un agent des services de la préfecture, avec le concours d'un interprète de la société ISM interprétariat en langue soussou, langue que l'intéressée a déclaré comprendre. L'intimée s'est vu remettre, lors de cet entretien, d'une part, le " Guide du demandeur d'asile en France " et la brochure intitulée " Les empreintes digitales et Eurodac " et, d'autre part, les deux fascicules constituant la brochure commune mentionnée au paragraphe 2 de l'article 4 du règlement précité, à savoir le fascicule A intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et le fascicule B intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", dans lesquels se trouvent l'ensemble des informations énumérées au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Si Mme B... soutient que ces documents étaient rédigés en langue française, qu'elle ne sait pas lire cette langue et qu'il n'est pas établi qu'ils lui ont été lus et traduits, il ressort, d'une part, des pièces du dossier que les pages de garde de ces brochures ont été signées par l'intéressée ainsi que par l'interprète en langue soussou. D'autre part, le résumé de l'entretien, produit par l'administration, précise par ailleurs que l'intimée a été informée de la procédure engagée à son encontre et ne fait apparaître aucune difficulté de compréhension ou de communication entre l'intéressée et l'agent de la préfecture ayant conduit cet entretien. Il en ressort au contraire que Mme B... a été mise à même de poser les questions utiles sur la procédure à laquelle elle était soumise et qu'elle a présenté des observations circonstanciées sur la perspective d'un éventuel transfert aux autorités italiennes en déclarant notamment " elle ne veut pas retourner en Italie car elle ne parle pas l'Italien, qu'il y a trop de barrières linguistiques ". En outre, à supposer même que l'interprète n'ait pas pu traduire oralement en soussou lesdites brochures, le paragraphe 2 de l'article 4 du règlement imposait seulement de communiquer à Mme B... par oral les informations nécessaires à sa bonne compréhension et n'exigeait pas qu'il soit procédé à une lecture intégrale de la vingtaine de pages que représentent les brochures A et B, seules visées par l'article 4. Enfin, si Mme B... soutient que l'entretien aurait duré " moins de dix minutes ", il n'apparaît pas que la durée de l'entretien aurait été insuffisante pour lui fournir les éléments requis sur la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Il s'ensuit que l'intéressée n'a pas été privée des garanties prévues par l'article 4 du règlement précité. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, le premier juge a accueilli le moyen tiré de ce que la mesure de transfert aux autorités italiennes était entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de cet article.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance et en appel au soutien de sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 23 mai 2023.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme B... :
S'agissant de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :
9. En premier lieu, par un arrêté du 13 mars 2023 publié le 15 mars 2023 au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 31-2023-099, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme C..., directrice des migrations et de l'intégration, en matière de police des étrangers, notamment pour signer les arrêtés portant transfert d'un étranger dans le cadre de l'Union européenne et portant assignation à résidence pour permettre l'exécution de ce transfert. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté comme manquant en fait.
10. En deuxième lieu, l'arrêté de transfert en litige mentionne que Mme B..., déclarant être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 7 février 2023, s'est présentée à la préfecture de la Haute-Garonne, le 14 février 2023, pour y formuler une demande d'asile. Il précise également que, lors de l'enregistrement de son dossier complet, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé le fait qu'une demande d'asile avait été introduite auprès des autorités italiennes le 2 janvier 2023. Les autorités italiennes, saisies le 2 mars 2023 d'une demande de reprise en charge de l'intéressée, ont fait connaître leur accord 13 mars 2023 sur le fondement de l'article 18.1 a) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il précise en outre que lors de l'entretien individuel du 14 février 2023, Mme B... a pu formuler des observations quant à un éventuel transfert vers les autorités italiennes, qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier de l'intéressée que celle-ci souffrirait d'une pathologie d'une particulière gravité et que l'exécution de son transfert emporterait une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé et que l'impossibilité d'accéder à des soins adaptés en Italie n'est pas établie. Ces éléments permettent à l'intéressée de comprendre les motifs sur lesquels s'est fondé le préfet de la Haute-Garonne pour déterminer que l'Italie était responsable de l'examen de sa demande d'asile et prendre la décision de transfert. Par suite, cet arrêté, qui comporte l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
12. Il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments versés au débat par le préfet tant en première instance qu'en appel, que Mme B... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 précité dans les locaux de la préfecture de la Haute-Garonne le 14 février 2023 par un agent qualifié dans les conditions prévues par ces dispositions et en étant assisté par un interprète de la société ISM interprétariat en langue Soussou. La circonstance que le résumé de l'entretien ne fasse pas apparaître l'identité de l'agent de la préfecture est par elle-même sans incidence et n'a pas privé le requérant de la garantie résultant de l'application de l'article 5. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
13. En quatrième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point 10 du présent arrêt, que le préfet a procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de Mme B... avant d'édicter la décision de transfert. Il n'en ressort pas davantage que le préfet se serait estimé lié par la circonstance que la demande d'asile de l'intéressée semblait relever de la responsabilité des autorités italiennes.
14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs.
15. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation de l'arrêté du 23 mai 2023, que le préfet de la Haute-Garonne a examiné la situation de Mme B... au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et a estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire application de ces dispositions dérogatoires dès lors, notamment, qu'il n'était établi ni que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité d'assurer sa protection ou l'exposeraient à un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile, ni qu'il existait des défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée à l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur de droit au regard de ces dispositions.
16. En cinquième lieu, Mme B... soutient qu'au regard des conditions d'accueil des demandeurs d'asile transférés en Italie, le préfet de la Haute-Garonne a, d'une part, commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité et, d'autre part, méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, l'Italie étant un État membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces conventions. A l'appui de son moyen, Mme B... fait état de sa situation de " particulière vulnérabilité " eu égard notamment à son état de santé. Toutefois, alors que l'intéressée s'est opposée à la transmission de ses informations médicales aux autorités italiennes, en se bornant à produire à l'appui de ses propos d'une part, un courrier médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration après examen réalisé le 16 février 2023 en vue de la faire examiner à nouveau par un confrère et d'autre part, différents articles de presse et rapports généraux, tel que celui de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) publié en février 2022, Mme B... n'établit pas qu'elle ne pourrait pas bénéficier de soins appropriés en cas de transfert vers l'Italie ou que son état de santé s'opposerait à l'exécution de ce transfert. En outre, si Mme B... se prévaut de plusieurs décisions de justice nationales et internationales, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'Italie aurait effectivement et depuis le 5 décembre 2022, date d'une circulaire du ministre de l'intérieur italien, refusé les réadmissions de demandeurs d'asile en provenance de la France. De plus, cette circulaire précise que l'obstacle à l'exécution du transfert de tels demandeurs vers l'Italie est limité dans le temps et uniquement motivé par des raisons techniques liées au fait que les structures d'accueil sont sous pression. Ces éléments ne permettent donc pas d'établir que la demande d'asile de l'intéressée ne serait pas examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et à caractériser des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil et d'examen des demandes d'asile alors que les autorités italiennes ont explicitement accepté la prise en charge de l'intéressée postérieurement à cette circulaire ou qu'elle serait susceptible de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ni que les de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auraient été en conséquence méconnues.
17. En dernier lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ; / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; (...) ".
18. Il ressort des pièces du dossier que les autorités françaises ont saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de Mme B... sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement du 26 avril 2013, imposant la reprise en charge du demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. Si les autorités italiennes ont explicitement donné leur accord, non sur ces dispositions, mais sur le fondement des dispositions précitées de l'article 18-1 a), elles ont reconnu être l'Etat membre responsable de la demande d'asile présentée par Mme B.... Alors que le préfet de la Haute-Garonne s'est référé à cette décision explicite en précisant que " les autorités italiennes ont fait connaître leur accord sur la base de l'article 18-1 a) de ce même règlement " et alors qu'il n'appartient pas, en tout état de cause, aux juridictions françaises de statuer sur la légalité des décisions prises par les autorités italiennes, le préfet de la Haute-Garonne pouvait prendre la décision en litige au regard de l'accord transmis par les autorités italiennes sans entacher sa décision d'une erreur de droit.
19. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 23 mai 2023 portant transfert de Mme B... aux autorités italiennes. Il en résulte que c'est également à tort que le premier juge a enjoint à l'autorité préfectorale de réexaminer la situation de l'intéressée et qu'il a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n° 23TL02116 :
20. Dès lors qu'il est statué au fond par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du jugement du 21 juin 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par Mme B... à cette demande de sursis à exécution, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les sommes réclamées par l'intimée au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme B... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 21 juin 2023 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL02116.
Article 5 : Les conclusions présentées par Mme B... sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme E... B... et à Me Bachelet.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2024.
Le président-rapporteur,
D. ChabertLe président assesseur,
X. Haïli
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 23TL02116, 23TL02117