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27/02/2024 | FRANCE | N°21TL04508

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 27 février 2024, 21TL04508


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... E... et Mme C... A... E..., agissant en leur nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur ..., ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner B... à leur verser la somme totale de 86 108,75 euros en réparation des préjudices consécutifs aux carences de B... dans la prise en charge des troubles autistiques de leur fils ..., d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2019, et de

mettre à la charge de B... une somme de 2 000 euros en application des dispositions de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... E... et Mme C... A... E..., agissant en leur nom personnel et en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur ..., ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner B... à leur verser la somme totale de 86 108,75 euros en réparation des préjudices consécutifs aux carences de B... dans la prise en charge des troubles autistiques de leur fils ..., d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2019, et de mettre à la charge de B... une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n°1902147 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné B... à verser à M. et Mme A... E... une somme totale de 32 569,68 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2019 et a mis à la charge de B... la somme de 1 500 euros à verser M. et Mme A... E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 novembre 2021 et 8 février 2022 au greffe de la cour administrative de Marseille sous le n°21MA04508, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL04508, ainsi qu'un dépôt de pièces et un mémoire enregistrés les 10 juillet et 31 juillet 2023, M. et Mme A... E..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur ..., représentés par Me Febrinon-Piguet, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 28 septembre 2021 en ce qu'il a limité l'indemnisation qui leur est due à la somme de 32 569,68 euros ;

2°) de condamner B... à leur verser la somme totale de 86 708,75 euros en réparation des préjudices subis du fait de la carence de B... dans la prise en charge de leur fils ..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2019 ;

3°) de mettre à la charge de B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de B... n'était pas engagée dans le cadre de la prise en charge de leur fils ... en institut médico-éducatif (IME) depuis le mois de septembre 2020, dans le cadre de la prise en charge en milieu scolaire ordinaire, et dans le cadre de la prise en charge de ... par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) ;

- contrairement à ce qu'indique le tribunal administratif, la commission des droits et de l'autonomie (CDAPH) de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de l'Hérault a bien notifié une orientation en institut médico-éducatif à temps plein ; or, depuis le mois de septembre 2020, ... n'est pris en charge en institut médico-éducatif qu'à hauteur de deux après-midis par semaine, ce qui n'est pas conforme aux notifications de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et engage la responsabilité de B... ; en conséquence, le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de B... en raison de l'absence de prise en charge de leur fils par un institut médico-éducatif entre janvier 2017 et septembre 2020 et infirmé en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité de B... pour la période de septembre 2020 au 31 décembre 2022 ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'existait aucune faute de B... dans la prise en charge en milieu scolaire ordinaire de ...; en dépit de la décision de la commission des droits et de l'autonomie de la maison départementale des personnes handicapées de l'Hérault datée du 3 juin 2015 attribuant une aide mutualisée à leur fils ..., du 1er juin 2015 au 31 août 2018, celui-ci n'a pas été scolarisé à temps plein avec assistance d'une auxiliaire de vie scolaire durant cette période ; le rectorat n'a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour que ...puisse être pris en charge de manière adaptée ; la prise en charge scolaire de ...durant toutes ces années, et qui n'était qu'un palliatif à l'absence de place en institut médico-éducatif, engage pleinement la responsabilité de B... ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'ils n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité de B..., au titre du défaut d'accompagnement de leur fils par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile, du seul fait du manque de places disponibles dans les deux établissements désignés nommément par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Hérault ; en dépit des décisions de la commission orientant ... vers un service d'éducation spéciale et de soins à domicile depuis 1er juillet 2016 et des démarches entreprises auprès des établissements préconisés, leur fils n'a été pris en charge par le service d'éducation spéciale et de soins à domicile de Fontcaude qu'à compter du mois de septembre 2019 ;

- la carence dans la prise en charge pluridisciplinaire de leur fils ... constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- c'est à tort que les premiers juges ont circonscrit le préjudice matériel à la seule période de janvier 2017 à décembre 2018, la responsabilité de B... étant beaucoup plus large ; le préjudice financier s'élève à hauteur de 6 108,75 euros ; le jugement attaqué doit être réformé ;

- la carence de B... cause à leur fils un préjudice moral qui doit être réparé par l'allocation d'une somme de 40 000 euros ;

- l'absence de prise en charge adaptée de leur fils leur cause un préjudice moral justifiant une indemnisation à hauteur de 20 000 euros chacun.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 janvier 2022, l'agence régionale de santé d'Occitanie conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- le droit d'accès à l'éducation, à la scolarisation et à une prise en charge adaptée de l'enfant ... n'a pas été méconnu ;

- en ce qui concerne la prise en charge en milieu scolaire ordinaire, si M. et Mme A... E... reprochent à B... le caractère partiel de la scolarisation de leur fils, la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du 3 juin 2015 n'impliquait pas une scolarisation à temps plein ; la décision consistant à scolariser l'enfant à temps partiel a été prise dans son intérêt, en prenant en compte les caractéristiques de sa pathologie ; il n'était pas possible d'envisager une durée de scolarisation plus importante ; B... n'a manifestement commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dans la prise en charge de l'enfant en milieu scolaire ordinaire ; à titre infiniment complémentaire, il sera relevé qu'aucune responsabilité ne pourrait être envisagée en l'espèce pour la période durant laquelle l'enfant ... n'était pas encore âgé de six ans ;

- en ce qui concerne la prise en charge de l'enfant ... par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile et par un institut médico-éducatif, la mise en œuvre des décisions rendues par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ne peut être effective que si la famille prend contact avec l'ensemble des établissements concernés ; il appartenait à M. et Mme A... E... de contacter les établissements préconisés par les décisions de la commission mais également tout autre établissement ou service médico-social équivalent ; or, en l'espèce, M. et Mme A... E... ne démontrent pas qu'ils auraient entrepris les démarches nécessaires afin d'obtenir l'accueil de leur enfant au sein de ces divers établissements médico-sociaux et ne démontrent donc pas que l'absence de scolarisation en institut médico-éducatif et en service d'éducation spéciale et de soins à domicile de leur enfant serait liée à un manque de place imputable à B... ; dans de telles circonstances, en l'absence d'élément permettant de caractériser une faute de B..., sa responsabilité ne saurait valablement être retenue ;

- l'ensemble des administrations se sont mobilisées pour apporter une solution adaptée aux besoins spécifiques de ... ; les diverses prises en charge, bien que critiquées par les parents, sont adaptées aux besoins de leur fils ; ils ne démontrent pas en quoi la prise en charge de ... serait insatisfaisante et inadaptée à ses besoins et à ses difficultés ;

- ...bénéficie depuis septembre 2019 d'un accompagnement par le service d'éducation spéciale et de soins à domicile de Fontcaude situé à Montpellier et bénéficie depuis septembre 2020 de deux après-midis par semaine dans un groupe éducatif de l'institut médico-éducatif ; il est également scolarisé quatre matinées par semaine en milieu ordinaire avec la présence d'un accompagnant des élèves en situation de handicap ; l'enfant bénéficie d'une prise en charge suffisante au regard des troubles dont il souffre ; M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de B... ;

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour venait à retenir la responsabilité de B... dans la prise en charge de l'enfant ..., les demandes indemnitaires présentées par M. et Mme A... E... devraient faire l'objet d'une plus juste appréciation ;

- la somme de 40 000 euros sollicitée au titre du préjudice moral subi par leur fils est en tout état de cause disproportionnée au regard de la courte période concernée, du jeune âge de l'enfant et des multiples accompagnements dont il bénéficie ;

- le préjudice moral allégué par M. et Mme A... E... n'est pas constitué ; en tout état de cause, la prétention indemnitaire à ce titre est totalement disproportionnée ;

- les dépenses engagées par M. et Mme A... E... dans le cadre des services dispensés par des professionnels de santé sont sans lien avec une éventuelle faute de B... dans la prise en charge de leur fils.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juillet 2023, la rectrice de la région académique Occitanie, rectrice de l'académie de Montpellier, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- M. et Mme A... E... ne produisent aucun document et ne fournissent aucun élément circonstancié de nature à établir les carences invoquées ;

- les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du 3 juin 2015 et 18 décembre 2019, relatives à l'attribution d'une aide humaine, ont été correctement appliquées ;

- eu égard à la pathologie de ..., il n'était pas possible d'envisager une durée de scolarisation plus importante en milieu ordinaire ;

- ... a bénéficié d'une prise en charge pluridisciplinaire adaptée qui lui a permis de faire des progrès significatifs ;

- en tout état de cause, la responsabilité de B..., si elle devait être retenue, ne pourra être engagée qu'à compter du sixième anniversaire de ... ;

- B... n'ayant commis aucune faute dans la prise en charge de ..., aucune indemnisation ne pourra être accordée à M. et Mme A... E... au titre des préjudices subis par eux-mêmes ou par leur fils ;

- aucune indemnisation ne pourra non plus être accordée sur le fondement de la responsabilité sans faute.

Par une ordonnance en date du 10 juillet 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 10 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'éducation ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente rapporteure,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... E... sont les parents de ..., né le 22 mai 2011. Cet enfant a été diagnostiqué comme présentant un trouble du spectre autistique le 2 décembre 2015. La commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Hérault a pris cinq décisions successives concernant l'orientation de ..., en date des 3 juin 2015, 13 août 2016, 23 janvier 2017, 4 juillet 2018 et du 18 décembre 2019. Estimant que leur fils n'avait pas bénéficié d'une prise en charge pluridisciplinaire tenant compte de ses besoins et de ses difficultés spécifiques, M. et Mme A... E... ont sollicité du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'éducation le versement d'une somme totale de 86 108,75 euros en réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis. Ces demandes indemnitaires ayant été implicitement rejetées, M. et Mme A... E... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner B... au versement de cette indemnité. Par un jugement n°1902147 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné B... à verser à M. et Mme A... E... une somme totale de 32 569,68 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2019 et a mis à la charge de B... la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme A... E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. M. et Mme A... E... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation sollicitée à la somme de 32 569,68 euros.

Sur la responsabilité de B... :

2. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté ". Aux termes de l'article L. 112-1 du même code : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, B... met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes en situation de handicap ". Aux termes de l'article L. 351-1 du même code : " Les enfants et adolescents présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires et les établissements visés aux articles L. 213-2, L. 214-6, L. 422-1, L. 422-2 et L. 442-1 du présent code et aux articles L. 811-8 et L. 813-1 du code rural et de la pêche maritime, si nécessaire au sein de dispositifs adaptés, lorsque ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves. Les parents sont étroitement associés à la décision d'orientation et peuvent se faire aider par une personne de leur choix. La décision est prise par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, en accord avec les parents ou le représentant légal. A défaut, les procédures de conciliation et de recours prévues aux articles L. 146-10 et L. 241-9 du même code s'appliquent. Dans tous les cas et lorsque leurs besoins le justifient, les élèves bénéficient des aides et accompagnements complémentaires nécessaires ". Aux termes de l'article L. 351-2 du même code : " La commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles désigne les établissements ou les services ou à titre exceptionnel l'établissement ou le service correspondant aux besoins de l'enfant ou de l'adolescent en mesure de l'accueillir. / La décision de la commission s'impose aux établissements scolaires ordinaires et aux établissements ou services mentionnés au 2° et au 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dans la limite de la spécialité au titre de laquelle ils ont été autorisés ou agréés ".

3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, d'une part, que le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et, d'autre part, que l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Ainsi, il incombe à B..., au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif.

4. Il s'ensuit que la carence de B... à assurer effectivement le droit à l'éducation des enfants soumis à l'obligation scolaire est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que l'administration puisse utilement se prévaloir de l'insuffisance des structures d'accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d'enfants handicapés, celles-ci n'ayant pas un tel objet. La responsabilité de B... doit toutefois être appréciée en tenant compte, s'il y a lieu, du comportement des responsables légaux de l'enfant, lequel est susceptible de l'exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité. En outre, lorsque sa responsabilité est engagée à ce titre, B... dispose, le cas échéant, d'une action récursoire contre un établissement social et médico-social auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du refus d'accueillir un enfant orienté par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. (...) ". Aux termes de l'article L. 114-1 du même code : " Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. B... est garant de l'égalité de traitement des personnes handicapées sur l'ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d'actions. ".

6. Il résulte de ces dispositions que le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que cette prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé ou par l'intervention d'un service à domicile, c'est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l'état et à l'âge de la personne atteinte de ce syndrome.

7. Enfin, en vertu de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, il incombe à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à la demande des parents, de se prononcer sur l'orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission. Ainsi, lorsqu'un enfant autiste ne peut être pris en charge par l'une des structures désignées par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées en raison d'un manque de places disponibles, l'absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de B... dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une telle prise en charge dans une structure adaptée. En revanche, lorsque les établissements désignés refusent d'admettre l'enfant pour un autre motif, ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement n'est pas adaptée aux troubles de leur enfant, B... ne saurait, en principe, être tenu pour responsable de l'absence ou du caractère insuffisant de la prise en charge, lesquelles ne révèlent pas nécessairement, alors, l'absence de mise en œuvre par B... des moyens nécessaires.

En ce qui concerne la prise en charge de ... en milieu scolaire ordinaire :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que ... a été scolarisé en milieu ordinaire successivement dans deux établissements situés à Montpellier, à l'école maternelle ... à compter de la rentrée 2015, puis à l'école ... à partir de la rentrée 2018. Par une décision du 3 juin 2015, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a accordé à ... une aide humaine mutualisée en milieu scolaire pour la période du 30 juin 2015 au 31 août 2018. Si les appelants reprochent à B... le caractère partiel de la scolarisation de leur fils durant cette période, qu'ils estiment non conforme à la décision de la commission du 3 juin 2015, d'une part, il résulte des termes de cette décision, au demeurant non contestée par M. et Mme A... E..., que celle-ci n'impliquait pas par elle-même une scolarisation à temps complet mais seulement la mise en place d'un accompagnement par un auxiliaire de vie sur le temps de scolarisation de .... D'autre part, il résulte de l'instruction que, conformément à cette décision du 3 juin 2015, l'enfant a été systématiquement assisté d'une auxiliaire de vie scolaire depuis la rentrée 2015. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la décision consistant à scolariser ... à temps partiel a été prise dans son intérêt, compte tenu des caractéristiques de sa pathologie. En effet, dans un courrier du 8 avril 2017 adressé à l'inspecteur de l'éducation nationale, la directrice de l'école maternelle ... fait état des importantes difficultés rencontrées par ... au cours des trois années où il a été scolarisé au sein de cet établissement. Dès son entrée en petite section à la rentrée 2014, son adaptation fut particulièrement difficile et sa scolarisation a dû être interrompue à partir du mois d'octobre puisque " ... manifestait, de façon très vive, son angoisse à se trouver dans un groupe (hurlements répétés, suspension à la poignée de la porte violemment secouée, tension extrême et très communicative) ". Durant l'année 2015/2016, ... a été accueilli quatre matinées par semaine, la directrice de l'école soulignant que " s'il manifestait la même difficulté à rester au milieu de ses camarades, grâce à la présence de l'AVS (...), nous avons pu construire lentement, une adaptation progressive de cet enfant au sein du groupe " mais que " les séquences n'excédaient pas deux heures, durée maximale supportée par cet enfant ". Si ... n'a ensuite été scolarisé que neuf heures par semaine durant l'année 2016/2017, la directrice explique dans son courrier que la sécurité et le bien-être de ... ne permettaient pas d'envisager une présence plus importante à l'école. De plus, dans un autre courrier en date du 4 juin 2019, la directrice de l'école ..., à l'issue de l'année scolaire 2018/2019, insistait auprès du directeur académique des services de l'éducation nationale sur la nécessité de réduire le temps de présence scolaire de l'enfant. Enfin, il résulte du compte rendu du 9 septembre 2019 établi par les membres de l'équipe éducative en charge du suivi de ... que ce dernier avait besoin de s'isoler régulièrement, qu'il n'était disponible en matinée que jusqu'à 10h30, heure de la récréation, après laquelle il cherchait à " s'enfuir, à s'isoler, à frapper ". Dans ces conditions, alors qu'une durée de scolarisation plus importante n'était ni souhaitable ni envisageable, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le caractère partiel de la scolarisation de leur fils en milieu ordinaire constitue une faute de nature à engager la responsabilité de B....

9. En second lieu, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A... E..., il résulte de l'instruction que les administrations se sont mobilisées pour apporter une solution adaptée aux besoins de .... En effet, le courrier du 8 avril 2017 de la directrice de l'école maternelle ..., ainsi que le document de synthèse de scolarité de ... retraçant son année 2018/2019 effectuée à l'école ..., font état des nombreux aménagements et accompagnements dont a bénéficié l'enfant durant sa scolarisation au sein de ces deux établissements. En outre, ... a bénéficié à titre dérogatoire d'une aide humaine individualisée à compter du 1er décembre 2018, alors même qu'aucune décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ne lui avait accordé un tel accompagnement. Ce n'est que par une décision du 18 décembre 2019, soit plus d'un an plus tard, que cette commission a décidé de lui accorder une aide individualisée pour une durée de 20 heures par semaine et de l'orienter en unité localisée pour l'inclusion scolaire. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que leur fils aurait été insuffisamment pris en charge en milieu scolaire ordinaire ni que B... aurait commis, à ce titre, une faute de nature à engager sa responsabilité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier n'a pas retenu la responsabilité de B... dans la prise en charge de leur fils ... en milieu scolaire ordinaire.

En ce qui concerne la prise en charge par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile :

11. Il résulte de l'instruction que par deux décisions en date des 16 août 2016 et 4 juillet 2018, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Hérault a orienté le jeune ... vers un service d'éducation spéciale et de soins à domicile pour la période du 1er juillet 2016 au 31 août 2018, puis pour la période du 1er septembre 2018 au 31 août 2021. Ces décisions indiquent qu'il appartient à M. et Mme A... E... de contacter le ou les services préconisés, en l'occurrence les établissements " Parents-Thèse " situé à Jacou, et " l'Ombrelle ", situé à Juvignac, ainsi que " tout autre établissement ou service médico-social équivalent (agrément de même catégorie) ". En l'espèce, si les parents de ... ont effectivement contacté les établissements recommandés " Parent-Thèse " et " l'Ombrelle ", lesquels ont tous deux refusé d'accueillir leur fils faute de places disponibles, M. et Mme A... E... ne démontrent pas ni même n'allèguent avoir contacté d'autres établissements ou services médico-sociaux équivalents comme les y avaient invités les décisions précitées de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. S'ils soutiennent qu'il n'existait aucun autre établissement susceptible d'accueillir leur fils, ils n'apportent à l'appui de cette allégation aucun commencement de preuve. Dans ces conditions, en l'absence de démarches en ce sens, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que M. et Mme A... E... n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité de B..., au titre du défaut d'accompagnement de leur fils par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile, du seul fait du manque de places disponibles dans les deux établissements désignés nommément par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

En ce qui concerne la prise en charge par un institut médico-éducatif :

12. Il résulte de l'instruction que par deux décisions en date des 23 janvier 2017 et 4 juillet 2018, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Hérault a orienté le jeune ... vers un institut médico-éducatif pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, puis pour la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2022. Ces décisions indiquent qu'il appartient à M. et Mme A... E... de contacter le ou les établissements préconisés, en l'occurrence l'institut médico-éducatif du château d'O, situé à Montpellier, et celui des Pescalunes, situé à Lunel, ainsi que " tout autre établissement ou service médico-social équivalent (agrément de même catégorie) ". En l'espèce, M. et Mme A... E... établissent avoir sollicité l'institut médico-éducatif des Pecsalunes ainsi que celui du château d'O, lesquels ont tous deux refusé d'accueillir leur fils, faute de place disponible. Les requérants ont alors, conformément aux décisions de la commission, contacté deux autres instituts médico-éducatifs, en l'occurrence l'établissement " La maison de Sol-N ", situé à Nissan-Lez-Enserune, et l'établissement " Les Oliviers ", situé à Montpellier, qui ont également refusé d'accueillir ... en raison du manque de places disponibles. Par ailleurs, les requérants ont adressé plusieurs lettres de relance à ces quatre établissements dans le but d'obtenir l'accueil de leur fils, sans succès. Ce n'est qu'à compter de septembre 2020 que leur fils ... a pu intégrer un institut médico-éducatif, au sein du centre médico-éducatif de l'enfance Fontcaude. Dans ces conditions, dès lors que M. et Mme A... E... ont apporté la preuve des diligences effectuées auprès des instituts médico-éducatifs désignés par les décisions précitées de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, ainsi qu'auprès d'autres établissements équivalents, l'absence de prise en charge de leur fils ... entre janvier 2017 et septembre 2020 en raison du manque de places disponibles dans les instituts médico-éducatifs qu'ils avaient contactés est révélatrice d'une carence fautive de B... de nature à engager sa responsabilité, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges.

13. En revanche, si les requérants reprochent une prise en charge insuffisante de ... au sein de l'institut médico-éducatif Fontcaude, où il est accueilli à hauteur de deux après-midis par semaine depuis septembre 2020, il est constant que la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du 4 juillet 2018 orientant leur fils vers un institut médico-éducatif, laquelle n'a au demeurant pas été contestée par M. et Mme A... E..., ne prévoyait aucune modalité spécifique d'accueil et de prise en charge. En outre, les parents n'établissent pas que cette prise en charge partielle au sein d'une structure adaptée aux troubles du spectre de l'autisme ne constituerait pas une prise en charge adaptée aux troubles de .... Par suite, M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de B... en raison d'une carence fautive dans la prise en charge de leur fils pour la période postérieure à septembre 2020.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a retenu la responsabilité de B... uniquement en ce qui concerne le défaut de prise en charge de leur fils par un institut médico-éducatif entre janvier 2017 et septembre 2020.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice moral de M. et Mme A... E... :

15. Il résulte de l'instruction que, compte tenu des nombreuses démarches dont justifient M. et Mme A... E... pour obtenir la mise en œuvre des décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées concernant leur enfant, l'absence d'une prise en charge de ... par un institut médico-éducatif entre janvier 2017 et septembre 2020 leur a nécessairement causé un préjudice moral. Les premiers juges ont procédé à une évaluation qui n'est ni insuffisante ni excessive en allouant à chacun des parents une somme de 7 000 euros à ce titre.

En ce qui concerne le préjudice personnel de l'enfant :

16. Comme l'ont justement relevé les premiers juges, l'absence de prise en charge de ... par un institut médico-éducatif entre janvier 2017 et septembre 2020 lui a causé un préjudice moral. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 15 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice financier :

17. Il y a uniquement lieu d'indemniser M. et Mme A... E... pour les frais engagés au titre des séances psycho-éducatives et d'ergothérapie réalisées entre janvier et décembre 2018. Les frais engagés par M. et Mme A... E... en dehors de la période de responsabilité ou sans lien direct avec la faute commise par B... dans la prise en charge de leur fils ne sauraient donner lieu à une indemnisation. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal aurait fait une insuffisante appréciation de leur préjudice financier en le fixant à la somme de 3 569,68 euros.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a limité à la somme de 32 569,68 euros le montant de l'indemnité devant leur être versée par B..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2019.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. et Mme A... E... soit mise à la charge de B... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

20. M. et Mme A... E... ne justifient pas avoir engagé, dans la présente instance, des frais mentionnés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, leurs conclusions tendant à la condamnation de B... aux entiers dépens ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... E... et Mme C... A... E..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur ..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée à l'agence régionale de santé d'Occitanie et à la rectrice de région académique Occitanie.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

- Mme Blin, présidente assesseure,

- M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.

La présidente rapporteure,

A. Geslan-DemaretLa présidente assesseure,

A. Blin

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne aux ministres du travail, de la santé et des solidarités et de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui les concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°21TL04508


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL04508
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-015 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de l'enseignement.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Armelle GESLAN-DEMARET
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : MONTPENSIER

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;21tl04508 ?
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