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27/02/2024 | FRANCE | N°21TL03933

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 27 février 2024, 21TL03933


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et d'Occitanie à lui verser une somme de 933 918,50 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts à taux légal capitalisés à compter de la réception de sa demande préalable, de rejeter les conclusions reconventionnelles présentées par ces chambres et de mettre à la charge de ces dernières une somme de 5 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1901636 du 19 juille...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et d'Occitanie à lui verser une somme de 933 918,50 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts à taux légal capitalisés à compter de la réception de sa demande préalable, de rejeter les conclusions reconventionnelles présentées par ces chambres et de mettre à la charge de ces dernières une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1901636 du 19 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes et a condamné M. A... à verser aux chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et d'Occitanie une somme de 53 710,07 euros représentant les deux indemnités de licenciement qu'il a indument perçues.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2021, sous le n°21MA03933 au greffe de la cour administrative d'appel de Ma rseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL03933, et un mémoire, enregistré le 1er décembre 2022, M. A..., représenté par Me Duhil de Bénazé, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 19 juillet 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet, par les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie, de sa demande préalable ;

3°) de condamner solidairement les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et d'Occitanie à lui verser une indemnité de 1 022 828,03 euros en réparation des préjudices subis résultant des fautes commises par la chambre de commerce et d'industrie de Sète-Frontignan-Mèze ;

4°) de condamner la chambre de commerce et d'industrie défenderesse ou solidairement les deux chambres à lui verser les intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable du 10 décembre 2008 et les intérêts capitalisés ;

5°) de condamner la chambre de commerce et d'industrie défenderesse ou solidairement les deux chambres à lui rembourser la somme de 53 710,07 euros, assortie des intérêts et, s'il y a lieu, de leur capitalisation ;

6°) de mettre à la charge solidaire des deux chambres une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularités tenant à une insuffisance de motivation pour écarter la réparation des licenciements illégaux, à plusieurs erreurs de droit ou de qualification juridique des faits et à une dénaturation des pièces du dossier ;

- il a été illégalement licencié les 23 octobre 2009 et 15 novembre 2012 ;

- il a subi des faits de harcèlement moral ;

- il a subi une discrimination, notamment en raison de son rôle de lanceur d'alerte et de son état de santé ;

- les chambres ont également commis une faute en refusant de verser, à compter de l'année 2010, une cotisation au titre d'une retraite supplémentaire ;

- le lien de causalité est établi entre fautes et préjudices ;

- il ne pouvait être condamné à rembourser les indemnités de licenciement versées dès lors que l'octroi de ces avantages financiers a été créateur de droits et que l'administration ne peut plus retirer un acte créateur de droits passé un délai de quatre mois ; la demande de remboursement des indemnités, plus de deux ans après le versement est tardive au regard de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 ;

- il a perdu une chance sérieuse de percevoir son traitement mensuel ; ce préjudice peut être fixé à la somme de 78 866,40 euros ;

- s'agissant des honoraires d'avocats et frais d'huissier, il peut être indemnisé du préjudice moral lié à la nécessité de se défendre pendant près de dix ans ; ce préjudice peut être évalué à 40 000 euros ;

- il doit se voir allouer une somme de 206 175 euros au titre du préjudice lié au complément de salaire après retraite ;

- au titre de la perte de chance de percevoir un salaire de directeur général, il doit se voir allouer une somme de 226 502 euros ;

- le préjudice de perte de retraite supplémentaire peut être évalué à la somme de 24 438,50 euros ;

- il pourrait lui être alloué, pour licenciement discriminatoire, une somme de 315 465,50 euros au titre des revenus perçus entre 2010 et 2014 ;

- une somme reste à parfaire au titre de l'incidence fiscale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2022, les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie, représentées par la SELARL Maillot Avocats et associés, agissant par Me Maillot, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- le requérant n'est pas fondé à solliciter une indemnisation du fait des licenciements annulés, eu égard au motif économique justifiant son licenciement ;

- l'intéressé n'a pas subi de harcèlement moral ou de discrimination ;

- aucune faute n'a été commise au titre d'une retraite supplémentaire ;

- il n'existe pas de lien direct entre les fautes invoquées et les préjudices allégués ;

- enfin, les prétentions et demandes indemnitaires du requérant sont infondées.

Par une ordonnance du 3 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er février 2023.

Par une lettre du 30 novembre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office, tirés de l'irrecevabilité des conclusions de M. A... aux fins d'annulation des décisions implicites de rejet de sa demande indemnitaire préalable, qui ont eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de l'intéressé qui n'avait formulé que des conclusions indemnitaires dans sa requête de première instance, ces conclusions étant au surplus nouvelles en appel et de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles présentées par les chambres de commerce et d'industrie devant le tribunal administratif, du fait du privilège du préalable de l'administration lequel faisait obstacle à ce que celle-ci demande directement au juge ce qu'elle avait le pouvoir de faire par une action en répétition de l'indu, laquelle n'a pas été, en l'espèce, mise en œuvre.

Par une lettre du 5 décembre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles présentées par les chambres de commerce et d'industrie devant le tribunal administratif, en ce qu'elles soulevaient un litige distinct de celui dont le tribunal administratif se trouvait saisi par les conclusions de M. A....

Deux mémoires, enregistrés le 26 janvier 2024, ont été produits pour le requérant et n'ont pas été communiqués.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- les observations de Me Sorano, représentant M. A... et les observations de Me Raynal, représentant les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie.

Une note en délibéré présentée pour M. A... a été enregistrée le 8 février 2024 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté comme cadre manager par la chambre de commerce et d'industrie de Sète-Frontignan-Mèze le 1er février 2007 et titularisé un an après. Il a fait l'objet d'une première décision de licenciement pour suppression d'emploi en date du 23 octobre 2009, qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 0905352 rendu le 9 mai 2012, confirmé en appel par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 12MA02790-13MA02270 du 10 juin 2014. Par la suite, M. A... a, de nouveau, été licencié pour suppression d'emploi par une décision du 15 novembre 2012, elle-même, de nouveau, annulée par un jugement n° 1300122 du tribunal administratif de Montpellier du 19 juin 2015. Par un arrêt n°15MA03499 du 13 mars 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la requête formée par la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Sète-Frontignan-Mèze et la chambre de commerce et d'industrie régionale de Languedoc-Roussillon à l'encontre de ce jugement. M. A... a présenté à la chambre de commerce et d'industrie de l'Hérault et à celle de la région Occitanie des demandes préalables en date du 10 décembre 2018 tendant à la réparation des préjudices subis résultant selon lui de plusieurs fautes commises, qui ont été implicitement rejetées. M. A... relève appel du jugement n°1901636 du 19 juillet 2021, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes à fin d'indemnisation de ses préjudices et de versement et capitalisation des intérêts au taux légal et l'a condamné à reverser une somme de 53 710,07 euros représentant les deux indemnités de licenciement qu'il avait indument perçues.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements doivent être motivés. ". Pour rejeter les conclusions indemnitaires du requérant, le tribunal, après avoir estimée fondée la suppression du poste de l'intéressé, a relevé au point 8 du jugement qui se référait lui-même à l'ensemble des motifs précédents, l'absence de lien direct entre les fautes commises par l'administration consistant en deux licenciements entachés d'illégalités externes et les préjudices invoqués. Ce faisant, le tribunal a indiqué les motifs du rejet de la demande indemnitaire présentée par M. A.... Par suite, son jugement n'est pas insuffisamment motivé sur ce point.

3. D'autre part, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, en invoquant les erreurs de droit, de qualification juridique des faits ou la dénaturation des pièces du dossier qui entacheraient le jugement, M. A... conteste en réalité son bien-fondé.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité pour fautes :

4. L'illégalité d'un licenciement constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'employeur public. Il est constant que M. A... a fait l'objet, les 23 octobre 2009 et 15 novembre 2012, de décisions de licenciement pour suppression de poste entachées d'illégalités d'ordre externe. Ces illégalités fautives sont de nature à engager la responsabilité des chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie.

5. Indépendamment des dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui ne s'appliquent pas au personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie régi par un statut établi en vertu de l'article 1er de la loi du 10 décembre 1952 susvisée, aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

6. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

7. M. A... soutient avoir été victime d'un harcèlement moral qui se serait notamment traduit par une surcharge de travail, un climat délétère et des menaces subies en représailles de son rôle de lanceur d'alerte, la difficulté d'assurer la mission de redressement économique de la chambre qui lui a été confiée, sa disparition de l'organigramme pendant son arrêt de maladie et un dénigrement visant à lui faire porter la responsabilité de la situation de la chambre, qui a eu des conséquences graves sur sa santé.

8. Il résulte de l'instruction que M. A... a été recruté en février 2007 en qualité de cadre de management avec pour mission de conduire des actions au service des entreprises, d'assurer le management des collaborateurs opérationnels et de faciliter les partenariats d'acteurs de la vie économique, qu'il a notamment été chargé du dossier urgent de transfert des concessions portuaires, qu'il devait également assurer la mise en conformité de la convention collective appliquée avec le statut et instruire des procédures de recouvrement afin d'éviter la cessation de paiement de la chambre. Par ailleurs, trois cadres dont le directeur général ont été placés en congés de maladie après son recrutement et M. A... a été amené à assurer les fonctions de directeur général par intérim. S'il n'est ainsi pas contestable qu'une importante charge de travail lui incombait, il ne résulte pas de l'instruction que celle-ci aurait été hors de proportion avec son niveau de recrutement ou qu'elle aurait excédé celle qui revient à un directeur général par intérim, poste dévolu à un seul agent par définition. Pour y faire face, il disposait d'ailleurs d'une grande latitude dans l'exercice de ses missions, de personnel sous ses ordres pour l'assister et il n'a jamais sollicité d'aide ou de moyens supplémentaires auprès de son employeur. Les fonctions incombant aux cadres absents avaient également été réparties entre plusieurs cadres, ainsi qu'il ressort d'une lettre du président de la chambre de commerce et d'industrie d'octobre 2007. Si M. A... invoque les inimitiés que lui ont values la gestion du dossier sensible du marché de réhabilitation de la gare Orsetti et ses recherches sur les irrégularités des marchés publics, il n'apporte aucun élément de nature à établir la matérialité des actes d'intimidation, des menaces téléphoniques et des dégradations sur son véhicule dont il fait état. Par ailleurs, l'arrêt de nombreuses procédures qu'il avait initiées afin de tenter de récupérer des créances de la chambre ne permet pas, en lui-même, de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il en est de même des difficultés alléguées pour la constitution de dossiers dans le cadre de l'exercice de cette même mission de redressement économique. Ni la décision en août 2009 d'enlever son nom de l'organigramme alors qu'il était placé en arrêt de maladie, ni l'indication dans le dossier présenté à la commission paritaire locale au sujet des licenciements pour suppression d'emploi de ce que M. A... n'avait pas réussi dans sa mission, ni l'article de presse de mai 2012 faisant état de la contestation par le président de la chambre du jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 9 mai 2012, ne permettent de faite présumer l'existence d'un harcèlement moral. Si M. A... se plaint également de refus systématiques de communication des documents demandés depuis qu'il a été placé en arrêt de maladie et de ce qu'il a été contraint de solliciter l'exécution des jugements et arrêts le concernant, ces éléments, postérieurs à la cessation de ses fonctions, n'ont pu avoir pour effet de dégrader ses conditions de travail.

9. Les éléments allégués au point précédent qui, pris isolément, ne permettent pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, ne sont pas davantage de nature, considérés dans leur ensemble, à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Par suite, M. A... n'est pas fondé à invoquer une faute à raison de faits de harcèlement moral.

10. Aux termes de l'article 1err de la loi susvisée du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de (...) ses convictions, (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable./ Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés (...) ". Aux termes de l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. (...) ".

11. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

12. Il résulte de l'instruction que M. A... a été amené, courant 2007, à collaborer avec la police judiciaire qui enquêtait sur des irrégularités affectant le marché de réhabilitation de la gare Orsetti conclu par la chambre de commerce et d'industrie mais également à vérifier, dans le cadre du dossier " Pôle Passagers " confié par le président de la chambre, la conformité des procédures de marché public et à constater que le code des marchés publics n'avait pas été respecté pour certains achats correspondants à 29 familles de produits. Toutefois, ces éléments qui se rapportent à l'exercice normal des missions qui lui étaient confiées, ne permettent pas d'établir que M. A... aurait alors eu un rôle de lanceur d'alertes et il ne résulte pas de l'instruction que ses licenciements en 2009 et 2012, après suppression de son poste pour motif économique, auraient eu pour véritable cause un tel rôle, qu'il n'est susceptible d'avoir tenu qu'en avril 2015 auprès de la chambre régionale des comptes et du procureur général près la Cour des comptes, soit plus de deux ans après son second licenciement. Par suite, aucune discrimination ne peut être présumée à ce titre.

13. Si, ainsi qu'il le soutient, M. A... n'a plus bénéficié, à compter de l'année 2010, du versement de cotisations pour un produit dénommé " Ipricas Euro 2007 ", dans le cadre d'un régime de retraite supplémentaire géré par une institution de prévoyance, il ne résulte pas de l'instruction que d'autres cadres auraient continué à bénéficier du versement de cotisations de cette nature au titre de cette même année et des années postérieures. Par suite, aucune discrimination ne peut être présumée à ce titre.

14. Ni l'absence d'information de la commission paritaire locale réunie le 14 septembre 2009 sur la circonstance qu'il était arrêt de maladie alors qu'il n'avait pas encore sollicité l'application de l'article 32 des statuts, ni l'indication donnée à cette même commission lors de sa réunion du 26 octobre 2012 de ce que l'intéressé attendait la reconnaissance d'une maladie professionnelle alors qu'il avait déjà obtenu cette reconnaissance depuis février 2012, ne suffisent, par elles-mêmes, à révéler un comportement discriminatoire de l'administration qui aurait eu pour but de priver l'intéressé de ses droits statutaires.

15. Les propos tenus le 12 mars 2013 par la directrice générale, tels qu'ils sont rapportés par un huissier de justice, ne peuvent pas davantage être regardés comme traduisant une discrimination à l'égard de M. A... en raison de son état de santé. Si M. A... soutient également que l'existence d'un contrat de prévoyance " Gan " lui a été volontairement cachée, il est toutefois constant qu'il a effectivement bénéficié dudit contrat, ce qui lui a permis de percevoir 80 % de son salaire net. Par suite, aucune discrimination en raison de l'état de santé ne peut être présumée à ce titre. Enfin, l'absence de communication par l'administration de bulletins de salaire, qui peut être liée à des considérations étrangères à toute discrimination, ne permet pas, par elle-même, d'en faire présumer l'existence. Dans ces conditions, en l'absence d'éléments permettant de faire présumer l'existence de discriminations à l'égard de M. A..., celui-ci n'est pas fondé à invoquer une faute à raison des faits précités.

16. M. A... soutient enfin également que la chambre de commerce et d'industrie de Sète-Frontignan-Mèze et la chambre de commerce et d'industrie de la région ont commis une faute en refusant de verser à son profit, à compter de l'année 2010, une cotisation au titre d'un régime de retraite supplémentaire. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 13, que M. A... a bénéficié jusqu'à l'année 2009 du versement de cotisations pour un produit dénommé " Ipricas Euro 2007 ", dans le cadre d'un régime de retraite supplémentaire géré par Ionis prévoyance, institution de prévoyance. Or, l'article 52 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie et son annexe 3 ne prévoient qu'un régime de retraite supplémentaire, ouvert jusqu'au 30 juin 1996 et dont la gestion est confiée à l'IGRS CNRCC. Dès lors, en s'abstenant de cotiser pour le compte de M. A... au titre d'un régime de retraite supplémentaire, géré par Ionis prévoyance et non l'IGRS CNRCC et qui s'avère donc distinct du seul régime prévu et autorisé par le statut du personnel, les chambres de commerce et d'industrie n'ont pas commis de faute. Il suit également de là que l'intéressé ne peut utilement invoquer sur ce point la suppression d'un avantage social reconnu.

En ce qui concerne les préjudices subis et le lien de causalité :

17. Il résulte de ce qui précède que les seules fautes susceptibles d'engager la responsabilité des chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie consistent en l'illégalité des deux décisions de licenciement pour suppression de poste prises en l'encontre du requérant. La première a été annulée par les juridictions administratives pour incompétence de son auteur et la seconde par la cour administrative d'appel de Marseille par l'arrêt précité du 13 mars 2018 en raison d'un vice de procédure affectant la délibération portant suppression d'emplois. Toutefois, l'intervention de décisions illégales ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière et en respectant les règles de forme et de compétence, les mêmes décisions auraient pu légalement être prises. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, compte tenu des graves difficultés financières de la chambre de commerce et d'industrie de Sète-Frontignan-Mèze, le préfet de l'Hérault, par arrêté du 10 juillet 2009, après avoir en janvier 2009 désigné le trésorier payeur général du département trésorier de la chambre consulaire, a dissous le bureau et l'assemblée générale de celle-ci pour leur substituer une commission provisoire chargée de gérer les affaires courantes et de proposer toute mesure de nature à alléger la charge financière pesant sur la chambre consulaire. La suppression de deux postes pour raisons économiques, dont celui du requérant, a, dans ce contexte, été proposée puis approuvée par le préfet le 20 août 2009 ainsi que par la commission provisoire par délibération du 25 août suivant. Cette suppression reposait en particulier sur la prise en compte du rapport du contrôle économique général et financier de janvier 2007 qui avait préconisé de s'abstenir de recruter à compter de l'année 2007, mais aussi sur la prise en considération du nouvel environnement économique de la chambre, qui ne gérait plus les concessions du port de commerce et du port de pêche, et de sa situation financière, marquée par des problèmes de trésorerie à court terme et une situation très détériorée de ses capitaux propres. Par la suite, la chambre a été placée, en mars 2012, sous tutelle renforcée du fait de la persistance d'une situation financière compromise, marquée par un solde budgétaire exécuté de l'année 2011 négatif de plus de 6 millions d'euros, une situation nette négative et une trésorerie insuffisante. Ce contexte a, de nouveau, conduit le président de la chambre consulaire à proposer d'engager une procédure de licenciement pour raisons économiques à l'endroit du requérant et d'un autre agent. M. A..., qui conteste ce motif économique, soutient que, pour le remplacer, la chambre a rappelé l'ancien directeur général adjoint, qui se trouvait en congé pris sur son compte épargne temps. Cependant, ce dernier n'avait pas cessé de peser sur la chambre en termes de charges de personnel. De même, le recrutement, en mars 2012, d'une directrice générale est justifié par la nécessité de remplacer l'ancien directeur général parti en retraite. Enfin, il n'est pas établi que le licenciement du requérant aurait été insusceptible de générer des économies. Dans ces conditions, eu égard à l'ensemble des éléments susmentionnés, M. A... ne conteste pas sérieusement la réalité du motif économique justifiant les suppressions de son poste en 2009 et 2012 et, partant, ses licenciements.

18. Il résulte de ce qui précède que les décisions de licenciement pour suppression de poste étaient justifiées au fond. Par suite, les préjudices invoqués par M. A... ne présentent pas un lien direct avec les licenciements illégaux et fautifs dont il a fait l'objet.

En ce qui concerne les décisions implicites de rejet de la réclamation préalable de M. A... :

19. Les décisions attaquées ont eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de l'intéressé qui n'avait formulé que des conclusions indemnitaires dans sa requête de première instance. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation des décisions implicites de rejet de sa demande indemnitaire préalable, au surplus, nouvelles en appel, doivent être rejetées.

En ce qui concerne la demande de restitution des indemnités de licenciement reçues par M. A... et reversées aux chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie en exécution du jugement attaqué :

20. Par le jugement contesté, le tribunal administratif de Montpellier a accueilli les conclusions reconventionnelles des chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie et il a, en conséquence, mis à la charge de M. A... une somme de 53 710,07 euros, représentant les deux indemnités de licenciement qu'il avait initialement perçues après avoir jugé que celles-ci avaient perdu tout fondement du fait de l'annulation des licenciements dont le requérant a fait l'objet. Or, ces conclusions reconventionnelles par lesquelles les chambres ont exercé une action en répétition de l'indu, soulevaient un litige distinct des conclusions à fin d'indemnité dont le tribunal se trouvait saisi par le requérant, ces différentes demandes relevant de causes juridiques distinctes. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont accueilli lesdites conclusions reconventionnelles et les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie doivent donc être condamnées à rembourser à M. A... une somme de 53 710,07 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 août 2021, date à laquelle l'intéressé leur a remboursé cette somme, ainsi qu'il le demande. M. A... ayant également sollicité la capitalisation des intérêts dans sa requête d'appel, enregistrée le 20 septembre 2021, cette demande prend effet à compter du 20 septembre 2022, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, puis à chaque échéance ultérieure.

21. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a accueilli les conclusions reconventionnelles des chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie et qu'il a, en conséquence, par l'article 2 de son jugement, condamné M. A... à leur verser une somme de 53 710,07 euros.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement aux chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie de la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

23. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie une somme au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement n°1901636 du 19 juillet 2021 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : Les chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie verseront à M. A... une somme de 53 710,07 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 août 2021. Les intérêts échus le 20 septembre 2022 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et aux chambres de commerce et d'industrie de l'Hérault et de la région Occitanie.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.

Le rapporteur,

T. Teulière

La présidente,

A. Geslan-Demaret

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au préfet de la région Occitanie, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°21TL03933


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL03933
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

14-06-01-03 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. - Organisation professionnelle des activités économiques. - Chambres de commerce et d'industrie. - Personnel.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: M. Thierry TEULIÈRE
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : DUHIL DE BENAZE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;21tl03933 ?
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