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30/01/2024 | FRANCE | N°22TL21009

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 30 janvier 2024, 22TL21009


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision par laquelle le maire de la commune de Châteauneuf-de-Randon a implicitement rejeté sa demande du 12 novembre 2019 tendant à la réfection du pont reliant la route départementale 988 au lieu-dit Cougoussac-Bas qui dessert sa propriété.



Par un jugement n° 2000920 du 15 février 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.



Procédure dev

ant la cour :



Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 12 avril 2022 et les 19 et 20 avril 2023...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision par laquelle le maire de la commune de Châteauneuf-de-Randon a implicitement rejeté sa demande du 12 novembre 2019 tendant à la réfection du pont reliant la route départementale 988 au lieu-dit Cougoussac-Bas qui dessert sa propriété.

Par un jugement n° 2000920 du 15 février 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 12 avril 2022 et les 19 et 20 avril 2023, ces derniers mémoires n'ayant pas été communiqués, M. B..., représenté par Me Vrignaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 février 2022 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le maire de la commune de Châteauneuf-de-Randon a implicitement rejeté sa demande du 12 novembre 2019 tendant à la réfection du pont reliant la route départementale 988 au lieu-dit Cougoussac-Bas ;

3°) d'enjoindre à la commune de Châteauneuf-de-Randon de financer, pour la part lui revenant, les travaux de réfection du pont reliant la route départementale 988 au lieu-dit Cougoussac-Bas qui dessert sa propriété ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Châteauneuf-de-Randon une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a admis la compétence de la juridiction administrative pour connaître du présent litige ;

- les communes d'Arzac-de-Randon et Châteauneuf-de-Randon sont, de fait, propriétaires pour moitié du pont de Cougoussac-Bas dès lors que cet ouvrage permet de traverser le ruisseau de la Boutaresse qui sert de limite géographique naturelle entre ces deux communes ;

- le pont de Cougoussac-Bas et la voie qu'il porte constituent une voie communale relevant du domaine public de la commune dont l'entretien, qui a déjà été réalisé par le passé, incombe à la commune de Châteauneuf-de-Randon ;

- à titre subsidiaire, à supposer que la voie en litige soit qualifiée de chemin rural, son entretien relève tout autant de cette commune dès lors qu'elle a procédé, à plusieurs reprises, à des travaux de viabilisation et d'entretien de cet ouvrage de nature à établir qu'elle a accepté d'en assumer l'entretien ;

- il existe une rupture d'égalité entre les habitants de la commune intimée dès lors que la commune a participé aux frais de réfection d'un autre pont et de passerelles piétonnes en bois situées pour moitié sur le territoire d'autres communes alors même qu'ils ne relèvent pas des voies communales de cette dernière ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que la nécessité d'entretenir l'ouvrage en litige n'était pas démontrée alors que l'instabilité du pont de Cougoussac-Bas ne lui permet plus supporter le poids de véhicules et présente un problème de dangerosité et de sécurité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2023, la commune D...-de-Randon, représentée par Me Barnier, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 15 février 2022 en tant qu'il n'a pas rejeté la demande de M. B... comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et, à titre subsidiaire, de rejeter la requête de M. B... ;

2°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, c'est à tort que le tribunal n'a pas rejeté la demande de M. B... comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître alors que la voie en litige ne constitue pas un chemin rural mais un simple chemin d'exploitation au sens de l'article 1621 du code rural et de la pêche maritime ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés, elle n'a jamais assuré l'entretien de ce chemin ; la pose de goudron en limite de la voie départementale sur l'extrémité du chemin résultant d'une initiative du département de la Lozère ;

- à supposer que la voie en litige soit regardée comme constitutive d'un chemin rural, aucune obligation d'entretien ne saurait être mise à sa charge et la seule intervention d'une commune ne suffit pas à établir qu'elle a entendu assumer l'entretien un tel chemin.

Par une ordonnance du 14 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 avril 2023 à 12 heures.

Par un courrier du 9 janvier 2024, les parties ont été informées de ce que, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt était susceptible d'être fondé sur l'absence d'intérêt donnant qualité pour agir de la commune D...-de-Randon, pour demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué dès lors que ce jugement rejette au fond les demandes présentées à son encontre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la voirie routière ;

- la loi du 20 août 1881 relative au code rural ;

- l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... et son épouse sont propriétaires d'une maison à usage d'habitation située au lieu-dit ... sur le territoire de la commune d'... (Lozère). L'accès à leur propriété s'effectue, au droit de la route départementale n° 988, par une voie portée par un pont dénommé..., destiné au franchissement du ruisseau de la ..., cours d'eau servant de limite territoriale naturelle entre les communes de ... et d'.... Par une lettre du 5 avril 2017, la commune ... a informé le fils de M. B..., qui réside dans cette maison, de ce que les travaux de réfection de ce pont pourront être pris en charge par la commune à la condition que l'ouvrage soit situé sur le domaine communal, que les dépenses afférentes puissent être financées par le budget communal, que des subventions soient accordées et, enfin, que la commune de Châteauneuf-de-Randon participe pour moitié à leur financement. Par une lettre du 12 novembre 2019, remise en mains propres le même jour et sur laquelle la commune a gardé le silence, M. B... a saisi la commune de Châteauneuf-de-Randon d'une demande tendant à la prise en charge partielle des travaux de réfection du pont de .... M. B... relève appel du jugement du 15 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande du 12 novembre 2019 précitée.

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

2. Aux termes de l'article L. 141-1 du code de la voirie routière : " Les voies qui font partie du domaine public routier communal sont dénommées voies communales (...) ". L'article L. 141-3 du même code dispose : " Le classement et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal (...) ". En vertu de l'article 9 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales : " Deviennent voies communales les voies qui, conformément à la législation en vigueur à la date de la présente ordonnance, appartiennent aux catégories ci-après : / 1° Les voies urbaines ; / 2° Les chemins vicinaux à l'état d'entretien ; le préfet établira, à cet effet, dans un délai de six mois, la liste par commune des chemins vicinaux à l'état d'entretien ; / 3° Ceux des chemins ruraux reconnus, dont le conseil municipal aura, dans un délai de six mois, décidé l'incorporation ; cette délibération pourra être prise sans enquête publique ". L'article 12 de la même ordonnance dispose : " Les chemins vicinaux et les chemins ruraux reconnus autres que ceux visés à l'article 9 sont incorporés de plein droit à la voirie rurale de la commune ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 20 août 1881 relative au code rural, applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959 : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage public, qui n'ont pas été classés comme chemins vicinaux ". En application de l'article 4 de cette même loi : " Le conseil municipal peut, sur la proposition du maire, déterminer ceux des chemins ruraux qui devront être l'objet des arrêtés de reconnaissance (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune ". Aux termes de l'article L. 161-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale. / La destination du chemin peut être définie notamment par l'inscription sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée ". L'article L. 161-3 de ce code dispose que : " Tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé ".

4. Pour retenir la présomption d'affectation à l'usage du public, un seul des éléments indicatifs figurant à l'article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime suffit.

5. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le chemin desservant la propriété de M. B..., qui existait avant 1959, ait fait l'objet, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959, d'un arrêté de reconnaissance en vertu des dispositions précitées de la loi du 20 août 1881 relative au code rural. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que ce chemin, qui n'est pas situé en agglomération, ait fait l'objet de l'une des procédures de classement prévues par l'article 9 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, le tableau de classement unique des voies communales D...-de-Randon produit par les parties démontrant, au contraire, que le chemin desservant le lieu-dit ... et le pont qui le porte ne sont pas classés dans les voies communales. Par suite, le chemin en litige et le pont qui le porte ne font pas partie du domaine public routier communal et sont demeurés dans la voirie rurale de la commune D...-de-Randon en application de l'article 12 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales.

6. D'autre part, il ressort des photographies produites que le chemin en litige est configuré en impasse dans sa portion terminale et qu'il dessert exclusivement les propriétés privées situées au lieu-dit de .... Toutefois, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas sérieusement contesté que le chemin en litige et le pont servant à le porter sont librement ouverts à la circulation et sont utilisés comme une voie de passage, ces ouvrages doivent, par cette seule circonstance, être regardés comme affectés à l'usage du public. Par suite, ainsi que l'a jugé le tribunal, le chemin en litige constitue bien un chemin rural en application des dispositions combinées des articles L. 161-1 à L. 161-3 du code rural et de la pêche maritime qui relève, dès lors, jusqu'à preuve du contraire, du domaine privé de la commune de Châteauneuf-de-Randon.

7. Par suite, dès lors, d'une part, que le présent litige ne porte pas sur la gestion ou la valorisation, par une commune, de son domaine privé mais concerne le financement, par une commune, de travaux d'entretien portant sur l'entretien d'un chemin rural ouvert à la circulation du public devant, dès lors, être qualifiés de travaux publics et, d'autre part, qu'il conduit le juge administratif, dans l'exercice de son office, à examiner si, postérieurement à l'incorporation de ce chemin dans la voirie rurale, la commune sur le domaine privé de laquelle il est implanté a exécuté des travaux destinés à en assurer ou à en améliorer la viabilité révélant qu'elle a, ainsi, accepté d'en assumer, en fait, l'entretien, il ressortit bien à la compétence de la juridiction administrative. Par suite, il y a lieu d'écarter l'exception d'incompétence de nouveau opposée en appel par la commune D...-de-Randon.

Sur l'irrecevabilité des conclusions incidentes présentées par la commune de Châteauneuf-de-Randon :

8. L'intérêt à faire appel s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. Si, quels qu'en soient les motifs, une décision de rejet ne fait pas grief au défendeur - qui n'est donc pas recevable à la déférer au juge d'appel - il en va différemment d'une décision qui rejette les conclusions du demandeur comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, laquelle, sans clore le litige, invite le demandeur à le poursuivre devant l'autre ordre de juridiction. Par suite, un défendeur est recevable à interjeter appel d'un jugement de tribunal administratif déclinant la compétence de son ordre de juridiction.

9. Dès lors que le dispositif du jugement attaqué ne prononce aucune injonction à son encontre et rejette au fond la demande présentée par M. B... au motif que ce dernier ne démontrait pas que l'état du pont ne permettrait pas son franchissement dans des conditions normales de circulation et de sécurité, après avoir écarté, au demeurant à bon droit, l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée devant le tribunal, la commune D...-de-Randon ne justifie pas, en application du principe rappelé au point précédent, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir pour demander, à titre incident, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas rejeté la demande de l'appelant comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Par suite, les conclusions incidentes présentées par la commune de Châteauneuf-de-Randon sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

10. Aux termes de l'article L. 141-1 du code de la voirie routière : " Les voies qui font partie du domaine public routier communal sont dénommées voies communales. (...) ". Aux termes de l'article L. 141-3 du même code : " Le classement et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal. Ce dernier est également compétent pour l'établissement des plans d'alignement et de nivellement, l'ouverture, le redressement et l'élargissement des voies. (...) ". Aux termes de l'article L. 141-8 de ce code : " Les dépenses d'entretien des voies communales font partie des dépenses obligatoires mises à la charge des communes par l'article L. 221-2 du code des communes ". Aux termes de l'article L. 2321-1 du code général des collectivités territoriales : " Sont obligatoires pour la commune les dépenses mises à sa charge par la loi ". Aux termes de l'article L. 2321-2 du même code : " Les dépenses obligatoires comprennent notamment : (...) / 20° Les dépenses d'entretien des voies communales ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que seul l'entretien des voies communales donne lieu à des dépenses d'entretien obligatoires pour les communes.

11. En premier lieu, il est constant que le chemin en litige comporte, dans sa portion initiale, située au droit de la route départementale n° 988, un panneau de signalisation verticale et un marquage au sol délimitant un " cédez le passage " et qu'il présente les traces de précédentes poses d'enrobé sur cette partie qui confronte la voie départementale. Toutefois, à eux seuls, ces éléments ne sont pas de nature à établir que le chemin en litige relèverait de la voirie communale pas plus qu'ils sont de nature à révéler que la commune de Châteauneuf-de-Randon aurait entendu assumer l'entretien de ce chemin dès lors que, s'agissant d'un chemin rural situé au droit de la route départementale n° 988, la pose d'une signalisation et d'un marquage au sol peut valablement, en l'espèce, être rattachée à l'exercice de la police de la voirie routière dont dispose le département de la Lozère ou à la police et à la conservation des chemins ruraux dont l'autorité municipale a la charge en application de l'article L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime. En tout état de cause, M. B... ne produit aucun élément au soutien de ses allégations de nature à établir que la pose d'enrobé sur la portion initiale du chemin aurait été opérée à l'initiative ou sous la maîtrise d'ouvrage de la commune intimée. Par suite, le moyen tiré de l'appartenance du pont et de la voie précités au domaine public communal ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, il résulte des dispositions combinées de l'article L. 141-8 du code de la voirie routière, de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales que les dépenses obligatoires pour les communes incluent les dépenses d'entretien des seules voies communales, dont ne font pas partie les chemins ruraux. Les communes ne peuvent être tenues à l'entretien des chemins ruraux, sauf dans le cas où, postérieurement à leur incorporation dans la voirie rurale, elles auraient exécuté des travaux destinés à en assurer ou à en améliorer la viabilité et ainsi accepté d'en assumer, en fait, l'entretien. En outre, le principe du libre accès des riverains à la voie publique est sans incidence sur les obligations d'entretien auxquelles la commune pourrait être soumise.

13. Le pont en litige servant à porter le chemin desservant la propriété de l'appelant étant, ainsi qu'il a été dit au point 6 un chemin rural, la commune de Châteauneuf-de-Randon n'est, par principe, pas tenue de procéder à son entretien. Sur ce point, il ressort des pièces du dossier que suivant un acte de vente du 12 février 1842, conclu par le maire de Châteauneuf-de-Randon au nom du gouvernement puis approuvé par le préfet de la Lozère, le 3 mars 1842 et transcrit au bureau des hypothèques de Mende le 25 avril 1842, les consorts A..., précédents propriétaires du moulin et des parcelles situées au lieu-dit ... ont, dans le cadre d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilisé publique, cédé au gouvernement six terrains sur le territoire de la commune D...-de-Randon destinés à accueillir la route royale n° 88 reliant Lyon à Toulouse dont les travaux ont été approuvés par le ministre des travaux publics. Aux termes de ce même acte de cession, les vendeurs ont subordonné la vente à une condition selon laquelle " l'administration ferait construire à ses frais une rampe convenable pour rétablir la communication des moulins et bâtiments de ... avec Châteauneuf ". S'il est constant que les précédents propriétaires des parcelles desservies par le chemin en litige ont conditionné la cession des parcelles destinées à réaliser les travaux de la route royale n° 88, devenue la route départementale n° 988, à la réalisation de travaux portant sur la réalisation d'une " rampe ", destinée à relier le lieu-dit de ... au bourg de la commune de Châteauneuf-de-Randon, cette condition suspensive n'a ni pour objet ni pour effet de conférer à la commune D...-de-Randon la qualité de partie à cet acte de vente lequel ne comporte, de surcroît, aucune clause la rendant expressément débitrice d'une quelconque obligation d'entretien du pont en litige. À l'inverse, il ressort des pièces du dossier que par lettre du 18 octobre 1846, le précédent propriétaire de l'ancien moulin de ... a saisi le préfet de la Lozère d'une demande tendant à obtenir la réfection de cette passerelle qui a été construite, " pour l'utilité publique ", " par l'administration des ponts et chaussées ", pour permettre de desservir, par voie de servitude, son usine mais qui a été emportée par un torrent à la suite de violentes pluies. Par suite, M. B... ne peut utilement se prévaloir de la circonstance selon laquelle de précédents propriétaires ont obtenu la construction d'une passerelle financée par l'État dans le cadre de la construction de la route royale n° 88 reliant Toulouse à Lyon pour tenter d'établir que la commune intimée serait tenue à l'obligation d'entretenir le pont reliant leur propriété à la route départementale n° 988.

14. Il est également constant que par une délibération du 25 juin 1950, le conseil municipal ..., commune limitrophe, a accordé un " crédit de dix mille francs (...) à prendre sur les fonds libres de la commune, à Monsieur A... E... D... pour réfection d'une passerelle au lieu-dit ..., en cette commune ". Toutefois, le " crédit " ainsi accordé pour la réfection de la passerelle reliant la propriété de l'appelant à la route départementale n° 988 doit, tout au plus, être regardé comme une simple subvention accordée au précédent propriétaire de la propriété desservie par le pont en litige par une commune tierce disposant d'un intérêt à financer ces travaux laissés à l'initiative de cette personne privée. Ainsi, ce financement, qui n'est pas le fait de la commune de Châteauneuf-de-Randon et présente, de surcroît, un caractère isolé, résulte de l'initiative d'une commune limitrophe ayant un intérêt à maintenir une continuité de desserte avec la commune de Châteauneuf-de-Randon de sorte qu'il ne saurait être interprété comme révélant l'intention de la commune intimée d'assumer, en fait, l'entretien du chemin en litige en finançant des travaux destinés à en assurer ou à en améliorer la viabilité. Par ailleurs, si M. B... se prévaut du danger auquel est exposé son petit-fils lors du passage de l'autocar destiné au ramassage scolaire, alors que celui-ci est, du reste, assuré par les services de la région Occitanie, et de l'instabilité du pont qui porte le chemin en litige, laquelle est contredite par les photographies versées au dossier montrant les traces de passage fréquents de roues de voiture ainsi que la présence de deux véhicules de chantier, d'un engin agricole et d'un véhicule stationné en portion terminale, ces circonstances sont sans incidence sur l'obligation qui pèse sur la commune intimée d'entretenir ce chemin.

15. Dès lors, indépendamment de l'état de conservation actuel du chemin rural en litige et, en particulier de l'instabilité éventuelle du pont qui la porte, laquelle n'est, en tout état de cause, nullement démontrée, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la réfection du pont en litige aurait déjà été réalisée par le passé par la commune de Châteauneuf-de-Randon et qu'il incomberait, pour ce seul motif, à cette dernière de pourvoir aux travaux d'entretien de cet ouvrage destiné à porter un chemin rural.

16. En troisième et dernier lieu, lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle serait empreinte de discrimination, le juge doit attendre du requérant qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il lui soumette des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

17. Selon M. B..., la décision en litige instituerait une rupture d'égalité entre les habitants de la commune de Châteauneuf-de-Randon dès lors que cette commune a participé, dans le courant des années 1990, aux frais de réfection d'un autre pont desservant le hameau de l'Argentière situé pour moitié sur le territoire de la commune de Pierrefiche et Châteauneuf-de-Randon et qu'elle a, par la suite, co-financé la réfection de deux passerelles piétonnes en bois permettant aux habitants du hameau de Plo de l'Habitarelle situé sur le territoire de la commune ... de franchir la ... alors même que ces ouvrages ne relèvent pas de la voirie communale de cette dernière. Toutefois, par ces seules allégations, l'appelant, qui n'est au demeurant pas un habitant de la commune intimée, ne soumet pas au juge, ainsi que cela lui incombe, des éléments de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination alors que, en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit, la commune intimée n'est, par principe, soumise à aucune obligation d'entretien du chemin rural en litige de sorte qu'il ne disposait d'aucun droit acquis à en obtenir la remise en état. Par suite, M. B... ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance du principe d'égalité de traitement.

18. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence d'éléments probants de nature à démontrer que, postérieurement à son incorporation à la voirie rurale, la commune de Châteauneuf-de-Randon aurait exécuté des travaux destinés à assurer ou à améliorer la viabilité du chemin rural en litige, en particulier le pont servant à le porter, et qu'elle aurait ainsi accepté d'en assumer, en fait, l'entretien, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commune D...-de-Randon sur sa demande du 12 novembre 2019

Sur les conclusions à fin d'injonction :

19. Le présent arrêt, qui confirme le rejet de la demande de M. B... par le tribunal, n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par l'appelant doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Châteauneuf-de-Randon, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Châteauneuf-de-Randon au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à la commune de Châteauneuf-de-Randon une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Châteauneuf-de-Randon est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la commune D...-de-Randon.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de la Lozère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21009


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21009
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Commune - Biens de la commune - Chemins ruraux.

Voirie - Régime juridique de la voirie - Entretien de la voirie.

Voirie - Régime juridique de la voirie - Entretien de la voirie - Chemins ruraux.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : BARNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-30;22tl21009 ?
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