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21/11/2023 | FRANCE | N°21TL03894

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 21 novembre 2023, 21TL03894


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État du fait de l'illégalité des décisions du ministre de la santé des 15 octobre 2009 et 5 novembre 2013 lui refusant l'autorisation d'exercer en France la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale ", au paiement d'une indemnité d'un montant total de 615 741 euros en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 2001770 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier a conda

mné l'État à lui verser la somme de 32 000 euros en réparation de ses préjudices.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État du fait de l'illégalité des décisions du ministre de la santé des 15 octobre 2009 et 5 novembre 2013 lui refusant l'autorisation d'exercer en France la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale ", au paiement d'une indemnité d'un montant total de 615 741 euros en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 2001770 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'État à lui verser la somme de 32 000 euros en réparation de ses préjudices.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, un mémoire, enregistré le 3 mars 2023 et des pièces complémentaires, enregistrées le 13 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Girard, demande :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 juillet 2021 en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation de l'État à lui verser la somme de 515 741 euros ;

2°) de condamner l'État au paiement de la somme de 515 741 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de la perte de revenus ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il existe un lien de causalité entre les décisions ministérielles illégales lui refusant l'autorisation d'exercer en France la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale " et ses pertes de revenus au titre de la période du 15 octobre 2009 au 31 octobre 2019 dès lors que ces décisions ont empêché son retour à l'emploi jusqu'en 2019 et l'exercice de la profession de médecin généraliste libéral ou de praticien hospitalier ; le harcèlement subi sur son lieu de travail et le refus d'exercice de la profession de médecin en France ont été à l'origine de son état dépressif pathologique ;

- elle a subi un préjudice financier du fait de la perte de ses revenus au titre de la période de 2009 à 2019 ; de 2011 à 2019, ses revenus ayant été composés d'indemnités journalières et de sa rente d'invalidité de catégorie II, son manque à gagner, calculé à partir du revenu net annuel qu'elle aurait dû percevoir en tant que praticien attaché, s'élève pour la période de 2009 à 2019 à la somme de 515 741 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la perte de revenus alléguée par l'appelante ne présente pas de caractère certain ; les décisions ministérielles litigieuses ne l'empêchaient pas de poursuivre son activité en qualité de praticien attaché associé en tant que contractuelle ; de plus, il n'est ni établi, ni même allégué, que l'appelante aurait engagé, depuis le 31 octobre 2019, des démarches réelles et sérieuses afin de s'inscrire à un tableau départemental de l'ordre des médecins, cette dernière ayant quitté définitivement la profession de médecin en septembre 2008, à compter de son placement en congé de longue durée ;

- les décisions litigieuses ne sont aucunement à l'origine de la perte de revenus de Mme B... en lien avec son état de santé, résultant du potentiel harcèlement vécu par cette dernière qui ne peut être imputable qu'à l'hôpital.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bequain de Coninck, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... est titulaire d'un diplôme de docteur en médecine délivré en 1994 par l'université d'Istanbul (Turquie) dont la valeur scientifique a été certifiée équivalente à celle du diplôme français de docteur en médecine par une décision de 2004 du ministre français chargé de l'enseignement supérieur. Elle a été recrutée en dernier lieu par le centre hospitalier de Carcassonne en tant que praticienne attachée associée à compter du 1er juillet 2006 et classée, par un avenant à son contrat de travail du 31 mars 2008, au 4ème échelon. Par une décision du 15 octobre 2009 le ministre chargé de la santé a refusé d'accorder à Mme B... l'autorisation d'exercer en France la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale ", en application du I de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique. La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 25 juin 2013, devenu définitif, a annulé cette décision et a enjoint au ministre de procéder au réexamen de la demande de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt et, par une nouvelle décision du 5 novembre 2013, la ministre des affaires sociales et de la santé, après avoir procédé au réexamen de la demande de Mme B..., lui a de nouveau refusé cette autorisation. Cependant, par une décision du 18 septembre 2019, le Conseil d'État a annulé l'arrêt du 13 octobre 2017 de la cour administrative d'appel de Marseille et le jugement du 12 janvier 2016 du tribunal administratif de Montpellier ayant rejeté les demandes de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 2013 et a annulé cette décision, pour méconnaissance de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt définitif de la cour administrative d'appel de Marseille du 25 juin 2013. Le 31 octobre 2019, en exécution de l'injonction dont était assortie la décision du Conseil d'État, la ministre des solidarités et de la santé a délivré à Mme B... l'autorisation d'exercer la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale ". Mme B... relève appel du jugement du 13 juillet 2021 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation de son préjudice financier, chiffré à 515 741 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les illégalités des décisions ministérielles des 15 octobre 2009 et 5 novembre 2013, constatées par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 25 juin 2013, devenu définitif, et par une décision du Conseil d'État du 18 novembre 2019, sont constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État. La responsabilité de l'État s'étend sur la période courant du 15 octobre 2009, date du refus initial, au 31 octobre 2019, date de l'autorisation d'exercer la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale " délivrée en exécution de la décision du Conseil d'État.

En ce qui concerne le préjudice financier :

3. Mme B... soutient qu'elle a subi du fait des décisions ministérielles illégales lui refusant l'autorisation d'exercer la profession de médecin dans la spécialité " médecine générale " un préjudice financier lié à la perte de ses revenus professionnels sur la période du 15 octobre 2009 au 31 octobre 2019.

4. Mme B... a présenté en février 2006 une symptomatologie dépressive sévère évoquant un syndrome d'épuisement psychique et physique. Elle a ainsi été en arrêt de travail continu à partir du 12 septembre 2008 et a été placée rétroactivement en congé de longue maladie à compter de cette date puis en congé de longue durée jusqu'au terme de son contrat de praticien attaché associé intervenu le 1er juillet 2011. À cet égard, le rapport du 26 mars 2010 du comité médical réuni en vue de l'attribution d'un congé de longue durée relève qu'au jour de l'examen de Mme B..., il persiste un état dépressif majeur ne lui permettant pas de reprendre ses activités professionnelles. Malgré une amélioration de son état dépressif, M. C..., médecin psychiatre, atteste, le 9 mars 2012, de l'incapacité de Mme B... à reprendre le travail et que son état de santé justifie qu'elle soit mise en invalidité. Par une décision du 24 juin 2013, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Montpellier constatant qu'elle présentait à la date du 11 octobre 2011, une invalidité la rendant incapable d'exercer une quelconque activité, a déclaré qu'elle devait être classée dans la 2ème catégorie des assurés invalides avec service de la pension correspondante à compter de cette date. Mme B... a alors perçu à compter du 11 octobre 2011 une pension d'invalidité d'un montant brut annuel de 16 727,99 euros. Au titre de la période de 2011 à 2019, ses revenus ont été composés de sa pension d'invalidité et des indemnités journalières perçues.

5. Il résulte ainsi de l'instruction que du fait de son état de santé, l'intéressée était dans l'incapacité de reprendre une quelconque activité sur la période de 2009 à 2019. Dès lors, même si le ministre chargé de la santé lui avait accordé l'autorisation sollicitée, elle aurait été dans l'incapacité d'exercer la profession de médecin généraliste libéral ou de praticien hospitalier. La perte de revenus de Mme B... au cours de la période de 2009 à 2019 n'est, en conséquence, pas en lien avec les décisions litigieuses. Au demeurant, Mme B... calcule le montant de son préjudice financier sur la base de la grille de revenus perçus annuellement par les praticiens attachés en fonction de leur échelon. Or, les décisions ministérielles litigieuses n'avaient ni pour objet ni pour effet de lui refuser l'exercice de cette profession. Par suite, Mme B..., qui n'établit pas le lien de causalité entre l'illégalité fautive des décisions litigieuses de l'administration et le préjudice financier résultant de la perte de revenus, n'est pas fondée à être indemnisée à ce titre.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande en tant qu'elle portait sur l'indemnisation de son préjudice financier.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme B..., l'État n'étant pas la partie perdante à l'instance.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL03894


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL03894
Date de la décision : 21/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

61-035 Santé publique. - Professions médicales et auxiliaires médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SELARL LYSIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-11-21;21tl03894 ?
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