La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/11/2023 | FRANCE | N°21TL04727

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 09 novembre 2023, 21TL04727


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner solidairement l'Etat et la commune de Tornac à leur verser une somme totale de 1 024 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de la carence fautive de ces deux personnes publiques dans le traitement des pollutions engendrées par l'exploitation d'anciennes mines de métaux lourds.

Par un jugement n° 1903297 rendu le 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a, d'une part, reje

té la demande de M. et Mme B..., d'autre part, mis à la charge définitive de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner solidairement l'Etat et la commune de Tornac à leur verser une somme totale de 1 024 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de la carence fautive de ces deux personnes publiques dans le traitement des pollutions engendrées par l'exploitation d'anciennes mines de métaux lourds.

Par un jugement n° 1903297 rendu le 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a, d'une part, rejeté la demande de M. et Mme B..., d'autre part, mis à la charge définitive de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise du 12 octobre 2017 et, enfin, rejeté les conclusions présentées par la commune de Tornac sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2021 sous le n° 21MA04727 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL04727 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis un mémoire en réplique enregistré le 11 mai 2023, M. et Mme A... B..., représentés par la SELARL Scheider associés, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 12 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et la commune de Tornac à leur verser une somme totale de 1 024 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de la carence fautive de ces deux personnes publiques dans le traitement des pollutions engendrées par l'exploitation d'anciennes mines de métaux lourds ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Tornac une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive de l'autorité judiciaire sur l'action en cours contre la société Umicore France.

Ils soutiennent que :

- le maire de Tornac a fait preuve d'une carence fautive en s'abstenant d'exercer ses pouvoirs de police générale prévus par les dispositions du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ;

- la maire a commis une faute en s'abstenant de mettre en œuvre ses pouvoirs de police spéciale des déchets prévus à l'article L. 541-3 du code de l'environnement ou ses pouvoirs de police spéciale des sols pollués prévus à l'article L. 556-3 du même code ;

- la commune de Tornac a également commis une faute au regard des obligations qui lui incombaient en sa qualité de détentrice de déchets miniers ;

- les autorités de l'Etat ont fait preuve d'une carence fautive dans l'exercice de leurs pouvoirs prévus aux articles L. 174-1 et L. 174-2 du code minier en matière de surveillance et de prévention des risques miniers après la cessation des travaux miniers ;

- le préfet du Gard a commis une faute en s'abstenant de se substituer au maire de Tornac au titre de la police générale ou de la police spéciale des déchets ;

- la responsabilité de l'Etat se trouve en outre engagée au titre des dispositions de l'article L. 155-3 du code minier dès lors que l'exploitant est défaillant ;

- les fautes ainsi commises par l'Etat et la commune de Tornac leur ont causé des préjudices matériels, un préjudice de jouissance et un préjudice moral.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 janvier 2022, la commune de Tornac, représentée par la SCP Territoires avocats, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que l'Etat soit condamné à la garantir des condamnations éventuellement prononcées à son encontre et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, sa responsabilité n'est pas engagée en l'absence de faute et de lien de causalité avec les préjudices allégués ;

- à titre subsidiaire, l'Etat doit la garantir des condamnations pouvant être prononcées à son encontre sur le fondement de la police spéciale des sols pollués.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée en l'absence de faute et de lien de causalité avec les préjudices allégués et que l'Etat n'a par ailleurs aucune obligation de garantie envers la commune au titre de la police spéciale des sols pollués.

Par une ordonnance du 31 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code minier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- les observations de Me Schneider, représentant M. et Mme B..., et celles de Me d'Audigier, représentant la commune de Tornac.

Considérant ce qui suit :

1. La société des Mines et fonderies de zinc de la Vieille Montagne exploitait depuis le début du XXème siècle plusieurs concessions minières instituées au XIXème siècle et situées sur le territoire des communes de Saint-Félix-de-Pallières, Thoiras et Tornac (Gard), notamment la concession dite de " La Croix de Pallières ", pour l'extraction de zinc, plomb, argent et autres métaux, et les concessions dites de " Valleraube " et de " Pallières et Gravouillères ", pour l'extraction de pyrite de fer. Par arrêté du 25 janvier 1999, le préfet du Gard a donné acte à la société Union minière France, venue aux droits de la société Mines et fonderies de zinc de la Vieille Montagne, de l'arrêt des travaux miniers pour les concessions de " Valleraube " et de " Pallières et Gravouillères ". Par arrêté du 6 juillet 1999, la même autorité a donné acte à ladite société de l'arrêt des travaux pour la concession de " La Croix de Pallières ". Par trois arrêtés pris les 19 mars 2004, 18 mai 2004 et 14 avril 2005, le ministre délégué à l'industrie a accepté la renonciation de la société Union minière France à ces trois concessions minières.

2. M. et Mme B... sont propriétaires depuis 2011 des parcelles cadastrées section ..., situées (ANO(Chemin des Sources(/ANO), lieu-dit ..., sur le territoire de la commune de Tornac, lesquelles supportent notamment leur maison d'habitation et sont proches de zones occupées par les anciennes installations minières. Ils ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, le 4 janvier 2016, aux fins de réalisation d'une expertise permettant de déterminer l'existence, les causes et les conséquences de pollutions minières sur leur propriété. Le juge des référés a ordonné la réalisation de cette expertise le 21 avril 2016 et l'expert désigné par ce juge a remis son rapport le 12 octobre 2017. M. et Mme B... ont adressé au préfet du Gard et au maire de Tornac, le 22 juillet 2019, des demandes préalables indemnitaires tendant à la réparation des préjudices résultant, selon eux, de fautes commises par l'Etat et la commune dans le traitement des pollutions engendrées par les anciennes exploitations minières. Le maire et le préfet ayant respectivement rejeté ces demandes préalables par deux courriers des 2 août et 19 septembre 2019, les intéressés ont saisi le tribunal administratif de Nîmes aux fins d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices. Par un jugement rendu le 12 octobre 2021, ledit tribunal a mis à la charge définitive de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise du 12 octobre 2017 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. et Mme B.... Par la présente requête, les intéressés relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ce surplus.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Tornac :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs. ". Selon l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (...) / 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ; (...) ". En outre, aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / (...) ".

4. Par ailleurs, selon l'article 91 du code minier applicable à la date de l'arrêt des travaux miniers en litige, dont les dispositions sont désormais reprises aux articles L. 163-3 à L. 163-9 du même code : " (...) / Lors de la cessation d'utilisation d'installations mentionnées à l'article 77, ou lors de la fin de chaque tranche de travaux ou, au plus tard, lors de la fin de l'exploitation et de l'arrêt des travaux, l'explorateur ou l'exploitant fait connaître les mesures qu'il envisage de mettre en œuvre pour préserver les intérêts mentionnés à l'article 79, pour faire cesser de façon générale les désordres et nuisances de toute nature engendrés par ses activités, pour prévenir les risques de survenance de tels désordres, et pour ménager le cas échéant les possibilités de reprise de l'exploitation. / Dans le cas où il n'existe pas de mesures techniques raisonnablement envisageables permettant de prévenir ou faire cesser tout désordre, il incombe à l'explorateur ou à l'exploitant de rechercher si des risques importants susceptibles de mettre en cause la sécurité des biens ou des personnes subsisteront après l'arrêt des travaux. Si de tels risques subsistent, il étudie et présente les mesures, en particulier de surveillance, qu'il estime devoir être poursuivies après la formalité mentionnée au neuvième alinéa du présent article. / (...) / Au vu de la déclaration d'arrêt des travaux, après avoir consulté les conseils municipaux des communes intéressées et après avoir entendu l'explorateur ou l'exploitant, l'autorité administrative prescrit, en tant que de besoin, les mesures à exécuter et les modalités de réalisation qui n'auraient pas été suffisamment précisées ou qui auraient été omises par le déclarant. L'autorité administrative indique le délai dans lequel les mesures devront être exécutées. / (...) / Lorsque les mesures envisagées par l'explorateur ou l'exploitant, ou prescrites par l'autorité administrative en application du présent article, ont été exécutées, cette dernière en donne acte à l'explorateur ou à l'exploitant. / Cette formalité met fin à l'exercice de la police des mines telle qu'elle est prévue à l'article 77. Toutefois, s'agissant des activités régies par le présent code, et lorsque des risques importants susceptibles de mettre en cause la sécurité des biens ou des personnes apparaissent après la formalité prévue à l'alinéa précédent, l'autorité administrative peut intervenir dans le cadre des dispositions de l'article 79 jusqu'à l'expiration du titre minier et, dans les cas prévus au premier alinéa de l'article 93, jusqu'au transfert à l'Etat de la surveillance et de la prévention des risques miniers. ".

5. D'une part, il résulte de l'instruction que les travaux des concessions minières en litige ont cessé, selon les sites, entre 1955 et 1999. Par un premier arrêté du 16 juillet 1971, le préfet du Gard avait déjà donné acte à la société des Mines et fonderies de zinc de la Vieille Montagne de l'abandon de travaux concernant la concession de " La Croix de Pallières " tout en lui prescrivant d'obturer l'ensemble des orifices mettant en relation les travaux miniers avec la surface, par la mise en place de dispositifs de nature à assurer la sécurité publique. Il résulte notamment des indications portées dans le dossier présenté par la société Union minière France à l'appui de sa déclaration de cessation des travaux miniers le 30 juin 1998 que les travaux de sécurisation et de réaménagement des sites ont été réalisés entre les années 1990 et 1997, sous le contrôle périodique des services de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement du Languedoc-Roussillon et avec un suivi particulier de la qualité des eaux des ruisseaux. Le dossier susmentionné précise que les haldes ont été stabilisées, que la digue de stériles de laverie a été confinée, que les nuages de poussière ont disparu et que le risque de pollution des cours d'eau est réduit compte tenu du régime hydrologique local. Par son arrêté du 25 janvier 1999 rappelé au point 1 du présent arrêt, le préfet du Gard a donné acte de l'arrêt de l'exploitation pour les concessions de " Valleraube " et " Pallières et Gravouillères " tout en prescrivant, pour la concession de " La Croix de Pallières ", d'une part, l'institution d'une servitude sur la parcelle supportant la digue de stériles pour en garantir l'intégrité, l'entretien et les restrictions d'usage sur le long terme et, d'autre part, la mise en place d'une garantie financière permettant de couvrir les frais de surveillance et de maintenance de cette installation pendant une durée de cinq ans. Par son arrêté du 6 juillet 1999, le préfet du Gard a constaté la bonne exécution des prescriptions ainsi édictées avant de donner également acte de l'arrêt de l'exploitation pour cette dernière concession. Il résulte également de l'instruction que, par un rapport du 17 décembre 1999, le technicien supérieur de l'industrie et des mines a relevé que les accès aux travaux miniers avaient été obturés de manière satisfaisante, que les impacts des eaux rejetées dans le réseau naturel étaient limités et que la digue de stériles avait été surveillée pendant une durée suffisante pour lever les réserves concernant sa stabilité. Sur la base de ces indications, l'auteur de ce rapport a estimé que le ministre en charge des mines pouvait accepter la renonciation de la société Union minière France aux trois concessions litigieuses.

6. D'autre part, il résulte également de l'instruction que la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement du Languedoc-Roussillon a mandaté le groupement d'intérêt public Geoderis en 2008 pour réaliser un inventaire des risques miniers, lequel a notamment révélé l'existence de zones présentant de fortes concentrations en plomb et autres métaux lourds dans le périmètre des anciennes concessions de " La Croix de Pallières ", " Valleraube " et " Pallières et Gravouillères ". La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement du Languedoc-Roussillon a ensuite missionné le Bureau de recherches géologiques et minières en vue de la réalisation d'une " interprétation de l'état des milieux ", laquelle a été rendue en 2013 et complétée à la suite de nouvelles investigations en 2015. L'agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon avait par ailleurs communiqué des recommandations sanitaires aux riverains en 2014 pour limiter les risques liés à l'exposition aux métaux lourds et leur avait proposé une surveillance sanitaire spécifique à compter de l'année 2015. Les ministres intéressés ont en outre sollicité l'Inspection générale des affaires sociales et le Conseil général de l'environnement et du développement durable pour réaliser un rapport relatif à la contamination par les métaux lourds des habitants vivant près des anciens sites miniers gardois, lequel a été rendu en décembre 2016. En se fondant sur les constats issus de l'ensemble de ces études, le préfet du Gard a établi, le 7 février 2017, un plan d'actions précis visant à réduire la vulnérabilité des personnes susceptibles d'être exposées à des risques sur les sites en litige. Dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan d'actions, l'autorité préfectorale a notamment notifié aux communes concernées un " porter à connaissance " destiné à encadrer l'octroi des autorisations d'urbanisme, prescrit la mise en place de panneaux d'information sur les sites en cause, puis, par des arrêtés édictés le 29 novembre 2018, mis en demeure la société Umicore France, venue aux droits de la société Union minière France, de gérer conformément à la législation relative aux déchets les quatre principales sources de pollutions identifiées dans le périmètre des anciennes exploitations minières, constituées par des haldes, déblais et dépôts localisés sur le territoire des communes de Saint-Félix-de-Pallières et de Thoiras.

7. Enfin, il résulte de l'instruction que les investigations complémentaires réalisées par le groupement d'intérêt public Geoderis sur la propriété de M. et Mme B... ont permis l'établissement d'un diagnostic personnalisé de leurs parcelles, lequel leur a été communiqué le 22 juin 2017. Il en ressort notamment que les terrains des intéressés sont situés dans une zone non minéralisée dont les sols présentent des teneurs en métaux lourds comparables aux teneurs naturelles locales, ce qui conduit à exclure a priori une contamination par les anciennes activités minières. Les analyses des eaux n'ont révélé aucune anomalie et les teneurs en métaux élevées relevées dans les poussières à l'intérieur de l'habitation ont été considérées comme imputables à l'usage du chauffage au fioul. Les auteurs du diagnostic ont seulement observé la présence de roches oxydées au sein du mur délimitant le terrain de pétanque, non explicable par le contexte géologique, ce qui les a amenés à conclure à une possibilité que des roches et/ou des sols en provenance de zones minéralisées aient été apportées dans le jardin. Sur la base de ces constats, les experts de Geoderis préconisent de privilégier les cultures en bacs avec de la terre d'apport et recommandent de recouvrir les pierres oxydées par un revêtement épais et résistant, mais ne retiennent pas que la propriété serait incompatible avec le maintien d'un usage d'habitat comme ils ont pu le reconnaître pour une propriété voisine dont les sols présentaient des teneurs en métaux nettement plus élevées. Il est vrai que l'expert désigné par le tribunal administratif de Nîmes a estimé dans son rapport du 12 octobre 2017 que les teneurs en métaux constatées dans les sols de la propriété des requérants ne pouvaient avoir, selon lui, une origine seulement naturelle et que les activités minières étaient " probablement " à l'origine de ces pollutions, mais il a précisé ne pas pouvoir l'affirmer avec certitude. Le même expert a par ailleurs constaté l'absence d'anomalie dans les nouvelles analyses de l'eau, de l'air et des poussières réalisées par ses soins. Il a relevé que les autorités sanitaires avaient mis en place les mesures d'urgence nécessaires et, s'il a recommandé de recouvrir les parcelles sensibles par une couche de terre végétale et de maintenir une vigilance particulière pour les activités impliquant un contact avec les sols, ainsi que pour la circulation et l'utilisation d'engins sur les voies environnantes, il n'a pas non plus conclu à une incompatibilité de cette propriété avec un usage d'habitat.

8. Eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux points 5 et 6 du présent arrêt, les services de l'Etat doivent être regardés comme ayant pris des mesures appropriées et suffisantes pour analyser et traiter les risques de pollutions liés aux concessions minières en litige, tant pendant la période d'application de la police spéciale des mines qu'après l'acceptation de la renonciation à ces concessions. En outre et compte tenu notamment de ce qui a été dit au point précédent, il ne résulte pas de l'instruction que la propriété de M. et Mme B... ait été soumise à un risque de pollution avéré ou à une situation de péril grave susceptible de justifier l'intervention du maire de Tornac depuis la fin de la période d'exercice de la police spéciale des mines. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le maire aurait fait preuve d'une carence fautive en s'abstenant d'exercer ses pouvoirs de police générale.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'environnement, régissant la police spéciale des déchets : " (...) / II. - Les dispositions du présent chapitre et de l'article L. 125-1 ont pour objet : / (...) / 3° D'assurer que la gestion des déchets se fait sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l'environnement, notamment sans créer de risque pour l'eau, l'air, le sol, la faune ou la flore, sans provoquer de nuisances sonores ou olfactives et sans porter atteinte aux paysages et aux sites présentant un intérêt particulier ; / (...) ". Selon l'article L. 541-1-1 de ce code : " Au sens du présent chapitre, on entend par : / Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ; / (...) / Producteur de déchets : toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ; / Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ; / (...) ". L'article L. 541-2 du même code mentionne que : " Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. / (...) ". Selon l'article L. 541-3 de ce code : " I.- Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et (...) peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. / Au terme de cette procédure, si la personne concernée n'a pas obtempéré à cette injonction dans le délai imparti par la mise en demeure, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours : / 1° L'obliger à consigner entre les mains d'un comptable public une somme correspondant au montant des mesures prescrites. / 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites. / (...) 4° Ordonner le versement d'une astreinte journalière (...) jusqu'à ce qu'il ait été satisfait aux mesures prescrites par la mise en demeure. / 5° Ordonner le paiement d'une amende (...) ". L'article L. 541-4-1 de ce même code dispose que : " Ne sont pas soumis aux dispositions du présent chapitre : / - les sols non excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés aux sols de manière permanente ; / (...) ".

10. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 556-3 du même code, régissant la police spéciale des sites et des sols pollués : " I. - En cas de pollution des sols ou de risques de pollution des sols présentant des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques et l'environnement au regard de l'usage pris en compte, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable. L'exécution des travaux ordonnés d'office peut être confiée par le ministre chargé de l'environnement et par le ministre chargé de l'urbanisme à un établissement public foncier ou, en l'absence d'un tel établissement, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. L'autorité titulaire du pouvoir de police peut également obliger le responsable à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée au fur et à mesure de l'exécution des travaux. Les sommes consignées peuvent, le cas échéant, être utilisées pour régler les dépenses entraînées par l'exécution d'office. Lorsqu'un établissement public foncier ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie intervient pour exécuter des travaux ordonnés d'office, les sommes consignées lui sont réservées à sa demande. / (...) / II. - Au sens du I, on entend par responsable, par ordre de priorité : / 1° Pour les sols dont la pollution a pour origine une activité mentionnée à l'article L. 165-2, une installation classée pour la protection de l'environnement ou une installation nucléaire de base, le dernier exploitant de l'installation à l'origine de la pollution des sols, ou la personne désignée aux articles L. 512-21 et L. 556-1, chacun pour ses obligations respectives. Pour les sols pollués par une autre origine, le producteur des déchets qui a contribué à l'origine de la pollution des sols ou le détenteur des déchets dont la faute y a contribué ; / (...) ".

11. D'une part, si les investigations réalisées après l'arrêt des activités minières ont permis d'identifier des sources de pollution constituées par des déchets miniers abandonnés sur le territoire des communes de Saint-Félix-de-Pallières et de Thoiras, il ne résulte d'aucun des rapports versés au dossier que de tels déchets auraient été déposés et retrouvés sur le territoire de la commune de Tornac. En particulier, les pierres oxydées dont la présence a été constatée par les experts de Geoderis dans un mur implanté sur la propriété de M. et Mme B... ne peuvent être regardées comme constituant des déchets dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un abandon, mais ont été réutilisées pour construire le mur en cause. D'autre part et ainsi qu'il a été indiqué précédemment, les expertises réalisées sur le territoire de la commune de Tornac et notamment sur les terrains des appelants ne permettent pas d'établir avec certitude que les teneurs en métaux relevées dans les sols seraient supérieures aux teneurs naturelles et qu'elles seraient ainsi imputables aux anciennes activités minières exercées dans le secteur. Dès lors, il n'apparaît pas que le maire de Tornac aurait commis une faute en s'abstenant de mettre en œuvre ses pouvoirs de police spéciale des déchets ou de police spéciale des sites et sols pollués, tels que prévus par les dispositions mentionnées au deux points précédents. Enfin, si les requérants soutiennent que la commune de Tornac pourrait être regardée comme détentrice de déchets en raison de sa qualité de propriétaire de sols pollués, leurs allégations ne sont pas assorties des précisions suffisantes sur ce point, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à ce titre.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

12. En premier lieu, aux termes de l'article 93 du code minier applicable au présent litige, dont les dispositions sont désormais reprises aux articles L. 174-1 et L. 174-2 du même code : " Lorsque des risques importants d'affaissement de terrain ou d'accumulation de gaz dangereux, susceptibles de mettre en cause la sécurité des biens ou des personnes, ont été identifiés lors de l'arrêt des travaux, l'exploitant met en place les équipements nécessaires à leur surveillance et à leur prévention et les exploite. / La fin de la validité du titre minier emporte transfert à l'Etat de la surveillance et de la prévention de ces risques, sous réserve que les déclarations prévues à l'article 91 aient été faites et qu'il ait été donné acte des mesures réalisées. / Ce transfert n'intervient toutefois qu'après que l'explorateur ou l'exploitant a transmis à l'Etat les équipements, les études et toutes les données nécessaires à l'accomplissement des missions de surveillance et de prévention et qu'après le versement par l'exploitant d'une somme correspondant au coût estimé des dix premières années de la surveillance et de la prévention des risques et du fonctionnement des équipements. ".

13. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas allégué que des risques importants d'affaissements de terrain ou d'accumulation de gaz dangereux auraient été identifiés lors de l'arrêt des travaux miniers en litige, ni même au demeurant postérieurement à l'arrêt de ces travaux. En conséquence et ainsi que le fait valoir le ministre, l'Etat ne peut être regardé comme s'étant vu transférer la responsabilité de la surveillance et de la prévention des risques liés aux anciennes activités minières par le seul effet des dispositions de l'article 93 précité du code minier, lesquelles ne concernent que les deux catégories de risques mentionnées par cet article. En outre, aucune autre disposition du code minier ou de ses décrets d'application ne prévoit l'obligation pour l'Etat d'assurer, après l'expiration des concessions minières, la surveillance et la prévention des risques miniers autres que ceux visés par l'article 93. D'autre part et en tout état de cause, il résulte notamment de ce qui a été rappelé au point 6 du présent arrêt que les services de l'Etat ont continué à prendre des mesures adaptées pour analyser et traiter les risques liés aux anciens sites miniers en litige, y compris après l'acceptation de la renonciation aux concessions. Par suite, les requérants ne peuvent utilement reprocher à l'Etat l'insuffisance de son action en matière de surveillance et de prévention des risques.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : / 1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; / (...) ".

15. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 3 à 11 du présent arrêt que le maire de Tornac n'a pas fait preuve d'une carence fautive dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale ou de police spéciale des déchets. Par voie de conséquence, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que le préfet du Gard aurait lui-même commis une faute en s'abstenant de se substituer au maire de Tornac pour la mise en œuvre de l'une ou l'autre de ces polices.

16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 155-3 du code minier dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'explorateur ou l'exploitant, ou à défaut le titulaire du titre minier, est responsable des dommages causés par son activité. Il peut toutefois s'exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d'une cause étrangère. / Cette responsabilité n'est pas limitée au périmètre du titre minier ni à la durée de validité du titre. / En cas de disparition ou de défaillance du responsable, l'Etat est garant de la réparation des dommages mentionnés au premier alinéa ; il est subrogé dans les droits de la victime à l'encontre du responsable. ".

17. Il est constant que la société Umicore France, venue aux droits des sociétés ayant précédemment exploité les installations minières litigieuses, n'a pas disparu. Il n'est par ailleurs ni établi ni allégué que la société Umicore France serait insolvable et qu'elle devrait ainsi être regardée comme défaillante au sens et pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 155-3 précité du code minier. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent utilement rechercher la responsabilité subsidiaire de l'Etat sur le fondement des dispositions de cet alinéa.

18. Il résulte tout de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de l'autorité judiciaire sur l'action engagée par les appelants contre la société Umicore France, que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat et la commune de Tornac.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soient mises à la charge de l'Etat ou de la commune de Tornac, qui n'ont pas la qualité de parties perdantes dans la présente instance, les sommes réclamées par les appelants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par la commune de Tornac à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Tornac au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la commune de Tornac.

Copie en sera adressée au préfet du Gard.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21TL04727


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL04727
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Mines et carrières - Mines - Exploitation des mines - Surveillance exercée par le service des mines.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Florian JAZERON
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : TERRITOIRES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-11-09;21tl04727 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award