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07/11/2023 | FRANCE | N°22TL00295

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 07 novembre 2023, 22TL00295


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Big Services a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la décision du 27 décembre 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de l'Hérault de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Occitanie a refusé d'autoriser le licenciement pour motif disciplinaire de Mme C... F... et, d'autre part, la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiér

archique présenté le 20 février 2020.

Par un jugement n° 2005534 du 23 nov...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Big Services a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la décision du 27 décembre 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de l'Hérault de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Occitanie a refusé d'autoriser le licenciement pour motif disciplinaire de Mme C... F... et, d'autre part, la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique présenté le 20 février 2020.

Par un jugement n° 2005534 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2022, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique, enregistré le 28 juillet 2022, la société Big Services, représentée par Me Puylagarde, demande :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 novembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 27 décembre 2019 de l'inspectrice du travail et la décision implicite de rejet de la ministre du travail prise sur son recours hiérarchique ;

3°) d'enjoindre à l'administration de l'autoriser à licencier Mme F... dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, et ce, sous astreinte de deux cents euros par jour de retard ;

4°) de procéder à la suppression des passages injurieux et diffamatoires que comporte le mémoire en défense en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

5°) de mettre à la charge tant de Mme F... que de l'État la somme de 3 000 euros, chacun, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de ce que la décision de l'inspectrice du travail serait entachée d'une erreur de droit en ce qui concerne sa méthode d'analyse de la demande d'autorisation de licenciement ;

- la décision de l'inspectrice du travail est insuffisamment motivée en ce que, d'une part, elle a omis de se prononcer sur l'ensemble des griefs soulevés à l'encontre de Mme F... et des faits établis par ses collaboratrices ayant fondé ces griefs et, d'autre part, elle ne s'est pas livrée à une appréciation globale des faits reprochés à cette dernière, leur accumulation étant constitutive d'un harcèlement moral, pour apprécier leur gravité ;

- s'agissant de la matérialité des faits reprochés, elle ressortait clairement des témoignages concordants de l'ensemble des salariées placées sous la responsabilité de Mme F..., du rapport de la commission d'enquête paritaire, du rapport du psychologue de la médecine du travail, de l'avis favorable du comité d'entreprise, des tableaux d'activité de Mme F... ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation s'agissant de la gravité des griefs reprochés à Mme F..., l'inspectrice du travail n'ayant pas pris en compte les antécédents disciplinaires de cette dernière précédemment sanctionnés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2022, Mme F..., représentée par Me Mora, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Big Services la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la décision de l'inspectrice du travail, qui a pris en compte l'ensemble des griefs invoqués par l'employeur conformément à la circulaire du 30 juillet 2012, est suffisamment motivée ;

- s'agissant de la matérialité des griefs qui lui sont imputés, la multiplication des faits relatés ne peut pallier leur inconsistance dès lors que ces faits, au demeurant non datés et imprécis, ne sont pas établis ; l'inspectrice du travail, qui a examiné l'ensemble des griefs et les a appréciés globalement, en a déduit leur absence de matérialité à l'exception de ses propos à l'encontre de Mme J... en réponse à l'agression verbale de cette dernière ; les antécédents supposés qui lui sont imputés ne peuvent pas établir les griefs généraux, imprécis, non démontrés ayant fondé la demande de licenciement

- la décision attaquée n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation ; en réalité, la société Big Services a mis en place un montage en vue de la licencier et, accessoirement pour lui éviter une condamnation pour harcèlement moral ; elle démontre par les attestations de clients du salon de coiffure et de précédents collaborateurs son comportement et son attitude parfaitement professionnels.

Par un mémoire, enregistré le 12 juillet 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Marceau, représentant la société appelante.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... est employée par la société Big Services en qualité de responsable du salon de coiffure " Interview ", situé à Pérols (Hérault), depuis le 5 mars 2007. Par courrier du 30 octobre 2019, l'employeur a sollicité l'autorisation de licencier Mme F..., salariée protégée eu égard à son mandat de déléguée syndicale et de conseillère du salarié à la date d'engagement de la procédure de licenciement, en raison de son " comportement inacceptable à l'égard de ses collègues de travail ayant engendré pour celles-ci une souffrance au travail et une détérioration de leur état de santé ". Par une décision du 27 décembre 2019, notifiée le 31 décembre suivant, l'inspectrice du travail de l'unité départementale de l'Hérault de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de l'Occitanie a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée. La société Big Services a formé un recours hiérarchique contre cette décision auprès de la ministre du travail. Elle relève appel du jugement du 23 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 27 décembre 2019 et de la décision implicite de rejet de la ministre du travail.

Sur la régularité du jugement :

2. La société appelante soutient que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de ce que la décision de l'inspectrice du travail serait entachée d'une erreur de droit en ce qui concerne sa méthode d'analyse de la demande d'autorisation de licenciement.

3. Il ressort de la demande de la société Big Services devant les premiers juges qu'elle a soulevé le moyen tiré de ce que la décision de l'inspectrice du travail serait entachée d'une erreur de droit pour avoir méconnu la méthodologie d'analyse de la demande d'autorisation de licenciement pour apprécier la gravité des faits en cas de pluralité de fautes établies à l'encontre du salarié. Toutefois, les premiers juges, qui ont visé ce moyen, n'étaient pas tenus de se prononcer sur son bien-fondé dès lors qu'en jugeant au point 8 de leur jugement que l'inspectrice du travail avait pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, conclure que certains faits n'étaient pas établis et que les faits établis étaient, quant à eux, dépourvus de caractère fautif, la critique de l'appréciation par l'inspectrice du travail de la gravité des faits eu égard à la pluralité de fautes établies à l'encontre de la salariée était sans objet. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions en annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En vertu des dispositions de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ". Cette motivation doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. À ce titre, il incombe à l'inspecteur du travail, lorsqu'il est saisi d'une demande de licenciement motivée par un comportement fautif, d'exposer les faits reprochés au salarié de manière suffisamment précise et de rechercher si les faits reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

5. L'inspecteur du travail doit statuer et motiver sa décision sur la totalité des motifs et des griefs invoqués dans la demande d'autorisation de licenciement qui doivent être énoncés précisément par l'employeur.

6. Dans sa demande d'autorisation de licenciement pour faute du 30 octobre 2019, la société Big Services a " reproché à Mme F... d'avoir adopté et réitéré un comportement inacceptable à l'égard de ses collègues de travail ayant engendré pour celles-ci une souffrance au travail et une détérioration de leur état de santé ". Si cette demande ne caractérisait pas précisément les manifestations du comportement fautif imputé à Mme F..., elle se référait cependant à la plainte écrite des salariées, aux résultats de l'enquête menée par une commission paritaire d'enquête indépendante, au rapport du psychologue de la médecine du travail, aux visites médicales des salariées, à la précédente procédure de licenciement et aux deux avertissements adressés à Mme F... pour rectifier son comportement. Comme l'employeur reprenait dans sa demande l'énoncé, contenu dans le rapport du psychologue de la médecine du travail, des six reproches unanimement rapportés par les salariées, l'inspectrice du travail a pu justement estimer qu'il s'était approprié ces six griefs et que son champ d'instruction se limitait à ces éléments.

7. Si la société Big Services soutient que les griefs formulés à l'encontre de Mme F..., n'ont pas tous été analysés et examinés, elle ne conteste cependant pas la lecture par l'administration de sa demande d'autorisation de licenciement quant au périmètre des griefs retenus à l'encontre de cette dernière. En outre, la décision fait apparaître que l'inspectrice du travail a recherché pour chacun des griefs s'il était matériellement établi en prenant en compte, de façon détaillée, les faits exposés par les salariées dans les extraits des procès-verbaux d'audition cités par l'employeur et, si tel était le cas, les raisons pour lesquelles il ne présentait pas un caractère fautif. L'inspectrice du travail a donc bien exposé les faits reprochés à la salariée de manière suffisamment précise et a recherché si ces faits étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

S'agissant de la matérialité des manquements reprochés :

9. Il appartient à l'employeur d'apporter la preuve matérielle des manquements reprochés au salarié.

10. Aux termes des 3ème et 5ème alinéa de l'article L. 1235-1 du code du travail : " (...) /(...) /À défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. /(...) /Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

11. Comme cela a été exposé précédemment, la société appelante, qui reproche à Mme F... son comportement inacceptable à l'égard de ses collègues de travail, ayant engendré pour celles-ci, une souffrance au travail et une détérioration de leur état de santé, s'est appropriée les six griefs énoncés dans le rapport du psychologue de la médecine du travail.

12. Ces griefs reposent principalement sur les faits relatés, au cours de leurs auditions devant la commission d'enquête interne, par les salariées du salon de coiffure placées sous la responsabilité de Mme F... et par la coordinatrice réseau de cette dernière. À cet égard, si, dans sa demande d'autorisation de licenciement, la société Big Services s'est bornée à citer, à titre d'exemples, certains extraits des procès-verbaux d'audition transcrits par la commission d'enquête interne, elle renvoyait cependant à ces procès-verbaux qu'elle avait joints. Dès lors, l'inspectrice du travail ne pouvait, pour apprécier la matérialité des griefs formulés à l'encontre de Mme F..., limiter son examen aux seuls faits cités à titre d'illustration par l'employeur mais devait également prendre en compte ceux exposés dans les procès-verbaux d'audition joints.

13. Selon les allégations des salariées du salon de coiffure retranscrites dans les procès-verbaux d'audition, Mme F..., leur responsable, serait la cause du climat tendu existant sur leur lieu de travail du fait de son manque de travail, de son comportement autoritaire, inéquitable et de dénigrement à leur égard.

14. Mais, d'une part, certains des témoignages des salariés se contredisent. Ainsi, dans son audition, Mme E... reproche à Mme F... de réaliser la majorité des shampoings pour retirer cette prestation aux salariées et en même temps de l'envoyer délibérément au bac pour effectuer des shampoings en sachant qu'elle a mal au dos. S'agissant de l'altercation entre Mme E... et Mme F... à l'occasion d'un produit retourné par une cliente, si Mme E... indique s'être emportée contre Mme F... parce que cette dernière avait dénigré Mme D... devant la cliente et s'était attribuée la vente, Mme D..., au cours de son audition, n'a cependant pas mentionné avoir fait l'objet de critiques de la part de Mme F... et a indiqué ne pas savoir si la vente lui avait ou pas été attribuée.

15. D'autre part, les quelques témoignages qui relatent un événement précis ou daté ne sont pas corroborés par d'autres éléments. Ainsi, Mme E... et Mme D... ont toutes deux indiqué que le samedi 6 juillet 2019 Mme F... ne les avait pas informées de son absence pour l'exercice de son activité de délégation en l'indiquant dans le tableau de présence. Toutefois, Mme F... a contesté ces allégations et aucun élément versé au dossier tel que la production du tableau de présence pour cette journée, ne permet d'établir, de façon certaine, ce défaut d'information. S'agissant du congé demandé par Mme K... à l'occasion du décès de sa belle-mère, Mme F... qui confirme la réalité de cet événement non daté, conteste cependant l'allégation de la salariée selon laquelle elle aurait refusé de lui accorder ce congé malgré la note fournie par l'administration et que la coordinatrice réseau aurait passé outre son refus. Aucun élément du dossier ne permet d'établir la matérialité du fait imputé à Mme F... de façon certaine.

16. Par ailleurs, pour leur grande majorité, les faits reprochés à Mme F... ne sont pas datés et sont peu circonstanciés. Ils pointent, toutefois, une conduite récurrente de la part de leur responsable de sorte que l'absence d'indication d'une date précise ne retire pas forcément à l'ensemble de ces témoignages tout caractère de vraisemblance s'ils relatent, de façon concordante, les mêmes agissements et s'ils sont corroborés par d'autres éléments. Cependant, si, par exemple, les allégations selon lesquelles Mme F... attribuerait à une salariée, dans le but de la punir, des prestations longues, notamment sur cheveux longs ou frisées, lui refuserait un congé, ou l'obligerait à faire une fermeture, peuvent être qualifiées de concordantes, elles sont contestées par l'intimée et ne sont étayées par aucun autre élément du dossier. En conséquence, elles ne peuvent être regardées comme établies.

17 Néanmoins, la réalité de certains faits que lui reprochent ses collaboratrices a été reconnue par Mme F... au cours de son audition devant la commission d'enquête interne et devant l'inspectrice du travail. Elle a ainsi reconnu avoir dit à Mme A... " tu fais sale ". S'il appartenait à Mme F..., en qualité de responsable, de faire appliquer le règlement intérieur du salon et de rappeler à l'ordre Mme A..., dont il n'est pas soutenu que sa coiffure était conforme aux exigences de ce règlement, les propos utilisés par Mme F... pour s'adresser à sa collaboratrice présentait cependant un caractère vexatoire et inapproprié. Par ailleurs, Mme F... a reconnu effectuer tous les shampoings pour avancer le travail de ses collaboratrices et la prestation technique pour soulager la technicienne, Mme H.... Dans leurs auditions, les salariées critiquaient en effet la répartition, jugée injuste, des clients et des tâches décidée par Mme F... qui, selon elles, les privaient de façon délibérée des prestations " techniques " les mieux tarifées. La société appelante n'apporte cependant aucun élément de nature à remettre en cause la véracité des explications fournies par Mme F... pour justifier sa décision de ne pas confier les prestations techniques à trois des salariées qui se sont plaintes auprès d'elle de ne pas en effectuer suffisamment. En revanche, même si elle n'en retire aucun avantage pécuniaire, le motif avancé par Mme F... pour refuser à Mme H... de réaliser toutes les prestations techniques et les prendre en charge à sa place apparaît peu convaincant dès lors que cette salariée dispose d'une formation spécifique de technicienne et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle se soit plainte de sa charge de travail trop élevé.

18. Enfin, la société Big Services ne produit aucune attestation de clients ou d'anciens salariés corroborant les allégations des salariées. Il ressort au contraire des pièces du dossier, notamment des pièces citées dans le jugement du conseil de prud'hommes de Montpellier du 25 novembre 2020 ayant condamné la société Big Services pour harcèlement moral à l'encontre de Mme F..., que les attestations de clients et d'anciens collaborateurs font état de son professionnalisme sans relever une conduite irrespectueuse ou dévalorisante à l'égard des salariées. Deux clients attestent également que deux des salariées à l'origine de la plainte contre Mme F... leur ont demandé de faire un témoignage à charge contre cette dernière sur le site internet du salon de coiffure.

19. Dès lors, seuls les propos vexatoires de Mme F... adressés à Mme A... et son refus injustifié opposé à Mme H... d'effectuer toutes les prestations techniques, peuvent être regardés comme des faits matériellement établis. Toutefois, même si ces faits présentent un caractère fautif, ils ne sont cependant pas d'une gravité suffisante pour justifier la mesure de licenciement pour faute sollicité par la société Big Services.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société Big Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 27 décembre 2019 et de la décision implicite de rejet de la ministre du travail.

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux ou outrageants :

21. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : " Art. 41, alinéas 3 à 5.-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts ".

22. La société Big Services demande la suppression des passages du mémoire en défense présenté le 24 mars 2022 par Mme F... dès lors qu'ils comportent, selon elle, des attaques à l'encontre notamment de la coordinatrice réseau et des collaboratrices de Mme F....

23. Les passages du mémoire en défense en page 36 qui commencent par " Et I... " et se terminent par " de la terreur ", les mots en page 43 " commission bananière", les passages en page 48 qui commencent par " ses collaboratrices " et se terminent par " " mentent ", ceux en page 50 qui commencent par " L'expert " et se terminent par " s'appuyant dessus ", " les passages en page 68 qui commencent par " Mme B... " et se terminent par " empesée, ceux sur la même page qui commencent par " Plus stupide " et se terminent par " possible ", ceux de la même page qui commencent par " Le ridicule " et se terminent par " J... ", ceux en page 75 qui commencent par " Bien pire " et se terminent par " ne lève le petit doigt ", ceux en page 76 qui commencent par " Mme I... " et se terminent par " ne s'en laisse pas compter ", ceux en page 77 qui commencent par " ce que l'on appelle " et se terminent par " vendue ", les mots en page 82 " victimes mensongères ", les mots en page 82 " commission stasique ", les passages en page 83 qui commencent par " comme il y a un grand écart " et se terminent par " Dr G... ", et ceux en page 93 qui commencent par " Plus idiot " et se terminent par " possible ", présentent un caractère diffamatoire au sens des dispositions précitées de l'article L. 741-2 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, d'en prononcer la suppression.

24. En revanche, les passages dont la suppression est demandée page 36 qui commencent par " à se laisser dicter " et se terminent par " pièces produites par la société ", et pages 38, 40, 42, 60 72, 79, 80, 84, 94, n'excèdent pas le droit à la libre discussion et ne présentent pas un caractère injurieux ou diffamatoire. Par suite, les conclusions présentées à ce titre doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société appelante, l'État et Mme F... n'étant pas la partie perdante.

26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Big Services la somme que demande Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de la société Big Services est rejetée.

Article 2 : Les passages du mémoire en défense du 24 mars 2022 de Mme F... mentionnés au point 23 du présent arrêt sont supprimés.

Article 3 : Les conclusions de Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Big Services, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à Mme C... F....

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL00295


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL00295
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : CHABANNES SENMARTIN ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-11-07;22tl00295 ?
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