Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 23 décembre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2300433 du 24 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 23 décembre 2022, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme A... un titre de séjour dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 21 avril 2023 sous le n° 23TL00949, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 24 mars 2023.
Il soutient, d'une part, que le magistrat désigné ne pouvait pas faire droit à la demande présentée par Mme A... sans que le rapport médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration soit versé au dossier et, d'autre part, que c'est à tort que le premier juge a retenu que la décision portant refus de séjour méconnaissait les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que Mme A... peut bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en cas de retour dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2023, Mme C... A..., représentée par Me Galinon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- à titre principal, les moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne au soutien de sa requête ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, le préfet ne pouvait légalement l'obliger à quitter le territoire français dès lors qu'elle pouvait bénéficier d'un titre de séjour de plein droit en application de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que les services de police ne l'avaient par ailleurs pas informée de ses droits en méconnaissance de l'article R. 425-1 du même code.
Par une ordonnance en date du 11 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 juillet 2023.
Par une décision du 4 octobre 2023, Mme A... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
II - Par une requête enregistrée le 21 avril 2023 sous le n° 23TL00950, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 24 mars 2023 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Il soutient que c'est à tort que le magistrat désigné a considéré que la décision portant refus de séjour méconnaissait les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que ce moyen, sérieux, est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement, le rejet des conclusions en annulation de Mme A....
Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2023, Mme C... A..., représentée par Me Galinon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- à titre principal, le moyen invoqué par le préfet de la Haute-Garonne au soutien de sa requête n'est pas fondé ;
- à titre subsidiaire, le préfet ne pouvait légalement l'obliger à quitter le territoire français dès lors qu'elle pouvait bénéficier d'un titre de séjour de plein droit en application de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que les services de police ne l'avaient par ailleurs pas informée de ses droits en méconnaissance de l'article R. 425-1 du même code.
Par une ordonnance en date du 11 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 juillet 2023.
Par une décision du 4 octobre 2023, Mme A... a obtenu le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les observations de Me Galinon, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante nigériane, née le 1er octobre 1995 à Edo State (Nigéria), soutient être entrée sur le territoire français en dernier lieu 1er mars 2021. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 15 mars 2021, mais cette demande a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 10 août 2021 et par la Cour nationale du droit d'asile le 30 juin 2022. L'intéressée avait parallèlement sollicité un titre de séjour pour motif médical le 26 mai 2021. Par un arrêté du 23 décembre 2022, le préfet de la Haute-Garonne a refusé l'admission au séjour de Mme A..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 24 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à l'intéressée un titre de séjour dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 23TL00949, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 23TL00950, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL00949 :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. Il ne résulte d'aucune disposition ni d'aucun principe que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse n'aurait pas pu statuer sur la demande de Mme A... sans qu'ait été versé au dossier le rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par suite, le moyen soulevé en ce sens par le préfet de la Haute-Garonne ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
3. L'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous les éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'intéressé et, le cas échéant, la possibilité pour lui de bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé de l'étranger justifie ou non l'octroi d'un titre de séjour dans les conditions sus-rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Il ressort des pièces du dossier que, par un premier avis émis le 26 juillet 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration avait estimé que l'état de santé de Mme A... justifiait la poursuite des soins nécessités par son état de santé pendant une durée d'un an. Par un nouvel avis rendu le 20 octobre 2022, le même collège a retenu que si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge dont le défaut serait susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, Mme A... pourrait bénéficier d'un traitement approprié au Nigéria eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques sanitaires de ce pays. Il ressort par ailleurs du certificat médical produit par l'intéressée devant le premier juge, rédigé le 14 février 2023 par un praticien du service des maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier universitaire de Toulouse, que Mme A... est suivie pour une infection par le virus d'immunodéficience acquise, pour laquelle elle bénéficie d'un traitement médicamenteux spécifique quotidien mis en place en mars 2017 et composé de la trithérapie nommée " Biktarvy ", laquelle est commercialisée par le laboratoire Gilead et associe les antirétroviraux Bictégravir, Emtricitabine et Ténofovir alafénamide. Il ressort également de ce même certificat que l'intimée est porteuse d'une lésion intra-épithéliale révélée en mai 2022, nécessitant un suivi rapproché régulier pour prévenir le risque de transformation en cancer de l'utérus. Les indications relatées dans le certificat médical du 14 février 2023 sont corroborées par le rapport rédigé le 7 octobre 2022 par le médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, lequel a été produit par l'intéressée en appel. Le praticien auteur du certificat médical susmentionné indique en outre que Mme A... ne pourrait pas bénéficier du suivi médical spécialisé requis par son état de santé en cas de retour dans son pays d'origine.
6. L'intimée a versé au dossier, d'une part, la liste des médicaments essentiels dressée par le ministère de la santé nigérian en 2020, d'autre part, le rapport " MedCoi " relatif au Nigéria établi par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile au mois d'avril 2002 et, enfin, l'extrait d'un document émanant du laboratoire Gilead concernant la trithérapie " Biktarvy ". Il ressort de l'ensemble de ces pièces et il n'est au demeurant pas contesté par l'administration que le traitement médicamenteux spécifique dont bénéficie Mme A... pour sa maladie infectieuse n'est pas commercialisé au Nigéria et qu'il n'existe aucun autre médicament, notamment aucun médicament générique, associant les trois antirétroviraux concernés. Il est vrai que le rapport " MedCoi " d'avril 2022 atteste de la volonté des autorités nigérianes de renforcer depuis 2016 la prise en charge des malades atteints du virus d'immunodéficience acquise en ouvrant en particulier à l'ensemble de ces personnes l'accès gratuit aux trithérapies antirétrovirales dans la majorité des hôpitaux publics. Il ressort par ailleurs tant de ce rapport que de la liste des médicaments essentiels de 2020 que plusieurs antirétroviraux sont disponibles à l'unité ou de manière combinée au Nigéria. Toutefois, le certificat médical du 14 février 2023 mentionné au point précédent précise que la souche virale de Mme A... présente des résistances à des médicaments antirétroviraux autres que celui dont elle bénéficie actuellement et l'administration n'apporte aucun élément de nature à établir que l'un au moins des traitements accessibles au Nigéria serait adapté à la situation de l'intéressée au regard des résistances ainsi observées. Par suite, l'intimée ne peut pas être regardée comme susceptible de bénéficier effectivement d'une prise en charge médicale appropriée en cas de retour dans son pays d'origine. En conséquence et ainsi que l'a estimé le premier juge, la décision portant refus de séjour contenue dans l'arrêté préfectoral en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont les termes sont cités au point 3 ci-dessus.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 24 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 23 décembre 2022, lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme A... dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par le préfet dans la requête n° 23TL00950 :
8. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 24 mars 2023, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement deviennent sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés aux litiges :
9. Mme A... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Galinon renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros à verser Me Galinon sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne n° 23TL00949 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 23TL00950.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me Galinon, avocate de Mme A..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme B... et à Me Galinon.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 23TL00949, 23TL00950