Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Logistri Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.
Par un jugement n° 1905096, 2000736 du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement d'un montant de 33 484 euros prononcé en cours d'instance par le directeur de contrôle fiscal Sud-Pyrénées et rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 août 2021 sous le n° 21MA03475 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL03475 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire complémentaire enregistré le 19 avril 2023, la société Logistri Méditerranée, représentée par Me Sérée de Roch, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a rejeté ses demandes ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification du 8 décembre 2016, y compris en ce qu'elle concerne la majoration pour manquement délibéré, est insuffisamment motivée ;
- l'administration n'est pas en mesure d'établir précisément les insuffisances de déclaration du chiffre d'affaires taxable ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée ;
- elle est disproportionnée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 16 décembre 2021 et le 12 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions de la société Logistri Méditerranée sont recevables dans la limite des conclusions de sa réclamation, soit 245 437 euros au titre de la majoration pour manquement délibéré ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 3 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 8 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafon,
- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Logistri Méditerranée fait appel du jugement du 14 juin 2021 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, à l'issue de la vérification de comptabilité de son activité de tri et conditionnement de fruits et légumes à destination de grossistes.
Sur les conclusions en décharge :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". L'article R. 57-1 du même livre dispose que : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.
3. La proposition de rectification que le service a adressée le 8 décembre 2016 à la société Logistri Méditerranée, qui est dépourvue de formules ambiguës, comportait les mentions exigées par les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, permettant à la société contribuable de présenter utilement ses observations. La référence à la jurisprudence constante du Conseil d'Etat sur le profit sur le Trésor était, à ce titre, suffisamment précise. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " I. -Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". L'article 269 du même code dispose que : " (...) 2. La taxe est exigible : (...) c) Pour les prestations de services (...), lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits (...) ".
5. Il résulte de l'instruction que, pour rehausser le chiffre d'affaires déclaré au titre de la période en litige, le vérificateur, qui a relevé que l'exigibilité des prestations facturées se situait à l'encaissement, a pris en compte les crédits figurant sur les comptes bancaires de la société Logistri Méditerranée. La proposition de rectification du 8 décembre 2016, qui comportait le détail de ces encaissements en annexes, synthétisait par mois les encaissements bancaires relevés, ainsi que les insuffisances correspondantes de taxe sur la valeur ajoutée collectée. Ces discordances sont, en partie, corroborées en comptabilité par la présence d'un compte intitulé " TVA collectée à régulariser ", s'élevant à 515 926 euros au 31 juillet 2015. La seule circonstance que l'administration a admis, au regard de pièces justificatives produites par la société au soutien de ses réclamations contentieuses, que trente-six crédits bancaires d'un total de 31 371 euros ne correspondaient pas à des règlements de clients, aboutissant au prononcé de dégrèvements dans le cadre de la décision d'admission partielle du 24 juillet 2019, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère précis et certain des insuffisances déclaratives relevées. Dans l'ensemble de ces conditions, l'administration, qui n'est jamais revenue sur ces bases d'imposition, doit être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé des rappels contestés.
En ce qui concerne les pénalités :
6. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". L'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dispose que : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable (...) ".
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification adressée le 8 décembre 2016 par l'administration fiscale à la société Logistri Méditerranée mentionne les circonstances de droit et de fait, notamment le caractère systématique des importantes minorations du chiffre d'affaires déclaré et l'existence d'une déduction anticipée de montants de taxe sur la valeur ajoutée, permettant le versement de dividendes en augmentation à ses dirigeants, ayant conduit à l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.
8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Logistri Méditerranée a minoré de manière systématique, au cours de la période en litige et sous couvert du respect apparent de ses obligations déclaratives, la taxe sur la valeur ajoutée collectée exigible à raison d'encaissements constatés en contrepartie de prestations de services. La dissimulation de chiffre d'affaires s'est élevée à un montant total hors taxes de 2 891 410 euros sur trois ans, pour un chiffre d'affaires annuel reconstitué compris entre 3 et 6 millions d'euros, aboutissant à un pourcentage de taxe nette éludée approchant 34 %, soit 543 627 euros. Le vérificateur a également relevé que l'essentiel de la taxe non reversée au Trésor public était inscrite au passif du bilan de l'exercice clos le 31 juillet 2015, au compte " TVA collectée à régulariser " à hauteur de 515 926 euros. Il a par ailleurs noté que la société a déduit, à hauteur de 35 776 euros, la taxe grevant des factures qu'elle n'avait pas encore réglées. Il est enfin établi que la rétention de taxe sur la valeur ajoutée a permis à la société de verser à ses associés, y compris ses dirigeants, des dividendes importants, s'élevant à un montant total de 801 906 euros, et en constante augmentation au cours de la période en cause. Dans ces conditions et compte tenu de l'importance des montants éludés, la société requérante ne peut valablement se prévaloir de ce qu'elle ignorait ces manquements, qu'elle impute à un ancien comptable salarié, qui n'est d'ailleurs poursuivi pénalement que pour des faits consistant en la majoration artificielle du chiffre d'affaires par l'émission de fausses factures. Dans ces conditions, l'administration, qui relève en outre que la société Logistri Méditerranée bénéficiait d'un régime favorable de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, évitant toute avance de trésorerie, apporte la preuve de sa participation aux manquements ayant donné lieu à la majoration en cause et, partant, de son intention propre d'éluder l'imposition.
9. En troisième lieu et en tout état de cause, la société Logistri Méditerranée ne peut utilement solliciter la modulation du taux de la majoration pour manquement délibéré, dès lors qu'un tel pouvoir n'est pas conféré au juge par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, qui ne méconnaissent pas les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au motif qu'elles proportionnent les pénalités aux agissements du contribuable et prévoient des taux de majoration différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que la société Logistri Méditerranée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par la société Logistri Méditerranée est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Logistri Méditerranée et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21TL03475 2