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26/09/2023 | FRANCE | N°22TL20847

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 26 septembre 2023, 22TL20847


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 28 juin 2021 par lequel la préfète du Gard lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, d'enjoindre à la préfète du Gard de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de c

inquante euros par jour de retard, ou, à défaut et subsidiairement, de réexaminer sa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 28 juin 2021 par lequel la préfète du Gard lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, d'enjoindre à la préfète du Gard de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, ou, à défaut et subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et de condamner l'Etat au versement de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2102392 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2022, et des mémoires enregistrés le 24 janvier 2023 et le 08 février 2023, ce dernier non communiqué, Mme D..., représentée par Me Vincensini, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 novembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Gard du 28 juin 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, et de lui délivrer dans l'attente et dans un délai de huit jours à compter de la même date une autorisation provisoire de séjour et de travail ou un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour comportant une autorisation de travail, ou, à défaut et subsidiairement, d'instruire à nouveau sa demande de renouvellement de titre de séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, et de lui délivrer dans l'attente et dans un délai de huit jours à compter de la même date une autorisation provisoire de séjour et de travail ou un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour comportant une autorisation de travail ;

4°) de condamner l'Etat à verser la somme de 1 800 euros à son conseil, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal administratif a omis de répondre au moyen de légalité interne tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 ancien du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devenu l'article L. 721-4 du même code ;

Sur la décision portant refus de séjour :

- la décision de refus de renouvellement de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure en raison de l'absence de saisine préalable de la commission de titre de séjour ;

- la décision est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- la décision est entachée d'une erreur de base légale ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences sur sa situation ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :

- la mesure d'éloignement est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de renouvellement de titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur de droit liée au sursis probatoire ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation compte tenu des conséquences qu'aurait la mise en œuvre de cette mesure sur sa situation personnelle.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 16 décembre 2022 et le 30 janvier 2023, la préfète du Gard conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 20 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2023.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 14 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., née le 2 septembre 1978 à Mostar (Bosnie Herzégovine), de nationalité bosnienne, expose être entrée en France pour la première fois en 2005. Elle a été mise en possession d'une autorisation provisoire de séjour valable du 17 mars 2011 au 16 juin 2011 puis d'une carte de séjour temporaire valable du 3 octobre 2011 au 2 octobre 2012. Cette carte de séjour temporaire a été renouvelée jusqu'au 2 octobre 2013. L'intéressée n'a sollicité le renouvellement de son titre de séjour que le 19 août 2014 et s'est vu délivrer une nouvelle carte de séjour temporaire le 14 janvier 2015, valable jusqu'au 13 janvier 2016, renouvelée jusqu'au 13 janvier 2019. Le 10 janvier 2019, Mme D... a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Elle a été mise en possession d'un récépissé valable du 14 janvier 2019 au 13 juillet 2019. Par un arrêté du 28 juin 2021, la préfète du Gard a rejeté sa demande de renouvellement de son titre de séjour et a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français à destination de son pays d'origine ou de tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible. Mme D... relève appel du jugement du 30 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Et aux termes de l'article L. 412-5 du même code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles (...) L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance (...) ". Si le préfet n'est tenu de saisir la commission que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues par ces textes auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non de celui de tous les étrangers qui s'en prévalent, la circonstance que la présence de l'étranger constituerait une menace à l'ordre public ne le dispense pas de son obligation de saisine de la commission.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est entrée sur le territoire national en janvier 2005 et y réside de manière habituelle et continue depuis lors. Elle s'est vu délivrer depuis le 18 octobre 2011 plusieurs titres de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dont le dernier était valable du 14 janvier 2017 au 13 janvier 2019. Elle est mère de cinq enfants qui résident tous sur le territoire national. Ses deux enfants les plus jeunes, C... et B..., sont nées en France en 2005 et 2011, ont toujours vécu en France et ont toujours été scolarisées en France. Dans ces conditions, Mme D..., qui justifie disposer de liens personnels et familiaux d'une particulière intensité en France, remplit les conditions prévues par l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, alors même qu'il entendait lui opposer les dispositions de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui doivent être substituées à celles de l'article L. 432-1 du même code et visées à tort dans l'arrêté contesté, le préfet était tenu de saisir de son cas la commission du titre de séjour, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que sa présence constituerait une menace à l'ordre public. Faute d'avoir été précédé de cette consultation, le refus de renouvellement de titre de séjour opposé à Mme D... est entaché d'un vice de procédure qui, eu égard à la garantie que cette consultation constitue pour l'intéressée, en justifie l'annulation.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme D..., par ce moyen nouveau soulevé en appel, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués y compris celui tiré de l'irrégularité du jugement, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Compte tenu du motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, mais seulement, qu'il soit procédé au réexamen de la demande de renouvellement de titre de séjour présentée par Mme D.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Gard de statuer à nouveau sur cette demande, après avoir saisi pour avis la commission du titre de séjour, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée. Il y a également lieu d'ordonner à la préfète du Gard de remettre à l'intéressée, dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Sous réserve de la renonciation de Me Vincensini à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, le versement d'une somme de 1 000 euros au conseil de Mme D... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes n° 2102392 du 30 novembre 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté de la préfète du Gard du 28 juin 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Gard de procéder au réexamen de la demande de Mme D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la même date, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 4 : L'Etat versera à Me Vincensini une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de la renonciation de cette dernière à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D..., à Me Vincensini et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée pour information à la préfète du Gard.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2023.

La présidente rapporteure,

A. Geslan-Demaret La présidente assesseure,

A. Blin

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22TL20847 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20847
Date de la décision : 26/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Armelle GESLAN-DEMARET
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : VINCENSINI

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-26;22tl20847 ?
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