Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 21 mars 2022 par lequel le préfet de Vaucluse a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de soixante jours et a fixé le pays de renvoi pour l'exécution de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2202134 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2022, M. B... A..., représenté par Me Marcel, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Vaucluse du 21 mars 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Vaucluse, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 200 euros à verser à son avocate en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet de Vaucluse a commis une erreur manifeste d'appréciation en lui opposant l'absence de visa au titre des articles L. 411-1, L. 412-1 et L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de séjour est entaché d'un défaut d'examen et d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 423-23 du même code et porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet n'a pas procédé à un réexamen sérieux de sa situation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il ne lui est pas possible de retourner en Turquie sans encourir des risques pour sa liberté ;
- l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi sont privées de base légale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ;
- les deux mêmes décisions violent les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée le 3 janvier 2023 à la préfète de Vaucluse, laquelle n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance en date du 21 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 mai 2023.
Par décision du 10 mai 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M. A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc, né le 1er mai 1993 à Varto (Turquie), déclare être entré sur le territoire français le 8 mai 2012. Il a sollicité, le 6 juin 2012, son admission au séjour au titre de l'asile, mais cette demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile. L'intéressé a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement, prise par le préfet de la Gironde, le 30 septembre 2013. Il a sollicité le réexamen de sa demande d'asile le 18 décembre 2015, mais un nouveau refus lui a été opposé, à la suite duquel une nouvelle mesure d'éloignement a été édictée par le préfet de la Gironde le 13 juillet 2016. M. A... a déposé, le 20 juillet 2018, une demande de titre de séjour au titre de la vie privée et familiale, laquelle a été rejetée par le préfet de Vaucluse aux termes d'un arrêté pris le 29 août 2018 et portant également obligation de quitter le territoire français. Interpelé le 10 décembre 2019, l'intéressé a fait l'objet d'une nouvelle mesure d'éloignement, le même jour, par le préfet de Vaucluse. M. A... a sollicité à nouveau, le 11 mai 2021, son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un premier arrêté du 22 juin 2021, le préfet de Vaucluse a rejeté cette demande et l'a obligé à quitter le territoire français. Par un jugement du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de réexaminer la situation de l'intéressé. Par un nouvel arrêté édicté le 21 mars 2022, le préfet de Vaucluse a rejeté la demande d'admission au séjour de M. A..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par la présente requête, l'intéressé relève appel du jugement du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 21 mars 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". En outre, l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... était présent sur le territoire français le 6 juin 2012, jour de l'enregistrement de sa demande de protection internationale par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Les documents administratifs, factures et pièces médicales produits par le requérant permettent en outre de tenir pour établis sa présence sur le territoire national jusqu'en septembre 2013, ainsi que le caractère habituel et continu de cette présence au plus tard depuis le mois de décembre 2015. Il ressort de ces mêmes pièces que M. A... entretient une relation de couple stable avec une ressortissante française, avec laquelle il partage une communauté de vie depuis le mois de février 2017, ainsi qu'en attestent en particulier plusieurs factures établies à leurs deux noms à l'adresse de leur logement commun à Avignon. Les intéressés ont conclu un pacte civil de solidarité le 20 mai 2019 et se sont mariés le 18 janvier 2020. Il ressort par ailleurs d'un certificat médical du 2 décembre 2020 que le couple bénéficie depuis 2018 d'une prise en charge pour des problèmes d'infertilité, laquelle a conduit à la réalisation de trois inséminations artificielles en 2019 et 2020 et d'une fécondation in vitro au mois de novembre 2020. Le premier enfant né de l'union de M. A... et son épouse est décédé à l'âge de quatre jours le 15 décembre 2021 et les documentes médicaux les plus récents font mention d'une nouvelle grossesse débutée au mois de mars 2022. Enfin, alors que le père du requérant est décédé et que les pièces du dossier révèlent la présence d'un seul de ses frères dans son pays d'origine, l'intéressé justifie de la présence de la plupart des membres de sa famille en situation régulière sur le territoire national, notamment sa mère, son grand-père maternel et un autre de ses frères, ces deux derniers s'étant vu reconnaître la qualité de réfugiés.
4. Dans les circonstances ainsi décrites, la décision par laquelle le préfet de Vaucluse a rejeté la demande de titre de séjour de M. A... porte au droit de l'intéressé au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, l'appelant est fondé à soutenir que la décision en cause méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. L'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour, relevée ci-dessus, prive de base légale les autres décisions contenues dans l'arrêté préfectoral du 21 mars 2022 en litige, portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté pris par le préfet de Vaucluse à son encontre le 21 mars 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard au moyen retenu ci-dessus pour annuler l'arrêté en litige, le présent arrêt implique nécessairement que la préfète de Vaucluse délivre à M. A... une carte temporaire de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par conséquent, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de procéder à la délivrance d'un tel titre de séjour dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A... n'ayant pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle au titre de la présente procédure d'appel, son avocate ne peut utilement se prévaloir des dispositions du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée. En conséquence, la demande présentée par Me Marcel sur le fondement de ces dispositions ne peut qu'être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 11 octobre 2022 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de Vaucluse du 21 mars 2022 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de Vaucluse de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la préfète de Vaucluse et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL22223