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25/07/2023 | FRANCE | N°21TL20103

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 25 juillet 2023, 21TL20103


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 janvier 2021 et 30 avril 2021 sous le n° 21BX00103 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL20103 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société civile immobilière (SCI) Porte des Pyrénées, représentée par la SELAS Wilhem et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le maire de Muret a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour

la création d'un ensemble commercial de 25 295 m² de surface de vente ;

2°) d'...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 janvier 2021 et 30 avril 2021 sous le n° 21BX00103 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL20103 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société civile immobilière (SCI) Porte des Pyrénées, représentée par la SELAS Wilhem et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le maire de Muret a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'un ensemble commercial de 25 295 m² de surface de vente ;

2°) d'enjoindre au maire de Muret de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial d'émettre un avis favorable sur son projet dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la légalité externe :

- l'arrêté portant refus de permis de construire est insuffisamment motivé en violation de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ;

- l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial est insuffisamment motivé ce qui entache d'irrégularité la procédure au terme de laquelle a été pris l'arrêté en litige ;

Sur la légalité interne :

- les motifs de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial fondés sur le contenu et l'objet de la demande d'autorisation sont erronés en ce qui concerne l'absence d'engagement de l'enseigne Intermarché et la prétendue modification des caractéristiques du projet ;

- la commission a méconnu son champ de compétence en se fondant sur un courrier adressé au maire de Muret pour considérer que les caractéristiques du projet avaient évolué et en retenant une évolution immédiate du projet justifiant le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation ;

- le constat d'une différence en ce qui concerne les taux de vacance commerciale pour la commune de Muret dans le dossier actualisé du projet ne pouvait légalement justifier le caractère défavorable de l'avis de la commission, laquelle aurait dû l'inviter à fournir des explications sur la différence constatée ;

- les motifs de l'avis défavorable de la commission fondés sur la localisation du projet et sa contribution à la préservation ou la revitalisation du tissu commercial du centre-ville méconnaissent l'autorité de chose jugée qui s'attache à l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 25 juin 2020 ; cette localisation n'est, en tout état de cause, pas contraire aux critères fixés par la loi et il doit être tenu compte des perspectives d'urbanisation ; son implantation n'est pas susceptible de porter atteinte à l'animation de la vie urbaine et aura des effets positifs sur la revitalisation du tissu urbain.

- en outre, les fins de non-recevoir opposées par la Commission nationale d'aménagement commercial aux conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et L. 911-1 du code de justice administrative doivent être écartées ;

- la demande de substitution de motifs présentée en défense ne peut être accueillie alors que la commission ne précise pas quel nouveau motif serait susceptible de fonder l'avis défavorable émis le 1er octobre 2020.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 février 2021, la Commission nationale d'aménagement commercial, représentée par son président, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les conclusions de la société requérante présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative contre l'Etat sont irrecevables de même que celles tendant à ce qu'il lui soit enjoint de délivrer un avis favorable en application de l'article L. 911-1 du même code ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- l'avis défavorable opposé au projet se justifie également par le risque de friche commerciale qu'entraînerait le déplacement sur le site projeté de l'enseigne Intermarché, laquelle est déjà très présente sur la zone de chalandise, ne permettant pas d'assurer une variété de l'offre ; la galerie marchande compromet l'animation de la vie urbaine ;

- en ne prévoyant plus la mutualisation de l'espace de stationnement avec une salle de spectacle, le projet méconnaît le critère de la consommation économe de l'espace prévu par les dispositions du b) du 1° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce ; le projet ne contribue pas à la lutte contre l'artificialisation des sols ;

- l'évolution de la situation interroge à nouveau sur la compatibilité du projet avec les orientations et les objectifs du schéma de cohérence territoriale en ce qui concerne le développement du maillage commercial du centre-ville et la recherche de modes de déplacement économes en émission de dioxyde de carbone.

Par des mémoires, enregistrés les 2 avril 2021 et 20 mai 2022, la commune de Muret, représentée par son maire, a présenté des observations en réponse à la communication de la requête de la société Porte des Pyrénées.

Elle fait valoir que l'arrêté de refus opposé à la demande est la conséquence de l'avis défavorable émis par la Commission nationale d'aménagement commercial.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chabert, président,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- et les observations de Me Renaud, représentant la société Porte des Pyrénées.

Deux notes en délibéré, présentées par la société Porte des Pyrénées, représentée par la SELAS Wilhem et Associés, ont été enregistrées les 11 et 18 juillet 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 janvier 2002, le conseil municipal de Muret (Haute-Garonne) a approuvé le dossier de création de la zone d'aménagement concerté " Porte des Pyrénées ", composée notamment d'une zone commerciale. L'aménageur a confié la conception et la réalisation de cet ensemble commercial au Groupe SODEC, qui a créé la société civile immobilière Porte des Pyrénées dédiée à cette opération. Le 27 octobre 2017, cette société a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour une surface de vente de 25 295 m², composée d'un hypermarché de 6 000 m² de surface de vente, de quatorze moyennes surfaces pour un total de 17 336 m² de surface de vente, d'une galerie marchande de douze boutiques sur une surface de vente de 1 959 m² et d'un point permanent de retrait de marchandises de 1 118 m² d'emprise au sol. Par un arrêté du 4 mai 2018, le maire de Muret a refusé de délivrer le permis sollicité à la suite de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial du 29 mars 2018. Par un arrêt du 25 juin 2020 nos 18BX02537, 18BX02544, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé l'arrêté du maire de Muret au motif de l'illégalité de l'avis défavorable de la commission nationale et a enjoint d'une part, à cette commission de procéder à un nouvel examen du dossier présenté par la société Porte des Pyrénées dans un délai de quatre mois à compter de la notification de son arrêt et, d'autre part, au maire de Muret de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire. Par un avis rendu le 1er octobre 2020, la Commission nationale d'aménagement commercial s'est prononcée défavorablement sur ce projet. En conséquence, le maire de Muret, par un arrêté du 9 novembre 2020, a refusé la délivrance du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Par la présente requête, la société Porte des Pyrénées demande à la cour d'annuler cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne les motifs de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial rendu le 1er octobre 2020 :

2. Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. / Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés. ". L'article L. 752-6 du même code dispose : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire ; / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; / (...) 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche ; / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; (...) ".

3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

S'agissant de l'engagement de l'enseigne " Intermarché " de s'installer dans l'hypermarché :

4. Aux termes de l'article R. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : " I.- La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments mentionnés ci-après ainsi que, en annexe, l'analyse d'impact définie au III de l'article L. 752-6. / 1° Informations relatives au projet : / a) Pour les projets de création d'un magasin de commerce de détail : la surface de vente et le secteur d'activité ; / b) Pour les projets de création d'un ensemble commercial : / - la surface de vente globale ; / - la surface de vente et le secteur d'activité de chacun des magasins de plus de 300 mètres carrés de surface de vente ; / - l'estimation du nombre de magasins de moins de 300 mètres carrés de surface de vente et de la surface de vente totale de ces magasins ; (...) ".

5. Il est constant que le projet en litige prévoit l'accueil d'un hypermarché d'une surface de vente de 6 000 m² sur un total de 25 295 m². Le dossier actualisé par la société requérante à la suite de l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 25 juin 2020 comprend une analyse des densités commerciales de la zone de chalandise dans le secteur alimentaire mentionnant l'éventualité du transfert et de l'extension d'un magasin " Intermarché " déjà existant à Muret et exploité pour une surface de vente de 1 793 m². Ce même dossier comporte un graphique indiquant les densités commerciales en cas de transfert ou non de cette enseigne dans l'hypermarché prévu. Alors qu'aucune disposition législative ou règlementaire n'imposait à la société pétitionnaire de mentionner l'enseigne du magasin susceptible d'occuper l'hypermarché projeté, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les deux hypothèses envisagées par la société pétitionnaire en fonction de l'installation ou non d'une enseigne préexistante auraient fait obstacle à ce que la Commission nationale d'aménagement commercial puisse porter une appréciation sur la compatibilité du projet avec les objectifs énoncés par l'article L. 752-6 du code de commerce.

S'agissant de la modification du projet lors de l'examen du dossier par la commission nationale :

6. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 752-15 du code de commerce : " Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6 (...) ".

7. Il ressort des termes de l'avis défavorable du 1er octobre 2020 que la Commission nationale d'aménagement commercial s'est fondée sur un courrier du 23 septembre 2020 de la société Porte des Pyrénées adressé au maire de Muret, lui indiquant qu'elle était disposée " à supprimer du programme commercial les boutiques de moins de 300 m² de surface de vente " et qu'elle engagerait " l'ensemble des démarches nécessaires pour formaliser cette modification par le dépôt d'une demande de permis de construire modificatif " après l'obtention du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Toutefois, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la société Porte des Pyrénées aurait adressé à la commission de nouvelles pièces ou une demande tendant à la modification du projet en cours d'instruction. Dans ces conditions, les possibles modifications ultérieures du projet n'étaient pas susceptibles d'avoir une incidence sur l'appréciation que la Commission nationale d'aménagement commercial devait porter sur le seul projet qui lui était soumis. Par suite, la Commission nationale d'aménagement commercial ne pouvait légalement se fonder sur des considérations hypothétiques futures pour émettre un avis défavorable sur le dossier qui lui était soumis.

S'agissant de la différence du taux de vacance commerciale dans le centre-ville de Muret :

8. Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 752-24 du code de commerce : " Le secrétariat de la commission invite le pétitionnaire à transmettre sans délai à la commission toutes pièces susceptibles de permettre à la commission d'apprécier les effets du projet au regard des critères fixés à l'article L. 752-6. ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque la Commission nationale d'aménagement commercial estime qu'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale est incomplète, il lui appartient, non de refuser d'emblée pour ce motif l'autorisation, mais d'inviter le pétitionnaire à compléter dans cette mesure son dossier afin de combler les insuffisances constatées, puis, le cas échéant, de rejeter la demande en raison de lacunes persistantes.

9. Il ressort des pièces du dossier que la Commission nationale d'aménagement commercial a motivé son avis défavorable en relevant que la société Porte des Pyrénées n'avait fourni aucune explication claire concernant le taux de vacance commerciale brut constaté dans le centre-ville de Muret, lequel était de 21 % selon l'analyse d'impact jointe au dossier de demande initial en 2017, de 5,06 % en centre-ville et de 5,11 % sur l'ensemble du territoire selon l'analyse d'impact jointe au dossier actualisé en août 2020. Toutefois, ce même dossier actualisé précise en particulier que la réduction significative de locaux vacants en pied d'immeuble peut être la conséquence de la reprise de certains locaux difficilement exploitables pour un commerce et requalifiés en logements et de la facilitation du stationnement en ville par une gratuité partielle et l'existence de parking sous-terrain. Ces éléments proposent ainsi une explication de la diminution importante du taux de vacance commerciale dans le centre-ville de Muret et il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la commission nationale aurait sollicité, auprès de la société Porte des Pyrénées, des explications supplémentaires sur ce point. Dans ces conditions, le motif tiré de l'absence d'explication claire relative à la différence du taux de vacance commerciale ne peut justifier légalement l'avis défavorable rendu le 1er octobre 2020.

S'agissant des autres motifs de l'avis défavorable :

10. L'autorité absolue de chose jugée dont est revêtue la décision juridictionnelle définitive par laquelle la juridiction administrative annule un refus de permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale s'attache au dispositif de cette décision juridictionnelle ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire. Au nombre de ces motifs, figurent ceux par lesquels la juridiction juge que l'avis de la commission départementale ou nationale d'aménagement commercial est entaché d'une erreur d'appréciation, notamment au regard de la protection des intérêts énumérés aux articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce. L'autorité absolue de chose jugée de la décision juridictionnelle fait dans ce cas obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, la commission d'aménagement commercial compétente émette un nouvel avis défavorable ou que l'avis favorable émis soit annulé par le juge administratif, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par la décision juridictionnelle devenue définitive.

11. D'une part, par son arrêt du 25 juin 2020, devenu définitif et revêtu de l'autorité absolue de chose jugée, la cour administrative d'appel de Bordeaux s'est fondée, pour annuler l'arrêté du maire de Muret du 4 mai 2018 refusant de délivrer à la société Porte des Pyrénées un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale, notamment sur les motifs tirés de ce que la Commission nationale d'aménagement commercial avait entaché son avis d'une erreur d'appréciation en estimant que le projet porterait atteinte à l'animation de la vie urbaine. La cour a en particulier relevé que le terrain d'assiette du projet est distant de 3,7 kilomètres de l'hypercentre de la commune de Muret et qu'il se situe le long d'une voie structurante de la commune à proximité d'une zone d'activité économique et à 800 mètres au sud des premières habitations de la commune. Elle a également constaté que le projet s'insère dans un secteur destiné à accueillir un pôle commercial d'attraction supra-communale situé au sein d'une importante zone d'aménagement concerté et en continuité avec le tissu urbain bâti du centre. Enfin l'arrêt du 25 juin 2020 retient en particulier que le projet permettra de limiter une évasion commerciale importante vers les pôles de Roques et de Portet-sur-Garonne, due notamment à la faiblesse de l'offre commerciale du centre bourg en matière d'équipement de la personne et de la maison et de loisirs, dans un contexte de forte progression démographique.

12. D'autre part, la Commission nationale d'aménagement commercial fait valoir en défense que les circonstances de fait ont évolué depuis l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 juin 2020, avec la création d'un parking souterrain qui résout le problème du stationnement en centre-ville et l'implantation de nouveaux commerces dans les cellules vacantes du centre-ville de Muret. Toutefois, cette évolution des circonstances de fait tend à confirmer que le projet, en ce compris sa galerie marchande, ne sera pas de nature à porter préjudice à l'animation de la vie urbaine, la cour administrative d'appel de Bordeaux ayant constaté que le taux de vacance commerciale de 21 % affectait pour un tiers des activités de service ou de restauration non concernées par le projet, et résultait moins du jeu de la concurrence que de la vétusté des locaux commerciaux du centre-ville, de l'inadéquation de leur taille et des difficultés de stationnement sur la commune. Dans ces conditions, l'autorité absolue de chose jugée dont sont revêtus ces motifs, constituant le soutien nécessaire du dispositif de l'arrêt précité, faisait obstacle, en l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à remettre en cause la situation au vu de laquelle la cour avait statué, à ce que la Commission nationale d'aménagement commercial puisse légalement émettre un avis défavorable à ce projet en se fondant sur la localisation du projet au regard de la préservation du tissu commercial du centre-ville et du risque d'atteinte à l'animation de la vie urbaine.

En ce qui concerne la demande de substitution de motifs de la Commission nationale d'aménagement commercial :

13. L'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existante à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de recherche si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

14. En premier lieu, la Commission nationale d'aménagement commercial soutient dans son mémoire en défense que l'évolution des circonstances de fait entre 2017 et 2019, notamment par la diminution du taux de vacance dans le centre-ville de Muret et la création d'un parking souterrain, " interroge " sur la compatibilité du projet avec les orientations et les objectifs du schéma de cohérence territoriale Grande agglomération toulousaine et crée un risque d'atteinte à l'animation de la vie urbaine. Toutefois, ainsi qu'il a été relevé au point 12, ces circonstances de fait ne sont pas de nature à justifier légalement l'avis défavorable émis le 1er octobre 2020 sur le projet de la société Porte des Pyrénées. Par ailleurs, en se bornant à indiquer que l'évolution des circonstances " interroge à nouveau " sur la compatibilité du projet avec le schéma de cohérence territoriale en ce qui concerne le développement du maillage commercial du centre-ville et la recherche de modes de déplacement économes en émission de dioxyde de carbone, la commission nationale n'apporte devant la cour aucune précision complémentaire permettant d'apprécier la portée d'un tel motif pouvant justifier l'avis défavorable en litige.

15. En deuxième lieu, la Commission nationale d'aménagement commercial fait valoir que l'installation d'une enseigne " Intermarché " ne permet pas d'assurer la variété de l'offre et risque de générer une friche due à la fermeture d'un autre magasin situé sur le territoire de la commune. Toutefois et d'une part, il ressort des pièces du dossier de création de l'ensemble commercial que, dans l'hypothèse d'un tel déplacement du magasin, la commune de Muret " souhaite réaliser un parc public sur le site de l'actuel Intermarché ". D'autre part, il ressort des pièces du dossier que dans l'hypothèse où l'enseigne " Intermarché " serait retenue pour occuper l'hypermarché projeté, un autre magasin de la même enseigne situé dans la zone de chalandise serait fermé. Par suite, tant le risque de friche que celui d'atteinte à la variété de l'offre commerciale ne permettent pas de justifier l'avis défavorable émis sur le projet de la société Porte des Pyrénées.

16. En dernier lieu, la Commission nationale d'aménagement commercial soutient en défense que le parc de stationnement de l'ensemble commercial projeté ne sera pas mutualisé avec la salle événementielle et qu'en conséquence le projet ne respecte pas le critère de la consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement. Toutefois, la commission n'apporte aucun élément de nature à démontrer la réalité de ses allégations, alors d'ailleurs que son avis défavorable du 29 mars 2018 qui reprochait le manque de compacité du projet s'agissant notamment du parc de stationnement de 1 105 emplacements, a été annulé par la cour administrative d'appel de Bordeaux dans son arrêt du 25 juin 2020. Par suite, et alors que le dossier actualisé de demande de permis de construire que la société Porte des Pyrénées a prévu de créer 996 emplacements pour l'ensemble commercial, soit 109 emplacements de moins par rapport à son projet initial de 2017, ce motif n'est pas de nature à justifier légalement l'avis défavorable en litige.

17. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 14 à 16 que la demande de substitution de motifs sollicitée par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut être accueillie.

18. Pour l'application de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens de la requête de la société Porte des Pyrénées n'est, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation de l'arrêté en litige.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Porte des Pyrénées est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le maire de Muret a refusé de délivrer à la société Porte des Pyrénées un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

20. En vertu des dispositions des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial.

21. En premier lieu, la société Porte des Pyrénées sollicite, à titre principal, qu'il soit enjoint au maire de Muret de lui délivrer le permis de construire sollicité valant autorisation d'exploitation commerciale. Toutefois, l'annulation de l'arrêté de refus au motif de l'illégalité de l'avis défavorable émis le 1er octobre 2020 par la Commission nationale d'aménagement commercial implique seulement que le maire procède à une nouvelle instruction de la demande de permis de construire après réception du nouvel avis qui sera rendu par cette commission. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal par la société requérante ne peuvent être accueillies.

22. En second lieu, d'une part, la circonstance que la Commission nationale d'aménagement commercial soit chargée par l'article R. 752-36 du code de commerce d'instruire les recours dont elle est saisie ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif lui enjoigne, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une mesure dans un sens déterminé si les motifs de la décision juridictionnelle l'impliquent nécessairement. Si l'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable rendu par la Commission nationale d'aménagement commercial n'implique, en principe, qu'un réexamen du projet par cette commission, il en va autrement lorsque les motifs de l'annulation impliquent nécessairement la délivrance d'un avis favorable. La fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions présentées, à titre subsidiaire, par la société requérante tendant à ce qu'il puisse être enjoint à la commission de délivrer un avis favorable en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ne peut qu'être écartée.

23. D'autre part, les motifs d'annulation exposés précédemment, au regard tant des motifs retenus par la Commission nationale d'aménagement commercial dans son avis du 1er octobre 2020 et à la suite de son précédent avis du 29 mars 2018, que dans sa demande de substitution de motifs sollicitée dans la présente instance, impliquent nécessairement la délivrance d'un avis favorable. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la commission nationale d'émettre cet avis favorable dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et au maire de Muret de procéder au réexamen de la demande de la société Porte des Pyrénées dans un délai de deux mois suivant la réception de l'avis qui sera ainsi rendu par la commission. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

24. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la commission nationale d'aménagement commercial (...) ". Aux termes de l'article L. 752-17 du code de commerce : " I.- Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. / La Commission nationale d'aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale. En l'absence d'avis exprès de la commission nationale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial est réputé confirmé. / A peine d'irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent I est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire (...) ".

25. Il résulte de ces dispositions que l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial a le caractère d'un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, seule décision susceptible de recours contentieux, et qu'il en va ainsi quel que soit le sens de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial. Il résulte également de ces dispositions que, lorsque l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial est défavorable, le permis de construire ne peut être délivré. En conséquence, l'Etat a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir, formé par l'une des personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par la Commission nationale d'aménagement commercial aux conclusions présentées contre l'Etat par la société requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peut qu'être écartée.

26. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui a, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Porte des Pyrénées et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 9 novembre 2020 par lequel le maire de Muret a refusé de délivrer à la société Porte des Pyrénées un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de rendre un avis favorable sur le projet de la société Porte des Pyrénées dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au maire de Muret de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire de la société requérante dans un délai de deux mois suivant le nouvel avis de la Commission nationale d'aménagement commercial.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la société Porte des Pyrénées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Porte des Pyrénées est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Porte des Pyrénées, à la commune de Muret, à la Commission nationale d'aménagement commercial, à la société à responsabilité limitée Christal, à la société à responsabilité limitée Pépinières des Tropiques, à la société par actions simplifiée Urblet, à la société par actions simplifiée Paibeul, à la société par actions simplifiée Mursud et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 11 juillet 2023, où siégeaient :

- M. Chabert, président de chambre,

- M. Lafon, président assesseur,

- M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juillet 2023.

Le président-rapporteur,

D. Chabert

Le président-assesseur,

N. Lafon La greffière,

P. Calendini

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL20103


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL20103
Date de la décision : 25/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire.

Urbanisme et aménagement du territoire - Autorisations d`utilisation des sols diverses - Autorisation d`exploitation commerciale (voir : Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Denis CHABERT
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : CABINET WILHELM et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-07-25;21tl20103 ?
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