Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 6 septembre 2021 par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2105097 du 16 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 mars et 13 juillet 2022, Mme B..., représentée par Me Mazas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 novembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 septembre 2021, par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de quatre mois ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de la mesure d'obligation de quitter le territoire français ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est entaché d'une omission à statuer concernant le moyen d'erreur de droit invoqué devant le tribunal et visé par les premiers juges, tiré de ce qu'elle avait présenté une demande d'aide juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d'asile à laquelle il n'avait pas été donné suite ;
- le jugement est insuffisamment motivé, contrairement à ce qu'impose l'article 9 du code de justice administrative, dans sa réponse au moyen tiré de l'erreur de fait commise par le préfet en considérant qu'elle n'avait pas donné suite à sa demande d'aide juridictionnelle présentée le 20 mai 2019 devant la Cour nationale du droit d'asile ;
- le jugement est également entaché d'insuffisance de motivation, dans sa réponse apportée par le tribunal à ses moyens invoqués à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire et de l'interdiction de retour et tirés de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation commises par le préfet ;
- le jugement est également insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré de l'erreur d'appréciation entachant l'interdiction de retour au regard de la question de l'atteinte au droit d'asile ;
- le jugement est entaché d'irrégularité dans la mesure où, contrairement à ce qu'impose le deuxième alinéa de l'article R 741-2 du code de justice administrative, il comporte des éléments erronés dans l'analyse de ses écritures concernant la décision de fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement ;
- l'obligation de quitter le territoire est entachée d'une insuffisance de motivation compte tenu de ce qu'elle se borne à lui opposer le fait qu'elle n'avait pas donné suite à sa demande d'aide juridictionnelle auprès de la Cour nationale du droit d'asile déposée le 20 mai 2019 ;
- cette décision est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- elle est également entachée d'une erreur de droit, dès lors qu'en vertu de la jurisprudence du Conseil d'État, la présentation d'une demande d'aide juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d'asile vaut appel ;
- le préfet a à tort considéré que sa demande d'asile avait été rejetée alors qu'elle avait présenté devant la Cour nationale du droit d'asile un recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- si le préfet, en vertu de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour peut prendre une obligation de quitter le territoire à l'encontre d'un étranger en provenance d'un pays sûr alors même que la Cour nationale du droit d'asile n'a pas statué, il n'est pas, dans l'exercice de ses pouvoirs exercés sur le fondement de l'article L. 531-24 du même code pour autant en situation de compétence liée et doit exercer son pouvoir d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle, compte tenu des violences conjugales qu'elle a subies en Albanie et dès lors, qu'en cas de renvoi dans ce pays, elle serait exposée à nouveau à ces violences, alors qu'elle souffre de paralysie faciale et d'hypoacousie, et d'une symptomatologie anxio-dépressive sévère consécutive à un vécu traumatique ;
- la décision de fixation du pays de destination est entachée d'illégalité au regard de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'interdiction de retour sur le territoire est entachée d'une erreur de fait compte tenu de l'absence de prise en compte du recours qu'elle avait présenté devant la Cour nationale du droit d'asile ; elle est entachée d'une erreur d'appréciation dans la mesure où elle n'a jamais fait l'objet de mesures d'éloignement et que sa présence en France ne constitue nullement une menace pour l'ordre public ; elle porte gravement atteinte au droit d'asile, faute pour la Cour nationale du droit d'asile d'avoir statué sur son recours ;
- la suspension de l'obligation de quitter le territoire doit lui être accordée afin de pouvoir obtenir devant la Cour nationale du droit d'asile la protection à laquelle elle a droit en sa qualité de femme victime de violences conjugales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2022, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par l'appelante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 octobre 2022.
Par une décision du 25 janvier 2022, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Marseille a accordé à Mme B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.Bentolila, président-assesseur,
- et les observations de Me Lambert, représentant Mme B...
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 1er juin 1975 et de nationalité albanaise, qui est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations, en septembre 2018, a présenté, le 4 octobre 2018, une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 2 mai 2019. Le préfet de l'Hérault a décidé, le 12 juillet 2019, de prendre à son encontre une mesure d'éloignement, qui a été annulée par un arrêt rendu le 11 mai 2021 par la cour administrative de Marseille, laquelle a également enjoint le réexamen de sa situation. Par un arrêté du 6 septembre 2021, le préfet de l'Hérault a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de quatre mois. Par un jugement du 16 novembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de cet arrêté. Par la présente requête, l'intéressée relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement:
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L.542-1 et L.542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ". Aux termes de l'article L. 542-1 du même code : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. ". Aux termes de l'article L. 542-2 dudit code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) / d) une décision de rejet dans les cas prévus à l'article L. 531-24 et au 5° de l'article L. 531-27 ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 531-24 de ce code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides statue en procédure accélérée dans les cas suivants : 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr au sens de l'article L. 531-25 ; (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'étranger, qui provient, comme c'est le cas en l'espèce, d'un pays considéré comme sûr, qui demande l'asile, a le droit de séjourner sur le territoire français jusqu'à ce que la décision rejetant sa demande lui ait été notifiée régulièrement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
4.Toutefois les mêmes dispositions confèrent au préfet un pouvoir d'appréciation pour refuser, retirer ou renouveler l'attestation de demande d'asile aux étrangers, notamment, provenant d'un pays considéré comme sûr, dont la demande d'asile a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides à l'issue d'une procédure accélérée.
5. Ainsi que l'indique la fiche TelemOfpra produite par le préfet de l'Hérault en appel, Mme B... a présenté, sous le n° 20046670, le 26 novembre 2020, un recours devant la Cour nationale du droit d'asile contre la décision du 2 mai 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, lequel a fait l'objet d'un rejet, le 26 janvier 2022, qui lui été notifié le 23 février 2022. Il suit de là que l'appelante est fondée à soutenir qu'à la date à laquelle est intervenu l'arrêté litigieux, soit le 6 septembre 2021, le rejet de sa demande d'asile n'était pas devenu définitif
6. Il ne ressort pas, par ailleurs, de l'arrêté litigieux que le préfet aurait exercé son pouvoir d'appréciation sur la situation de Mme B..., qui faisait état notamment des risques de violences conjugales encourus en cas de retour en Albanie. Dans ces conditions, l'appelante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 6 septembre 2021, portant obligation de quitter le territoire.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
9. Compte tenu du motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique seulement que le préfet de l'Hérault réexamine la situation de Mme B..., dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Mazas, conseil de Mme B..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 16 novembre 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 6 septembre 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de quatre mois, est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer la situation de Mme B..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Mazas, avocate de Mme B..., la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Mazas, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2023.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22TL20807
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