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20/07/2023 | FRANCE | N°22TL20591

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 20 juillet 2023, 22TL20591


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Sous le n° 2006478, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 21 septembre 2020 par lequel la préfète du Tarn lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Sous le n° 2006717, l'intéressé a demandé à ce même tribunal d'annuler l'arrêté

du 17 décembre 2020 par lequel cette même autorité l'a assigné à résidence dans le dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Sous le n° 2006478, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 21 septembre 2020 par lequel la préfète du Tarn lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Sous le n° 2006717, l'intéressé a demandé à ce même tribunal d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2020 par lequel cette même autorité l'a assigné à résidence dans le département du Tarn pour une durée de six mois renouvelables.

Par un jugement n°s 2006478-2006717 du 26 janvier 2022 , le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés et enjoint à la préfète du Tarn de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement, de procéder au retrait de son signalement sur le système d'information Schengen et de lui restituer les actes d'état civil et les documents d'identité produits à l'appui de sa demande de titre de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 février 2022 le préfet du Tarn demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2022 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il annule la décision portant refus de titre de séjour contenue dans l'arrêté préfectoral du 21 septembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à l'annulation de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour contenue dans l'arrêté du 21 septembre 2020.

Il soutient que :

- sa requête est recevable et la seule circonstance qu'un titre de séjour est en cours de délivrance en exécution du jugement attaqué ne la prive pas de son objet ;

- le rapport d'examen technique établi par les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse du 26 décembre 2018 ne se borne pas à émettre un avis défavorable sur l'acte de naissance et l'extrait d'acte de naissance produits par M. A... à l'appui de sa demande de titre de séjour mais conclut à leur caractère contrefait de sorte que le tribunal ne pouvait juger que l'autorité préfectorale ne renversait pas la présomption de validité des actes d'état civil produits par l'intéressé ;

- le jugement supplétif valant acte de naissance dont s'est prévalu M. A... dans le cadre de l'instance devant le tribunal n'a pas été produit dans le cadre de sa demande de titre de séjour de sorte qu'il n'a pas été possible de vérifier l'authenticité de ce document produit tardivement ;

- la circonstance que la demande de placement à l'aide sociale à l'enfance de M. A... a d'abord été classée sans suite par le procureur de la République le 24 septembre 2018 avant que celui-ci bénéficie d'un placement en assistance éducative auprès de l'aide sociale à l'enfance du département du Tarn-et-Garonne démontre que sa minorité n'était pas établie, ainsi que le confirme le test osseux qui a été pratiqué ;

- l'absence de réponse des autorités maliennes à sa saisine est sans incidence sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour dès lors que les autorités maliennes ne répondent quasiment pas à de telles demandes, que la demande de M. A... était entachée de fraude et qu'elle n'était pas tenue de saisir ces autorités ;

- la carte consulaire dont se prévaut M. A... a été obtenue de manière indue sur la base de documents d'état-civil eux-mêmes dépourvus de caractère probant quant à sa date de naissance exacte tandis qu'aucune force probante particulière ne peut être attribuée, par principe, à une carte consulaire ;

- aucun des autres moyens soulevés devant le tribunal n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2022, M. A..., représenté par Me Gontier, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) de rejeter la requête du préfet du Tarn

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, à lui verser directement, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dans l'hypothèse où sa demande d'aide juridictionnelle serait rejetée.

Il soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 23 juin 2023.

Par une ordonnance du 13 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2022, à 12 heures ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre,

- et les observations de Me Gontier, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant malien, se présentant comme né le 16 septembre 2002 à Tinkaré commune de Diema (Mali), déclare être entré en France au cours de l'année 2018. Par un jugement en assistance éducative du 18 juillet 2019, la vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants près le tribunal de grande instance d'Albi a ordonné son placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de Tarn-et-Garonne jusqu'à sa majorité, soit jusqu'au 16 septembre 2020. Le 16 novembre 2020, l'intéressé a conclu un contrat dit de " jeune majeur " avec le président du conseil départemental de Tarn-et-Garonne pour la période comprise entre le 16 septembre 2020 et le 16 mars 2021. Le 27 juillet 2020, il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions alors codifiées à l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 septembre 2020, la préfète du Tarn lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un arrêté du 17 décembre 2020, cette même autorité l'a assigné à résidence dans le département du Tarn pour une durée de six mois renouvelables. Le préfet du Tarn demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 2006478 du 26 janvier 2022 en tant qu'il annule la décision portant refus de titre de séjour contenue dans l'arrêté préfectoral du 21 septembre 2020 précité.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa codification alors en vigueur : " À titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".

3. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants ". L'article L. 111-6 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". L'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger dispose que : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

5. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à M. A..., la préfète du Tarn s'est fondée sur la circonstance que l'acte de naissance et l'extrait d'acte de naissance produits par l'intéressé à l'appui de sa demande de titre de séjour sont contrefaits de sorte qu'ils ne permettent d'établir ni son identité ni son âge réel tandis que la carte consulaire dont il se prévaut a été délivrée sur la base d'actes d'état civil eux-mêmes contrefaits.

6. D'une part, contrairement à ce que soutient M. A..., l'autorité préfectorale n'est pas tenue de saisir de manière systématique les autorités étrangères d'une demande de vérification d'état civil, une telle saisine n'ayant lieu qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger. Par suite, la circonstance que les autorités maliennes n'ont pas répondu à la demande de contre-vérification des documents d'état civil de M. A... présentée par la préfète du Tarn le 14 août 2020 n'est pas, à elle-seule, de nature à ôter tout caractère probant au rapport d'examen technique établi par les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Toulouse le 26 décembre 2018, lequel ne comporte aucune réserve quant au caractère contrefait des documents d'état civil produits par l'intimé à l'appui de sa demande de titre ce séjour.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport d'examen technique documentaire du 26 décembre 2018 précité que l'acte de naissance et l'extrait d'acte de naissance produits par M. A... à l'appui de sa demande de titre de séjour présentent, au regard des documents de référence présents dans les bases de données de ce service spécialisé dans la détection de la fraude documentaire, un caractère contrefait. En particulier, selon ce rapport, les mentions pré-imprimées de l'acte de naissance et de l'extrait d'acte de naissance ont été réalisées par impression au laser toner, ce qui laisse apparaître des points parasites autour des caractères alors que les actes de naissance figurant dans la base de référence comportent des mentions pré-imprimées réalisées par impression " Off set ". De même, la numérotation de l'acte de naissance est réalisée en utilisant un tampon encreur alors que la numération du document de référence est réalisée en typographie comportant un foulage et un liseré. Par suite, la préfète du Tarn a pu estimer, sans faire une inexacte application des dispositions de l'article 47 du code civil, que les actes d'état civil produits par l'intimé étaient dépourvus de valeur probante et ainsi, renverser la présomption instituée par ces dispositions.

8. Enfin, la seule circonstance que M. A... a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Tarn par une ordonnance de la vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants près le tribunal de grande instance d'Albi du 18 juillet 2019 n'est pas de nature à établir sa minorité.

9. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et notamment de la fraude documentaire entachant l'acte de naissance et l'extrait d'acte de naissance produits par M. A... à l'appui de sa demande de titre de séjour lesquels ont, à leur tour, donné lieu à la délivrance d'une carte consulaire dépourvue, dès lors, de force probante, la préfète du Tarn n'a pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, fait une inexacte application des dispositions des articles L. 313-15 et R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en rejetant la demande de titre de séjour de M. A... au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil, de sa date de naissance et d'avoir ainsi été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et dix-huit ans.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués devant le tribunal :

11. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour en litige vise les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à la situation de M. A..., en particulier les dispositions des articles R. 311-2-2 et L. 313-15 et celles de l'article L. 511-1 du même code dans leur codification alors en vigueur, ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, et mentionne l'ensemble des éléments relatifs à la situation administrative, personnelle et familiale de l'intéressé. Elle précise la date d'arrivée en France de l'intéressé et indique, d'une part, que l'intimé, célibataire et sans enfant, n'est en mesure de justifier ni de son âge réel ni de son placement à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de 18 ans en raison des contrefaçons entachant les documents d'état civil produits à l'appui de sa demande de titre de séjour, d'autre part, qu'il ne justifie d'aucune circonstance humanitaire ou de motifs exceptionnels justifiant son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. La décision en litige, qui contient l'ensemble des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, est, dès lors, suffisamment motivée.

12. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". L'article L. 122-1 du même code dispose que : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ".

13. Dès lors que la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour a été prise sur demande de M. A..., le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire préalable est inopérant. Par suite, l'intéressé ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions des articles L. 121-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration.

14. D'autre part, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

15. Lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa codification alors en vigueur, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de sa charte des droits fondamentaux. Ce droit n'implique toutefois pas l'obligation, pour le préfet, d'entendre l'étranger spécifiquement au sujet de l'obligation de quitter le territoire français qu'il envisage de prendre après avoir statué sur le droit au séjour à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans le cadre de l'instruction de sa demande de titre de séjour, M. A... n'a pas été mis en mesure de présenter des observations, écrites ou orales, en complément de sa demande de titre ni qu'il aurait sollicité, en vain, un entretien avec les services préfectoraux. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision en litige a été prise en violation du droit de M. A... à être entendu doit être écarté.

16. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de la motivation exhaustive de l'arrêté en litige, que l'autorité préfectorale se serait abstenue de procéder à un examen particulier de la situation de M. A....

17. En quatrième lieu, lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

18. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit aux points 3 à 10, M. A... n'a pas été en mesure de justifier de son identité et de son état civil à l'appui de sa demande de titre de séjour, en méconnaissance de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur, il n'est pas fondé à soutenir que l'autorité préfectorale a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur codification applicable au litige.

19. En cinquième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 116-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 47 du code civil et de l'article 1er du décret du 24 janvier 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux retenus aux points 3 à 10 du présent arrêt.

20. En sixième lieu, aux termes du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa codification alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ". L'article L. 313-14 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".

21. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code. Il est toutefois loisible au préfet d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement d'une autre disposition du code. Il lui est aussi possible, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient dès lors qu'aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d'un étranger en lui délivrant un titre de séjour, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle. En revanche, lorsque le préfet, statuant sur la demande de titre de séjour, examine d'office si l'étranger est susceptible de se voir délivrer un titre sur un autre fondement, tous les motifs de rejet de la demande, y compris donc les motifs se prononçant sur les fondements examinés d'office par le préfet, peuvent être utilement contestés devant le juge de l'excès de pouvoir.

22. Il ressort de la demande de titre de séjour présentée en préfecture le 27 juillet 2020 que M. A... a sollicité son admission au séjour en se prévalant de sa prise en charge après 16 ans au titre de l'aide sociale à l'enfance et de la conclusion d'un contrat d'apprentissage tandis qu'il ressort des termes de l'arrêté en litige que la préfète du Tarn s'est bornée à examiner son droit au séjour sur le seul fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur, à l'exclusion de tout autre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 314-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant.

23. En septième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

24. M. A... se prévaut de la présence en France depuis plus de deux ans à la date de l'arrêté en litige, de son placement auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département de Tarn-et-Garonne entre 16 et 18 ans par un jugement en assistance éducative du 18 juillet 2019 et du sérieux avec lequel il prépare un certificat d'aptitude professionnelle portant la mention " monteur en installation sanitaire ". Il indique, en outre, que ses repères éducatifs et familiaux se trouvent désormais en France où il a développé ses attaches professionnelles et sociales grâce à son implication dans sa formation, son insertion au sein de la famille d'accueil qui l'accompagne au quotidien et de la conclusion d'un contrat " jeune majeur " avec le département de Tarn-et-Garonne. Il précise, enfin, donner toute satisfaction à la société qui l'emploie dans le cadre de son contrat d'apprentissage. Toutefois, par ces éléments, l'intéressé ne peut être regardé comme ayant tissé en France des liens privés, familiaux et professionnels tels qu'il aurait vocation à bénéficier d'une admission exceptionnelle au séjour. À l'inverse, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France de manière récente, en 2018, qu'il ne justifie ni de son identité ni de son état civil et qu'il n'est pas dépourvu d'attaches au Mali où résident sa mère, son frère et sa sœur. Dès lors, en refusant l'admission exceptionnelle au séjour de M. A..., la préfète du Tarn n'a pas porté au droit de l'intimé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis et n'a, dès lors, ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur la situation personnelle de M. A....

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Tarn est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 21 septembre 2020 en tant qu'il refuse la délivrance d'un titre de séjour à M. A.... Dès lors, la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse doit être rejetée en tant qu'elle tend à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour contenue dans l'arrêté préfectoral du 21 septembre 2020. Il en est de même, par voie de conséquence, des conclusions présentées par l'intéressé en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE:

Article 1 : Le jugement n° 2006478 du 26 janvier 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse et les conclusions qu'il a formulées en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Gontier, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Tarn.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juillet 2023.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL20591


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20591
Date de la décision : 20/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : GONTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-07-20;22tl20591 ?
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