La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2023 | FRANCE | N°21TL22635

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 27 juin 2023, 21TL22635


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Voies Navigables de France a déféré au tribunal administratif de Toulouse, comme prévenu d'une contravention de grande voirie, M. A... B..., en raison des dégradations infligées par sa péniche au domaine public fluvial.

Par un jugement n° 1907013 du 20 avril 2021, le tribunal administratif de Toulouse a relaxé M. B... des fins de la poursuite.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2021, au greffe de la cour administrative d'appel

de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Voies Navigables de France a déféré au tribunal administratif de Toulouse, comme prévenu d'une contravention de grande voirie, M. A... B..., en raison des dégradations infligées par sa péniche au domaine public fluvial.

Par un jugement n° 1907013 du 20 avril 2021, le tribunal administratif de Toulouse a relaxé M. B... des fins de la poursuite.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juin 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique, enregistré le 31 mars 2023, l'établissement Voies Navigables de France, représenté par Me Vray, demande :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 20 avril 2021 ;

2°) de condamner M. B... au paiement de la somme de 200 euros au titre de l'action publique et au versement d'une somme de 1 514 euros au titre des frais de remise en état de l'ouvrage public endommagé ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'appartenait pas à l'agent assermenté de rechercher si d'éventuelles causes exonératoires pouvaient lui être opposées par le contrevenant et notamment de contrôler le fonctionnement de la borne d'arrêt d'urgence et de l'interphone ni de consulter la vidéo de l'éclusage ;

- le contrevenant qui n'établit pas que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure, ne peut être déchargé de l'obligation de réparer l'atteinte portée au domaine public fluvial ; l'amarrage et les manœuvres dans le sas d'une écluse sont de la responsabilité du conducteur, conformément à l'article 27 du règlement particulier de la police de la navigation intérieure sur l'itinéraire du canal des Deux-Mers et ses embranchements ;

- il ressort de l'expertise diligentée par son assureur que le mauvais positionnement de la péniche dans l'écluse, et, en particulier, le non-respect du radier matérialisé par une ligne blanche de peinture blanche, constitue la cause directe du glissement du bateau ayant provoqué les dommages subis par l'ouvrage ; le défaut d'amarrage n'apparaît pas comme une cause directe et exclusive de ce dommage ; le contrevenant est un navigateur expérimenté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2022, M. B..., représenté par Me Normand, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'établissement Voies Navigables de France une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la mission d'un agent assermenté consiste en la constatation de l'ensemble des éléments matériels ; tant le fonctionnement de la borne d'arrêt d'urgence et de l'interphone que la consultation de la vidéo, faisaient partie des éléments qui entraient dans le champ de contrôle de l'agent ;

- l'absence de surveillance et le défaut d'intervention adéquate de l'éclusier est constitutif d'un défaut de fonctionnement normal de l'écluse ; en application de l'article 27 du règlement particulier de police de la navigation intérieure sur l'itinéraire du canal des Deux-Mers et ses embranchements, l'éclusier avant de lancer la manœuvre, s'assure que tous les bateaux présents dans le sas sont amarrés et que le mouvement des portes de l'écluse ne présente aucun danger ; il ressort du rapport d'expertise que le visionnage de la vidéo de l'éclusage démontre que la péniche n'était pas correctement amarrée ; cette circonstance aurait dû conduire l'éclusier, s'il avait rempli son devoir de surveillance, à ne pas lancer la bassinée ;

- si la borne d'appel d'urgence était en état de fonctionnement, une personne ne serait pas remontée sur le quai pour appuyer sur le bouton d'urgence, comme le montre le rapport d'expertise, ce qui a eu pour effet d'alerter l'éclusier et de stopper la manœuvre ; la preuve de l'état de fonctionnement de l'arrêt d'urgence n'est pas apportée puisque sa demande d'essai du dispositif a été refusée ;

- l'ensemble des témoignages produits démontrent que l'ouvrage a dysfonctionné.

Par une ordonnance du 17 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 avril 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- l'arrêté inter-préfectoral du 22 septembre 2017 portant règlement particulier de police de la navigation intérieure sur l'itinéraire du canal des Deux-Mers et ses embranchements ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Vray, représentant Voies navigables de France.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 juin 2019 à 11 h 30, l'agent assermenté de l'établissement public Voies navigables de France, a relevé par procès-verbal que le bateau ..., immatriculé ..., appartenant à M. B..., demeurant ... à Toulouse, avait dégradé les portes gauche et droite de l'écluse Bayard, à Toulouse, ainsi que déformé deux tiges de vantelles de celle-ci au moment de son passage le jour même. Selon le procès-verbal, ces faits sont constitutifs d'une contravention de grande voirie réprimée par les dispositions de l'article L. 2132-8 du code général de la propriété des personnes publiques. Voies Navigables de France relève appel du jugement du 20 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de condamnation de M. B... et l'a relaxé de toute poursuite.

Sur la faute de Voies Navigables de France :

2. Aux termes de l'article L. 2132-8 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut : 1° Dégrader, détruire ou enlever les ouvrages construits pour la sûreté et la facilité de la navigation et du halage sur les cours d'eau et canaux domaniaux ou le long de ces dépendances ; (...) Le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros. Il doit supporter les frais de réparations et, en outre, dédommager les entrepreneurs chargés des travaux à dire d'experts nommés par les parties ou d'office ".

3. Lorsque le juge administratif est saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie, il ne peut légalement décharger le contrevenant de l'obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu'au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure. Il en va notamment ainsi lorsque l'administration a elle-même placée l'intéressé dans l'impossibilité de prévenir le dommage ou que l'atteinte portée au domaine public résulte de sa faute pourvu que dans ce dernier cas, à raison de sa gravité, celle-ci soit assimilable à la force majeure.

4. D'autre part, aux termes de l'article A 4241-53-30 du code des transports réglementant le passage aux écluses : " (...) 7. Dans les écluses : a) Si des limites sont indiquées sur les bajoyers, les bateaux se tiennent entre ces limites ; b) Pendant le remplissage et la vidange du sas et jusqu'au moment où la sortie est autorisée, les bateaux sont amarrés et la manœuvre des amarres est assurée de manière à empêcher tout choc contre les bajoyers, les portes et les dispositifs de protection ou contre les autres bateaux ; (...) e) Dès que le bateau est amarré et jusqu'au moment où la sortie est autorisée, il est interdit de faire usage des moyens mécaniques de propulsion. (...) 12. En vue d'assurer la sécurité et le bon ordre de la navigation, la rapidité du passage des écluses ou la pleine utilisation de celles-ci, le personnel chargé de la manœuvre des écluses peut donner des instructions complémentaires ainsi que des instructions dérogatoires aux dispositions du présent article. Les bateaux doivent se conformer, dans les écluses et dans les garages d'écluses, à ces instructions. Les instructions visées au présent alinéa peuvent également être données par un système électronique mis en œuvre par le gestionnaire. (...) 13. Les règlements particuliers de police définissent, le cas échéant, les conditions de manœuvre des ouvrages. Ils peuvent également déroger, selon les conditions locales, à l'interdiction de faire usage des moyens mécaniques de propulsion visée à l'alinéa 7, lettre (e). (...) ".

5. Aux termes de l'article 27 de l'arrêté inter-préfectoral du 22 septembre 2017 portant règlement particulier de police de la navigation intérieure sur l'itinéraire du canal des Deux-Mers et ses embranchements : " L'amarrage et les manœuvres des amarres dans le sas sont de la responsabilité du conducteur. Aux écluses automatisées, le conducteur ou un équipier déclenche la manœuvre des ouvrages ou actionne éventuellement le bouton rouge d'urgence par intervention sur les commandes mises à sa disposition. Avant de lancer la manœuvre, la personne qui la lance s'assure que tous les bateaux présents dans le sas sont amarrés et que le mouvement des portes de l'écluse et des vannes ne présente aucun danger (...) ".

6. S'agissant de l'écluse de Bayard, il résulte de l'instruction qu'elle est commandée à distance, grâce à la présence de trois caméras sur site, par un agent de Voies Navigables de France posté au poste central de commande de l'écluse du Béarnais. Comme a pu l'indiquer la chef de subdivision de Haute-Garonne dans la cadre de l'expertise du 27 juin 2019 diligentée par la société d'assurances de M. B..., le cycle de l'éclusage est lancé par l'agent après s'être assuré au moyen des caméras sur site que le navire est amarré et sans attendre de consignes de la part de son équipage. Il en résulte que le lancement des opérations d'éclusage est sous la responsabilité de l'agent de Voies Navigables de France à qui il appartient, avant de les déclencher, de contrôler au moyen des caméras sur site, que le bateau présent dans le sas est complètement et correctement amarré. Le navigant a la possibilité d'enclencher une manœuvre de secours en appuyant sur le bouton d'arrêt d'urgence bassinée, présent sur la borne d'appel. Il peut également être mis en relation avec un agent de Voies Navigables de France en pressant le bouton téléphonique sur cette même borne.

7. Le rapport d'expertise du 26 septembre 2019 diligentée par la société d'assurances de l'appelant indique que, le 25 juin 2019, lors du passage de l'écluse de Bayard à Toulouse vers 10 h 30, la poupe de la péniche " ... " appartenant à M. B... est restée suspendue dans l'écluse et s'est posée sur le mur du radier béton. La péniche a ensuite glissé vers l'avant et a endommagé les vantaux de l'aval de l'écluse. Le sinistre est survenu vers 10 h 40.

8. Cette expertise indique que le visionnage du film des caméras de surveillance placées sur l'écluse fait apparaître qu'à 10 h 35, soit cinq minutes à peine après l'entrée de la péniche de M. B... dans le sas de l'écluse de Bayard, les vantelles aval de l'écluse s'ouvrent et l'eau de l'écluse se vide. Or, à la même minute, l'expert relève que le film montre, d'une part, que M. B..., s'apercevant du problème de positionnement de la péniche, tente, sans succès, de détacher l'amarre arrière gauche, installée autour des bollards à 10 h 32 et, d'autre part, qu'aucune amarre n'est fixée à l'avant de la péniche. Ainsi, alors qu'il était parfaitement visible que M. B... tentait de corriger le problème de positionnement de la péniche et que les manœuvres d'amarrage de l'équipage n'étaient ni complètes ni achevées, l'opérateur a néanmoins déclenché les opérations d'éclusage. Le déclenchement prématuré des opérations d'éclusage par l'agent de Voies Navigables de France est corroboré par les témoignages des membres de l'équipage de M. B.... Il en résulte que le défaut de contrôle de l'agent de l'administration des manœuvres d'amarrage et sa précipitation dans le déclenchement des opérations d'éclusage a mis l'équipage de M. B... dans l'impossibilité de prendre les mesures d'amarrage propre à éviter le dommage.

9. De plus, il ressort de cette expertise et des témoignages produits par l'appelant que l'un des membres de l'équipage de M. B... s'est précipité vers la borne d'appel d'urgence à 10 h 37 pour appuyer à plusieurs reprises sur le bouton d'arrêt et, faute d'arrêt des opérations d'éclusage, a appuyé sur l'interphone. Alors que cette personne certifie que le bouton de l'interphone ne fonctionnait pas et que l'expert indique ne pas pouvoir confirmer que le système d'appel d'urgence fonctionnait correctement à l'heure du sinistre, soit à 10 h 35 puisque le relevé des alarmes fourni par Voies Navigables de France ne fait apparaître un appel depuis la borne d'alarme qu'à 10 h 53, la chef de la subdivision de Haute-Garonne a refusé, dans le cadre de l'expertise du 27 juin 2019, d'effectuer un essai de ce dispositif. En outre, l'équipage n'est pas parvenu à entrer en contact avec l'éclusier via l'interphone mais en l'appelant par téléphone grâce au numéro indiqué sur l'interphone. |À cet égard, contrairement à ce que relève l'expertise du 26 septembre 2019, l'échange de numéros de téléphone n'apporte pas la preuve du fonctionnement de la phonie. S'agissant du fonctionnement de l'interphone, l'expertise du 27 juin 2019 ne certifie d'ailleurs pas qu'il était fonctionnel. Enfin, les tests effectués au cours de cette expertise ont mis en évidence que les haut-parleurs situés sur le quai ne fonctionnent pas. Dans ces conditions, le système d'appel d'urgence et d'interphone doit être regardé comme n'étant pas en état de fonctionnement au moment du dommage. Compte tenu du dysfonctionnement des dispositifs de secours et d'urgence mis en place par Voies Navigables de France, M. B... et son équipage ont été placés dans l'impossibilité d'interrompre les opérations d'éclusage déclenchées de manière prématurée et, par suite, d'éviter la survenue du dommage.

10. Il en résulte que tant le défaut de contrôle de l'agent de Voies navigables de France des manœuvres d'amarrage que sa précipitation dans le déclenchement des opérations d'éclusage, présentent le caractère d'une négligence fautive assimilable à un cas de force majeure, exonératoire de la responsabilité de M. B.... Quant au dysfonctionnement des dispositifs de secours et d'urgence, il constitue un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure, également exonératoire de sa responsabilité.

11. Il en résulte que Voies Navigables de France n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a relaxé M. B... de toute poursuite.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Voies Navigables de France tendant à leur application, M. B... n'étant pas la partie perdante à l'instance.

13. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Voies Navigables de France une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de l'établissement Voies Navigables de France est rejetée.

Article 2 : L'établissement Voies Navigables de France versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public de l'État à caractère administratif Voies Navigables de France et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL22635


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL22635
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

24-01-03-01-02 Domaine. - Domaine public. - Protection du domaine. - Contraventions de grande voirie. - Cause exonératoire.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : VRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-06-27;21tl22635 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award