Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Béziers (Hérault) à lui verser la somme de 262 266,80 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2019, en réparation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge dans cet établissement le 19 juillet 2017 et de mettre à la charge de l'établissement les entiers dépens ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Dans la même instance, la mutualité sociale agricole Grand Sud a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Béziers à lui verser la somme de 203 052,94 euros euros en remboursement de ses débours et de lui régler les frais futurs sur présentation des factures ou, subsidiairement, de réserver ses droits au titre des frais futurs, ainsi que la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n°1904581 du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier de Béziers à verser à M. B... la somme de 138 022 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2019 et à verser à la caisse de mutualité sociale agricole Grand Sud la somme de 318 856,83 euros ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, a mis les frais et honoraires d'expertise à la charge définitive du centre hospitalier de Béziers ainsi qu'une somme de 1 500 euros à verser à M. B... et une somme de 1 500 euros à verser à la mutualité sociale agricole en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 mai 2021, puis un mémoire enregistré le 1er juillet 2021 sous le n°21MA02046 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 sous le n°21TL02046 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et des mémoires enregistrés les le 29 septembre 2021 et le 28 avril 2023, le centre hospitalier de Béziers, représenté par Me Le Prado, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n°1904581 du 29 mars 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de ramener les indemnités allouées à M. B... et à la caisse de mutualité sociale agricole Grand Sud à de plus justes proportions ;
3°) de rejeter l'appel incident de M. B....
Il soutient que :
- le rapport d'expertise judiciaire ne retient pas la nécessité d'aménager le logement et le devis fourni ne permet pas d'établir le bien-fondé de la demande d'indemnisation de frais de logement adapté ;
- il n'est pas établi que M. B... n'ait pas perçu d'aide financière au titre de la tierce personne alors que ces sommes doivent venir en déduction des sommes susceptibles de lui être allouées en réparation de son handicap ;
- c'est à tort que le déficit fonctionnel temporaire a été indemnisé par l'allocation d'une somme de 8 300 euros à partir d'une base journalière excessive de 20 euros ;
- c'est à tort que le tribunal a indemnisé le déficit fonctionnel permanent à hauteur de 73 000 euros sur la base de 50% en indiquant qu'il s'agit du taux retenu par l'expert, lequel l'a évalué à 40% ;
- l'indemnisation de 9 600 euros allouée en réparation du préjudice esthétique temporaire et permanent est excessive ;
- c'est à tort que les premiers juges ont procédé à la capitalisation des dépenses de santé futures au profit de la mutualité sociale agricole, qui n'avait pas été demandée par la caisse et qu'il n'a pas acceptée ; en outre, le tribunal a calculé la capitalisation des dépenses de santé futures sur le barème publié par la Gazette du palais 2020 ; or les organismes de sécurité sociale doivent obligatoirement présenter leurs créances en se fondant sur le barème issu de l'arrêté du 27 décembre 2011 modifié, de sorte que ce barème ne pouvait être utilisé ; la caisse ne justifie pas par ailleurs le caractère certain de ces dépenses qui n'ont pas été chiffrées ;
- le montant accordé au titre de la pension d'invalidité ne permet pas de savoir si le montant de la rente versée au titre de l'accident de travail dont il a été victime en 2014 en a bien été exclu alors qu'il n'est pas en lien avec l'intervention de 2017 ;
- l'assiette de recours de la caisse de mutualité sociale agricole en ce qui concerne la réparation de l'incapacité permanente de travail aurait dû être de 8 000 euros après l'application du taux de perte de chance ;
- il n'a pas été fait application des principes d'imputation poste par poste, de priorisation au bénéfice de la victime et de limitation du recours de la caisse à la dette du centre hospitalier au vu de la perte de chance retenue qui implique que tout au plus le reliquat des dépenses de santé et de la perte de gains professionnels et de l'incidence professionnelle est susceptible d'être mis à la charge du centre hospitalier ;
- c'est à tort que la perte de gains professionnels actuels a été indemnisée à hauteur de 9 037,60 euros ; il n'est pas possible de procéder à une comparaison permettant de retenir l'existence de perte de gains professionnels avec les seuls les avis d'imposition 2018 et 2019 ;
- il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'une perte de gain professionnels actuels, la pension d'invalidité versée à M. B... ayant entièrement réparé les pertes de gain professionnel actuel de 11 927 euros ; le principe comme le montant de ce poste ne peut ouvrir droit à réparation en l'absence de justificatifs probants ;
- M. B... ne justifie pas les résultats de l'exploitation ni les pertes de gains professionnels au titre des années 2020 à 2022 ; le lien de causalité entre la cession et le préjudice ne peut être regardé comme présentant un caractère direct, certain et exclusif ;
- l'intéressé souffrait d'une pathologie antérieure invalidante consistant en une artériopathie sévère des membres inférieurs avec claudication des membres inférieurs prédominant à gauche dès 80 mètres et ne démontre pas être définitivement privé de la possibilité d'exercer une activité professionnelle adaptée à son état ; M. B... a perçu une rente d'invalidité supérieure à 10 000 euros, ramenée à 8 000 euros pour tenir compte de la perte de chance, de sorte que son incidence professionnelle a été réparée ;
- seul le surcoût en lien avec les aménagements spécifiques du véhicule peut être mis à la charge de l'établissement ; M B... n'apporte pas la preuve qu'il aurait passé un permis de conduire handicapé attestant qu'il est en capacité de conduire et qu'il est propriétaire d'un véhicule automobile ; il bénéficie de la prestation de compensation du handicap pour aide/véhicule transport pour la période du 1er septembre 2018 au 31 août 2023 dont on ne connait pas toutefois le montant et qui doit venir en déduction des sommes susceptibles d'être mises à la charge de l'hôpital ;
- M B... réclame une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'agrément avant sa perte de chance, et il a été fait droit à sa demande en lui octroyant une indemnité de 4 000 euros ;
-l'indemnisation des souffrances endurées à hauteur de 16 000 euros avant application du taux de perte de chance n'est pas insuffisante.
Par des mémoires en défense enregistrés le 10 août 2021 et le 19 janvier 2023, M. A... B..., représenté par Me Montepini, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête, à la réformation du jugement en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction s'agissant de l'évaluation de ses préjudices, à la condamnation du centre hospitalier de Béziers à lui verser une somme de 262 266,80 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2019 et de leur capitalisation à compter du 23 mai 2020 et demande qu'une somme de 4 500 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Béziers en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la responsabilité du centre hospitalier et l'évaluation du taux de perte de chance de M. B... de conserver l'intégrité anatomique et neurologique des membres inférieurs ne sont pas contestées ;
- au regard de son âge à la date de consolidation et du point de 2.320 retenu, le déficit fonctionnel permanent de 40% doit être évalué à 92 800 euros ;
- le déficit fonctionnel temporaire a duré 11 mois et justifie une indemnisation à hauteur de 690 euros par mois soit une indemnité de 7 590 euros ; sa période d'incapacité temporaire partielle, de 50% durant 3 mois, soit 690 euros par mois, justifie une indemnisation de 1 035 euros ;
- le taux journalier de 13 euros applicable aux frais d'assistance d'une tierce personne ne doit pas être confondu avec la base d'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire qui n'est jamais inférieure à 20 euros ;
- l'expert a retenu un préjudice esthétique temporaire et un préjudice esthétique permanent de 3,5 sur une échelle allant de 1 à 7 qui doit être évalué par le versement d'une somme de 22 000 euros ;
- ses souffrances endurées, évaluées à 5 sur une échelle allant de 1 à 7, justifient le versement d'une somme de 30 000 euros ;
- il ne peut plus s'adonner à une quelconque activité de promenade en nature ou aux activités qu'il affectionnait, de sorte que son préjudice d'agrément doit être évalué à la somme de 5 000 euros ;
- l'incidence professionnelle doit être évaluée à 22 000 euros, il a été contraint de cesser son activité de viticulteur et ne peut espérer une reconversion professionnelle alors qu'il aurait pu travailler jusqu'à sa retraite à la fin de l'année 2022 ;
- ses avis d'imposition sur les revenus 2018 et 2019 montrent un déficit de 10 264 euros et 1 033 euros, correspondant à une perte de gains professionnels actuels d'un montant de 11 927 euros ;
- la perte de ses gains professionnels futurs, suite à l'arrachage de 2 hectares7 de vignes dont il était propriétaire et la cessation de l'exploitation de 4 hectares 87 en fermage, est à l'origine d'une perte annuelle de 38 864 euros, soit 116 592 euros de perte de revenus durant les 3 ans précédant sa retraite ;
- il a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de 4 heures par semaine du 16 juin 2018 au 6 septembre 2018, soit un montant de 624 euros compte tenu du salaire horaire brut minimum interprofessionnel de croissance augmenté des charges sociales ;
- il aura également besoin d'une assistance tierce personne de 2 heures par semaine à titre viager, soit un montant de 1 352 euros par an pour un total de 104 heures ; compte tenu de son âge au moment de la consolidation, de la valeur du point de 15,581 euros, et alors qu'il n'a jamais bénéficié d'une aide du département au titre de l'assistance tierce personne, son préjudice à titre viager est de 21 065,51 euros ;
- les frais d'aménagement de son véhicule se sont élevés à 2 580 euros toutes taxes comprises ;
- il est contraint de se déplacer en fauteuil roulant ou avec des béquilles, son logement n'est pas adapté à une personne en situation de handicap ; il doit procéder au remplacement de sa porte d'entrée mais n'a pas eu les ressources nécessaires pour faire exécuter les travaux dont il a accepté le devis à hauteur de 2 250 euros toutes taxes comprises.
Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2021, la mutualité sociale agricole Grand Sud, représentée par la Selarl Clément, Malbec Conquet, demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Béziers à lui verser les sommes de 162 442,35 euros en remboursement de ses débours après capitalisation et application du taux de perte chance au titre des frais actuels, ainsi que de 162 469,80 euros après capitalisation et application du taux de perte de chance au titre des frais futurs et à défaut, lui régler les frais futurs sur présentation des factures, ainsi que le versement de 1 098 euros correspondant à l'actualisation de l'indemnité forfaitaire de gestion, ainsi qu'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le centre hospitalier ne conteste pas sa responsabilité ni l'évaluation du taux de perte de chance ;
- elle a engagé des dépenses de santé d'un montant de 203 052,94 euros ainsi qu'elle le justifie par le décompte du 23 février 2021, de sorte que c'est à bon droit que les dépenses de santé actuelles ont été fixées à 203 052,94 euros, soit 162 442,35 euros après application du taux de perte de chance ;
- M. B... a bénéficié d'indemnités journalières durant 3 ans jusqu'au 18 juillet 2020, date à compter de laquelle il a bénéficié d'une pension d'invalidité ; celle-ci ne comprend pas une éventuelle rente versée au titre d'un accident de travail antérieur ;
- elle va devoir engager des dépenses de santé futures dont elle demandait qu'elles soient réservées et indemnisées au réel des frais engagés ; elle a produit un décompte précis des frais futurs, dont la capitalisation a été calculée par partir de l'arrêté du 27 décembre 2011 modifié, soit un total de 203 087,24 euros et 162 469,80 euros après application du taux de perte de chance ; si sa demande n'est pas regardée comme ayant sollicité la capitalisation des frais futurs, le centre hospitalier doit être condamné à lui rembourser ces frais sur présentation des justificatifs de dépenses.
Par une ordonnance du 2 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 mai 2023 à 12h.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L.376-1 et L 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Montepini représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été hospitalisé le 19 juillet 2017 au centre hospitalier de Béziers pour la réalisation d'une ablation du lobe pulmonaire à la suite de la découverte d'un nodule. Il était par ailleurs atteint d'une artériopathie sévère des membres inférieurs. La thorascopie envisagée n'ayant pas permis la réalisation de l'ablation, une thoracotomie et un curage ganglionnaire ont été réalisés, lesquels ont été suivis d'un choc hémorragique quelques heures après l'intervention. Une intervention de reprise a alors été pratiquée dans l'après-midi pour l'exécution d'une thoracotomie d'exploration d'hémostase, suivie d'une ischémie sévère du membre inférieur droit. La nouvelle intervention réalisée le 22 juillet 2017 n'a pas permis la revascularisation, conduisant le 23 juillet 2017 à une amputation de la cuisse droite et un pontage croisé fémoro-fémoral avec aponévrotomies de la jambe gauche. Par un jugement du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier de Béziers à verser à M. B... la somme de 138 022 euros et à verser à la caisse de mutualité sociale agricole Grand Sud une somme de 318 856,83 euros ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Le centre hospitalier de Béziers relève appel de ce jugement en tant qu'il a évalué les dépenses de santé actuelles à la somme de 203 052,94 euros, qu'il a fixé le montant à verser à la mutualité sociale agricole Grand Sud au titre de la pension d'invalidité à la somme 16 315,28 euros, qu'il a capitalisé les frais futurs de dépenses, qu'il a accordé une somme au titre des frais d'aménagement du logement, et a évalué à 227 889 euros les frais futurs d'assistance par une tierce personne. Par la voie de l'appel incident, M. B... demande qu'il soit fait intégralement droit à l'indemnisation de ses préjudices. La mutualité sociale agricole Grand Sud demande le versement de la somme de 162 442,35 euros en remboursement de ses débours, après capitalisation et application du taux de perte chance, au titre des frais de santé actuels et de la somme de 162 469,80 euros, après capitalisation et application du taux de perte de chance, au titre des frais futurs, ainsi que l'actualisation de l'indemnité de gestion.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le principe de responsabilité et la perte de chance :
2. L'artérite particulièrement sévère dont souffrait M. B... imposait une surveillance à intervalle régulier de l'état clinique de ses membres inférieurs. Cette surveillance spécifique a fait défaut du 21 juillet 2017 à 16h00 au 22 juillet 2017 à 8h00, ce qui a conduit à poser tardivement le diagnostic de l'ischémie. Il est constant que ce retard de diagnostic est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Béziers. Compte tenu de l'état antérieur de M. B..., il est également constant que ce retard de diagnostic est à l'origine d'une perte de chance de 80 % pour le patient de conserver l'intégrité anatomique et neurologique de ses membres inférieurs. La réparation qui incombe au centre hospitalier de Béziers doit ainsi être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de cette chance perdue.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des dépenses de santé :
Quant aux dépenses de santé actuelles :
3. La mutualité sociale agricole Grand Sud justifie avoir exposé des frais médicaux et pharmaceutiques d'un montant de 82 719,37 euros, des frais d'appareillage et de prothèses d'un montant de 1 704,14 euros, des frais de transport d'un montant de 2 591,13 euros, des frais d'hospitalisation du 27 juillet au 1er septembre 2017, du 22 janvier au 25 janvier 2018, le 8 février 2018, du 20 au 22 février 2018 et du 17 au 19 avril 2018, relatifs à des soins dont la nature et les dates coïncident avec le besoin de prise en charge du patient décrit dans le rapport d'expertise, résultant de la faute imputable au centre hospitalier, d'un montant de 69 760,93 euros, soit un montant total de 156 775,57 euros en lien avec la faute du centre hospitalier. Compte tenu du taux de perte de chance de 80 % retenu, il y a lieu d'allouer à l'organisme social la somme de 125 420,45 euros au titre de ses dépenses de santé actuelles.
Quant aux dépenses de santé futures :
4. Eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord.
5. Le centre hospitalier de Béziers n'a pas donné son accord au versement d'un capital représentatif des frais futurs en première instance, ni en appel. La mutualité sociale agricole Grand Sud, qui s'était bornée à demander en première instance que ses frais futurs soient réservés et indemnisés au réel des frais engagés, n'avait d'ailleurs pas sollicité la capitalisation de ces frais. Elle justifie devoir exposer des dépenses de consultation, de soins et d'appareillage et en produit une estimation prévisionnelle s'élevant à un montant annuel de 10 218,74 euros, et sollicite le versement d'une somme totale de 203 087,24 euros. Dans ces conditions et en l'absence d'accord du centre hospitalier de Béziers pour le versement d'un capital représentatif, il y a lieu de mettre ces frais à la charge de l'établissement sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés, dans la limite des conclusions de la caisse, soit la somme de 162 469,80 euros après application du taux de perte de chance.
S'agissant du préjudice économique :
Quant à la perte de gains professionnels temporaires :
6. Il résulte de l'instruction que de la date de l'accident au 18 juillet 2020, M. B... a subi des pertes de revenus qui peuvent être évaluées à 32 579 euros en prenant en compte son revenu annuel moyen de 11 170 euros tel qu'il ressort de sa pension d'invalidité. Eu égard au taux de perte de chance retenu, ce préjudice doit être fixé à 26 063,2 euros. La mutualité sociale agricole Grand Sud lui a versé au cours de cette période des indemnités journalières d'un montant total de 29 962,05 euros. Par suite, le préjudice résultant pour l'intéressé la perte de gains professionnels a été intégralement réparé par l'organisme social. Il suit de là que M. B... ne peut réclamer aucune somme à ce titre et qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 26 063,2 euros à verser à l'organisme social au titre des indemnités journalières qu'il a servies à M. B....
Quant à la perte de gains professionnels futurs :
7. Aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme " . Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.
8. Pour se conformer aux règles énoncées, il appartient aux juges du fond de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par la victime en raison des fautes commises par le centre hospitalier entraîne des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnent lieu au versement d'une pension d'invalidité. Pour déterminer dans quelle mesure ces préjudices sont réparés par la pension, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subit pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes est inférieur au capital représentatif de la pension. Dès lors qu'il a été définitivement jugé que les fautes commises par le centre hospitalier engageaient son entière responsabilité, le montant intégral des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle doit être mis à sa charge et la victime doit se voir allouer, le cas échéant, une somme correspondant à la part de ces postes de préjudice non réparée par la pension, évaluée, le solde étant versé à la caisse.
9. Il résulte de l'instruction que M. B..., qui était âgé de 57 ans à la date de l'intervention de 2017, conserve un déficit fonctionnel permanent au taux de 40%, qu'il ne peut plus exercer son métier de viticulteur en raison de son handicap et qu'une reconversion professionnelle est difficilement envisageable. L'organisme social a estimé que l'intéressé était atteint au 19 juillet 2020 d'une invalidité justifiant une inaptitude totale et lui a attribué à compter de cette date une pension d'invalidité d'un montant de 16 315,28 euros. Cette pension d'invalidité ne comprend aucune somme au titre de l'accident de travail dont M. B... a été victime en 2014. Par suite, le centre hospitalier de Béziers n'est pas fondé à soutenir que le montant d'une rente d'accident du travail doit être déduit des sommes versées à l'organisme social.
10. Au regard de l'artériopathie sévère dont souffrait l'intéressé avant son accident médical avec apparition de claudication des membres inférieurs prédominant à gauche dès 80 mètres, compte tenu de son âge, de la nature et de l'ampleur de son incapacité, il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle en la fixant à 20 000 euros, soit 16 000 euros après perte de chance. Ce montant étant inférieur à celui de la pension d'invalidité que la caisse a versé à M B..., le préjudice résultant pour l'intéressé de l'incidence professionnelle a été intégralement réparé par l'organisme social. Il suit de là que M. B... ne peut réclamer aucune somme à ce titre et qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 16 000 euros à verser à l'organisme social au titre de la pension d'invalidité qu'il a servie à M. B....
11. Si M B... soutient avoir subi un préjudice distinct de l'incidence professionnelle réparé selon les modalités indiquées au point 10 et correspondant à une perte de gain professionnels futurs en raison de l'arrachage de 2 hectares 7 de vignes dont il est propriétaire et de la cessation de l'exploitation de 4 hectares 87 ares de vignes qu'il détient en fermage, entraînant pendant trois années une perte de récolte annuelle de 347 hectolitres de vin bénéficiant de l'appellation d'origine " Corbières Languedoc ", dont le prix de vente est estimé à 112 euros par hectolitre, il n'établit pas la réalité de ce préjudice.
S'agissant des frais de logement adapté :
12. Il résulte de l'instruction que la porte d'entrée de la maison de M. B... est ancienne et particulièrement lourde. L'intéressé se déplaçant avec deux béquilles ou avec un fauteuil roulant, l'accès à son domicile est rendu difficile. Alors même que le rapport d'expertise ne l'a pas expressément mentionné, le remplacement de cette porte est nécessaire à la réparation du préjudice de l'intéressé. Dans ces conditions, au vu du devis produit qui suffit à justifier de la réalité des dépenses à engager, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 2 250 euros, soit 1 800 euros après application du taux de perte de chance.
S'agissant des frais de véhicule adapté :
13. M B... sollicite le versement d'une somme de 2 580 euros au titre des frais d'aménagement de son véhicule. Eu égard au taux de perte de chance retenu, ce préjudice doit être fixé à 2 064 euros. Il résulte de l'instruction que M B... est bénéficiaire de la prestation de compensation du handicap pour véhicule/ transport du 1er septembre 2018 au 31 août 2023 et que le département de l'Aude lui a versé à ce titre une somme de 2 310 euros. Par suite, le préjudice a été intégralement réparé. Il suit de là que M. B... ne peut réclamer aucune somme à ce titre.
S'agissant des frais d'assistance par une tierce personne :
14. Aux termes de l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles : " I. - Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France métropolitaine (...) et dont le handicap répond à des critères définis par décret (...) a droit à une prestation de compensation qui a le caractère d'une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces. / (...) ". Aux termes de l'article L. 245-3 du même code : " La prestation de compensation peut être affectée (...) à des charges : / 1° Liées à un besoin d'aides humaines y compris, le cas échéant, celles apportées par les aidants familiaux ; (...)3° Liées à l'aménagement du logement et du véhicule de la personne handicapée, ainsi qu'à d'éventuels surcoûts résultant de son transport ; (...) ".
Quant à la période passée :
15. En premier lieu, l'expert a évalué à quatre heures par semaine le besoin d'une assistance à tierce personne sans spécialisation particulière pour l'aide à l'entretien de la maison et des courses pour la période du 16 juin 2018 au 6 septembre 2018, soit un total de 48 heures. Sur la base d'un taux horaire de 13 euros compte tenu des cotisations dues par l'employeur et des majorations pour travail de dimanche, jours fériés et congés payés, ces frais doivent être fixés à 624 euros. Au regard du taux de perte de chance retenu, le poste de préjudice correspondant aux frais d'assistance par une tierce personne avant consolidation doit être fixé à 499 euros.
16. En second lieu, le besoin d'une assistance à tierce personne a été évalué par l'expert à 2 heures par semaine après consolidation. Si le centre hospitalier de Béziers soutient que les aides financières versées par le département doivent venir en déduction des sommes susceptibles d'être allouées à M B... en réparation de son handicap, il résulte de l'instruction que la prestation de compensation du handicap servie par le département de l'Aude à M. B... a pour objet de couvrir l'aménagement de son véhicule et /ou les surcoûts liés aux transports et n'a pas vocation à couvrir les frais d'assistance à tierce personne. La circonstance que l'intéressé soit susceptible de solliciter le bénéfice de cette prestation pour ses besoins en aide humaine est sans incidence sur le montant de l'indemnité. Sur la même base horaire de 13 euros et d'une durée de 412 jours soit 62 semaines pour tenir compte des majorations pour le travail de dimanche, des congés payés et des jours fériés, le montant annuel des frais d'assistance doit être fixé à 1 612 euros, soit 7 839 euros pour la période du 7 septembre 2018 au 20 juin 2023, date du présent arrêt. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, ce poste de préjudice doit être fixé à 6 271 euros après consolidation.
Quant à la période à venir :
17. A compter du 21 juin 2023, il y a lieu de convertir ce montant annuel en un capital en appliquant un barème de capitalisation de 21,018 correspondant à un âge de 62 ans (Gazette du palais édition 2020) soit un montant de 33 881 euros. Les frais futurs d'assistance à tierce personne doivent ainsi être fixés à 27 104,8 euros compte tenu du taux de perte de chance retenu.
En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
18. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. B... a subi un déficit temporaire total du 19 juillet 2017 au 15 juin 2018 duquel il faut soustraire 8 jours d'hospitalisation et un mois d'arrêt de travail usuel pour une intervention de chirurgie thoracique et un déficit temporaire partiel de classe 3 au taux de 50 % du 16 juin 2018 au 6 septembre 2018. Il y a lieu de ramener à 5 600 euros l'évaluation de ce chef de préjudice. Le déficit fonctionnel temporaire doit ainsi être fixé à 4 480 euros compte tenu du taux de perte de chance retenu.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
19. L'expert a retenu un déficit fonctionnel permanent de 40 % en raison de l'amputation au tiers moyen d'une cuisse appareillée. Compte tenu de ce taux et de l'âge de M B... à la date de la consolidation, il y a lieu de ramener ce préjudice à la somme de 65 000 euros. Le déficit fonctionnel permanent doit ainsi être fixé à 52 000 euros après application du taux de perte de chance.
S'agissant des souffrances endurées :
20. M. B... a enduré des souffrances importantes, en lien direct et certain avec la faute médicale, liées aux nombreuses interventions chirurgicales qu'il a dû subir et au retentissement psychologique de l'amputation. Ces souffrances ont été évaluées par l'expert à 5 sur une échelle allant de 1 de 7. Le préjudice peut être justement évalué à la somme de 16 000 euros, soit 12 800 euros après application du taux de perte de chance.
S'agissant du préjudice esthétique :
21. M. B... a subi un préjudice esthétique temporaire, pendant une période d'une année environ, résultant de son apparence altérée pendant son séjour en réanimation, du port d'une prothèse et de l'usage de béquilles pour se déplacer, ainsi qu'un préjudice esthétique permanent, évalué par l'expert à 3,5 sur une échelle allant de 1 à 7, résultant de la présence de multiples cicatrices et de la nécessité de porter un releveur au pied gauche et d'une prothèse de jambe. Il y a lieu de ramener à 10 000 euros ce préjudice. Compte tenu du taux de perte de chance, ce préjudice doit être fixé à 8 000 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
22. Il résulte de l'instruction que M. B..., a subi un préjudice d'agrément résultant de la fatigabilité lors de la marche à pied et de l'impossibilité de pratiquer certaines activités de loisirs. Ce préjudice peut être justement évalué à la somme de 5 000 euros, soit 4 000 euros après application du taux de perte de chance.
23. Il résulte de ce qui précède que la somme que le centre hospitalier de Béziers doit être condamné à verser à M. B... doit être ramenée à 116 954,8 euros. Le montant des indemnités dues par l'établissement à la mutualité sociale agricole Grand Sud est fixé à la somme de 162 442,35 euros réclamée par la caisse. Les frais de dépenses de santé futures seront mis à la charge du centre hospitalier de Béziers sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés, dans la limite des conclusions de la caisse, soit la somme de 162 469,80 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
24. M. B... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 116 954,8 euros à compter du 23 mai 2019, date de réception par le centre hospitalier de Béziers de sa demande indemnitaire préalable et à leur capitalisation à compter du 23 mai 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
25. En application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2020 susvisé, il y a lieu de porter à 1 098 euros la somme due par le centre hospitalier de Béziers à la mutualité sociale agricole Grand-Sud, qui a obtenu en appel la majoration des indemnités qui lui sont dues au titre des prestations à servir à M. B..., au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
26. Les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Béziers la somme que M. B... demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier de Béziers une somme de 1 500 euros à verser la mutualité sociale agricole Grand Sud en application de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La somme que le centre hospitalier de Béziers est condamné à verser à M. B... est ramenée à 116 954,8 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2019 et de leur capitalisation à compter du 23 mai 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier de Béziers est condamné à verser à la mutualité sociale agricole Grand-Sud est ramenée à 162 442,35 euros. Le centre hospitalier de Béziers remboursera à la mutualité sociale agricole Grand-Sud les frais de dépenses de santé futures à raison du dommage subis sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés, dans la limite des conclusions de la caisse, soit la somme de 162 469,80 euros.
Article 3 : La somme que le centre hospitalier de Béziers est condamné à verser à la mutualité sociale agricole Grand-Sud au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à 1 098 euros
Article 4 : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n°1904581 du 29 mars 2021 du tribunal administratif de Montpellier sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le centre hospitalier de Béziers versera à la mutualité sociale agricole Grand-Sud une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions de M B... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Béziers, à M. A... B... et à la caisse de mutualité sociale agricole Grand-Sud.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.
La rapporteure,
C. Arquié
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21TL02046