Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société d'assurances Axa France Iard à lui payer la somme totale de 664 181,21 euros toutes taxes comprises en réparation des préjudices subis, et notamment celui résultant des désordres relatifs au lot n° 4 " pierres agrafées " du marché public de travaux relatif à la construction de la médiathèque André Malraux pour un montant de 543 180 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au double taux légal à compte de la date de la déclaration du sinistre et de leur capitalisation à chaque date anniversaire.
Par un jugement n° 1805011-1805015 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier a, notamment, condamné la société d'assurances Axa France Iard à verser à la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée la somme de 7 860 euros toutes taxes comprises.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 septembre 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée, représentée par Me Gaspar, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 juillet 2021 en tant qu'il n'a condamné la société Axa France Iard qu'à lui verser la somme de 7 860 euros toutes taxes comprises au lieu de la somme de 664 181,21 euros toutes taxes comprises ;
2°) de condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 656 321,21 euros toutes taxes comprises en réparation des chefs de préjudices non indemnisés par les premiers juges, augmentée des intérêts au double du taux légal à compter de la date de la déclaration du sinistre et de leur capitalisation à chaque date anniversaire ;
3°) de mettre à la charge de la société Axa France Iard une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est fondée à mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de son assureur pour méconnaissance de ses obligations contractuelles au titre de la garantie de la police d'assurance dommages qu'elle avait souscrite ; dans le cadre d'une telle garantie couvrant les dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du code civil, la survenance d'un désordre de nature décennale a pour effet d'entraîner la garantie de l'assureur ; or, les désordres qu'elle a dénoncés présentaient un caractère décennal et étaient imputables aux constructeurs ;
- l'expertise judiciaire a conclu que les désordres affectant les pierres agrafées portaient atteinte à la sécurité des personnes ; cette atteinte rendant l'ouvrage impropre à sa destination elle caractérise le caractère décennal des désordres, qui est de nature à entraîner la condamnation de la société Axa France Iard ; il importe peu que la cause des désordres réside, même partiellement, dans l'utilisation faite par des tiers ;
- par ailleurs, dès lors que la médiathèque était édifiée au cœur du tissu urbain et universitaire de la ville, les règles de l'art imposaient à la maîtrise d'œuvre d'adapter la conception de l'ouvrage à ses contraintes environnementales et elle devait, en particulier, prendre en compte la présence de joueurs de ballons et planches à roulette et autres activités de ce genre ; s'agissant notamment de toutes les ruptures de pierres, l'expert a clairement identifié les responsables de ce désordre et leurs parts respectives de responsabilité ;
- le rapport préliminaire de l'expert de la société Axa France Iard ne lui ayant pas été notifié avant la prise de position de cette société sur les garanties du contrat, cette dernière ne peut plus contester sa garantie ;
- la force majeure et la faute de la victime qui sont les seules causes exonératoires de la responsabilité des constructeurs, ne sont pas caractérisées en l'espèce ; le fait du tiers n'est pas de nature à les exonérer de leur responsabilité ;
- elle est en droit de réclamer une indemnité de 543 180,00 euros toutes taxes comprises pour les désordres affectant les pierres agrafées ; elle est également en droit d'obtenir le remboursement des travaux conservatoires qui présentent un lien direct avec les désordres dénoncés pour un montant de 13 321,21 euros ; le contrat d'assurance dommages-ouvrage souscrit prévoyait enfin la prise en charge du préjudice immatériel.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 novembre 2022 et le 15 mars 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Axa France Iard, représentée par Me Jonquet, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la cause du désordre ne relève pas de la construction mais d'une cause étrangère consistant en une utilisation inadéquate des lieux ;
- elle établit avoir adressé le rapport préliminaire de l'expert en produisant son courrier de notification avant d'avoir notifié sa position de garantie ; elle a parfaitement respecté son délai contractuel de soixante jours pour notifier sa position sur la garantie ; en tout état de cause, même si elle avait notifié le rapport de l'expert le même jour que sa position de garantie, les termes du contrat ne prévoyant aucune sanction ni garantie automatique, la garantie ne pourrait être considérée comme acquise ;
- les préjudices invoqués ne sont pas justifiés.
Par une ordonnance du 21 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 21 décembre 2022 à 12 heures.
Un mémoire a été présenté le 23 mars 2023 pour la société Wilmotte et associés et M. A....
Un mémoire a été présenté le 30 mars 2023 pour la société Socotec.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Touboul, représentant la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée et celles de Me Rigeade, représentant la société Axa France Iard.
Considérant ce qui suit :
1. En 2002, la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée a engagé la construction de la médiathèque centrale André Malraux. Elle a souscrit, le 28 novembre 2006, une police d'assurance dommages-ouvrage auprès de la société d'assurances Axa France Iard pour la réalisation de ce bâtiment. Moins d'une année après la réception des travaux, des désordres sont apparus avec de nombreux et importants éclats au niveau des pierres et des fixations sur les pierres agrafées. Le 8 juillet 2010, le mandataire du maître de l'ouvrage a adressé à la compagnie d'assurance Axa une déclaration de sinistre portant sur ce bâtiment, laquelle, le 15 septembre suivant, refusait de garantir le désordre au motif qu'il provenait d'une cause accidentelle étrangère à la chose endommagée. Le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, par une ordonnance n° 1203508 du 12 septembre 2012, désigné un expert, à la demande de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée. L'expert a remis son rapport le 14 avril 2016. La communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 juillet 2021 en tant qu'il n'a condamné la société Axa France Iard qu'à lui verser la somme de 7 860 euros toutes taxes comprises au lieu de la somme de 664 181,21 euros toutes taxes comprises réclamée.
Sur la responsabilité contractuelle :
2. En premier lieu, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 242-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque l'assureur ne respecte pas l'un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal ". Aux termes des articles 5.4 et 5.5 du contrat d'assurance conclu entre la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée et la société Axa France Iard, qui reprend les clauses-types prévues par l'article A. 243-1 du code des assurances dans sa rédaction alors en vigueur : " Dans un délai maximum de soixante jours courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, l'assureur, sur le vu du rapport préliminaire établi par l'expert et préalablement communiqué à l'assuré, notifie à celui-ci sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties du contrat ; / (...) lorsque l'assureur ne respecte pas l'un des délais prévus à l'article 5.4, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, par écrit soit contre récépissé, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal ". Il résulte de ces dispositions et stipulations que l'assureur a l'obligation de notifier le rapport préliminaire d'expertise préalablement à sa prise de position sur le principe de l'indemnisation. À défaut, il ne peut plus refuser sa garantie, notamment en contestant la nature des désordres déclarés par l'assuré.
3. Il résulte de l'instruction que la société Axa France Iard a adressé, le 14 septembre 2010, le rapport du cabinet Avitech ayant réalisé l'expertise préliminaire à la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée avant l'envoi, le 15 septembre 2010, de son courrier de refus de mettre en jeu la garantie en ce qui concerne les fissurations des pierres agrafées en façades. Par suite, la société d'assurance n'a pas méconnu son obligation de notifier le rapport préliminaire d'expertise à la communauté d'agglomération préalablement à sa position de principe sur la prise en charge des désordres.
4. En second lieu, d'une part, en application de l'article L. 242-1 du code des assurances, une personne publique peut souscrire une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du code civil. Aux termes de l'article 3.2 du contrat d'assurance en litige, les dommages couverts par la garantie sont ceux qui soit, " compromettent la solidité des ouvrages constitutifs de l'opération de construction, " soit, " affectent lesdits ouvrages dans l'un de leurs éléments constitutifs ou l'un de leurs éléments d'équipement, les rendent impropres à leur destination ", soit, " affectent la solidité de l'un des éléments d'équipement indissociables des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert, au sens de l'article 1792-2 du code civil ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 1792-1 du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. / Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ".
6. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. En pareil cas, la cause des désordres doit être regardée comme étrangère aux missions de ce constructeur.
7. Il résulte de l'instruction que la médiathèque, objet de la garantie d'assurance dommages-ouvrage, a été édifiée en centre-ville de Béziers, en lieu et place de la caserne Duguesclin, au fond de la place du 14 juillet, intégrée dans le futur espace Duguesclin composé également d'une esplanade et de promenades piétonnes. Cet ouvrage avait vocation à constituer le point d'activité dominant, ouvert à l'ensemble de la population de l'agglomération et à structurer un ensemble urbain composé d'équipements réalisés ou en cours de réalisation tels que des équipements et restaurant universitaires, groupe scolaire, CIRDOC. En outre, étant située au fond de la place du 14 juillet, la médiathèque était envisagée comme un point de passage sur la voie reliant l'université vers la ville.
8. En ce qui concerne les désordres et malfaçons apparus sur les pierres de parement extérieures de la médiathèque, il résulte, d'une part, du rapport d'expertise que ces désordres concernaient certaines pierres au niveau de leurs fixations par agrafes. Quelques-unes avaient été cassées transversalement en partie centrale ou en étoile sur un angle. D'autres comportaient des traces d'impact de ballons, avaient été rayées, élimées ou comportaient des traces de caoutchouc de bandages de roues de skateboard ou de roues de vélos et de motos. D'autre part, ce rapport relevait que la sécurité des personnes était en jeu, en raison de la chute ou du risque de chute de tout ou partie de pierres cassées ou épaufrées. Ainsi, ces désordres, qui présentaient un risque pour la sécurité du public, notamment des passants sur la place publique, étaient de nature à rendre impropre l'ouvrage à sa destination.
9. En ce qui concerne les causes de ces désordres, le rapport d'expertise indiquait que les impacts sur les pierres traduisaient des chocs violents de ballons qui ne pouvaient qu'être à l'origine et/ou contribuer à la survenance des désordres allégués. L'expert insistait sur l'absence de prise en considération par la maîtrise d'œuvre des contraintes extérieures, telles que les activités susceptibles de se tenir aux abords du bâtiment, définies par les normes, les usages et coutumes qui correspondent à la réalité des situations rencontrées et de façon pragmatique avec l'usage reconnu notamment de vélo et de jeux de ballons. Il en concluait que le parement en pierres agrafées n'avait pas été adapté aux conditions d'utilisation du bâtiment, qui n'étaient pas excessives ou inadaptées pour la réalisation de ce projet.
10. Toutefois, les " contraintes extérieures " pointées par le rapport d'expertise n'avaient pas été spécifiées à la maîtrise d'œuvre par le maître de l'ouvrage et ne correspondaient pas à l'utilisation normale du bâtiment. Dans ces conditions, la cause des désordres apparus sur les pierres de parement extérieur de la médiathèque ne peut pas être rattachée aux missions assignées aux concepteurs du projet et doit, dès lors, être regardée comme présentant le caractère d'une cause étrangère de nature à les exonérer de leur responsabilité. Par suite, la garantie assurance dommages-ouvrage souscrite par la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée ne pouvait être mise en jeu au titre de ces désordres.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier n'a condamné la société Axa France Iard qu'à lui verser la somme de 7 860 euros toutes taxes comprises au lieu de celle de 551 040 euros toutes taxes comprises.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
12. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée relatives aux intérêts et à leur capitalisation sur les sommes dues par la société Axa France Iard, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'expertise :
13. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de mettre à la charge définitive de la compagnie d'assurance Axa France Iard la totalité des frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 28 266,34 euros toutes taxes comprises, arrêtés par l'ordonnance de taxation du président du tribunal administratif de Montpellier du 26 avril 2016.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée présentées sur leur fondement, la société Axa France Iard n'étant pas la partie perdante.
15. Il y a lieu, dans les circonstances, de l'espèce de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée est rejetée.
Article 2 : La communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée versera à la société Axa France Iard une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération de Béziers Méditerranée et à la société Axa France Iard.
Copie en sera adressée pour information à la société Wilmotte et associés, M.A... Pierre-François, à la société Sterling Quest Associates venant aux intérêts de David Langdon, à la Sasu DRME, à la Sarl Pierre Carrelage et Marbre, à la société Socotec, à la société Fernandez Proceram et à la société Viaterra ex Sebli .
Délibéré après l'audience du 4 avril 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2023.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL03906