Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'assurance mutuelle Groupama Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'État à lui verser la somme de 1 282 797,05 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident de circulation subi par son assuré, M. A..., le 13 octobre 2016.
Par un jugement n° 1900579 du 12 mars 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 avril 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 18 octobre 2022, la société Groupama Méditerranée, représentée par Me Martinez, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 12 mars 2021 ;
2°) de condamner l'État, sur le fondement de la responsabilité pour faute dans l'organisation du service, à lui verser la somme de 25 321 281,83 euros correspondant au préjudice subi en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administration est compétente pour connaître des conclusions indemnitaires ayant pour fondement la faute de l'État dans l'organisation du service public d'hébergement des élèves internes ;
- elle a intérêt à agir en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de M. A... conformément à l'article L. 121-12 du code des assurances ;
- l'insuffisance de surveillance d'élèves internes, de nature à leur permettre de fuir leur établissement sans difficulté, caractérise un défaut d'organisation du service de nature à engager la responsabilité pour faute de l'État ;
- le lien de causalité entre la faute de surveillance et la fugue concomitante à l'accident de circulation est établi dès lors que les élèves n'auraient pas pu quitter l'établissement si, d'une part, la surveillance avait été effective et si, d'autre part, le portail était resté fermé ainsi que le prescrit le règlement, s'y ajoute l'absence d'appel à 22 heures ; les manquements de l'établissement ont nécessairement concouru à faciliter la fugue des internes à l'origine de l'accident de circulation ;
- s'agissant des circonstances de l'accident de circulation, il ressort du rapport médico-légal du 26 octobre 2017 que Mme D... était ceinturée ; le rôle causal de l'état des pneumatiques et des conditions météorologiques dans la réalisation de l'accident doit être minimisé ;
- elle justifie avoir versé à la tutrice légale de Mme D... la somme de 25 321 281,83 euros à titre d'indemnité définitive suivant procès-verbal de transaction régularisée le 10 mars 2022 ;
- à titre subsidiaire, en cas de partage de responsabilité, le préjudice qu'elle subit ne saurait être inférieur à 25 % du montant de la somme réclamée au principal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les éléments invoqués par l'appelante ne révèlent pas un défaut d'organisation du service ; pour caractériser un défaut de surveillance des élèves, il doit être tenu compte de leur âge, de leurs caractéristiques et de leur comportement ; si la surveillante n'a certes pas procédé à l'appel, prévu par le règlement intérieur à 22h00, des jeunes filles âgées de plus de quinze ans, ne présentant aucune difficulté particulière, elle avait cependant vu les deux jeunes filles aller se coucher dans leur chambre vers 20h30 ; si une faute devait être retenue au titre de cet élément, elle ne serait pas constitutive d'une faute dans l'organisation du service et l'agent de surveillance en cause relève du ministre chargé de l'éducation nationale ; en outre, le portail de l'exploitation, situé près de l'internat, n'était pas fermé le jour de l'accident parce qu'il était défectueux depuis quelques jours ; cette panne temporaire ne révèle pas un dysfonctionnement du service public de l'enseignement ; les systèmes d'alarme installés dans le bâtiment sont davantage destinés à prévenir une intrusion qu'à empêcher une personne de sortir ;
- à supposer même que soit établi un dysfonctionnement du service public, il ne serait pas pour autant la cause directe du préjudice ; la faute de surveillance est sans lien avec les préjudices subis par Mme D..., ayant pour cause principale et directe l'accident de voiture provoqué par M. A... ;
- si une faute de l'État était retenue, sa responsabilité devrait être partagée pour tenir compte de celle du conducteur et de la faute de la victime qui était particulièrement déterminée à faire cette sortie en se soustrayant sciemment à la surveillance établie malgré l'interdiction de sa mère et des tentatives de dissuasion de ses camarades d'internat ; Mme D..., qui avait 17 ans au moment des faits, disposait d'un discernement suffisant et ne pouvait ignorer les conséquences de ses actes ;
- la transaction de nature contractuelle ne produit d'effets qu'entre les parties et non à l'égard des tiers ; en application de l'article 2051 du code civil, qui prévoit expressément l'inopposabilité des transactions aux tiers, l'appelante ne peut opposer à l'État les transactions passées avec Mme D... auxquelles il n'était pas partie.
Par une ordonnance du 30 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 janvier 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code civil ;
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 2016-696 du 27 mai 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Martinez, représentant la société Groupama Méditerranée.
Considérant ce qui suit :
1. Dans la nuit du 12 au 13 octobre 2016, Shanez D..., élève interne du lycée d'enseignement général et technique agricole François Pétrarque à Avignon, a quitté l'internat sans autorisation avec une camarade pour participer à une soirée. À 3 h 40 du matin, elles ont été victimes d'un grave accident de la circulation en tant que passagères du véhicule conduit par M. C... A.... La société Groupama Méditerranée, assureur du conducteur, a, en application de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, indemnisé Mme D... au titre des frais engagés pour un montant de 515 100 euros et au titre du capital de rente viagère pour un montant de 21 280 664,78 euros. Elle a, en outre, versé à sa caisse de sécurité sociale, au titre de sa créance provisoire, une somme d'un montant de 767 697,05 euros. La société Groupama Méditerranée relève appel du jugement du 12 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 1 282 797,05 euros en réparation des conséquences dommageables de l'accident de circulation survenu le 13 octobre 2016 impliquant le véhicule conduit par son assuré M. A....
Sur les conclusions indemnitaires :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ". L'assureur qui bénéficie de la subrogation instituée par les dispositions susvisées de l'article L. 121-12 du code des assurances dispose de la plénitude des droits et actions que l'assuré qu'il a dédommagé aurait été admis à exercer à l'encontre de toute personne tenue, à quelque titre que ce soit, de réparer le dommage ayant donné lieu au paiement de l'indemnité d'assurance. Cette voie de droit est ouverte à l'assureur de la victime mais aussi, comme en l'espèce, à l'assureur de l'auteur du dommage qui justifie avoir payé une indemnité à la victime en exécution du contrat d'assurance. Il se trouve ainsi subrogé dans les droits et actions de la personne indemnisée dans la limite du paiement effectué et peut alors exercer un recours subrogatoire contre les tiers, co-auteurs du dommage.
3. Il en résulte que la société Groupama Méditerranée, en qualité d'assureur du conducteur du véhicule impliqué dans l'accident de circulation de Mme D... et ayant, à ce titre, indemnisé cette dernière, est en droit d'exercer un recours indemnitaire contre un éventuel co-responsable, dans les conditions de droit commun et dans la limite de la part de responsabilité encourue par ce dernier à l'égard de la victime.
4. D'autre part, le défaut de surveillance des élèves par les agents d'encadrement est susceptible de caractériser l'existence d'un défaut d'organisation du service lorsque les règles fixées par le règlement intérieur de l'établissement ont été méconnues par ces agents.
5. Le règlement de l'internat du lycée François Pétrarque dont Mme B... D... avait pris connaissance et avait accepté les termes le 1er septembre 2016, prévoit que sauf autorisation parentale, les élèves internes ont l'obligation de dormir à l'internat du lundi soir au jeudi soir inclus. En outre, ce règlement fixe un créneau d'étude obligatoire de 19h30 à 21h30 porte ouverte pour les élèves de première et terminale, la fermeture de l'internat et l'extinction des feux à 22h00. Une note relative au règlement intérieur de l'internat établie par le proviseur de ce lycée impose aux personnels d'encadrement d'effectuer plusieurs appels des internes, notamment à 21h40 à la fin de la pause et à 22h00 au moment du coucher et de vérifier dans la soirée la présence des élèves dans leur chambre.
6. Il résulte de l'instruction que Mme B... D..., victime de l'accident de circulation survenu dans la nuit du mercredi 13 octobre 2016, impliquant M. A..., assuré de la société appelante, a, en dépit du refus d'autorisation de sortie de sa mère, quitté l'internat vers 21h30 en compagnie d'une autre camarade pour participer à une soirée à Avignon. Pour échapper à la vigilance de la surveillante et lui faire croire qu'elles étaient dans leur chambre, les deux jeunes filles se sont souhaité bonne nuit devant elle vers 20h00-20h30. Elles ont également tiré avantage de l'absence régulier d'appel effectué à 22h00 par la surveillante pour quitter l'internat vers 21h15-21h30 par le portail qu'elles savaient ouvert. Dès lors, si la surveillante a pu légitimement s'abstenir de vérifier dans la nuit la présence de Mme D... dans sa chambre, aucune circonstance n'était de nature cependant à la dispenser d'effectuer l'appel des internes à 22h00 qui aurait permis de constater l'absence des deux jeunes filles. Cette absence d'appel des internes à 22h00 en méconnaissance du règlement intérieur est constitutive d'une faute dans l'organisation du service.
7. Toutefois, il résulte de l'instruction que les préjudices subis par Mme D... ont pour cause certaine et directe l'accident de la circulation routière survenu le 13 octobre 2017 à 3h40 en conséquence de la perte de contrôle du véhicule par son conducteur. La faute dans l'organisation du service retenue au point précédent, qui ne portait pas en elle la survenue du dommage, est dépourvue de lien de causalité avec l'accident.
8. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Groupama Méditerranée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'État n'étant pas la partie perdante à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Groupama Méditerranée est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupama Méditerranée et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2023.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL01420