La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2023 | FRANCE | N°21TL01684

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 21 février 2023, 21TL01684


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Ila a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la délibération du 24 septembre 2019 par laquelle le conseil municipal d'Agde a retiré la délibération n° 24 du 28 juin 2016 relative à l'échange de parcelles entre la commune et la société civile immobilière Kawai, la société civile immobilière Serguier-Malortigue et elle-même et, d'autre part, la décision implicite de rejet née le 6 janvier 2020 du silence gardé par l'administratio

n sur sa demande du 31 octobre 2019, reçue le 6 novembre 2019, visant à inscrire à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Ila a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la délibération du 24 septembre 2019 par laquelle le conseil municipal d'Agde a retiré la délibération n° 24 du 28 juin 2016 relative à l'échange de parcelles entre la commune et la société civile immobilière Kawai, la société civile immobilière Serguier-Malortigue et elle-même et, d'autre part, la décision implicite de rejet née le 6 janvier 2020 du silence gardé par l'administration sur sa demande du 31 octobre 2019, reçue le 6 novembre 2019, visant à inscrire à l'ordre du jour du prochain conseil municipal la question relative au retrait de la délibération du 24 septembre 2019.

Par un jugement n° 2000972 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mai 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la société par actions simplifiée Ila, représentée par Me Valette-Berthelsen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 mars 2021 ;

2°) d'annuler la délibération du conseil municipal d'Agde du 24 septembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Agde la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les parcelles OC 0040 et OC 0088, objet de l'échange sur lequel porte la délibération retirée du 28 juin 2016, n'appartiennent pas au domaine public communal ; en effet, en application de l'article L. 2211-1 du code général de la propriété des personnes publiques, l'intégration des biens au domaine public doit procéder d'un acte d'affectation et d'une détermination à l'usage du public et ne peut résulter d'un simple usage ou de la seule ouverture au public ; les équipements publics installés sur les parcelles litigieuses sont limités et dégradés et ne peuvent donc être regardés comme des aménagements au sens des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques ; en lui délivrant un permis de construire conforme aux prescriptions d'urbanisme, la commune a reconnu que la parcelle, assiette de cette autorisation, ne faisait aucunement partie de son domaine public ;

- la délibération attaquée du 24 septembre 2019 portant retrait de la délibération du 28 juin 2016 méconnaît les dispositions de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration ; conformément à ces dispositions, la délibération du 28 juin 2016 était une décision créatrice de droits, qui ne pouvait être retirée que pour un motif d'illégalité et dans un délai de quatre mois suivant son édiction ; en effet, cette délibération identifiait précisément le nom des coéchangistes et indiquait, d'une part, l'objet des cessions échangées, à savoir les parcelles concernées, leurs références cadastrales et leurs surfaces respectives et, d'autre part, le montant de la soulte ; de plus, cette délibération portant échange de terrains constitutifs d'une dépendance du domaine privé n'était assortie d'aucune condition ; or, son illégalité n'est pas établie par la commune d'Agde et son retrait au-delà du délai de quatre mois suivant son édiction, est tardif.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 avril 2022 et le 31 janvier 2023, la commune d'Agde, représentée par Me Crétin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des appelants une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les parcelles communales cadastrées OC 40 et OC 88, objet de l'échange, font partie du domaine public communal dès lors qu'elles sont ouvertes au public, sont pourvues de cheminements entretenus ainsi que d'installations telles que des bancs, éclairages, poubelles et panneaux de signalétique ; compte tenu de leur appartenance au domaine public communal, aucun droit acquis portant sur ces parcelles n'a pu être créé par la délibération du 28 juin 2016, de sorte que cette délibération pouvait être librement rapportée par le conseil municipal ; enfin, la circonstance qu'un permis de construire ait été délivré à la société appelante ne saurait faire obstacle à ce que les parcelles en cause soient regardées comme faisant partie du domaine public communal ;

- la délibération du 28 juin 2016 n'a pas créé des droits acquis à l'échange en faveur des appelants ; aucun compromis n'a été conclu entre les parties, le coéchangiste n'ayant pas entendu procéder conformément à la délibération mais souhaitant acquérir les parcelles par tranches successives à préciser ; de plus, le conseil municipal a entendu conditionner l'échange à la réalisation d'un programme immobilier spécifique auquel ne correspond pas celui porté par la société Ila ; enfin, le conseil municipal a délibéré sur la base de l'avis du service des domaines rendu le 28 janvier 2016 dont la durée de validité était d'une année ; aucun accord sur l'objet ne peut être considéré comme acquis dès lors que l'emprise d'environ 10 500 m² à extraire de la parcelle OC 88 n'était pas clairement identifiée dans la délibération du 28 juin 2016.

Par une ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 3 octobre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Valette, représentant l'appelante et celles de Me Crétin représentant la commune d'Agde.

Une note en délibéré, enregistrée le 31 janvier 2023, a été présentée pour la commune d'Agde et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 28 juin 2016, le conseil municipal de la commune d'Agde (Hérault) a décidé d'échanger les parcelles OC 0040, d'une superficie de 17 232 m², et une superficie de 10 500 m² environ à extraire de la totalité de la parcelle OC 0088, l'ensemble étant évalué à 5 millions d'euros, avec les sociétés Ila, Kawai et Serguier-Malortigue, propriétaires quant à elles d'un ensemble de parcelles de 19 793 m² évalué à 1 225 000 euros et le versement par ces dernières d'une soulte de 3 775 000 euros. Par une délibération du 24 septembre 2019, la commune d'Agde a décidé de retirer la délibération du 28 juin 2016. La société par actions simplifiée Ila relève appel du jugement du 26 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la délibération du 24 septembre 2019 et, d'autre part, de la décision implicite de rejet née le 6 janvier 2020 du silence gardé par l'administration sur sa demande du 31 octobre 2019, reçue le 6 novembre 2019, visant à inscrire à l'ordre du jour du prochain conseil municipal la question relative au retrait de la délibération du 24 septembre 2019.

Sur les conclusions en annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 243-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé sous réserve, le cas échéant, de l'édiction de mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 ". Aux termes de l'article L. 243-3 de ce code : " L'administration ne peut retirer un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits que s'il est illégal et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction ".

3. D'autre part, en vertu du principe désormais énoncé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles. Leur cession ne peut intervenir, s'agissant de biens affectés à l'usage direct du public, qu'après qu'ils ont fait l'objet d'une désaffectation et d'une décision expresse de déclassement.

4. Il en résulte qu'une délibération autorisant la cession d'une dépendance du domaine public à une personne privée, doit être regardée, compte tenu du principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, comme accordant cette autorisation sous la réserve qu'il soit procédé préalablement à la désaffectation et au déclassement formel du bien en cause. Une telle délibération ne confère par elle-même à la personne qu'elle désigne comme l'acquéreur, un droit à la réalisation de la vente. Tant que la désaffectation et le déclassement du bien ne sont pas intervenus, le conseil municipal peut légalement abroger à tout moment cette délibération dépourvue d'effet direct.

5. En revanche, le conseil municipal ne peut retirer cette délibération non créatrice de droits que si elle est illégale et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction.

6. Enfin, aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique (...) est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ".

7. L'affectation d'une parcelle à l'usage direct du public ne peut être fondée sur une situation de fait mais sur l'intention de la personne publique de l'affecter à l'usage direct du public.

8. Par ailleurs, aux termes de l'article 1702 du code civil : " L'échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre ". Aux termes de l'article 1703 de ce même code : " L'échange s'opère par le seul consentement, de la même manière que la vente ". Aux termes de l'article 1707 de ce code : " Toutes les autres règles prescrites pour le contrat de vente s'appliquent d'ailleurs à l'échange ". Aux termes de l'article 1585 de ce code : " Lorsque des marchandises ne sont pas vendues en bloc, mais au poids, au compte ou à la mesure, la vente n'est point parfaite, en ce sens que les choses vendues sont aux risques du vendeur jusqu'à ce qu'elles soient pesées, comptées ou mesurées ; (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles OC 40 et OC 88, objet de la cession consentie par la commune d'Agde en échange des cessions de parcelles consenties par l'appelante et les deux autres sociétés, citées au point 1, dans le cadre de la délibération du 28 juin 2016, sont constitutives d'un espace vert accessible au public, créé par l'homme à l'instar du restant de l'Île des Loisirs sur laquelle elles sont implantées, comprenant des pelouses et des parties boisées. Cet espace est traversé par une allée piétonne principale qui dessert des sentiers secondaires intérieurs recouverts de gravillons compactés et est entouré à l'Est de sentiers de promenade longeant le bras de mer. Les deux procès-verbaux de constat établis par deux huissiers de justice différents, le 28 octobre 2019 et le 15 janvier 2020, mettent en évidence la présence d'installations telles que des bancs, des éclairages publics, des poubelles, des panneaux de signalisation et une aire dallée sous des arbres. En outre, la période hivernale pendant laquelle le second procès-verbal du 15 janvier 2020 a été établi, explique qu'à la différence du premier, il ne dresse pas le constat d'une forte fréquentation de cet espace par des promeneurs et des cyclistes, et que compte tenu de la baisse de sa fréquentation pendant cette période, son entretien par la commune d'Agde soit moins soutenu. Compte tenu de ces éléments, cet espace vert qui est destiné à la promenade publique et aux loisirs, doit être regardé comme affecté à l'usage direct du public, aménagé et entretenu à cette fin. Dans ces conditions, les parcelles litigieuses doivent être regardées comme intégrées au domaine public communal. À cet égard, la circonstance que la société appelante se soit vu délivrer un permis de construire sur les parcelles litigieuses, est sans incidence sur leur appartenance au domaine public communal.

10. Il en résulte que la délibération du 28 juin 2016 autorisant la cession des parcelles litigieuses constitutives d'une dépendance du domaine public de la commune d'Agde à des personnes privées, doit être regardée, compte tenu du principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, comme accordant cette autorisation sous la réserve qu'il soit procédé préalablement à la désaffectation et au déclassement de ces biens. Si cette délibération n'était pas créatrice de droits, la délibération attaquée du 24 septembre 2019, qui a pour objet et qui décide le retrait de la délibération du 28 juin 2016, ne pouvait toutefois légalement procéder à son retrait que dans un délai de quatre mois suivant son édiction et sous réserve de son illégalité. Par suite, la délibération du 24 septembre 2019 qui méconnaît les dispositions de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration est illégale et eu égard au motif d'illégalité doit être annulée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ila est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune d'Agde présentées sur leur fondement, les appelants n'étant pas la partie perdante à l'instance.

13. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Agde le versement au profit de la société Ila de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1 : Le jugement du 26 mars 2021 du tribunal administratif de Montpellier et la délibération du conseil municipal de la commune d'Agde du 24 septembre 2019 sont annulés.

Article 2 : La commune d'Agde versera à la société Ila une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la commune d'Agde tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Ila et à la commune d'Agde.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2023.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL01684


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL01684
Date de la décision : 21/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Disparition de l'acte.

Collectivités territoriales - Commune.

Domaine - Domaine public - Consistance et délimitation - Domaine public artificiel - Biens faisant partie du domaine public artificiel - Aménagement spécial et affectation au service public ou à l'usage du public.

Domaine - Domaine public - Régime.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : SELARL VALETTE-BERTHELSEN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-02-21;21tl01684 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award