Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière Kawai, la société civile immobilière Serguier-Malortigue, la société 2MCA, M. B... D... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la délibération du 24 septembre 2019 par laquelle le conseil municipal d'Agde a retiré la délibération n° 24 du 28 juin 2016 relative à l'échange de parcelles entre elles et la commune.
Par un jugement n° 1905356 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 avril 2021, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 19 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire en réplique, enregistré le 17 mai 2022 et n'ayant pas été communiqué, la société civile immobilière Kawai, la société civile immobilière Serguier-Malortigue, la société 2MCA, M. D... et M. C..., représentés par Me Garreau, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 mars 2021 ;
2°) d'annuler la délibération du conseil municipal d'Agde du 24 septembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Agde la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont dénaturé la portée de la délibération attaquée du 24 septembre 2019, qui a pour objet de retirer et non d'abroger la délibération du 28 juin 2016, le conseil municipal ayant souhaité donner une portée rétroactive à sa délibération ;
- les parcelles OC 0040 et OC 0088, objet de l'échange sur lequel porte la délibération retirée du 28 juin 2016, dépourvues de tout aménagement et qui ne sont pas affectées à l'usage direct du public, n'appartiennent pas au domaine public communal ; en application de l'article L. 2211-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens communaux sont présumés appartenir au domaine privé de la commune ; l'affectation des biens au domaine public doit procéder d'un acte de volonté de la part de la commune ; la seule affectation des parcelles à l'usage direct du public était insuffisante pour l'intégrer au domaine public communal en l'absence de volonté d'affectation du bien au public matérialisée par leur entretien et leur aménagement spécial ; la parcelle OC 0040 n'est pas intégrée dans la carte de domanialité de l'Île des loisirs ; ni France Domaine, ni le commissaire enquêteur dans le cadre de la procédure d'adoption du plan local d'urbanisme, n'ont relevé l'appartenance des parcelles au domaine public communal ; la commune ne produit aucune pièce actant du classement des parcelles dans son domaine public ; le procès-verbal de constat d'huissier qu'ils ont produit fait apparaître que l'ensemble des éléments du mobilier urbain décrit par le constat d'huissier établi à la demande de la commune, est situé en dehors de la zone d'emprise des parcelles litigieuses ;
- la délibération attaquée du 24 septembre 2019 méconnaît les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ; conformément à ces dispositions, la délibération du 28 juin 2016, qui prend acte de l'échange de parcelles entre elles et la commune d'Agde dès lors que les parties avaient convenu de la chose et du prix, était une décision créatrice de droits qui ne pouvait être retirée que dans un délai de quatre mois ; la délibération attaquée portant retrait de la délibération du 28 juin 2016, créatrice de droits, est donc tardive au regard des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- à titre subsidiaire, la délibération attaquée méconnaît l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que le retrait d'un acte réglementaire ou non réglementaire non créateur de droits ne peut intervenir que s'il est illégal et s'il intervient dans un délai de quatre mois suivant son édiction ; en tout état de cause, la délibération du 24 septembre 2019 qui vient retirer la délibération du 28 juin 2016, est tardive.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 avril 2022 et le 31 janvier 2023, la commune d'Agde, représentée par Me Crétin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des appelants une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les termes employés par son conseil municipal dans la délibération du 24 septembre 2019 ne lient pas le juge administratif ;
- les parcelles communales cadastrées OC 40 et OC 88, objet de l'échange, font partie du domaine public communal dès lors qu'elles sont ouvertes au public, sont pourvues de cheminements entretenus ainsi que d'installations telles que des bancs, éclairages, poubelles et panneaux de signalétique ; cet aménagement et ces installations ressortent du procès-verbal de constat dressé le 28 octobre 2019 par Me Carpentier, huissier de justice, qui confirme celui établi par Me Candon ; compte tenu de leur appartenance au domaine public communal, aucun droit acquis portant sur ces parcelles n'a pu être créé par la délibération du 28 juin 2016 de sorte que cette délibération pouvait être librement rapportée par le conseil municipal ;
- la délibération du 28 juin 2016 n'a pas créé des droits acquis à l'échange en faveur des appelants ; aucun compromis n'a jamais été conclu entre les parties, le coéchangiste n'ayant pas entendu procéder conformément à la délibération mais souhaitant acquérir les parcelles par tranches successives à préciser ; de plus, le conseil municipal a entendu conditionner l'échange à la réalisation d'un programme immobilier spécifique auquel ne correspond pas celui porté par les appelants ; enfin, le conseil municipal a délibéré sur la base de l'avis du service des domaines rendu le 28 janvier 2016 dont la durée de validité était d'une année ; aucun accord sur l'objet ne peut être considéré comme acquis dès lors que l'emprise d'environ 10 500 m² à extraire de la parcelle OC 88 n'était pas clairement identifiée dans la délibération du 28 juin 2016.
Par une ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 3 octobre 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique
- et les observations de Me Garreau, représentant les appelants et celles de Me Crétin, représentant la commune d'Agde.
Une note en délibéré, enregistrée le 31 janvier 2023, a été présentée pour la commune d'Agde et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 28 juin 2016, le conseil municipal de la commune d'Agde (Hérault) a décidé d'échanger les parcelles OC 0040, d'une superficie de 17 232 m² et OC 0088 d'une superficie de 10 500 m² environ à extraire de la totalité de la parcelle, évaluées à 5 millions d'euros avec les sociétés Ila, Kawai et Serguier-Malortigue, propriétaires quant à elles d'un ensemble de parcelles de 19 793 m² évalué à 1 225 000 euros et le versement par ces dernières d'une soulte de 3 775 000 euros. Par une délibération du 24 septembre 2019, la commune d'Agde a décidé de retirer la délibération du 28 juin 2016. La société civile immobilière Kawai, la société Serguier D..., la société 2MCA, M. D... et M. C... relèvent appel du jugement du 26 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la délibération du 24 septembre 2019.
Sur les conclusions en annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". Aux termes de l'article L. 243-1 de ce code : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé sous réserve, le cas échéant, de l'édiction de mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 ". Aux termes de l'article L 243-3 de ce code : " L'administration ne peut retirer un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits que s'il est illégal et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction ".
3. D'autre part, en vertu du principe désormais énoncé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles. Leur cession ne peut intervenir, s'agissant de biens affectés à l'usage direct du public, qu'après qu'ils ont fait l'objet d'une désaffectation et d'une décision expresse de déclassement.
4. Il en résulte qu'une délibération autorisant la cession d'une dépendance du domaine public à une personne privée, doit être regardée, compte tenu du principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, comme accordant cette autorisation sous la réserve qu'il soit procédé préalablement à la désaffectation et au déclassement formel du bien en cause. Une telle délibération ne confère par elle-même à la personne qu'elle désigne comme l'acquéreur, un droit à la réalisation de la vente. Tant que la désaffectation et le déclassement du bien ne sont pas intervenus, le conseil municipal peut légalement abroger à tout moment cette délibération dépourvue d'effet direct.
5. En revanche, le conseil municipal ne peut retirer cette délibération non créatrice de droits que si elle est illégale et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction.
6. Enfin, aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique (...) est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ".
7. L'affectation d'une parcelle à l'usage direct du public ne peut être fondée sur une situation de fait mais sur l'intention de la personne publique de l'affecter à l'usage direct du public.
8. Par ailleurs, aux termes de l'article 1702 du code civil : " L'échange est un contrat par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour une autre ". Aux termes de l'article 1703 de ce même code : " L'échange s'opère par le seul consentement, de la même manière que la vente ". Aux termes de l'article 1707 de ce code : " Toutes les autres règles prescrites pour le contrat de vente s'appliquent d'ailleurs à l'échange ". Aux termes de l'article 1585 de ce code : " Lorsque des marchandises ne sont pas vendues en bloc, mais au poids, au compte ou à la mesure, la vente n'est point parfaite, en ce sens que les choses vendues sont aux risques du vendeur jusqu'à ce qu'elles soient pesées, comptées ou mesurées ; (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles OC 40 et OC 88, objet de la cession consentie par la commune d'Agde en échange des cessions de parcelles consenties par les appelants dans le cadre de la délibération du 28 juin 2016, sont constitutives d'un espace vert accessible au public, créé par l'homme à l'instar du restant de l'Île des Loisirs, sur laquelle elles sont implantées, comprenant des pelouses et des parties boisées. Cet espace est traversé par une allée piétonne principale, qui dessert des sentiers secondaires intérieurs recouverts de gravillons compactés, et est entouré à l'Est de sentiers de promenade longeant le bras de mer. Les deux procès-verbaux de constat établis par deux huissiers de justice différents, le 28 octobre 2019 et le 15 janvier 2020, mettent en évidence la présence d'installations telles que des bancs, des éclairages publics, des poubelles, des panneaux de signalisation et une aire dallée sous des arbres. En outre, la période hivernale pendant laquelle le second procès-verbal du 15 janvier 2020 a été établi, explique qu'à la différence du premier, il ne dresse pas le constat d'une forte fréquentation de cet espace par des promeneurs et des cyclistes, et que compte tenu de la baisse de sa fréquentation pendant cette période, son entretien par la commune d'Agde soit moins soutenu. Compte tenu de ces éléments, cet espace vert, qui est destiné à la promenade publique et aux loisirs, doit être regardé comme affecté à l'usage direct du public, aménagé et entretenu à cette fin. Dans ces conditions, les parcelles litigieuses doivent être intégrées au domaine public communal. À cet égard, la circonstance que la délibération du 28 juin 2016 prévoyait qu'une partie seulement de la parcelle OC 88 serait cédée aux appelants, est sans incidence sur sa qualification dès lors qu'il n'est pas établi, en l'absence notamment de mesurage définitif, que la portion dont la cession était envisagée serait dissociable du reste de la parcelle et dépourvue de tout lien fonctionnel avec elle. Sont également sans incidence les circonstances que ni France Domaine, ni le commissaire enquêteur dans le cadre de la procédure d'adoption du plan local d'urbanisme, n'aient révélé l'appartenance des parcelles au domaine public communal ou que la commune ne produise aucune pièce actant du classement des parcelles dans son domaine public.
10. Il en résulte que la délibération du 28 juin 2016 autorisant la cession des parcelles litigieuses constitutives d'une dépendance du domaine public de la commune d'Agde à des personnes privées, doit être regardée, compte tenu du principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, comme accordant cette autorisation sous la réserve qu'il soit procédé préalablement à la désaffectation et au déclassement de ces biens. Si cette délibération n'était pas créatrice de droits, la délibération attaquée du 24 septembre 2019, qui a pour objet et qui décide le retrait de la délibération du 28 juin 2016, ne pouvait toutefois légalement procéder à son retrait que dans un délai de quatre mois suivant son édiction et sous réserve de son illégalité. Par suite, la délibération du 24 septembre 2019 qui méconnaît les dispositions de l'article L. 243-3 du code des relations entre le public et l'administration est illégale et eu égard au motif d'illégalité doit être annulée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune d'Agde présentées sur leur fondement, les appelants n'étant pas la partie perdante à l'instance.
13. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Agde le versement au profit des appelants de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 mars 2021 du tribunal administratif de Montpellier et la délibération du conseil municipal de la commune d'Agde du 24 septembre 2019 sont annulés. .
Article 2 : La commune d'Agde versera à la SCI Kawai et autres une somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Agde tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Kawai, à la société Serguier D..., à la société 2MCA, à M. B... D..., à M. A... C... et à la commune d'Agde.
Délibéré après l'audience du 31 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2023.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL01464