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22/11/2022 | FRANCE | N°22TL21601

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 22 novembre 2022, 22TL21601


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Francophonie Avenir a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision par laquelle le président du conseil départemental du Lot a rejeté la demande qu'elle lui a adressée le 23 mai 2019 et tendant à ce qu'il renonce à utiliser dans l'espace public et sur tout support la marque " Oh my Lot ! ".

Par un jugement n° 1905333 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée

le 18 juillet 2022, et deux mémoires, enregistrés les 19 et 24 octobre 2022, le premier d'en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Francophonie Avenir a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision par laquelle le président du conseil départemental du Lot a rejeté la demande qu'elle lui a adressée le 23 mai 2019 et tendant à ce qu'il renonce à utiliser dans l'espace public et sur tout support la marque " Oh my Lot ! ".

Par un jugement n° 1905333 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2022, et deux mémoires, enregistrés les 19 et 24 octobre 2022, le premier d'entre eux n'ayant pas été communiqué, l'association Francophonie Avenir, représentée par Me Mattler, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 mai 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) à titre principal, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Toulouse et, à titre subsidiaire, d'annuler la décision par laquelle le président du conseil départemental du Lot a rejeté la demande qu'elle lui a adressée le 23 mai 2019 et tendant à ce qu'il renonce à utiliser dans l'espace public et sur tout support la marque " Oh my Lot ! " en enjoignant au département du Lot ne plus utiliser sa marque " Oh my Lot " dans l'espace public ;

3°) de mettre à la charge du département du Lot une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- ses statuts lui confèrent un intérêt lui donnant qualité pour agir ;

- le jugement attaqué est irrégulier faute d'être signé ;

- contrairement à ce que les premiers juges ont estimé, le juge administratif est compétent pour connaître de ce litige, qui a trait à une décision prise par le représentant d'une collectivité territoriale et qui est relative à la communication publique de cette dernière ;

- l'emploi de la marque " Oh my Lot ! " méconnaît les articles 1er, 2 et 14 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 et le décret du 3 juillet 1996 pris pour son application dès lors que " my "n'est ni une expression nouvelle ni ne couvre une réalité nouvelle dans des domaines tels que la vie économique, les travaux scientifiques et les activités techniques et juridiques et que ce terme est parfaitement traduisible ; l'emploi de cette marque préjudicie à la langue française et aux valeurs défendues par l'association en ce qu'il contribue à la disparition de la diversité linguistique, au recul de l'enseignement du français, à la réduction de la diversité culturelle et de pensée, et en ce qu'il donne un signe négatif à la francophonie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2022, le département du Lot, représenté par Me Montazeau, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'association appelante est dépourvue d'intérêt à agir, au regard de ses statuts qui attestent de ce que son objet et son champ d'action sont nationaux alors que l'utilisation de la marque " Oh my Lot " n'a qu'un intérêt local ;

- les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété intellectuelle ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;

- le décret n°96-602 du 3 juillet 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Montazeau représentant le département du Lot.

Considérant ce qui suit :

1. L'association Francophonie Avenir a demandé au président du conseil départemental du Lot, le 23 mai 2019, de ne plus employer la marque " Oh my Lot ! ", déclarée à l'Institut national de la propriété intellectuelle, de l'enlever de tout support et de veiller à trouver une autre appellation, respectueuse de la langue française. Le président du conseil départemental du Lot lui a adressé une lettre, le 31 juillet 2019, sans toutefois apporter de réponse formelle à sa demande.

2. L'association Francophonie Avenir relève appel du jugement du 19 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le président du conseil départemental du Lot a rejeté la demande qu'elle lui a adressée le 23 mai 2019 tendant à ce qu'il renonce à utiliser dans l'espace public et sur tout support la marque " Oh my Lot ! ", et à ce qu'il soit enjoint au département du Lot de ne plus utiliser cette marque dans l'espace public.

Sur l'aide juridictionnelle provisoire :

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre l'association Francophonie Avenir au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité du jugement attaqué :

4. D'une part, l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose que : " Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. / Les mêmes dispositions s'appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. / (...) ". Son article 14 dispose toutefois, s'agissant des marques, que : " I. L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française (...) / II. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux marques utilisées pour la première fois avant l'entrée en vigueur de la présente loi ". Pour l'application de ces dispositions, le décret du 3 juillet 1996 relatif à l'enrichissement de la langue française a créé une commission générale de terminologie et de néologie, devenue commission d'enrichissement de la langue française, et prévu que les termes et expressions que cette commission retient sont soumis à l'Académie française et publiés au Journal officiel de la République française. Aux termes de l'article 11 de ce décret : " Les termes et expressions publiés au Journal officiel sont obligatoirement utilisés à la place des termes et expressions équivalents en langues étrangères : (...) / 2° Dans les cas prévus aux articles 5 et 14 de la loi du 4 août 1994 susvisée relative à l'emploi de la langue française ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au litige : " Les actions civiles et les demandes relatives aux marques, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ".

6. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la seule circonstance que la demande de l'association Francophonie Avenir auprès du département du Lot tendait à ce que celui-ci ne fît plus usage d'une marque déposée à l'Institut national de la propriété industrielle en vue de son utilisation sur différents outils de communication touristique n'est pas de nature à faire regarder le litige comme entrant dans le champ d'application de l'article L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle et, de ce fait, comme ressortissant à la seule compétence du juge judiciaire. En outre, la décision de rejet de cette demande, émanant du représentant d'une collectivité locale et concernant la communication publique ce cette dernière, s'analyse en une décision dont la contestation ressortit à la compétence du juge administratif. Par conséquent, c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande dont il était saisi comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

7. Il résulte de ce qui précède que l'association appelante est fondée à soutenir que le jugement est irrégulier et doit être annulé. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'association Francophonie Avenir devant le tribunal administratif de Toulouse pour qu'il soit à nouveau statué sur sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de mettre à la charge du département du Lot la somme que demande l'association appelante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'association Francophonie Avenir est admise à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 19 mai 2022 est annulé.

Article 3 : L'association Francophonie Avenir est renvoyée devant le tribunal administratif de Toulouse pour qu'il soit statué sur sa demande.

Article 4 : Les conclusions de l'association Francophonie Avenir relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Francophonie Avenir et au département du Lot.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.

Le président-rapporteur,

É. Rey-Bèthbéder

Le président-assesseur

P. Bentolila

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet du Lot en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21601


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21601
Date de la décision : 22/11/2022
Type d'affaire : Administrative

Analyses

09-08 Arts et lettres. - Usage de la langue française.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: M. Eric REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : MATTLER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-11-22;22tl21601 ?
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