Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... et Mme C... E..., épouse D..., agissant tant en leur nom personnel qu'en tant que représentants légaux de leur fils ..., ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 31 mai 2018 par laquelle la rectrice de l'académie de Toulouse a confirmé la sanction d'exclusion définitive avec sursis de leur fils scolarisé au collège Léon Blum à Colomiers.
Par un jugement n° 1803445 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2020, au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire, enregistré le 28 décembre 2021, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 2 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande de M. D... et de Mme E....
Il soutient que :
- la sanction, compte tenu de la gravité des faits reprochés à l'élève, revêt un caractère proportionné ; les actes subis par les jeunes filles constituent des atteintes répétées à caractère sexuel et à la dignité, lesquels doivent être appréciés de manière objective ; l'existence d'un quelconque contexte de camaraderie, à le supposer établi, ne peut avoir pour effet d'en diminuer la portée ; la gravité de ses agissements justifiait le prononcé d'une sanction lourde ; l'absence d'antécédents disciplinaires et le comportement général de ... ont été pris en compte par l'administration qui a fait preuve de bienveillance en lui octroyant une mesure de sursis qui a une visée éducative et qui ne peut être révoquée que dans l'hypothèse où l'élève commet, au cours de la durée de sursis, des faits pouvant entraîner l'application d'une sanction d'un niveau égal ou supérieur à celui de la sanction infligée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2020, et un mémoire en production de pièces, enregistré le 14 octobre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. D... et Mme E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en tant que représentants légaux de leur fils A..., représentés par Me Piau, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- la matérialité des faits n'est pas établie ; le dossier ne contient aucune preuve d'atteintes à caractère sexuel ; les faits ne caractérisent pas une agression sexuelle mais relèvent de jeux consensuels entre adolescents de 14 ans et d'actes de camaraderie sans contrainte ni violence ; les adolescentes, qui ont fait les premiers témoignages par vengeance, se sont ensuite spontanément rétractées et admettent ne jamais avoir été victimes d'agression sexuelle ;
- en tout état de cause, la sanction d'exclusion définitive n'est pas proportionnée à la prétendue faute commise dès lors que les adolescentes se sont rétractées et que cette sanction a été prononcée sans tenir compte des circonstances et de la personnalité de l'élève ; la sanction a eu de graves répercussions sur son état de santé psychologique.
Par une ordonnance du 26 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 5 janvier 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 31 mai 2018, la rectrice de l'académie de Toulouse a confirmé, après avis de la commission académique d'appel du 12 avril 2018, la sanction d'exclusion définitive avec sursis à l'encontre de ... D..., scolarisé en classe de troisième au collège ... à Colomiers (Haute-Garonne). M. D... et Mme E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en tant que représentants légaux de leur fils, ont demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de cette décision. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports relève appel du jugement du 2 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision de sanction du 31 mai 2018.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'éducation, les obligations des élèves de l'enseignement primaire et secondaire " consistent dans l'accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l'assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements ". Les obligations des élèves des établissements d'enseignement du second degré sont, notamment, précisées, en vertu de l'article R. 511-1 du même code, dans le règlement intérieur de chaque établissement. En vertu des articles R. 511-12 et suivants du même code, ces élèves s'exposent, en cas de manquement à leurs obligations, aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article R. 511-13 de ce code, qui vont de l'avertissement à l'exclusion définitive de l'établissement et qui sont prononcées, dans les collèges et lycées relevant du ministre chargé de l'éducation, par le chef d'établissement ou par un conseil de discipline.
3. D'autre part, aux termes de l'article 230 du règlement intérieur du collège ... : " Le respect des élèves entre eux constitue un des fondements essentiels de la vie collective. Sont ainsi proscrites toutes les formes de violence physique ou psychologique qu'elles soient épisodiques ou assimilables à un phénomène de harcèlement moral par leur répétition. Tout traitement dégradant ou humiliant en général, et en particulier dans le cadre " d'un jeu " est interdit et est sévèrement réprimé ".
4. Enfin, aux termes de l'article R. 511-13-1 du code de l'éducation, dans sa version alors applicable : " I.- L'autorité disciplinaire qui a prononcé une sanction assortie du sursis à son exécution fixe le délai au cours duquel le sursis peut être révoqué. Ce délai ne peut excéder la durée d'inscription de la sanction au dossier de l'élève mentionnée au IV de l'article R. 511-13. Dans le cas d'une exclusion définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes, ce délai ne peut excéder un an. / Le délai mentionné à l'alinéa précédent court à compter de la date à laquelle la sanction est prononcée. / Le chef d'établissement avertit l'élève et, si celui-ci est mineur, son représentant légal, des conséquences qu'entraînerait un nouveau manquement au règlement intérieur de l'établissement au cours du délai fixé en application du premier alinéa. / II.- Lorsque des faits pouvant entraîner l'une des sanctions prévues à l'article R. 511-13 sont commis dans le délai fixé en application du premier alinéa, l'autorité disciplinaire peut prononcer : 1° Soit une nouvelle sanction sans révoquer le sursis antérieurement accordé ; 2° Soit la seule révocation de ce sursis ; 3° Soit la révocation de ce sursis et une nouvelle sanction qui peut être assortie du sursis. Seul le conseil de discipline peut prononcer la révocation du sursis s'appliquant à une exclusion définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. / III.- La révocation du sursis entraîne la mise en œuvre de la sanction à laquelle il s'applique. Dans le cas mentionné au 3° du II, les deux sanctions sont exécutées cumulativement si la nouvelle sanction n'est pas assortie du sursis. L'exécution cumulative de ces deux sanctions
ne peut avoir pour effet d'exclure l'élève plus de huit jours de sa classe ou de son établissement ". Il résulte de ces dispositions que tout fait commis pendant le délai de sursis pouvant entraîner l'une des sanctions prévues à l'article R. 511-13 du code de l'éducation et non pas seulement l'une des sanctions prévues par ce texte d'un niveau égal ou supérieur à celui d'une précédente sanction assortie d'un sursis, est susceptible d'entraîner la révocation du sursis et la mise en œuvre de la sanction à laquelle il s'applique.
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un élève ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. L'administration soutient que les faits reprochés au fils de M. D... et de Mme E..., dont la matérialité a été constatée par les premiers juges, sont constitutifs d'une faute d'une gravité telle que la sanction d'exclusion définitive prononcée à son encontre, assortie d'une mesure de sursis d'une durée d'un an, revêt un caractère proportionné.
7. Les dernières déclarations écrites des adolescentes, dont il n'est pas établi qu'elles résulteraient de pressions exercées sur elles par Mme E..., précisent les circonstances et le contexte dans lesquels les gestes et les propos imputés à ... ont été réalisés. Il en ressort que ce dernier cherchait à relever le pari lancé par un autre élève et à se faire remarquer des autres élèves du collège. Ainsi, ce dernier n'avait ni pleinement conscience, par ses gestes, de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychologique des adolescentes, ni l'intention, par ses propos, de les dégrader ou de les humilier. En outre, aucune pièce n'est versée au dossier afin d'établir que les gestes et les propos inappropriés de ... auraient eu des répercussions sur la santé physique ou psychologique des adolescentes ou de certaines d'entre elles. Par ailleurs, il est constant qu'antérieurement au prononcé de la sanction litigieuse, la conduite de ... n'avait jamais fait l'objet de reproches de la part de ses enseignants et qu'il ne présentait aucun antécédent disciplinaire. Alors qu'il ressort, de plus, des déclarations des adolescentes que les faits imputés à ... sont survenus durant les cours ou dans l'enceinte de l'établissement, il ne ressort pas des pièces du dossier que le personnel éducatif l'aurait interpellé sur son comportement déplacé et inconvenant à l'égard des adolescentes, que ce soit par un rappel des dispositions du règlement de l'établissement ou par le prononcé d'un avertissement. Si la sanction d'exclusion définitive de l'établissement infligée à ... a été assortie d'un sursis d'une durée d'une année, cette mesure qui subordonne l'exécution de la sanction à la conduite irréprochable de l'élève pendant tout le délai de mise à l'épreuve, ne retire nullement le caractère stigmatisant attachée à la sanction d'exclusion définitive de l'établissement, qui n'est effacée du dossier administratif de l'élève qu'au terme de sa scolarité dans le second degré. En outre, contrairement à ce que soutient l'administration, tout fait commis par ... pendant le délai de sursis pouvant entraîner l'une des sanctions prévues à l'article R. 511-13 du code de l'éducation, était susceptible d'entraîner la révocation du sursis et l'application immédiate de la sanction.
8. Dès lors, si les gestes et les propos imputés à ..., qui présentaient un caractère déplacé et inconvenant, étaient constitutifs d'une faute de nature à justifier l'application d'une sanction à son encontre, ils n'impliquaient pas cependant, eu égard aux éléments qui viennent d'être exposés, le prononcé de la sanction d'exclusion définitive de l'établissement qui constitue la sanction la plus lourde pouvant être infligée à un collégien. Dans ces conditions, le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont considéré que la sanction d'exclusion définitive de l'établissement avec sursis prononcé à l'encontre du fils de M. D... et de Mme E... présentait un caractère disproportionné.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à M. D... et à Mme E... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est rejetée.
Article 2 : L'État versera à M. D... et à Mme E... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme C... E..., épouse D..., à Me Piau et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président de chambre,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20TL22967