Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 14 décembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2107329 du 31 décembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 février 2022 sous le n° 22BX00412 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 22TL20412 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis un mémoire en réplique enregistré le 27 juillet 2022, M. E... B..., représenté par Me Mainier-Schall, doit être regardé comme demandant à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 31 décembre 2021 en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions ;
3°) d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2021 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français sans délai et qu'il fixe le pays de renvoi ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 janvier 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence ;
- il est entaché d'un défaut de motivation ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il méconnaît les stipulations des articles 3, 6, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant refus de délai de départ est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision portant fixation du pays de renvoi méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français procède d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2022, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 31 décembre 2021 en tant qu'il a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que c'est à tort que la magistrate désignée a considéré que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français était entachée d'une erreur d'appréciation.
Par une ordonnance du 28 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 août 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant russe d'origine tchétchène, né le 26 décembre 1981 à Malgobek (URSS), indique être entré en France pour la première fois en 2008. Sa demande de protection internationale a été rejetée par la Cour nationale du droit d'asile à trois reprises en 2012, 2015 et 2019. L'intéressé a fait l'objet de deux premières mesures d'éloignement les 7 juin 2016 et 16 juillet 2018. Revenu irrégulièrement en France au mois de septembre 2018, il a fait l'objet de deux nouvelles mesures d'éloignement le 14 mars 2019 et le 4 septembre 2020, puis a été incarcéré à compter du 28 mai 2021. Par un arrêté du 14 décembre 2021, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Par un jugement rendu le 31 décembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B.... L'intéressé fait appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses prétentions. Par la voie de l'appel incident, le préfet de la Haute-Garonne demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :
2. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait déposé une demande d'aide juridictionnelle depuis l'introduction de sa requête. Par suite et en l'absence d'urgence, il n'y a pas lieu d'admettre l'intéressé au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Sur l'appel principal présenté par M. B... :
3. En premier lieu, l'arrêté du 14 décembre 2021 a été signé, au nom du préfet de la Haute-Garonne, par Mme A... F..., chef du bureau de l'éloignement au sein de cette préfecture, laquelle était compétente à cet effet en vertu d'un arrêté préfectoral en date du 20 septembre 2021, publié au recueil des actes administratifs le 21 septembre 2021.
4. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé pour prendre ses décisions. Par suite, il est suffisamment motivé. Il ne ressort ni des termes de l'arrêté, ni des pièces du dossier, que le préfet ne se serait pas livré à un examen particulier de la situation de M. B....
5. En troisième lieu, si le moyen tiré de la violation de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est inopérant, dès lors que cet article ne s'adresse pas aux Etats mais seulement aux institutions de l'Union, le droit d'être entendu, partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision défavorable à ses intérêts, mette l'intéressé à même de présenter ses observations, de sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure avant qu'elle n'intervienne.
6. En l'espèce, le préfet de la Haute-Garonne a produit à l'appui de ses écritures de première instance, les procès-verbaux des auditions de M. B... menées par les services de police les 28 mai 2021 et 7 juillet 2021. Lors de ces deux entretiens, l'intéressé a été mis en situation de présenter toutes les observations qu'il estimait pertinentes sur les conditions de son séjour, sur sa situation personnelle et sur la perspective d'une nouvelle mesure d'éloignement. En conséquence, le vice de procédure invoqué par l'appelant ne peut qu'être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. D'une part, si M. B... est présent depuis plus de dix ans sur le territoire français, moyennant une brève interruption en 2018, il résulte de ce qui a été exposé au point 1 du présent arrêt qu'il s'y est maintenu illégalement en dépit du rejet de sa demande d'asile et de quatre précédentes mesures d'éloignement. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, depuis 2017, l'intéressé ne réside plus avec son ancienne épouse, ressortissante russe en situation régulière, ni avec leurs trois enfants communs, âgés de 10, 11 et 14 ans à la date de l'arrêté litigieux. Dans son arrêt N° 19NT02281 du 10 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a relevé que M. B... n'établissait ni exercer en intégralité ses droits de garde et de visite envers ses enfants, ni s'acquitter de la pension alimentaire fixée dans l'ordonnance de non-conciliation. Il est vrai que, par les pièces produites pour la première fois en appel, le requérant démontre avoir hébergé ses enfants chez sa nouvelle compagne pendant les vacances scolaires de Toussaint 2020, Noël 2020 et Pâques 2021. Il est également vrai que le jugement prononçant le divorce le 19 mai 2021 maintient l'autorité parentale en commun et accorde à M. B... un droit de visite et d'hébergement à raison de la moitié des périodes de congés scolaires. Toutefois et alors que l'intéressé n'établit pas avoir gardé le contact avec ses enfants pendant sa période de détention, ces seuls éléments ne sont pas suffisants pour justifier de la régularité et de la stabilité des liens entretenus par M. B... avec ces derniers. Par ailleurs, si l'appelant se prévaut d'entretenir une relation de couple depuis la fin de l'année 2019 avec une ressortissante russe bénéficiaire de la protection subsidiaire et mère de deux enfants, le caractère récent de cette liaison ne permet pas, en l'absence de toute autre attache et de toute intégration sociale ou professionnelle, de considérer M. B... comme ayant le centre de ses intérêts personnels sur le territoire national. Enfin, il ressort des pièces du dossier qu'outre plusieurs signalements pour des agissements contraires à l'ordre public depuis 2013, le requérant a fait l'objet de deux condamnations pénales pour un total de dix mois d'emprisonnement en 2020 et 2021. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'autorité préfectorale n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Dans ces conditions, les stipulations précitées n'ont pas été méconnues.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Pour les mêmes motifs que ceux développés au point 9 ci-dessus, le préfet n'a pas porté une atteinte excessive à l'intérêt supérieur des enfants de M. B... et n'a donc pas violé les stipulations précitées en prononçant la mesure d'éloignement.
10. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés précédemment, M. B... n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni, en tout état de cause, de celles de l'article L. 435-1 de ce même code. Pour les mêmes raisons, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
11. En septième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas assortis des précisions nécessaires pour permettre d'en apprécier le bien-fondé.
12. En huitième lieu, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation entachant la décision portant refus de délai de départ volontaire doit être écarté par adoption des motifs retenus par la magistrate désignée du tribunal administratif de Toulouse au point 11 de son jugement.
13. En neuvième lieu, les moyens tirés de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés par adoption des motifs énoncés par la première juge au point 14 du jugement contesté.
14. Il résulte de tout ce qui vient d'être développé que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande.
Sur l'appel incident présenté par le préfet :
15. L'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". L'article L. 612-10 du même code ajoute que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
16. En l'espèce, M. B... est présent sur le territoire français de manière quasiment ininterrompue depuis plus de treize ans à la date de la décision litigieuse. Il est constant que l'intéressé entretient une relation de concubinage stable depuis environ deux années avec une ressortissante russe bénéficiaire de la protection subsidiaire, mère de deux enfants scolarisés en France. Les pièces nouvellement produites en appel montrent que M. B... a récemment renoué des liens avec ses trois enfants issus de son précédent mariage, sur lesquels il dispose de l'autorité parentale et d'un droit de visite et d'hébergement. Dans les circonstances de l'espèce, alors même que l'intéressé a fait l'objet de condamnations pénales en 2020 et 2021 et nonobstant l'existence de plusieurs précédentes mesures d'éloignement, le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur d'appréciation en édictant à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français pour la durée maximale de trois années.
17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement litigieux, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision portant interdiction de retour.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante au principal, la somme réclamée par l'appelant au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : L'appel incident du préfet de la Haute-Garonne est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
M-M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL20412