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20/10/2022 | FRANCE | N°20TL03067

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 20 octobre 2022, 20TL03067


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Avenir d'Alet, M. B... C... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 10 avril 2018 par lequel le préfet de l'Aude a approuvé un projet d'ouvrage du réseau public de distribution de l'électricité pour la mise en place de deux lignes souterraines destinées au raccordement de parcs éoliens.

Par un jugement n° 1803286 du 4 février 2020, après avoir admis l'intervention des sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies,

le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de l'association Aveni...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Avenir d'Alet, M. B... C... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 10 avril 2018 par lequel le préfet de l'Aude a approuvé un projet d'ouvrage du réseau public de distribution de l'électricité pour la mise en place de deux lignes souterraines destinées au raccordement de parcs éoliens.

Par un jugement n° 1803286 du 4 février 2020, après avoir admis l'intervention des sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de l'association Avenir d'Alet et autres et a mis à leur charge le paiement d'une somme de 750 euros à la société Enedis et d'une somme de même montant aux sociétés intervenantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 août 2020 sous le n° 20MA03067 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 20TL03067 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, puis des mémoires en réplique enregistrés le 9 août 2021 et le 26 septembre 2022, M. B... C.... M. D... A... et l'association Avenir d'Alet, représentés par la SCP Cabinet Darribère, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du 4 février 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aude du 10 avril 2018 ;

3°) de demander à l'Etat de communiquer le dossier de demande d'approbation du projet d'ouvrage présenté par la société Enedis ainsi que les éléments de la procédure de consultation ;

4°) de demander à la société Enedis de communiquer le contrat conclu avec les sociétés Saint-Salvayre Energie et Saint-Polycarpe Energie pour la réalisation de l'opération ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne vise pas leur note en délibéré ;

- il est irrégulier en ce que le tribunal n'a pas répondu à leurs demandes tendant à la production de documents par le préfet de l'Aude et la société Enedis ;

- il est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu à leur moyen tiré de l'inexistence du dossier de demande ;

- il est irrégulier en ce que le procès n'a pas été équitable en violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en l'absence de mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction par le tribunal ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- l'arrêté attaqué est entaché d'un vice de procédure en raison de l'inexistence ou, au moins, des insuffisances du dossier de demande ;

- il est entaché d'un vice de procédure en l'absence de procédure de consultation des maires et des gestionnaires du domaine public et des services publics ;

- il est entaché d'un vice de procédure en l'absence d'une évaluation des incidences du projet sur la faune et la flore ;

- il est entaché d'illégalité dès lors que la société Enedis n'est pas compétente pour réaliser l'opération projetée ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation eu égard à la sensibilité environnementale du site et aux risques d'atteinte à la biodiversité ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation en l'absence de mesures de préservation de la santé publique liées aux risques électromagnétiques ;

- la condamnation prononcée par le tribunal au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative n'est pas équitable ;

- ils entendent reprendre à leur compte en appel l'ensemble des moyens invoqués dans leurs écritures de première instance ;

Sur la recevabilité de l'intervention :

- les écritures des sociétés intervenantes sont irrecevables en l'absence de qualité pour agir de leur représentant légal.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 2 juillet 2021, les sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies, représentées par Me Elfassi, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- la demande est irrecevable pour absence d'intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 et 13 septembre 2022, la société Enedis, représentée par la SCP Piquemal et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants une somme de 2 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'Aarhus signée le 25 juin 1992 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code de l'énergie ;

- l'arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d'énergie électrique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- et les observations de Me Darribère, représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. La société Valorem a pour projet de créer un parc éolien réparti sur trois sites sur le territoire des communes de Saint-Polycarpe et Veraza (Aude). Par arrêtés du 18 décembre 2008, le préfet de l'Aude a accordé aux sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies, filiales de ladite société Valorem, les permis de construire sollicités en vue de l'implantation de respectivement quatre et cinq aérogénérateurs sur la commune de Saint-Polycarpe. Par arrêtés du 27 juillet 2016, la même autorité a également délivré à ces deux sociétés des permis modificatifs pour l'installation de postes de livraison électrique sur le territoire de la commune de Veraza. Dans l'objectif de raccorder ces installations au réseau public de distribution de l'électricité, la société Enedis a sollicité une déclaration d'utilité publique en vue de la création de deux lignes souterraines de 20 kV destinées à relier les postes de livraison au poste source existant situé à Limoux, sur un tracé de 13,5 kilomètres traversant les communes de Veraza, Alet-les-Bains et Limoux. Par arrêté du 12 juillet 2017, le préfet de l'Aude a fait droit à cette demande. La société Enedis a alors sollicité, le 20 février 2018, l'approbation du projet de détail des tracés de ces lignes souterraines en application des dispositions des articles L. 323-11 et R. 323-25 du code de l'énergie. Par un arrêté du 10 avril 2018, le préfet de l'Aude a approuvé ce projet. M. C..., M. A... et l'association Avenir d'Alet font appel du jugement du 4 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la recevabilité de l'intervention :

2. Les sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies, bénéficiaires de permis de construire les autorisant à construire et à exploiter les parcs éoliens que les lignes souterraines en litige ont vocation à raccorder au réseau public de distribution d'électricité, justifient d'un intérêt au maintien du jugement du 4 février 2020 et de l'arrêté du 10 avril 2018. Par ailleurs, si la présentation d'une action par un mandataire habilité ne dispense pas la cour de s'assurer, le cas échéant, lorsque la partie est une personne morale, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour engager cette action, une telle vérification n'est toutefois normalement pas nécessaire lorsque la personne morale est dotée, par des dispositions législatives ou réglementaires, de représentants légaux ayant de plein droit qualité pour agir en justice en son nom. En vertu des dispositions de l'article L. 223-18 du code de commerce régissant les sociétés à responsabilité limitée, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société et pour la représenter dans ses rapports avec les tiers. Il en résulte que cette personne a de plein droit qualité pour agir en justice au nom de la société. En l'espèce, le mémoire présenté pour les sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies a été signé par l'avocat mandaté par leur représentant légal. En conséquence, leur intervention au soutien des conclusions de la société Enedis doit être admise.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, l'association Avenir d'Alet, M. C... et M. A... ont produit, postérieurement à l'audience publique tenue par le tribunal administratif le 21 janvier 2020, une note en délibéré datée du 3 février 2020 et enregistrée par le greffe le même jour à 23 heures et 11 minutes. Le jugement du 4 février 2020 ne porte pas mention de cette note en délibéré dans ses visas, en violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative. Pour ce premier motif, les appelants sont fondés à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité.

4. En deuxième lieu, l'association Avenir d'Alet, M. C... et M. A... ont soutenu notamment, à l'appui de leur demande de première instance, que le dossier de demande prévu par l'article R. 323-25 du code de l'énergie était inexistant. Le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qu'il n'a au demeurant pas visé et qui n'était pourtant pas inopérant. Pour ce deuxième motif, le jugement du 4 février 2020 se trouve entaché d'irrégularité.

5. En troisième lieu, il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis et, notamment, de requérir des parties et, le cas échéant, de tiers, la communication des documents qui lui permettent de vérifier les allégations des requérants et d'établir sa conviction. Il lui incombe, dans la mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction, de veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités adaptées, les secrets protégés par la loi.

6. En l'espèce, l'association Avenir d'Alet, M. C... et M. A... ont fait état devant les premiers juges des difficultés qu'ils rencontraient pour avoir accès au dossier de demande présenté par la société Enedis. Ils ont justifié avoir accompli toutes les diligences nécessaires pour en obtenir la communication et ont notamment demandé au tribunal administratif, en l'absence de production de ce dossier par les défendeurs, d'en ordonner la communication par le préfet de l'Aude. Il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges ont rejeté la demande présentée par les requérants sans estimer utile de solliciter la production de la pièce en cause. En statuant de la sorte, sans demander la communication du dossier de demande présenté par la société Enedis, alors que cette pièce était nécessaire à la résolution du litige, le tribunal a méconnu son office et a statué au terme d'une procédure irrégulière.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de régularité, que M. C.... M. A... et l'association Avenir d'Alet sont fondés à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 4 février 2020.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par les intéressés devant le tribunal administratif de Montpellier.

Sur la recevabilité de la demande :

9. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Aude le lendemain de son édiction, soit le 11 avril 2018. Par suite, la demande présentée par les requérants le 11 juin 2018 devant le tribunal administratif de Montpellier est intervenue avant l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois prévu à l'article R. 421-1 du code de justice administrative. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la société Enedis en première instance et tirée de la tardiveté de la demande doit être écartée.

10. En second lieu, M. C... et M. A... ont établi devant les premiers juges être propriétaires de plusieurs parcelles situées sur le territoire de la commune d'Alet-les-Bains et sur lesquelles doivent être creusées les tranchées nécessaires à l'enfouissement des lignes électriques souterraines. Partant, les intéressés justifient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de l'arrêté en litige. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt pour agir de l'association Avenir d'Alet, la demande collective présentée devant le tribunal administratif de Montpellier était recevable. Dans ces conditions, les fins de non-recevoir opposées à ce titre tant par les défendeurs que par les sociétés intervenantes doivent être également écartées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

11. Aux termes de l'article R. 323-25 du code de l'énergie, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sans préjudice des conditions prévues par d'autres réglementations, tout projet d'un ouvrage d'un réseau public de distribution d'électricité, à l'exception des postes de transformation du courant de haute ou très haute tension en moyenne tension, fait l'objet d'une consultation par le maître d'ouvrage au moins un mois avant le début des travaux, des maires des communes et des gestionnaires des domaines publics sur le territoire ou l'emprise desquels les ouvrages doivent être implantés ainsi que des gestionnaires de services publics concernés par le projet. A cette fin, il leur transmet un dossier comprenant : / 1° Une note de présentation décrivant les caractéristiques principales du projet ; / 2° Un avant-projet à une échelle appropriée sur lequel figure le tracé des canalisations électriques et l'emplacement des autres ouvrages électriques projetés ; / 3° Tous documents aptes à justifier la conformité du projet avec la réglementation technique en vigueur. / (...) ". Il ressort par ailleurs des termes de l'arrêté attaqué que le préfet de l'Aude s'est prononcé sur la base d'une demande d'approbation du projet d'ouvrage et du dossier de consultation adressés par la société Enedis le 20 février 2018 relatifs à la création des deux lignes souterraines de 20 kV pour le raccordement des parcs éoliens de Saint-Polycarpe et de Saint-Salvayre au réseau public de distribution d'électricité.

12. L'état de l'instruction ne permet pas à la cour de répondre de manière pertinente à plusieurs des moyens soulevés par les requérants en l'absence du dossier de demande présenté par la société Enedis en application de l'article R. 323-25 du code de l'énergie et des éléments de la procédure de consultation des maires et des gestionnaires du domaine public et des services publics concernés prévue par le même article. Par suite, il y a lieu pour la cour d'ordonner un supplément d'instruction, avant dire droit, tendant à la communication de ces documents par le ministre de la transition écologique et de la cohérence des territoires, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention des sociétés Saint-Salvayre Energies et Saint-Polycarpe Energies est admise.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1803286 du 4 février 2020 est annulé.

Article 3 : Il est ordonné au ministre de la transition écologique et de la cohérence des territoires, avant dire droit, de communiquer à la cour l'intégralité du dossier de demande et des éléments de la procédure de consultation prévus à l'article R. 323-25 du code de l'énergie dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Tous droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à M. D... A..., à l'association Avenir d'Alet, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la société Enedis, à la société Saint-Salvayre Energies et à la société Saint-Polycarpe Energies.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL03067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL03067
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

29-04 Energie. - Lignes électriques.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Florian JAZERON
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : PIQUEMAL et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-10-20;20tl03067 ?
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