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19/07/2022 | FRANCE | N°20TL20134

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 19 juillet 2022, 20TL20134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation des décisions implicites de refus d'indemnisation de la société La Poste et de l'Etat, leur condamnation solidaire à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis en raison de son absence de promotion, assortie des intérêts au taux légal et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1704364 du 7 novembre 2019, le tribunal

administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation des décisions implicites de refus d'indemnisation de la société La Poste et de l'Etat, leur condamnation solidaire à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis en raison de son absence de promotion, assortie des intérêts au taux légal et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1704364 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux le 8 janvier 2020 sous le n° 20BX00134, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL20134 et des mémoires en réplique enregistrés le 20 décembre 2021 et le 22 avril 2022, Mme B..., représentée par Me Lerat, demande à la cour :

1°) à titre principal : d'annuler ce jugement ;

2°) à titre subsidiaire : de réformer ce jugement, d'annuler les décisions litigieuses et de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis en raison de son absence de promotion, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable, les 23 et 24 mai 2017 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la société La Poste et de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier car entaché d'insuffisance de motivation ; d'une part, il n'a pas répondu à sa demande de mise en cause de la responsabilité de La Poste du chef de l'irrégularité de la promotion interne organisée pour la période postérieure à l'édiction du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ; d'autre part, il n'a pas répondu à sa demande d'indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence ;

- la responsabilité de La Poste et de l'Etat est engagée du fait de la faute consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute promotion interne, sur la période de 1993 à 2009 ;

- La Poste a commis une faute du fait de l'irrégularité de la promotion interne organisée depuis 2009 dès lors qu'aucun concours interne n'a été organisé et que la promotion par voie d'inscription sur des listes d'aptitude a été irrégulièrement organisée ; il n'est pas établi que les candidatures aient été examinées par une commission administrative paritaire régulièrement constituée ; les principes d'égalité de traitement entre les agents ont été méconnus ;

- les premiers juges ont commis une erreur dans l'appréciation des circonstances de fait et de droit pour rejeter sa demande d'indemnisation du préjudice de carrière ;

- elle a sollicité en vain l'organisation de voies de promotion interne alors qu'elle remplissait les conditions pour l'accès au grade de contrôleur, par voie de concours depuis l'année 1996 et par voie d'inscription sur des listes d'aptitude depuis 2007 ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle ne justifiait pas de chance sérieuse de promotion ; l'ensemble ses notations comprennent toutes des appréciations excellentes ; au titre des années 2011 à 2013, sa hiérarchie considère qu'elle présente des qualités pour évoluer vers des fonctions de niveau nettement supérieur ; étant porteuse d'un handicap un concours lui aurait permis d'accéder à un niveau supérieur plus que l'inscription sur une liste d'aptitude ; son préjudice de carrière, qui correspond à la perte indiciaire, peut être évalué à 60 000 euros ;

- elle n'a cessé, de 1996 à 2016, de solliciter de pouvoir candidater à une promotion interne ; son préjudice moral et ses troubles dans ses conditions d'existence justifient que lui soit allouée une somme totale de 20 000 euros quitte à parfaire ;

- l'exception de prescription sera écartée ;

- sa qualité de travailleur handicapé n'a pas été prise en compte, en méconnaissance des dispositions de l'article 6 sexies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et du principe d'égalité de traitement ; elle n'a bénéficié d'aucun dispositif spécial depuis 2014.

Par des mémoires en défense enregistrés le 17 mars 2020 et le 3 mars 2022, la société anonyme La Poste, représentée par Me Bellanger, conclut au rejet de la requête de Mme B... et à ce que soit mise à sa charge une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ; les premiers juges ont bien examiné la période postérieure à 2009 ; ils ont estimé, d'une manière générale, que l'ensemble des préjudices n'étaient pas établis ;

- La Poste ne conteste pas la faute commise sur la période 1993-2009 ;

- si Mme B... remplissait les conditions pour l'accès au grade de contrôleur, par voie de concours depuis l'année 1996, ce n'est qu'à compter de 2010 qu'elle les a remplies pour y accéder par voie d'inscription sur des listes d'aptitude ; elle a toujours été notée B depuis son entrée à La Poste et n'a jamais obtenu la note maximale E ; ses capacités à évoluer vers des fonctions de niveau supérieur ont été " bonnes " en 2004, 2005 et 2006 ou " parfaitement adaptées en 2007 et 2009 " mais jamais " excellentes " ; dans ces conditions, aucune perte de chance sérieuse de promotion n'est caractérisée sur la période 1993-2009 ;

- elle n'apporte aucun élément de nature à établir le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence ;

- la nouvelle demande fondée sur une faute à défaut d'organisation d'un concours interne, non invoquée en première instance, n'est pas recevable ;

- s'agissant de la période 1993-2009, la prescription était acquise, au moins depuis 2003 et au plus tard depuis 2014 ;

- s'agissant de la période postérieure à 2009, l'action est prescrite au moins jusqu'au 24 mai 2012, au regard de la date de réception de sa demande préalable ;

- la responsabilité de La Poste n'est pas engagée après l'année 2009 ; elle n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement entre les agents dans l'établissement des listes d'aptitude ainsi que l'ont jugé les juridictions administratives ; les commissions administratives paritaires ont bien été consultées ; l'absence de promotion de Mme B... n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; les préjudices ne sont pas établis ;

- La Poste n'avait pas l'obligation d'organiser des concours internes et l'organisation de la promotion par l'établissement des listes d'aptitude était suffisante et plus adaptée pour des corps de reclassement en voie d'extinction ;

- Mme B... n'établit pas une perte de chance sérieuse de réussir un tel concours interne ; il lui était loisible de candidater pour l'inscription sur liste d'aptitude, ce qu'elle n'a pas fait ; le préjudice de carrière n'est pas démontré ;

- elle n'apporte aucun élément de nature à établir le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 mars 2022, l'Etat (ministre de l'économie, des finances et de la relance) représenté par Me Andreini du cabinet d'avocats Eleos, conclut au rejet de la requête de Mme B....

Il fait valoir que :

-le jugement doit être confirmé ; en tout état de cause, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée pour la période courant de 1993 à la date d'introduction de la requête ; la faute a cessé depuis l'édiction du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;

-le dommage allégué n'étant pas certain ; compte tenu des appréciations portées sur l'intéressée, elle ne peut invoquer une perte de chance sérieuse d'avancement ; à titre subsidiaire, la somme de 6 000 euros sollicitée devra être réduite à de plus justes proportions ;

-le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence ne sont pas établis ; le somme de 20 000 euros sollicitée est excessive et devra être réduite à de plus justes proportions, entre 1 500 et 2 000 euros.

Par une ordonnance en date du 29 avril 2022 la date de clôture de l'instruction de l'affaire a été reportée au 23 mai 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le décret n° 72-500 du 23 juin 1972 modifié ;

- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- les observations de Me Sanches, substituant Me Lerat, représentant Mme B..., et de Me Tastard, représentant la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., née en 1970, a intégré l'administration des postes et des télécommunications le 19 août 1992 en qualité d'agent d'exploitation du service général. Elle n'a pas opté pour l'intégration au sein des nouveaux corps dits de " classification " mis en place à l'issue de la réforme initiée par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, et est devenue un agent dit " reclassé ". Elle a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation des décisions implicites de refus d'indemnisation nées du silence gardé par la société La Poste et l'Etat sur ses demandes indemnitaires préalables adressées le 22 mai 2017, leur condamnation solidaire à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation de l'ensemble des préjudices qu'elle estimait avoir subis en raison de son absence de promotion, assortie des intérêts au taux légal et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n°1704364 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par sa requête susvisée, Mme B... relève appel dudit jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort de l'examen du jugement attaqué qu'après avoir retenu que La Poste, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires " reclassés ", avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, a écarté l'indemnisation des préjudices dont Mme B... sollicitait la réparation au motif que son préjudice de carrière n'était pas établi en l'absence de la perte d'une chance sérieuse de promotion interne durant la période antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 et d'erreur manifeste d'appréciation à ne pas procéder à sa promotion au grade de contrôleur par la voie du recrutement au choix postérieurement à cette date. Toutefois, les premiers juges ont rejeté l'ensemble de ses conclusions en n'indiquant pas les motifs du rejet de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence. Dès lors, Mme B... est fondée à soutenir que le jugement est entaché d'insuffisance de motivation. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Sur le principe de la responsabilité :

En ce qui concerne la période antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 :

S'agissant de la responsabilité de la Poste :

3. Selon l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 qui a créé, aux termes de son article 1er, les exploitants publics La Poste et France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, qui comportent des dispositions spécifiques dans les conditions prévues aux alinéas ci-après, ainsi que dans les conditions de l'article 29-1 ".

4. Aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ". De plus, en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions règlementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade.

5. D'une part, la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement ". Il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et des télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires

" reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984.

6. D'autre part, le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés ". Par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité. En faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a commis une illégalité.

7. Toutefois La Poste se prévaut, ainsi qu'elle est recevable à le faire en sa qualité de société commerciale, des dispositions de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles (...) se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Le second alinéa de l'article 2222 du même code, issu de cette même loi, dispose que : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription (...), ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ".

8. La créance dont se prévaut Mme B... au titre des préjudices qu'elle a subis en raison de la faute, relevée au point 6, commise par son employeur et privant les fonctionnaires " reclassés " de La Poste de toute possibilité de promotion interne entre 1993 et 2009, doit être rattachée à chacune de ces années au cours desquelles les préjudices allégués ont été subis.

9. En application des dispositions citées ci-dessus de l'article 2222 du code civil, le nouveau délai de prescription de cinq ans pour les actions personnelles prévu par l'article 2224 du même code court à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008. Ce délai de prescription quinquennale a ainsi expiré le 19 juin 2013 en ce qui concerne les préjudices allégués dont le fait générateur est survenu jusqu'en 2008 et, au plus tard, le 31 décembre 2014 en ce qui concerne les préjudices invoqués dont le fait générateur est survenu en 2009. La demande préalable de Mme B... n'ayant été reçue par La Poste que le 24 mai 2017, elle était tardive en tant qu'elle portait sur la faute que Mme B... impute à La Poste antérieurement au rétablissement des voies de promotion interne par le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009.

10. Il résulte de ce qui précède que la demande d'indemnisation de Mme B... dirigée contre La Poste est irrecevable en tant qu'elle porte sur la période antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009.

S'agissant de la responsabilité de l'Etat :

11. Aux termes de l'article 31 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 20 mai 2005 : " La Poste peut employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels dans le cadre des orientations fixées par le contrat de plan (...) ". Le législateur, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne. Les décrets statutaires des corps " de reclassement " de La Poste ne prévoyaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et étaient, pour ce motif, devenus illégaux. Par suite, la décision par laquelle le Premier ministre a refusé de modifier les dispositions statutaires des corps " de reclassement " de La Poste en vue d'ouvrir des voies de promotion interne aux fonctionnaires appartenant à des corps " de reclassement ", qui soient indépendantes des voies d'accès externes à ces corps, est entachée d'excès de pouvoir. Toutefois, cette illégalité fautive a cessé depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de l'Etat.

12. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité pour faute de l'Etat résultant du refus du Premier ministre de modifier les décrets statutaires des corps des fonctionnaires reclassés de la Poste en vue d'ouvrir des voies de promotion interne de ces corps de fonctionnaires indépendantes des voies d'accès externes à ces corps ne peut être engagée que jusqu'à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009.

En ce qui concerne la période postérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 :

S'agissant de la responsabilité de la Poste :

13. Contrairement à ce que lui oppose La Poste, il résulte de l'instruction que Mme B... avait, tant dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Toulouse que dans sa demande préalable d'indemnisation, invoqué une faute consistant en l'irrégularité de la promotion interne organisée depuis 2009, d'une part, à défaut de l'organisation de concours interne, d'autre part, en raison de l'irrégularité de la procédure d'inscription sur la liste d'aptitude. Par suite, sa demande tendant à engager la responsabilité de La Poste sur ce fondement n'est pas nouvelle en appel et est donc recevable. Toutefois, par application des dispositions combinées des articles 2222 et 2224 du code civil précitées, La Poste est fondée à invoquer la prescription quinquennale des créances dont se prévaut Mme B... qui trouvent leur fait générateur dans la période antérieure au 24 mai 2012.

14. Il résulte de l'instruction que, postérieurement à l'édiction du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009, La Poste a, par décision n° 350-23 du 16 décembre 2009, prévu l'organisation de listes d'aptitude pour l'année 2009 ainsi que pour les années suivantes, notamment pour l'accès au grade de contrôleur.

15. Mme B... soutient à titre principal que des concours internes auraient dû être organisés plutôt que l'ouverture de listes d'aptitude. A titre subsidiaire, elle conteste la régularité de la procédure d'inscription sur la liste d'aptitude.

16. Les dispositions de l'article 1er du décret du 14 décembre 2009 susvisé n'emportent pas en elles-mêmes de dérogation à l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 et ne font pas obstacle à l'application des décrets statutaires régissant les différents corps énumérés en annexe dont celui de réviseurs des travaux de bâtiment de La Poste qu'il n'abroge pas. Le statut particulier du corps des agents d'exploitation du service général de La Poste, régi par les dispositions du décret n° 72-500 du 23 juin 1972 modifié, prévoit au nombre des modalités de promotion interne la voie du concours interne et celle de la liste d'aptitude pour l'accès au grade de contrôleur. Alors même que la Poste fait valoir qu'elle a fait le choix de privilégier la voie de la liste d'aptitude, cette circonstance ne la dispensait pas d'appliquer ces dispositions de ce statut particulier et par suite de procéder au recrutement dans ce corps, dans le respect des proportions expressément fixées entre les différentes voies d'accès que constituent le concours interne et la liste d'aptitude.

17. Par ailleurs et contrairement à ce que fait valoir la Poste, le Conseil d'Etat, en refusant de faire droit aux conclusions à fin d'astreinte liées à l'exécution de sa décision n° 304438-304439 du 11 décembre 2008, n'a pas statué sur la légalité du dispositif de promotion qu'elle a mis en place à la suite du décret du 14 décembre 2009, dont l'examen correspond à un litige distinct de celui tranché par cette décision.

18. Par suite, en s'abstenant d'organiser un concours interne pour l'accès au grade de contrôleur, sans qu'aucune disposition dérogatoire n'ait légalement justifié cette exclusion, La Poste a commis une illégalité fautive.

19. En revanche, il n'est pas établi que l'établissement des listes d'aptitude, selon les modalités prévues par la décision n° 350-23 du 16 décembre 2009, aurait méconnu le principe d'égalité de traitement entre les agents et que l'examen des candidatures n'aurait pas été soumis à la consultation des commissions administratives paritaires régulièrement constituées.

20. Par ailleurs, si Mme B... soutient que sa qualité de travailleur handicapé n'aurait pas été prise en compte, il est constant qu'elle n'a jamais postulé pour l'inscription sur une liste d'aptitude postérieurement à l'ouverture de cette voie de promotion interne, durant la période non prescrite, soit postérieurement au 24 mai 2012. Dans ces conditions, elle n'établit pas l'existence d'une quelconque discrimination à son encontre du fait de cette qualité.

S'agissant de la responsabilité de l'Etat :

21. Mme B... n'a développé, tant en première instance qu'en appel, aucun moyen de nature à établir l'existence d'une faute imputable à l'Etat postérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009. Par suite, sa demande tendant à sa condamnation conjointe avec La Poste au titre de ladite période doit être rejetée.

Sur l'indemnisation des préjudices :

22. Si les fautes citées au point 12 et 18 sont de nature à entraîner la responsabilité de l'Etat et de La Poste à raison des préjudices en résultant pour Mme B..., il appartient à cette dernière d'établir le caractère personnel, direct et certain des préjudices dont elle se prévaut.

23. En premier lieu, si Mme B... remplissait les conditions pour accéder au grade de contrôleur par la voie du concours interne à compter de 1996, la circonstance qu'aucun concours interne n'a été organisé par La Poste ne suffit pas à établir une perte de chance sérieuse de réussite à ce concours par l'intéressée, qui n'apporte aucun élément à l'appui de ses prétentions permettant d'apprécier ses aptitudes à réussir un tel concours. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 20, il est constant qu'elle n'a pas sollicité son inscription sur les listes d'aptitude durant la période non prescrite, à compter du 24 mai 2012 alors qu'au demeurant elle a toujours été notée B depuis son entrée à La Poste et n'a jamais obtenu la note maximale E. Par suite, son préjudice de carrière ne présente qu'un caractère purement éventuel.

24. En second lieu, d'une part, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence de Mme B... au titre de la période antérieure au décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009, en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros. En revanche, Mme B... n'établit pas l'existence de tels préjudices pour la période postérieure au 24 mai 2012 qui devraient lui être indemnisés par La Poste.

Sur les intérêts :

25. Mme B... a droit aux intérêts de la somme de 1 500 euros à compter du jour de la réception par l'Etat de sa demande préalable d'indemnisation, soit le 24 mai 2017.

Sur les frais liés au litige :

26. D'une part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de La Poste tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Mme B... sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1704364 du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une somme de 1500 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2017.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de La Poste tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme La Poste, à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

- Mme Blin, présidente assesseure,

- Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juillet 2022.

La présidente rapporteure,

A. Geslan-DemaretLa présidente assesseure,

A. Blin

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL20134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL20134
Date de la décision : 19/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Armelle GESLAN-DEMARET
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : LERAT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-07-19;20tl20134 ?
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