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19/07/2022 | FRANCE | N°20TL00599

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 19 juillet 2022, 20TL00599


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, en premier lieu, d'annuler la décision 15 janvier 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai de quinze jours et de lui rembourser les frais de justice déjà exposés à hauteur de 6 000 euros, et, en troisième lieu, de mettre à la charge de l'État la

somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, en premier lieu, d'annuler la décision 15 janvier 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai de quinze jours et de lui rembourser les frais de justice déjà exposés à hauteur de 6 000 euros, et, en troisième lieu, de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 1901412 du 18 décembre 2019, le président de la 3e chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 février 2020 sous le n° 20BX00599 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL00599, et un mémoire récapitulatif enregistré le 28 février 2022, M. B..., représenté par Me Domingues, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1901412 du 18 décembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 15 janvier 2019 et le rejet implicite de son recours préalable obligatoire ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, dans un délai de quinze jours, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour les instances pénales engagées à son encontre et de lui rembourser les frais de procédure engagés sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

-l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de fait ; il a adressé le 15 mars 2019, soit antérieurement au dépôt de sa requête le 19 mars suivant, le recours préalable obligatoire à la commission de recours des militaires ;

- elle est entachée d'un vice de procédure alors que sa requête ne pouvait être rejetée sur le fondement de l'article R. 222-1-4° du code de justice administrative et aurait dû être instruite, puis faire l'objet d'un jugement ;

- il est demandé à la cour de bien vouloir évoquer l'affaire ;

- la décision attaquée est entachée d'un vice de forme, en violation des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, car elle ne permet pas d'identifier son signataire ;

- elle est entachée d'incompétence de son auteur ;

- le premier motif qui lui est opposé selon lequel la demande de protection fonctionnelle aurait dû être faite préalablement à toute diligence de défense est contraire aux dispositions de l'article L. 4123-10 du code de la défense et des articles 1 à 3 du décret n° 2014-920 du 19 août 2014 ainsi qu'à la jurisprudence du Conseil d'Etat qui admet le remboursement des frais exposés sauf motif d'intérêt général ; il caractérise une résistance abusive et fautive de l'administration ;

- le second motif selon lequel les poursuites pénales pour lesquelles la protection est demandée seraient constitutives d'une faute personnelle détachable du service est entaché d'erreur de droit ; son action en qualité de membre et président de l'association professionnelle de défense des militaires AFAR est nécessairement en lien avec son statut de militaire comme en attestent les poursuites disciplinaires engagées à son encontre ayant abouti à une sanction fondée sur les mêmes faits dont il a contesté le bien-fondé devant le tribunal administratif de Montpellier dans un instance distincte en cours ; l'administration était tenue de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 février 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

-à titre principal, l'ordonnance contestée doit être confirmée dès lors que le recours à la commission de recours des militaires n'a été enregistré que le même jour que sa requête de première instance et non au préalable ;

- à titre subsidiaire, seule la légalité de la décision expresse de rejet de son recours préalable obligatoire en date du 11 octobre 2019, qui s'est substituée à la décision initiale, peut être contestée ;

- les moyens de légalité externe dirigés contre la décision initiale sont inopérants ;

- les autres moyens de légalité interne ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. B....

Par une ordonnance en date du 11 mai 2022, la date de clôture d'instruction de l'affaire a été fixée au 3 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente de chambre,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., capitaine dans la gendarmerie nationale et fondateur de l'association des forces armées réunies dont il assurait la présidence, affecté au groupement de gendarmerie de l'Hérault et en congé de longue durée depuis le 20 juillet 2017, a présenté, le 4 janvier 2019, au ministre de l'intérieur, une demande de protection fonctionnelle et de remboursement de frais de justice déjà exposés dans le cadre de poursuites pénales pour diffamation engagées à son encontre par des hauts cadres de la gendarmerie devant le tribunal correctionnel de Perpignan, puis la cour d'appel de Montpellier. Sa demande ayant été rejetée par une décision du 15 janvier 2019, il a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une requête à fin d'annulation qui a été rejetée comme entachée d'une irrecevabilité manifeste par une ordonnance n° 1901412 du 18 décembre 2019 prise sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par la présente requête, M. B... demande l'annulation de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif de Montpellier que M. B... avait joint en PJ n° 34, la copie du recours préalable obligatoire daté du 14 mars 2019 et adressé le 15 mars 2019, soit antérieurement au dépôt de sa requête enregistrée le 19 mars suivant, à la commission de recours des militaires. Il ressort par ailleurs des pièces jointes à sa requête d'appel que la commission de recours des militaires a accusé réception, par courrier du 20 mars 2019 de son recours enregistré le 19 mars précédent. Par suite c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, sa requête a été rejetée comme entachée d'une irrecevabilité manifeste à défaut d'avoir été précédée du recours préalable obligatoire prévu par l'article R. 4125-1 du code de la défense. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article R. 4125-10 du code de la défense : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. (...) / L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ".

5. S'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision qui ne peut donner lieu à un recours devant le juge de l'excès de pouvoir qu'après l'exercice d'un recours administratif préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l'y eut invité, produit la preuve de l'exercice de ce recours ainsi que, s'il en a été pris une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge de l'excès de pouvoir doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l'annulation de la décision, née de l'exercice du recours, qui s'y est substituée.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 3, il ressort des pièces du dossier que la commission de recours des militaires a accusé réception, par courrier du 20 mars 2019 du recours préalable obligatoire de M. B.... Il ressort par ailleurs des pièces produites en défense que son recours a été rejeté par une décision expresse en date du 11 octobre 2019, qui lui a été notifiée le 15 novembre suivant. Dans ces conditions, sa requête de première instance doit être regardée comme étant dirigée contre cette dernière décision qui s'est substituée à la décision initiale.

7. En premier lieu, les moyens de légalité externe, au demeurant non repris dans son mémoire récapitulatif, tirés de la violation des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et de l'incompétence de l'auteur de la décision du 15 janvier 2019 sont inopérants et ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes. / Il peut exercer, aux mêmes fins, une action directe, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale. / (...) / Le présent article s'applique sans préjudice des dispositions de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure et de celles de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. " et aux termes de cet article 11 : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. / (...) / IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...) ".

9. Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

10. La demande de protection fonctionnelle de M. B... avait pour objet d'assurer sa défense dans le cadre de poursuites pénales pour diffamation engagées à son encontre par des hauts cadres de la gendarmerie. Par jugement du tribunal correctionnel de Perpignan en date du 21 juin 2018, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier en date du 19 septembre 2019, l'intéressé a été condamné pour les propos diffusés sur un site internet et sur " you tube " qui ont été regardés comme diffamatoires. Le bien-fondé de la sanction disciplinaire de blâme qui lui a été infligée pour les mêmes faits a été confirmée par une décision du Conseil d'Etat n° 444784 du 20 juillet 2021 qui a retenu que " M. B... a tenu et publié sur des sites internet, à de nombreuses reprises, des propos outranciers à l'égard de plusieurs cadres de l'armée, notamment le directeur général de la gendarmerie nationale " et que " la circonstance alléguée par le requérant qu'il serait président d'une association professionnelle nationale de militaires ne saurait, en tout état de cause, justifier l'expression de tels propos ". Il s'ensuit qu'en refusant à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, au motif que les poursuites pénales pour lesquelles la protection était demandée étaient constitutives d'une faute personnelle détachable du service, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur de droit. Ce seul motif était de nature à fonder légalement la décision en date du 11 octobre 2019 sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la légalité de l'autre motif. Par suite, M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours des militaires a rejeté son recours préalable obligatoire. Il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et à fin de remboursement des frais de justice exposés pour sa défense devant les juridictions pénales.

Sur les frais liés au litige :

11. Les conclusions de M. B... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées dès lors que l'Etat n'est pas partie perdante dans la présente instance. Par ailleurs, celle-ci n'ayant donné lieu à aucun dépens, ses conclusions présentées à ce titre doivent être rejetées comme dépourvues d'objet.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1901412 du 18 décembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier est annulée.

Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier et le surplus de ses conclusion d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

- Mme Blin, présidente assesseure,

- Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juillet 2022.

La présidente rapporteure,

A. Geslan-DemaretLa présidente assesseure,

A. Blin

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL00599


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL00599
Date de la décision : 19/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Armelle GESLAN-DEMARET
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : SCP UHRY D'ORIA GRENIER - Membre de l'AARPI SMITH D'ORIA

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-07-19;20tl00599 ?
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