Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au Tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser, en sa qualité de subrogé des ayants-droit de M. C..., la somme totale de 47 080,40 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable du 9 juin 2017, suite au décès de M. C... survenu le 31 mai 2015 au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et de la SHAM une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1703859 du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa requête et l'a condamné à verser au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et à la société hospitalière d'assurances mutuelles une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2019 sous le n° 19BX03060 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 19TL23060, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1703859 du 16 mai 2019 ;
2°) à titre principal, de condamner solidairement le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui verser, en sa qualité de subrogé des ayants-droit de M. C..., la somme totale de 47 080,40 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable du 9 juin 2017 ;
3°) subsidiairement d'organiser une mesure d'expertise contradictoire en vue de déterminer si des fautes ont été commises dans la prise en charge de M. C... au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et de la SHAM une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en sa qualité de subrogé à concurrence des sommes versées dans les droits des victimes et en application de l'article L.1142-17 alinéa 7 du code de la santé publique, il est fondé à obtenir le remboursement des sommes versées par le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, responsable du dommage causé ;
- le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue a commis une faute tant au niveau de la réalisation de l'acte de soin courant que constitue la pose d'une contention que dans la surveillance du patient et l'organisation du service ;
- le décès de M. C... est en lien direct, certain et exclusif avec la mesure de contention mise en place au sein du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, puisqu'il est décédé d'asphyxie par étouffement avec une sangle abdominale ; cette mesure était soit inadaptée à l'état du patient, soit mal réalisée et surtout mal surveillée ;
- à titre principal, la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue est engagée ; avant son arrivée au centre hospitalier, M. C... bénéficiait d'un lit à barrières dans l'EHPAD où il résidait du fait de ses troubles mnésiques et de son agitation ; à son arrivée, il a fait l'objet d'une prescription d'une mesure de contention qui a été maintenue durant son séjour sans que rien n'indique si une évaluation a été réalisée, contrairement aux recommandations de l'ANAES et de l'AFSSAPS ; ni l'expert ni le tribunal n'ont contrôlé le respect de ces recommandations ; le tribunal n'a pas tenu compte des observations de l'ONIAM sur les lacunes de la surveillance, en particulier sur les journées du " 29, 30 et 31 janvier ", jour du décès ; il aurait dû faire l'objet d'une surveillance accrue ce qui n'a manifestement pas été le cas ;
- en tout état de cause, la responsabilité sans faute de l'établissement doit être engagée du fait de la défaillance du matériel de contention sans qu'il incombe à l'ONIAM de démontrer cette défaillance ;
- il a droit au remboursement des sommes versées, soit à l'épouse de la victime la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice d'affection et les sommes de 5 500 euros et 4 380,40 euros en remboursement des frais d'obsèques qui ont été justifiés, à chacun des enfants A... la victime la somme de 5 500 euros chacun au titre du préjudice d'affection ainsi qu'au montant des frais d'expertise de 700 euros été réglés par l'ONIAM au docteur M... ;
- à titre subsidiaire, il est sollicité une mesure d'expertise contradictoire, dans la mesure où l'ONIAM n'était pas représenté lors de celle diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation et n'a pas pu examiner les pièces communiquées à l'expert et faire valoir ses observations.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 novembre 2020, le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête.
Ils font valoir que :
- le défaut de surveillance allégué n'est pas caractérisé ; l'expert a bien vérifié si les recommandations de l'ANAES et de l'AFFSAPS avaient été respectées et considéré que la mise en œuvre de la mesure de contention était adaptée à l'état du patient ; il y a bien eu une évaluation quotidienne de son état ;
- en l'absence de démonstration de la défaillance des sangles de contention, la responsabilité sans faute du centre hospitalier n'est pas engagée.
Par une ordonnance en date du 10 novembre 2020, la date de clôture de l'instruction de l'affaire a été fixée au 15 janvier 2021.
Par une ordonnance en date du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Armelle Geslan-Demaret, présidente,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Prado, représentant le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 octobre 2015, M. D... C..., alors âgé de 86 ans et résidant dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes dans lequel il occupait un lit muni de deux barrières du fait de ses troubles mnésiques et de son agitation, a été admis au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, dans le service d'urologie en raison de l'arrachement de son cyscocath, qui avait été posé dans le cadre d'une rétention aigüe d'urine. Dès son admission dans le service, M. C..., ayant arraché les sondes urinaires mises en place, a bénéficié de la prescription d'une contention abdominale au minimum. Le 31 octobre 2015, il a été constaté le décès de M. C..., lequel est survenu par asphyxie du fait de la sangle abdominale. Les ayants-droit du patient ont saisi aux fins d'indemnisation la commission régionale de conciliation et d'indemnisation Midi-Pyrénées. La commission a désigné, en qualité d'expert, le docteur M... qui a déposé son rapport le 22 juin 2016. A la suite de l'avis de la commission en date du 14 septembre 2016, l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a émis cinq protocoles d'indemnisation transactionnelle qui ont été acceptés par les ayants-droit de M. C... pour un montant total de 46 380,40 euros. L'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, subrogé à concurrence des sommes versées dans les droits des victimes, a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles, à lui verser une somme totale de 47 080,40 euros incluant les frais d'expertise réglés par lui pour un montant de 700 euros. Par le jugement susvisé du 16 mai 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa requête et a mis à la charge de l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme de 1 500 euros à verser au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et à la société hospitalière d'assurances mutuelles au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la présente requête, l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales demande l'annulation de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 1142-17 alinéa 7 du code de la santé publique : " Si l'office qui a transigé avec la victime estime que la responsabilité d'un professionnel, établissement, service, organisme ou producteur de produits de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1142-14 est engagée, il dispose d'une action subrogatoire contre celui-ci. Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l'office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l'article L. 1142-1-1, sauf en cas de faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. ". L'article L. 1142-1 du même code prévoit que : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...)/ II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service, ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ".
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
3. Il est constant que le décès de M. C... est en lien direct et certain avec la mesure de contention mise en place au sein du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue, puisqu'il est décédé d'asphyxie par étouffement avec une sangle abdominale. Si l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales soutient que cette mesure, qui ne peut être regardée comme un " acte de soins courant " mais est qualifiée dans le rapport de la commission d' " acte de prévention ", était soit inadaptée à l'état du patient, soit mal réalisée et surtout mal surveillée, il ressort du rapport d'expertise amiable établi par le docteur M... que dès l'arrivée du patient au centre hospitalier de Villefranche de Rouergue, le 25 octobre 2015, le docteur G... a fait " une prescription de contention (...) par sangle ventrale, attaches poignets, pieds en cas de besoin avec risque 4 ". Toutefois, si l'expert a relevé, après avoir mentionné les recommandations de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) et de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), que la mesure a été adaptée au patient et à la situation et évaluée quotidiennement et a conclu qu'il s'agissait " d'un accident dramatique, malheureux, sans aucun rapport avec un quelconque dysfonctionnement de l'équipe soignante et/ou de l'organisation du service ", aucun document ne permet d'attester des modalités des mesures de surveillance mises en place. En particulier, s'agissant du jour du décès, le 31 octobre 2015, il ressort du rapport d'expertise que M. C... a été vu à 9 heures, pour son petit déjeuner, et que sa toilette devait être faite en dernier en raison de sa mise à l'isolement, alors que son décès a été constaté à 11 heures 10, ainsi qu'il ressort de l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation Midi-Pyrénées. Durant ces deux heures, il n'est pas établi qu'il aurait fait l'objet des mesures de surveillance que son état d'agitation nécessitait, en raison des risques d'étouffement bien connus induits par les mesures de contention rappelés dans les recommandations des agences mentionnées ci-dessus, et alors que les barrières du lit n'étaient pas en place. Par suite, l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse n'a pas retenu l'existence d'une faute dans la surveillance de M. C... de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue. Il y a donc lieu d'examiner, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, les montants d'indemnisation auxquels l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales peut prétendre à raison de la responsabilité encourue à ce titre par le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue.
En ce qui concerne le remboursement des sommes versées par l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux ayant droits de M. C... :
4. Il résulte de l'instruction que l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a versé à l'épouse de M. C..., Mme I... C..., une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice d'affection, sur la base de son référentiel, et la somme de 4 380,40 euros en remboursement de frais d'obsèques dûment justifiés. Il a versé à chacune de ses filles, N... B... F..., H... L..., K... C... et J... E..., la somme de 5 500 euros chacune au titre de leur préjudice d'affection. Il y a lieu, par suite, de condamner solidairement le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en sa qualité de subrogé des ayants-droit de M. C..., la somme totale de 46 380,40 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable du 9 juin 2017.
En ce qui concerne les frais de l'expertise amiable :
5. Les dispositions de l'alinéa 7 de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, qui fondent son action subrogatoire, ne prévoient pas que l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales puisse obtenir le remboursement des frais d'expertise amiable qu'il a exposés. L'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales n'est donc pas fondé à demander une somme à ce titre.
6. Il résulte de ce qui précède que l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge conjointe du centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et de la société hospitalière d'assurances mutuelles une somme de 1 500 euros à verser à l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1703859 du 16 mai 2019 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et la société hospitalière d'assurances mutuelles sont conjointement condamnés à verser à l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme totale de 46 380,40 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire préalable du 9 juin 2017.
Article 3 : Le centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et la société hospitalière d'assurances mutuelles verseront conjointement à l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier de Villefranche-de-Rouergue et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
- Mme Blin, présidente assesseure,
- Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2022.
La présidente rapporteure,
A. GESLAN-DEMARETLa présidente assesseure,
A. BLIN
Le greffier,
F. KINACH
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19TL23060