La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/07/2025 | FRANCE | N°24PA01166

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 22 juillet 2025, 24PA01166


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



I. Par une demande enregistrée sous le n° 2206868, la société à responsabilité limitée (SARL) Kaliam Food a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 10 février 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger

dans son pays d'origine prévue par l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. Par une demande enregistrée sous le n° 2206868, la société à responsabilité limitée (SARL) Kaliam Food a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 10 février 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, pour un montant total de 41 918 euros, ainsi que la décision du 11 mai 2022 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux, de la décharger de ces contributions, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale qui a été mis à sa charge pour l'emploi de M. B... E... et de la décharger de cette contribution dans cette mesure et, à titre encore plus subsidiaire, de lui accorder des délais de paiement.

II. La SARL Kaliam Food a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler les titres de perception émis à son encontre le 3 mars 2022 et le 4 mars 2022 en vue de recouvrer la somme totale de 41 918 euros mise à sa charge par la décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 10 février 2022 et, à titre subsidiaire, de lui accorder des délais de paiement.

Par une ordonnance du 25 janvier 2023, la présidente du tribunal administratif de Versailles a transmis au tribunal administratif de Melun la requête présentée par la société Kaliam Food, qui a été enregistrée sous le n° 2300951.

Par un jugement nos 2206868, 2300951 du 8 janvier 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 mars 2024, la SARL Kaliam Food, représentée par Me Nemri, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 janvier 2024 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 10 février 2022 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ainsi que la décision du 11 mai 2022 rejetant son recours gracieux ;

3°) de la décharger de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement mises à sa charge par la décision du 10 février 2022 du directeur général de l'OFII ;

4°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale et, par voie de conséquence, de la décharger de cette contribution à hauteur de 29 840 euros ;

5°) à titre encore plus subsidiaire, de lui accorder des délais de paiement ;

6°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de l'OFII est insuffisamment motivée ;

- elle a cru de bonne foi qu'elle pouvait légalement recruter M. E... au vu du document délivré par les autorités françaises présenté lors de son embauche ; elle n'est pas tenue de vérifier les documents présentés par des salariés français ; elle a procédé à sa déclaration préalable à l'embauche, s'est acquittée des cotisations sociales et a versé à l'intéressé ses salaires ; le montant de la contribution spéciale doit ainsi être réduit de 29 840 euros ;

- M. C... n'a jamais travaillé pour son compte ; par suite, elle doit être déchargée de la somme de 18 650 euros au titre de la contribution spéciale et de la somme de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement ;

- la sanction est disproportionnée dès lors que le directeur général de l'OFII n'a pas tenu compte de sa bonne foi et de ses difficultés économiques ; elle connaît également des conditions d'exercice difficiles du fait de la pandémie puis de nuisances dues à des travaux réalisés à l'extérieur du restaurant ;

- la baisse notable de son chiffre d'affaires depuis 2020 justifie que lui soient accordés des délais de paiement afin de lui permettre de s'acquitter des contributions mises à sa charge ; elle devra être autorisée à régler sa dette en vingt-trois mensualités de 1 000 euros chacune, le solde devant être réglé lors de la vingt-quatrième mensualité ;

- les titres de perception n'ont pas été ordonnés par le directeur général de l'OFII, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 5223-24 du code du travail ;

- les titres de perception sont illégaux du fait de l'illégalité de la décision du 10 février 2022 du directeur général de l'OFII.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Kaliam Food au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- par une décision du 18 juillet 2024, l'OFII a annulé la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mise à la charge de la société Kaliam Food pour un montant de 4 618 euros ;

- les moyens soulevés par la société Kaliam Food ne sont pas fondés.

Par courrier du 27 août 2024, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 10 février 2022 du directeur général de l'OFII en tant qu'elle met à la charge de la société Kaliam Food la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine et de la décision du 11 mai 2022 en tant qu'elle rejette dans cette mesure le recours gracieux de la société, ainsi que sur les conclusions tendant à la décharger de l'obligation de payer cette contribution, cette dernière ayant été annulée par une décision du 18 juillet 2024 du directeur général de l'OFII.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2024-814 du 9 juillet 2024 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 novembre 2021, à l'occasion du contrôle de l'établissement de restauration rapide exploité par la société Kaliam Food à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), les services de police ont constaté la présence, en action de travail, de deux ressortissants pakistanais, dépourvus de titre les autorisant à séjourner et à exercer une activité salariée en France. Un procès-verbal d'infraction a été dressé et transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 8271-17 du code du travail. Par une décision du 10 février 2022, le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société Kaliam Food les sommes de 37 300 euros au titre de la contribution spéciale, alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, à raison de l'emploi de deux travailleurs étrangers, et de 4 618 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur. Le recours gracieux formé par la société le 8 avril 2022 à l'encontre de cette décision a été rejeté par une décision du 11 mai 2022. Des titres de perception ont été émis les 3 et 4 mars 2022 en vue de recouvrer la somme totale de 41 918 euros mise à la charge de la société Kaliam Food par la décision du directeur général de l'OFII du 10 février 2022. Les réclamations présentées auprès de la direction départementale des finances publiques de l'Essonne par la société Kaliam Food le 25 avril 2022 ont été implicitement rejetées. Par un jugement du 8 janvier 2024, dont la société Kaliam Food relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du directeur général de l'OFII et des titres de perception, à la décharge de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mises à sa charge par l'OFII et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de la contribution spéciale mis à sa charge et à la décharge de cette contribution dans cette mesure et à l'octroi de délais de paiement.

Sur la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine :

2. Par une décision du 18 juillet 2024, l'OFII a annulé la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mise à la charge de la société Kaliam Food pour un montant de 4 618 euros. Les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 10 février 2022 du directeur général de l'OFII en tant qu'elle met à la charge de la société requérante cette contribution et à l'annulation de la décision du 11 mai 2022 en tant qu'elle rejette dans cette mesure le recours gracieux de la société requérante, ainsi que les conclusions tendant à la décharger du paiement de cette contribution, sont ainsi devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ". Aux termes de l'article R. 5221-41 du même code : " En application de l'article L. 5221-8, l'employeur vérifie que l'étranger qu'il se propose d'embaucher est en situation régulière au regard du séjour. A cette fin, l'employeur saisit le préfet du département dans lequel l'établissement employeur a son siège ou le particulier employeur sa résidence(...) ". Aux termes de l'article R. 5221-42 du même code : " La demande de l'employeur est adressée au préfet au moins deux jours ouvrables avant la date d'effet de l'embauche. / Le préfet notifie sa réponse à l'employeur par courrier ou courrier électronique dans un délai de deux jours ouvrables à compter de la réception de la demande. A défaut de réponse dans ce délai, l'obligation de l'employeur de s'assurer de l'existence de l'autorisation de travail est réputée accomplie ".

5. D'une part, aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. / L'Etat est ordonnateur de la contribution spéciale. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception. / Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines ". Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / IV.- Le montant de la contribution spéciale est porté à 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsqu'une méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 8251-1 a donné lieu à l'application de la contribution spéciale à l'encontre de l'employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l'infraction ". L'article L. 8252-2 du même code précise les sommes auxquelles le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite et l'article R. 8252-6 impose à l'employeur de justifier, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales. Aux termes de l'article R. 8253-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Aux termes de l'article R. 8253-4 de ce même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. / Le ministre chargé de l'immigration est l'autorité compétente pour la liquider et émettre le titre de perception correspondant. / La créance est recouvrée par le comptable public compétent comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, qui abroge les dispositions relatives à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement et leur substitue une amende administrative : " Le ministre chargé de l'immigration prononce, au vu des procès-verbaux et des rapports qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, une amende administrative contre l'auteur d'un manquement aux articles L. 8251-1 et L. 8251-2, sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre. / Lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière. / Le montant de l'amende est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés. / Lorsque sont prononcées, à l'encontre de la même personne, une amende administrative en application du présent article et une sanction pénale en application des articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 à raison des mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues. / (...) / Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 9 juillet 2024, applicable aux procédures de sanction relatives à des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de cet article en vertu du II de l'article 6 de ce décret : " Le montant des frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière mentionnés au second alinéa de l'article L. 8253-1 est fixé par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé du budget en fonction du coût moyen des opérations d'éloignement suivant les zones géographiques à destination desquelles les étrangers peuvent être éloignés. / Le montant maximum de l'amende administrative prévue à l'article L. 8253-1 est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque l'employeur s'est acquitté spontanément des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. (...) ".

Sur la régularité de la décision du 10 février 2022 :

7. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

8. La décision du 10 février 2022, mettant à la charge de la société requérante la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, mentionne les articles L. 8251-1, L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail, qui définissent le manquement et la sanction et déterminent son mode de calcul, et indique que la contribution spéciale, dont le montant, en l'absence de minoration ou de majoration, se déduit en l'espèce directement des dispositions du I de l'article R. 8253-2, est infligée en raison de l'emploi de deux salariés étrangers démunis de titres de travail qu'elle désigne. La décision en litige comporte ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. La société requérante ne peut utilement contester le bien-fondé des motifs retenus par le directeur général de l'OFII pour soutenir que la décision serait insuffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.

Sur le bien-fondé de la contribution spéciale mise à la charge de la société Kaliam Food:

9. En premier lieu, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, cité ci-dessus, qui assure en partie la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.

10. Il ressort du procès-verbal d'audition du 9 novembre 2021 que M. E... a déclaré, devant les agents de police judiciaire, travailler pour la société Kaliam Food en tant que cuisinier depuis février ou mars 2021, pour un salaire mensuel de 1 210 euros, et que lors de son embauche par le gérant, M. A..., il avait présenté une photocopie de son attestation de demande d'asile qui était expirée. Lors de son audition, le gérant a déclaré avoir embauché l'intéressé au vu d'un titre de séjour en cours de validité, délivré par les autorités françaises, et d'une attestation de la caisse primaire d'assurance maladie. La société Kaliam Food verse aux débats une copie d'une carte de résident établie au nom de M. E..., valable du 25 février 2015 au 24 février 2025. Toutefois, il ressort des mentions du procès-verbal rendant compte de la consultation du fichier national des étrangers par les services de police le 9 novembre 2021 que M. E... a seulement disposé d'une attestation de demande d'asile valable du 24 août 2016 au 23 novembre 2016 et qu'il a fait l'objet le 22 novembre 2016 d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, notifiée le 2 décembre 2016. Le titre de séjour au nom de M. E... était donc un faux document. La société Kaliam Food ne peut sérieusement soutenir, alors qu'elle se prévaut de ce titre de séjour, qu'elle n'était pas tenue de vérifier la situation administrative d'un ressortissant français. Elle était au contraire tenue de s'assurer auprès des services de la préfecture que M. E... était titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à travailler en France préalablement à son recrutement, en vertu des dispositions de l'article L. 5221-8 du code du travail, citées au point 4. Or elle ne justifie pas avoir accompli les diligences obligatoires qui lui incombaient, ce que le gérant de la société a, au demeurant, reconnu lors de son audition par les services de police le 9 novembre 2021. Il s'ensuit que le directeur général de l'OFII a pu légalement mettre à la charge de la société Kaliam Food la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi de M. E..., sans que celle-ci soit fondée, en tout état de cause, à se prévaloir de sa prétendue bonne foi.

11. En deuxième lieu, il ressort du compte rendu de l'enquête du 9 novembre 2021 que lors du contrôle de l'établissement de restauration rapide exploité par la société Kaliam Food, les services de la police nationale ont constaté la présence de M. C... en action de travail. En outre, lors de son audition par les services de police le même jour, M. C... a déclaré qu'il travaillait dans le restaurant de la société Kaliam Food depuis juillet 2021, qu'il faisait notamment " la plonge, le nettoyage, (...) la cuisine parfois " et qu'il venait travailler quand le gérant du restaurant l'appelait, ce qui correspondait à environ 90 heures par mois. Il ressort du procès-verbal d'audition de M. A..., gérant de la société Kaliam Food, établi par les services de police le 9 novembre 2021, que celui-ci a reconnu avoir recruté M. C... au vu de son attestation de demande d'asile qui avait expiré en 2019 et que celui-ci a commencé à travailler dans le restaurant à partir d'octobre 2021. Il a également déclaré qu'aucun contrat de travail n'avait été signé, qu'il ne remettait pas à M. C... de bulletin de paie, qu'il le rémunérait en espèces et que le travailleur n'avait pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche auprès de l'URSSAF. Enfin, M. E..., autre travailleur au sein du restaurant, a déclaré lors de son audition par les services de police le même jour, qu'il travaillait avec M. C..., lequel occupait l'emploi de cuisinier, depuis " quatre ou cinq mois ". Dans ces conditions, la relation de travail entre la société Kaliam Food et M. C... est établie. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que M. C... était dépourvu de titre l'autorisant à séjourner et à exercer une activité salariée en France. Dans ces conditions, le directeur général de l'OFII a pu légalement mettre à la charge de la société Kaliam Food la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi de M. C....

12. En troisième lieu, le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société Kaliam Food la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail au montant forfaitaire de 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti. Si la société requérante soutient que le montant maximum de la sanction qui lui est infligée doit être réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dès lors qu'elle s'est acquittée des salaires et des cotisations pour l'emploi de M. E... et que celui-ci a fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, il résulte de l'instruction que, d'une part, le procès-verbal d'infraction a relevé le délit d'exécution d'un travail dissimulé en ce qui concerne l'emploi non déclaré de M. C... et que, d'autre part, la société Kaliam Food, qui affirme avoir rompu le contrat de M. E... à la suite du contrôle, n'établit ni s'être acquittée des salaires et indemnités qui lui étaient dus en raison de la rupture des relations de travail, mentionnés à l'article L. 8252-2 du code du travail, ni avoir justifié de l'accomplissement de ses obligations légales auprès de l'OFII en application des dispositions de l'article R. 8252-6 du même code. En outre, si la société Kaliam Food se prévaut de difficultés financières, qui résulteraient notamment d'une baisse de son chiffre d'affaires " de l'ordre de 40 à 45 % " due à l'épidémie de covid-19 et à la situation économique ainsi qu'aux travaux effectués à l'extérieur du restaurant, celles-ci ne sont étayées par aucune pièce. La société requérante a été négligente en ne procédant pas auprès des services de la préfecture aux vérifications de l'existence de titres autorisant M. E... et M. C... à exercer une activité salariée en France, prévues par l'article L. 5221-8 du code du travail. Enfin, la circonstance que le casier judiciaire du gérant de la société Kaliam Food soit vierge est sans incidence sur l'appréciation portée sur le montant de la sanction financière qui a été infligée à la Sarl Kaliam Food et non à son gérant. Dans ces conditions, la fixation de la sanction à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail.

13. En dernier lieu, la société requérante, qui n'a pas repris devant la cour ses conclusions tendant à l'annulation des titres de perception émis les 3 et 4 mars 2022 présentées devant le tribunal administratif de Melun, ne peut utilement soutenir, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du directeur général de l'OFII du 10 février 2022 et du 11 mai 2022 et à la décharge de la contribution spéciale, que les titres de perception n'auraient pas été émis par le directeur général de l'OFII, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 5223-24 du code du travail, et qu'ils seraient illégaux du fait de l'illégalité de la décision du 10 février 2022. En tout état de cause, d'une part, il résulte des dispositions de l'article R. 8253-4 du code du travail, cité au point 5, que le ministre chargé de l'immigration est l'autorité compétente pour émettre le titre de perception et qu'en l'espèce, les titres de perception émis les 3 et 4 mars 2022 ont été signés par Mme D... F..., cheffe du pôle recettes, compétente en vertu des dispositions du décret du 27 juillet 2005 et de la décision du 26 août 2021, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française du 1er septembre 2021, par laquelle le directeur de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier du ministère de l'intérieur lui a donné délégation à effet de signer les actes comptables émis dans le cadre du périmètre d'exécution budgétaire confié au centre des prestations financières. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la contribution spéciale serait illégale.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Kaliam Food n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions 10 février et 11 mai 2022 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en tant qu'elles concernent la contribution spéciale et à la décharge de cette contribution.

Sur les conclusions tendant à l'octroi de délais de paiement :

15. Il n'appartient pas au juge administratif d'accorder des délais de paiement de la somme mise à la charge d'un employeur sanctionné sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail. Par suite, la société Kaliam Food n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté les conclusions qu'elle avait présentées à cette fin devant le tribunal.

Sur les frais de l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la société Kaliam Food la somme qu'elle sollicite au titre des frais exposés dans l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Kaliam Food le versement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 10 février 2022 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration mettant à la charge de la société Kaliam Food la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement et de la décision du 11 mai 2022 en tant qu'elle rejette dans cette mesure le recours gracieux de la société Kaliam Food ainsi que sur les conclusions tendant à la décharge de cette contribution.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Kaliam Food est rejeté.

Article 3 : La société Kaliam Food versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kaliam Food et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Copie en sera adressée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la cour,

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2025.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

P. Fombeur

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA01166

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01166
Date de la décision : 22/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : NEMRI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-22;24pa01166 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award