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22/07/2025 | FRANCE | N°24PA01126

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 22 juillet 2025, 24PA01126


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Rosa a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 12 janvier 2023 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du sé

jour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, pour un montant total de 159 636 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rosa a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 12 janvier 2023 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, pour un montant total de 159 636 euros, ainsi que la décision du 16 mars 2023 par laquelle cette même autorité a rejeté son recours gracieux, de la décharger de ces contributions, et, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale.

Par un jugement no 2304225 du 14 février 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 mars 2024, la société Rosa, représentée par Me Mayer, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision du 12 janvier 2023 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ainsi que la décision du 16 mars 2023 rejetant son recours gracieux ;

3°) de la décharger de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine mises à sa charge par la décision du 12 janvier 2023 du directeur général de l'OFII ;

4°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale mise à sa charge ;

5°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la sanction a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que, d'une part, l'OFII ne lui a pas transmis l'ensemble des pièces du dossier et, d'autre part, il n'a pas répondu à ses observations présentées le 4 novembre 2022, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les décisions de l'OFII sont insuffisamment motivées ;

- elles sont entachées d'erreur de droit ; seuls, les manquements mentionnés dans le procès-verbal peuvent être retenus par l'OFII qui n'est pas habilité à constater lui-même des infractions ; l'inspecteur du travail ayant relevé l'infraction de travail dissimulé pour quinze salariés, l'OFII ne pouvait pas lui appliquer la contribution spéciale en retenant un nombre de vingt-quatre salariés quand bien même le nombre de pièces d'identités présentées par les travailleurs de la société et contrôlées par l'inspecteur du travail serait supérieur à quinze salariés ; l'OFII a décidé de retenir les six salariés mentionnés sur le registre du personnel de la société en estimant qu'ils étaient en situation irrégulière sur le territoire français alors que l'inspecteur du travail n'avait pas établi de procès-verbal concernant ces salariés ;

- elle n'était pas en mesure de savoir que les documents d'identités originaux de ressortissants de l'Union européenne que les quinze travailleurs lui ont présentés revêtaient un caractère frauduleux ; elle est de bonne foi et n'a manqué à aucune de ses obligations ;

- aucune infraction de travail dissimulé n'a été caractérisée à son encontre ; en tout état de cause, l'élément intentionnel de l'infraction de travail dissimulé n'est pas établi ;

- elle a toujours déclaré ses salariés, leur a remis des bulletins de salaire et a réglé les cotisations aux organismes sociaux ; elle n'a pas été poursuivie pour l'infraction de travail dissimulé ; l'OFII ne pouvait donc pas lui infliger la contribution spéciale et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine ;

- les articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient les sanctions en litige, n'autorisent pas l'administration à en moduler les montants ou à adapter ces sanctions en fonction des circonstances du dossier, en méconnaissance des articles 8 de la Déclarations des droits de l'homme et du citoyen et 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la sanction a été appliquée par l'OFII de manière automatique, sans prendre en considération ses observations ; elle est disproportionnée au regard de la gravité des faits reprochés, le montant de la sanction représentant 40 % de son chiffre d'affaires ; elle aura des conséquences d'une exceptionnelle gravité dès lors qu'elle n'aura pas d'autre choix que de déposer le bilan ; la sanction méconnaît ainsi les articles 8 de la Déclarations des droits de l'homme et du citoyen et 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- au vu des éléments du dossier et de sa bonne foi, le taux retenu par l'OFII pour fixer le montant de la contribution spéciale sera diminué de manière substantielle ;

- l'OFII ne justifiant pas du caractère effectif du réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine, cette contribution n'est pas due.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juillet 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Rosa au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- par une décision du 18 juillet 2024, l'OFII a annulé la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mise à la charge de la société Rosa pour un montant de 9 236 euros ;

- les moyens soulevés par la société Rosa ne sont pas fondés.

Par courrier du 27 août 2024, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 12 janvier 2023 du directeur général de l'OFII en tant qu'elle met à la charge de la société Rosa la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine et la décision du 16 mars 2023 en tant qu'elle rejette dans cette mesure le recours gracieux de la société, ainsi que sur les conclusions tendant à la décharger de l'obligation de payer cette contribution, cette dernière ayant été annulée par une décision du 18 juillet 2024 du directeur général de l'OFII.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Déclarations des droits de l'homme et du citoyen ;

- la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2024-814 du 9 juillet 2024 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Rosa, qui exerce son activité dans le secteur du bâtiment, a fait l'objet à compter du 17 avril 2022, d'un contrôle administratif par l'inspecteur du travail de l'unité régionale d'appui et de contrôle chargée de la lutte contre le travail illégal en Ile-de-France, assisté par les services de l'URSSAF et de la cellule fraude documentaire de la préfecture de police de Paris. Le procès-verbal rédigé par l'inspecteur du travail le 22 septembre 2022 a été transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 8271-17 du code du travail. Par un courrier du 12 octobre 2022, le directeur général de l'OFII a informé la société Rosa qu'elle était susceptible, indépendamment des poursuites pénales susceptibles d'être engagées, de se voir appliquer la contribution spéciale, alors prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine, prévue à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, pour vingt travailleurs démunis de titre les autorisant à exercer une activités salariée en France et, de plus, pour quatre travailleurs démunis de titre les autorisant à séjourner sur le territoire national. Par une lettre du 4 novembre 2022, la société Rosa a présenté ses observations. Par une décision du 12 janvier 2023, le directeur général de l'OFII a mis à sa charge ces contributions pour un montant total de 159 636 euros. Le recours gracieux formé par la société le 8 février 2023 à l'encontre de cette décision a été rejeté par une décision du 16 mars 2023. Par un jugement du 14 février 2024, dont la société Rosa relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du directeur général de l'OFII, à la décharge de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de la contribution spéciale mis à sa charge.

Sur la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine :

2. Par une décision du 18 juillet 2024, l'OFII a annulé la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine mise à la charge de la société Rosa pour un montant de 9 236 euros. Les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 12 janvier 2023 du directeur général de l'OFII en tant qu'elle met à la charge de la société requérante cette contribution et à l'annulation de la décision du 16 mars 2023 en tant qu'elle rejette dans cette mesure le recours gracieux de la société requérante, ainsi que les conclusions tendant à la décharge du paiement de cette contribution, sont ainsi devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 5221-8 de ce code : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ".

5. D'une part, aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. / L'Etat est ordonnateur de la contribution spéciale. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception. / Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines ". Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / IV.- Le montant de la contribution spéciale est porté à 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsqu'une méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 8251-1 a donné lieu à l'application de la contribution spéciale à l'encontre de l'employeur au cours de la période de cinq années précédant la constatation de l'infraction ". L'article L. 8252-2 du même code précise les sommes auxquelles le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite et l'article R. 8252-6 impose à l'employeur de justifier, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales. Aux termes de l'article R. 8253-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Aux termes de l'article R. 8253-4 de ce même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. / Le ministre chargé de l'immigration est l'autorité compétente pour la liquider et émettre le titre de perception correspondant. / La créance est recouvrée par le comptable public compétent comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, qui abroge les dispositions relatives à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement et leur substitue une amende administrative : " Le ministre chargé de l'immigration prononce, au vu des procès-verbaux et des rapports qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, une amende administrative contre l'auteur d'un manquement aux articles L. 8251-1 et L. 8251-2, sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre. / Lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière. / Le montant de l'amende est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés. / Lorsque sont prononcées, à l'encontre de la même personne, une amende administrative en application du présent article et une sanction pénale en application des articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 à raison des mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues. / (...) / Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 9 juillet 2024, applicable aux procédures de sanction relatives à des faits commis antérieurement à l'entrée en vigueur de cet article en vertu du II de l'article 6 de ce décret : " Le montant des frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière mentionnés au second alinéa de l'article L. 8253-1 est fixé par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé du budget en fonction du coût moyen des opérations d'éloignement suivant les zones géographiques à destination desquelles les étrangers peuvent être éloignés. / Le montant maximum de l'amende administrative prévue à l'article L. 8253-1 est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque l'employeur s'est acquitté spontanément des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. (...) ".

Sur la contribution spéciale mise à la charge de la société Rosa :

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail que la contribution spéciale qu'elles prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.

8. Il ressort du procès-verbal d'infraction établi par l'inspecteur du travail le 22 septembre 2022 que lors de leurs embauches respectives, dix-huit salariés de la société Rosa ont présenté des cartes d'identités belge, espagnole ou portugaise ainsi qu'un passeport espagnol que l'inspecteur du travail, comme il était en droit de le faire, a soumis à l'expertise de la cellule de la fraude documentaire de la préfecture de police de Paris. Les agents de cette cellule ont relevé plusieurs anomalies affectant ces documents, consistant en des codes ou des numéros d'identification erronés, ou en des modes d'impression et des puces électroniques qui ne sont pas " les bons ", ou des alignements et des polices d'écriture qui ne sont pas respectés, des bandes MRZ et des gravures au laser contrefaites, un seul nom de famille sur certaines cartes d'identités espagnoles, ou encore des dates de validité incohérentes en ce que les dates des jours retenues en début et fin de validité sont inversées, ou une mention erronée d'une date de naissance. Toutefois, alors que ces anomalies n'ont été mises en évidence qu'après l'exploitation des documents en cause par une cellule spécialisée dans la fraude documentaires, il ne résulte pas de l'instruction qu'au seul examen des documents présentés par ces salariés pour justifier de leur qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'était pas exigée, le gérant de la société Rosa était en mesure de savoir que ces documents, qui indiquaient des nationalités européennes pour les salariés concernés et qui se sont avérés être faux, revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité alors que ces documents n'étaient pas soumis à l'obligation de vérification des titres autorisant à travailler prévues par les dispositions de l'article L. 5221-8 du code du travail. Dans ces conditions, la société Rosa est fondée à soutenir que la contribution spéciale pour l'emploi de M. S... C..., M. R... C..., M. K..., M. P... C..., M. I..., M. M... C..., M. T... C..., M. J..., M. O... C..., M. Q... C..., M. D... B..., M. C... F..., M. L... C..., M. A... G..., M. C... E..., né le 2 juillet 1995, M. H... C... né le 4 décembre 1993, M. H... C... né le 8 mai 1992 et M. N... C..., soit dix-huit salariés, ne pouvait légalement être mise à sa charge et qu'elle doit ainsi en être déchargée à hauteur de 135 360 euros.

9. En revanche, il résulte de l'instruction que la carte d'identité belge présentée par M. N... C... lors de son embauche, comporte plusieurs grossières anomalies comme l'absence de la dernière lettre au mot " belge " mentionné au titre de la nationalité, une durée de validité de cinq ans au lieu de dix ans et des erreurs dans les différentes langues employées pour écrire Belgique sur le bandeau de ce document. Au vu de ces éléments, l'employeur était en mesure de savoir que cette carte d'identité belge revêtait un caractère frauduleux. En outre, malgré la demande de l'inspecteur du travail, la société Rosa n'a pas produit la carte d'identité portugaise que M. E... C..., né le 2 octobre 1998, aurait présentée lors de son embauche. Cette carte d'identité portugaise doit, dès lors, être regardée comme étant frauduleuse. Dans ces conditions, et alors que la société Rosa ne peut invoquer l'absence d'élément intentionnel dans la commission du manquement, elle n'est pas fondée à soutenir que l'OFII a commis une erreur d'appréciation en mettant à sa charge la contribution spéciale pour l'emploi de ces deux salariés, pour un montant de 15 040 euros.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision de l'OFII d'infliger la contribution spéciale pour l'emploi de M. N... C... et de M. E... C... :

S'agissant de la régularité des décisions de l'OFII :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

11. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du courrier du 12 octobre 2022 du directeur général de l'OFII informant la société Rosa qu'elle était susceptible de se voir appliquer la contribution spéciale et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine, pour vingt travailleurs démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France et pour quatre travailleurs démunis de titre les autorisant à séjourner sur le territoire national, le conseil de la société a sollicité, par un courriel du 20 octobre 2022, la communication du procès-verbal de l'inspecteur du travail du 22 septembre 2022. Le 21 octobre 2022, l'OFII a mis à sa disposition ce document. La société requérante ne précise pas quelles seraient les autres pièces de son dossier que l'OFII aurait dû lui communiquer. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les pièces de son dossier ne lui ont pas été communiquées préalablement à la décision de l'OFII de lui infliger la contribution spéciale.

12. En deuxième lieu, ni l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni aucune disposition législative ou réglementaire, ni même aucun principe général du droit n'imposaient que l'OFII réponde aux observations que la société Rosa a présentées le 4 novembre 2022, avant de lui infliger la contribution spéciale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les observations présentées par la société Rosa n'auraient pas été prises en compte par l'OFII.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

14. D'une part, la décision du 12 janvier 2023, mettant à la charge de la société requérante la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, mentionne les articles L. 8251-1, L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail, qui définissent le manquement et la sanction et déterminent son mode de calcul, et indique que la contribution spéciale, dont le montant, en l'absence de minoration ou de majoration, se déduit en l'espèce directement des dispositions du II de l'article R. 8253-2, est infligée en raison de l'emploi de vingt salariés étrangers qu'elle désigne. La décision en litige comporte ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision ne peut qu'être écarté.

15. D'autre part, l'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 16 mars 2023 par laquelle l'OFII a rejeté le recours gracieux formé par la société Rosa serait insuffisamment motivée doit être écarté comme inopérant.

S'agissant du bien-fondé de la contribution spéciale appliquée pour l'emploi de M. N... C... et de M. E... C... :

16. En premier lieu, la contribution spéciale mise à la charge de l'employeur qui a employé des travailleurs étrangers en violation des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail est, d'après les termes mêmes de l'article L. 8253-1 du même code, indépendante des poursuites pénales auxquelles peuvent donner lieu les mêmes faits. Il résulte de ces dispositions que la circonstance que l'inspecteur du travail n'ait retenu la qualification d'infraction de travail dissimulé, pouvant donner lieu à une condamnation pénale, que pour quinze salariés de la société Rosa, ne faisait pas obstacle à ce que l'OFII, au vu des constatations de l'inspecteur du travail mentionnées dans son procès-verbal, puisse estimer que vingt salariés, dont M. U... C... et M. E... C..., étaient employés par la société Rosa alors qu'ils étaient dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée. En outre, pour le même motif, elle n'est pas fondée à se prévaloir de ce qu'aucune infraction de travail dissimulé n'a été caractérisée à son encontre.

17. En second lieu, la circonstance, à la supposer établie, que la société Rosa aurait déclaré M. U... C... et M. E... C... auprès des organismes sociaux, leur aurait remis des bulletins de salaire et aurait versé les cotisations sociales afférentes à leur emploi est sans incidence sur le bien-fondé de la contribution spéciale, qui est fondée sur l'emploi de travailleurs étrangers sans titre les autorisant à exercer en France une activité salariée.

S'agissant du montant de la contribution spéciale appliquée pour l'emploi de M. N... C... et de M. E... C... :

18. En premier lieu, si la société Rosa entend soutenir que le montant maximum de la sanction qui lui est infligée doit être réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dès lors qu'elle aurait déclaré M. U... C... et M. E... C... auprès des organismes sociaux, leur aurait remis des bulletins de salaire et aurait versé les cotisations sociales afférentes à leurs emplois, il ressort des termes de la décision du 12 janvier 2023 que le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société Rosa la contribution spéciale alors prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail au montant forfaitaire de 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

19. En deuxième lieu, en dehors des cas et conditions où elle est saisie sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, il n'appartient pas à la juridiction administrative de se prononcer sur un moyen tiré de la non-conformité de la loi à une norme de valeur constitutionnelle. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article L. 8253-1 du code du travail ne respecterait pas le principe de proportionnalité tel qu'il résulte des dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

20. En troisième lieu, selon l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, qui abroge les dispositions relatives à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement et leur substitue une amende administrative , " Lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière ".

21. Si la société Rosa soutient que le montant de la contribution spéciale de 150 400 euros représente 40 % de son chiffre d'affaires et qu'en cas de paiement, elle devra cesser son activité, elle n'établit cependant pas qu'elle ne pourrait pas, en raison de ses difficultés économiques, s'acquitter du montant de la contribution spéciale pour l'emploi de deux travailleurs étrangers s'élevant à 15 040 euros, soit 4 % de son chiffre d'affaires. En outre, la société requérante a été négligente en recrutant M. U... C... et M. E... C... au vu des documents qu'ils ont présentés. Dans ces conditions, la fixation de la sanction à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail.

22. Il résulte des points 8 à 21 que la société Rosa est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil, a rejeté sa demande de décharge de la contribution spéciale à hauteur de 135 360 euros.

Sur les frais de l'instance :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Rosa, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme qu'il sollicite au titre des frais exposés dans l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement à la société Rosa de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 12 janvier 2023 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration mettant à la charge de la société Rosa la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, sur les conclusions dirigées contre la décision du 16 mars 2023 en tant qu'elle rejette le recours gracieux de la société Rosa contre cette décision ainsi que sur les conclusions tendant à la décharge de cette contribution.

Article 2 : La société Rosa est déchargée de la contribution spéciale, mise à sa charge par la décision du 12 janvier 2023 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, confirmée par décision du 16 mars 2023, à hauteur de 135 360 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 14 février 2024 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à la société Rosa la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rosa et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2025.

La rapporteure,

V. Larsonnier La présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA01126 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01126
Date de la décision : 22/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : MAYER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-22;24pa01126 ?
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