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18/07/2025 | FRANCE | N°23PA02167

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 5ème chambre, 18 juillet 2025, 23PA02167


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... et D... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 et de condamner l'Etat à leur verser un euro en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi.

Par un jugement n° 2021511 du 15 mars 2023 le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.



Procédure devan

t la Cour :



Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 15 mai 2023 et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... et D... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 et de condamner l'Etat à leur verser un euro en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi.

Par un jugement n° 2021511 du 15 mars 2023 le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 15 mai 2023 et les 21 février et 11 avril 2024, M. et Mme B..., représentés par Me François, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 ;

3°) à titre subsidiaire, de reconnaître comme justifiée la partie de la soulte indispensable à la réalisation de l'opération pour un montant de 920 000 euros et de prononcer la décharge des impositions, prélèvements sociaux et pénalités correspondants ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il ne peut leur être reproché un abus de droit dès lors que l'apport des titres Investcorp Holding à la société Dcapital ne traduisait pas un but exclusivement fiscal ; l'opération poursuivait un double objectif de restructuration tenant à une volonté de séparation des activités du groupe d'une part et de séparation des patrimoines familiaux en vue de préparer la transmission du groupe aux héritiers d'autre part ;

- la stipulation de la soulte a été conçue comme un moyen d'éviter et de gérer une éventuelle situation de crise, notamment en cas de décès de M. B..., en l'absence de versement de dividendes et comme un moyen de compenser un désavantage résultant de l'opération de restructuration.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 août 2023 et 22 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.

Par courrier du 7 avril 2025, les parties ont été convoquées pour une séance d'instruction orale, en application des dispositions de l'article R. 625-1 du code de justice administrative, que la 5ème chambre a tenu le 13 mai 2025.

Par un mémoire enregistré le 7 mai 2025, M. et Mme B..., représentés par Me François, concluent aux mêmes fins que leurs précédents mémoires.

Ils soutiennent, en réponse aux questions qui leur avaient été adressées par la cour dans le courrier du 7 avril 2025, que :

- le dispositif alternatif de restructuration, mentionné dans ce courrier, est impossible à réaliser d'un point de vue opérationnel ;

- les dispositions juridiques applicables faisaient obstacle à la distribution de dividendes au cours des premières années qui ont suivi la restructuration qu'ils ont entreprise.

Par un mémoire enregistré le 19 mai 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires.

Il soutient que :

- il identifie un autre montage alternatif de restructuration permettant d'éviter une dégradation du passif de la société Investcorp Holding ;

- les dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts applicables au litige n'avaient pas pour objet de permettre la perception de dividendes en franchise d'impôt.

Par un mémoire enregistré le 28 mai 2025, M. et Mme B..., représentés par Me François, concluent aux mêmes fins que leurs précédents mémoires.

Ils soutiennent en outre que le nouveau dispositif de restructuration envisagé par l'administration, outre qu'il s'agit d'une immixtion dans le fonctionnement des sociétés, présente de nombreux inconvénients et que les dispositions applicables ne font pas obstacle à ce que les soultes permettent de compenser un désavantage temporaire dès lors que, étant nécessaires à l'opération de restructuration, elles ne constituent pas seulement une aubaine fiscale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dubois ;

- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Boucheron représentant M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... est associé dirigeant avec son frère, M. C... B..., de la société par actions simplifiée Investcorp Holding dont il détient 50 % du capital social, à parité avec son frère, qui a principalement pour objet la constitution, le développement et l'animation d'une part du groupe Sitrans, spécialisé dans le service aux entreprises par la mise à disposition d'une flotte de véhicules de transport, de solutions logistiques et, d'autre part, des activités immobilières. Dans le cadre d'une restructuration du groupe Sitrans, a été constituée en avril 2015 la société Dcapital, dont M. A... B... est l'unique associé et à laquelle il a apporté 71 000 actions de la société Investcorp Holding pour une valeur de 13 775 000 euros. En contrepartie de cet apport en nature, ont été attribuées à M. A... B... 125 000 parts sociales de la société Dcapital d'une valeur nominale de 100 euros chacune ainsi qu'une soulte en numéraire d'un montant de 1 225 000 euros, dont M. A... B... a estimé que, n'excédant pas 10 % de la valeur des titres reçus, elle était éligible au dispositif de report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du code général des impôts. A la suite d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, l'administration fiscale a, par proposition de rectification du 2 mai 2018 mettant en œuvre la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, considéré que l'attribution de la soulte avait pour unique objectif une appréhension de liquidités en franchise immédiate d'imposition. Elle a dès lors procédé à la réintégration d'un montant de 1 225 000 euros dans les revenus de M. et Mme B... dans la catégorie des plus-values sur cession de valeurs mobilières et de droits sociaux. Estimant, par ailleurs, que le prix de revient des titres Investcorp Holding apportés à la société Dcapital devait être déterminé non pas à partir de la valeur d'apport des titres des sociétés du groupe apportés à la société Investcorp Holding lors de sa constitution mais à partir de leur valeur d'acquisition, soit 13 045,73 euros, l'administration fiscale a, selon la procédure contradictoire de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, procédé au rehaussement de la plus-value en report pour un montant de 7 086 954 euros, cette revalorisation de la plus-value d'apport n'engendrant néanmoins pas d'imposition supplémentaire au titre de l'année 2015 dès lors qu'elle est reportable sur les années ultérieures. Les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement le 31 mars 2019 et les réclamations préalables présentées par les époux B... ont été rejetées par une décision du 20 octobre 2020. Ils relèvent appel du jugement n° 2021511 du 15 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de décharge de ces cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales applicable au présent litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 150-0 B ter applicable au présent litige : " I.-L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus (...) ".

4. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.

5. En l'espèce, l'administration, sur laquelle pèse la charge de la preuve de l'abus de droit en l'absence de saisine du comité de l'abus de droit fiscal par les parties, fait valoir que la soulte d'un montant de 1 225 000 euros attribuée à M. A... B... en complément des 125 000 parts sociales de la société Dcapital et en contrepartie de l'apport à cette société de 71 000 actions de la société Investcorp Holding, n'avait d'autre objectif que d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par la société Dcapital. A cet égard, elle soutient que cette soulte n'était pas fondée sur la nécessité de compenser un quelconque déséquilibre entre les actionnaires dans la parité d'échange et ne pouvait avoir pour fonction de permettre la réalisation de l'opération de restructuration du groupe. Elle précise ainsi que l'adhésion de M. B... à ce projet de restructuration n'était pas subordonnée au versement de la soulte mais résultait nécessairement de son statut d'associé de la société Invescorp Holding à parts égales avec son frère, d'apporteur avec son seul frère de leurs titres Investcorp Holding et d'associé unique de la société holding Dcapital, bénéficiaire de l'apport.

6. Toutefois, pour justifier de ce que le succès de l'opération de restructuration était conditionné par le versement de la soulte litigieuse, M. B... soutient que celle-ci avait pour objectif de compenser l'impossibilité pour la société Investcorp Holding de lui verser des dividendes pour les années 2016 et 2017 en conséquence du mode de restructuration mis en œuvre. Il soutient à ce titre que l'opération de restructuration s'est réalisée en trois étapes, d'abord, l'apport par lui des titres de la société Investcorp Holding à une société holding personnelle nouvellement créée, la société Dcapital, ensuite, l'apport par la société Investcorp Holding de titres des sociétés Sitrans Transports et Sitrans Entreposages à une société nouvellement créée, la société HGS Holding, destinée à regrouper les activités industrielles de transport et d'entreposage, enfin le rachat par la société Investcorp Holding de ses propres actions, en vue de leur annulation, auprès de la société Dcapital avec remise en contrepartie des actions HGS Holding. De la réduction de capital opérée par la société Investcorp Holding à la suite du rachat de ses propres actions auprès de la société Dcapital, conformément à la réglementation comptable applicable, est résultée une perte comptable pour cette société, correspondant à la différence entre la valeur réelle des titres annulés et leur valeur nominale, affectée au compte " report à nouveau " de la société Investcorp Holding. Ce report à nouveau négatif rendant impossible la distribution de dividendes à M. B..., et les sociétés Dcapital et HGS Holding nouvellement créées ne pouvant davantage procéder à une telle distribution dans l'année de leur création, l'octroi de la soulte a eu pour objet de compenser cette perte de dividendes, afin de maintenir le niveau des revenus de M. B.... En défense, l'administration ne remet pas en cause l'intérêt de l'opération de restructuration, qu'elle n'argue pas d'abus de droit, et ne conteste pas l'impossibilité de distribution de dividendes résultant du montage retenu pour sa mise en œuvre. En outre, et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que les modalités de la restructuration du groupe appartenant à MM. B... présentées notamment au point 1 auraient été choisies, par rapport à des modèles alternatifs de restructuration, exclusivement dans le but fiscal de bénéficier d'une soulte dont l'imposition est reportée. L'administration ne rapporte ainsi pas la preuve qui lui incombe de ce que le versement de la soulte aurait eu pour unique finalité de permettre à M. B... d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par la société Dcapital.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par M. et Mme B....

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... et D... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 12 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Barthez, président de chambre,

- Mme Milon, présidente assesseure,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 18 juillet 2025.

Le rapporteur,

J. DUBOISLe président,

A. BARTHEZ

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23PA02167 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02167
Date de la décision : 18/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: M. Jacques DUBOIS
Rapporteur public ?: Mme DE PHILY
Avocat(s) : FIDUFRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-18;23pa02167 ?
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