Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Ideal Hôtel a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'association Centre d'Action Sociale Protestant (CASP) à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de
460 429,03 euros toutes taxes comprises, au titre du paiement des factures correspondants à l'hébergement de personnes en situation de précarité, assortie des intérêts moratoires.
Par une ordonnance n° 246594-4-3 du 24 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a condamné l'association Centre d'Action Sociale Protestant à verser à la société Idéal Hôtel, à titre de provision, la somme de 164 858, 84 euros au titre de l'indemnité forfaitaire d'occupation temporaire des locaux de Ia société Idéal Hôtel et la somme de
164 084 euros au titre de la location de deux appartements non meublés.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 août 2024, le 6 novembre 2024 et le 9 décembre 2024, l'association Centre d'action sociale protestant, représentée par Me Ribiere, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé de rejeter la demande ;
3°) de mettre à la charge de la société Idéal Hôtel la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le litige porte sur l'exécution d'une convention d'occupation temporaire relative à un hôtel et soulève des questions relevant du droit privé qui ne sont pas de la compétence de la juridiction administrative ;
- l'ordonnance attaquée a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire en l'absence de communication du mémoire de la société Idéal Hôtel enregistré le 30 avril 2024 ;
- l'existence de l'obligation est sérieusement contestable dès lors que la convention pouvait faire l'objet d'une modification unilatérale pour tenir compte des capacités d'accueil de l'hôtel résultant d'éléments nouveaux ;
- il devait être tenu compte de ce qu'elle a versé à tort un loyer pendant dix mois pour les deux appartements non mis à sa disposition, pour une somme totale de plus de 100 000 euros ;
- le principe général selon lequel les personnes morales de droit public ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas fait obstacle à ce qu'elle verse un loyer pour des appartements qui n'ont jamais été formellement et expressément pris à bail ;
- pour la location des appartements pour laquelle doivent s'appliquer les dispositions de l'article 1719 du code civil, la société Idéal Hôtel n'a pas apporté la preuve de la remise des clés au locataire pour les appartements en cause qui se sont d'ailleurs avérés occupés ;
- le caractère excessif des loyers soulève la question de la nullité des contrats de location des appartements.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 septembre 2024, le 2 décembre 2024, le 9 décembre 2024 et le 18 décembre 2024, la société Ideal Hôtel conclut au rejet de la requête à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge du Centre d'action sociale protestant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige dès lors que la convention tripartite la liant à l'association Centre d'action sociale protestant et à l'Etat est un contrat administratif ;
- les moyens soulevés par l'association Centre d'action sociale protestant ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, qui n'a pas présenté d'observations.
Par un courrier du 21 novembre 2024, les parties ont été informées que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître d'un litige ayant trait à l'exécution d'une convention de droit privé.
Par un arrêt rendu le 14 février 2025, la cour administrative d'appel a sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige.
Par une décision n°4340 du 2 juin 2025, le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction de l'ordre judiciaire seule compétente pour connaître de l'action de la société Idéal Hôtel dirigée contre l'association Centre d'action sociale protestant.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des Conflits ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston,
- les conclusions de Me Breillon, rapporteure publique,
- et les observations de Me Abi Nader, représentant le Centre d'action sociale protestant.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention d'occupation temporaire à titre précaire et révocable, conclue, à une date qui n'est pas portée sur ce contrat mais qui a pris effet le 10 juillet 2020 pour une durée de trois ans, la société Ideal Hôtel a mis à disposition de l'association reconnue d'utilité publique Centre d'action sociale protestant (CASP) des locaux pour y exercer des activités d'hébergement d'urgence des personnes ou des ménages à la rue, situés 108 boulevard Jourdan à Paris dans le 14ème arrondissement, d'une superficie de 1 400 m² comportant 67 chambres. Par un avenant dont la date de conclusion n'est pas davantage précisée, la convention a été prorogée jusqu'au
10 juillet 2027. La société Idéal Hôtel, ayant constaté des défauts de paiement de l'association CASP, l'a mise en demeure à deux reprises, le 5 décembre 2023, de régler les sommes de
189 254, 34 euros et 73 046, 68 euros et le 20 février 2024 de régler la somme de
272 143, 38 euros. L'association CASP relève appel de l'ordonnance du 24 juillet 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à la société Idéal Hôtel, à titre de provision, la somme de 164 858, 84 euros au titre de l'indemnité forfaitaire d'occupation temporaire des locaux de la société Idéal Hôtel et la somme de 164 084 euros au titre de la location de deux appartements non meublés.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
3. Aux termes de l'article 35 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. La juridiction saisie transmet sa décision et les mémoires ou conclusions des parties au Tribunal des conflits. L'instance est suspendue jusqu'à la décision du Tribunal des conflits ".
4. Sur renvoi par l'arrêt du 14 février 2025 visé ci-dessus, le Tribunal des conflits a, par décision du 2 juin 2025, déclaré la juridiction judiciaire seule compétente pour statuer sur la demande de la société Idéal Hôtel dirigée contre l'association Centre d'action sociale protestant. Dès lors, il y a lieu d'annuler l'ordonnance du 24 juillet 2024 par laquelle le tribunal administratif de Paris s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de la société Idéal Hôtel et, statuant par voie d'évocation, de rejeter cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE
Article 1er : L'ordonnance n° 246594-4-3 du 24 juillet 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Ideal Hôtel devant le tribunal administratif de Paris est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions des parties fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Centre d'action sociale protestant, à la société Ideal Hôtel et au préfet de la Région d'Ile-de-France, préfet de Paris.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Doumergue, présidente,
- Mme Bruston, présidente-assesseure,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,
S. BRUSTONLa présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24PA03618