Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015 à 2017.
Par un jugement n° 2125529/2-2 du 27 novembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me L'homme, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 novembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les impositions ont été établies à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il a été porté atteinte au secret professionnel de l'avocat ;
- les motifs fondant le redressement sont entachés d'une contradiction s'analysant comme un défaut de motivation ;
- c'est à tort que l'administration a réintégré dans ses recettes le montant des dons en nature versés au profit de deux associations d'utilité publique dès lors que l'article 200 du code général des impôts n'a pas pour objet de prévoir la réintégration dans les bénéfices imposables des dons en nature ou revenus abandonnés au bénéfice de telles associations, que l'administration s'est uniquement fondée sur sa propre doctrine, que dès lors que les sommes n'ont pas été encaissées, elles ne peuvent être prises en compte dans le bénéfice imposable, tel qu'il est défini à l'article 93 du code général des impôts, que cette renonciation à recettes était justifiée par un motif légitime de sorte que ces recettes n'avaient pas à être déclarées et que l'administration a fait une application irrégulière de la notion d'acte anormal de gestion ;
- l'application de la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête de Mme A....
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Zeudmi Sahraoui,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
- et les observations de Me L'Homme représentant Mme A....
Mme A... a présenté une note en délibéré enregistrée le 2 juillet 2025.
Considérant ce qui suit :
1. L'activité d'avocat de Mme A... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié, selon la procédure contradictoire, par une proposition de rectification du 25 novembre 2018 suivie d'une proposition de rectification rectificative du 16 janvier 2019, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2015, 2016 et 2017 assorties de la majoration pour manquement délibéré. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 13-0 A du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts peuvent demander toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature perçues par les personnes dépositaires du secret professionnel en vertu des dispositions de l'article 226-13 du code pénal. Ils ne peuvent demander de renseignements sur la nature des prestations fournies par ces personnes ".
3. Les dispositions des articles 99 et 1649 quater G du code général des impôts imposent aux membres des professions dépositaires d'un secret professionnel en vertu de l'article 226-13 du code pénal d'indiquer sur leurs documents comptables, outre le montant, la date et la forme du versement des honoraires, l'identité du client. Il résulte des dispositions de l'article L. 13-0-A du livre des procédures fiscales, que le législateur a entendu délimiter strictement le champ des informations que l'administration fiscale est susceptible de demander à ces professionnels. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne connaissance, pendant les opérations de contrôle, de factures établies par un avocat pour des prestations destinées à des clients nommément désignés, dès lors que ces documents ne comportent aucune indication, même sommaire, sur la nature des prestations fournies à ces clients. Elles font, en revanche, obstacle à ce que le vérificateur procède à des demandes complémentaires relatives à l'identité des clients concernés ou cherche à obtenir des renseignements sur la nature des prestations fournies.
4. La révélation d'une information à caractère secret vicie la procédure d'imposition et entraîne la décharge de l'imposition contestée lorsqu'elle a été demandée par le vérificateur, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 13-0 A du livre des procédures fiscales, ou que, alors même qu'elle ne serait imputable qu'au seul contribuable, elle fonde tout ou partie de la rectification.
5. D'une part, si par un courriel du 26 septembre 2018, le vérificateur a demandé à Mme A... de lui communiquer l'intégralité des factures qu'elle a émises et qu'en réponse à cette demande l'intéressée a fourni ses factures relatives aux années 2015 à 2017, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait pris connaissance de ces factures pour établir le redressement. La communication de ces factures a été ainsi sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition et ce alors même que l'administration n'avait pas demandé à l'intéressée d'occulter les mentions couvertes par le secret professionnel.
6. D'autre part, par un courriel du 15 octobre 2018, le vérificateur a demandé à Mme A... la communication des attestations relatives aux dons effectués au profit des associations ainsi que les documents " justifiant la réalité des prestations réalisées, exemple : convention entre l'association et vous, facturation d'honoraires non encaissées ". Contrairement à ce que soutient la requérante, par cette demande, le vérificateur n'a pas cherché à obtenir des informations sur la nature des prestations réalisées au profit de ces associations mais seulement des éléments permettant d'établir la réalité de ces prestations. Les attestations de versements établies par les associations Innocence en danger et L'enfance au cœur ne comportaient pas d'indication quant à la nature des prestations fournies par Mme A.... Si les fiches de diligences fournies à l'administration, indiquent parfois le nom de la personne bénéficiaire de la prestation, elles ne comportent également aucune information quant à la nature des prestations réalisées. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition a porté atteinte au secret professionnel et était irrégulière.
7. En second lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, les propositions de rectification des 25 novembre 2018 et 16 janvier 2019 indiquent clairement les motifs sur lesquels l'administration a fondé le redressement. Le service a en effet indiqué que les prestations réalisées par Mme A... au bénéfice des associations Innocence en danger et L'enfance au cœur ne pouvaient être regardées comme ayant été réalisées à titre gratuit compte tenu des mentions portées sur les attestations de versement et les fiches de diligences qui indiquent un nombre d'heures et un taux horaire et que des honoraires ont été mis à sa disposition puis reversés aux associations sous forme de dons. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration n'a pas retenu la qualification de " don en nature ". Par ailleurs, Mme A... ne peut utilement se prévaloir au soutien du moyen tiré de ce que les motifs du redressement seraient entachés de contradiction, des informations figurant sur le " Portail de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics " et de la réponse ministérielle du 23 février 2010 à la question parlementaire n° 48079. Par suite, ce moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2015 à 2017 :
8. Aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". En vertu du 1 de l'article 92 de ce code, sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, notamment, les bénéfices des professions libérales. Le 1 de l'article 93 du même code précise que : " Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession ". Enfin, aux termes de l'article 156 du même code : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé eu égard aux propriétés et aux capitaux que possèdent les membres du foyer fiscal (...), aux professions qu'ils exercent, aux traitements, salaires, pensions et rentes viagères dont ils jouissent ainsi qu'aux bénéfices de toutes opérations lucratives auxquelles ils se livrent (...) ".
9. En application de ces dispositions, constituent des recettes non commerciales, imposables entre les mains du contribuable au titre d'une année donnée, les sommes effectivement encaissées par l'intéressé au cours de cette année ou celles dont il a disposé avant le terme de cette même année, dès lors que ces sommes constituent la contrepartie de services rendus par le contribuable dans l'exercice de son activité non commerciale.
10. Aux termes de l'article 200 du code général des impôts : " 1. Ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant les sommes prises dans la limite de 20 % du revenu imposable qui correspondent à des dons et versements, y compris l'abandon exprès de revenus ou produits, effectués par les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B, au profit : / a) De fondations ou associations reconnues d'utilité publique sous réserve du 2 bis, de fondations universitaires ou de fondations partenariales mentionnées respectivement aux articles L. 719-12 et L. 719-13 du code de l'éducation et, pour les seuls salariés des entreprises fondatrices ou des entreprises du groupe, au sens de l'article 223 A ou de l'article 223 A bis, auquel appartient l'entreprise fondatrice, de fondations d'entreprise, lorsque ces organismes répondent aux conditions fixées au b ; (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'ouvrent droit à l'avantage fiscal qu'elles prévoient, non seulement les dons proprement dits, en espèces ou en nature, consentis aux organismes d'intérêt général, mais aussi les revenus ou produits dont le contribuable a eu la disposition préalable et auxquels il a décidé de renoncer au profit de l'organisme.
11. Il résulte de l'instruction qu'au titre des années 2015 à 2017, Mme A... a déclaré avoir versé aux associations Innocence en danger et L'enfance au cœur des dons d'un montant de 41 400 euros en 2015 et 2016 et 41 700 euros en 2017 et a ainsi bénéficié du crédit d'impôt mentionné à l'article 200 précité à hauteur de 7 866 euros en 2015, 24 794 euros en 2016 et 15 827 euros en 2017. A l'issue de la vérification de comptabilité dont l'activité de Mme A... a fait l'objet, l'administration a considéré que les prestations fournies par Mme A... au profit de ces associations n'avaient pas été réalisées à titre gratuit, que les honoraires correspondant à ces prestations avaient été mis à sa disposition puis reversés aux associations sous forme de dons et que l'intéressée devait ainsi être regardée comme ayant eu à sa disposition ces revenus de sorte que ceux-ci devaient être inclus dans la base imposable.
12. Mme A... soutient que les prestations réalisées au profit des deux associations l'ont été sous forme de dons en nature et que la valeur de ce don en nature ne constitue pas un bénéfice imposable. Toutefois, ainsi que l'a relevé l'administration, il résulte des mentions portées sur les attestations de versement établies par les associations Innocence en danger et L'enfance au cœur qui indiquent qu'elles ont été bénéficiaires de " versements " portant sur les sommes de 41 400 euros en 2015 et 2016 et 41 700 euros en 2017 et sur les fiches de diligences établies par Mme A... qui indiquent un nombre d'heures travaillées ainsi qu'un taux horaire de 300 euros HT et le montant de ses honoraires, que les prestations n'ont pas été fournies par Mme A... à titre gratuit et ne constituent pas un don en nature. Elles doivent être regardées comme ayant été réalisées à titre onéreux moyennant le versement des honoraires mentionnés dans les fiches de diligences lesquels ont été abandonnés par Mme A... au bénéfice de ces associations. L'administration a également pu considérer que l'intéressée ayant pris la décision d'abandonner ses honoraires, elle devait être regardée comme ayant eu la disposition des sommes en cause préalablement à la réalisation de ce don de sorte que ces sommes constituaient un bénéfice imposable alors même qu'elles n'auraient pas été encaissées par Mme A.... Contrairement à ce que soutient la requérante, celle-ci ne peut être regardée comme ayant procédé à une renonciation à recettes justifiée par un motif légitime dès lors que, ayant bénéficié du crédit d'impôt mentionné à l'article 200, elle doit être regardée comme ayant procédé à un abandon de revenus au sens de cet article. C'est dès lors à bon droit que l'administration, qui n'a pas fait application de la notion d'acte anormal de gestion, a réintégré dans les recettes imposables de Mme A... les sommes abandonnées au bénéfice de ces deux associations.
13. Mme A... se prévaut de la doctrine administrative répertoriée BOI-BNC-BASE-20-10-20 qui indique que " le bénéfice non commercial à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est normalement constitué par l'excédent des recettes totales encaissées au cours de l'année d'imposition sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession et effectivement acquittées au cours de cette même année ". Toutefois cette doctrine ne donne pas à la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
14. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré, l'administration a relevé que Mme A..., alors qu'elle avait indiqué au service exercer à titre bénévole au sein des associations précitées, a établi des fiches de diligences lui ayant permis de bénéficier du crédit d'impôt prévu à l'article 200 du code général des impôts, que ce crédit d'impôt a généré un réel profit dès lors que les revenus abandonnés n'ont pas été soumis à l'impôt sur le revenu, qu'en outre le montant des économies réalisées par la non taxation des bénéfices non commerciaux est important et significatif et que le choix fait par Mme A... n'est pas neutre et a bien été opéré dans l'intention d'éluder l'impôt. Contrairement à ce que soutient la requérante, les prestations fournies aux associations Innocence en danger et L'enfance au cœur n'ont pas été réalisées à titre gratuit. La circonstance que ces prestations n'ont pas donné lieu à l'établissement de factures est sans incidence sur l'application de la majoration pour manquement délibéré dès lors que, ainsi qu'il a été dit précédemment, les honoraires abandonnés au bénéfice des deux associations devaient être déclarés et imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Le montant de l'impôt éludé, qui ne tient pas compte de la majoration de 40 %, reste significatif. Enfin, Mme A..., qui a sollicité le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 200 du code général des impôts tout en ne soumettant pas à l'impôt sur le revenu les sommes ayant permis de bénéficier de ce crédit d'impôt, ne peut sérieusement soutenir qu'elle pouvait légitimement ignorer les insuffisances, inexactitudes ou omissions reprochées. Dès lors, l'administration a pu appliquer la majoration pour manquement délibéré.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2015 à 2017. Les conclusions de la requérante tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et de Paris - Pôle contrôle fiscal et affaires juridiques SCA.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,
N. Zeudmi SahraouiLa présidente,
V. Chevalier-Aubert
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00433