Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2019 à concurrence d'une somme de 95 991 euros correspondant à la prise en compte d'une contribution sociale généralisée déductible à hauteur de 6,8 points au lieu de 1,02 point.
Par un jugement n° 2114853/1-1 du 17 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts dans leur version issue de l'article 67 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 décembre 2023 et 1er août 2024, M. B..., représenté par Me Colard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 octobre 2023 ;
2°) de prononcer la réduction de l'imposition en cause ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts sont contraires au principe de non-discrimination résultant des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combinées à celles de l'article 1er de son premier protocole additionnel ;
- ces dispositions sont contraires au droit au respect de ses biens garanti par les stipulations de l'article 1er du même premier protocole additionnel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance n° 23PA05251 du 15 février 2024, le président de la 7ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1115 QPC du 13 décembre 2024 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a réalisé le 9 janvier 2018 une plus-value de cession de valeurs mobilières d'un montant de 13 687 739 euros. Ayant opté pour l'imposition de cette plus-value au barème progressif de l'impôt sur le revenu, il a été imposé, après application de l'abattement renforcé de 85 % prévu au 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, sur une plus-value nette de 2 053 160 euros au titre de l'année 2018. La plus-value de 13 687 739 euros a été, quant à elle, soumise au titre de la même année à la contribution sociale généralisée (CSG) sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. En application des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, M. B... a bénéficié au titre du revenu imposable de l'année de paiement de la CSG, soit en 2019, d'une déduction partielle de cette contribution due en 2018, dont le montant de 139 615 euros procède de l'application d'un taux plafonné de 1,02 % à la plus-value de 13 687 739 euros. Par une décision du 4 mai 2021, l'administration fiscale a rejeté la réclamation de M. B... qui considère que le montant de la CSG déductible devrait être de 981 613 euros, et non de 139 615 euros, dès lors qu'il aurait dû être calculé sur une base de 14 435 486 euros, laquelle comprend la plus-value de cession de valeurs mobilières de 13 687 739 euros ainsi qu'un gain de 747 747 euros résultant de la cession, en 2018, de titres souscrits en exercice de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE), après application du taux non plafonné de 6,8 %. M. B... fait appel du jugement du 17 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2019 à concurrence d'une somme de 95 991 euros correspondant à la prise en compte d'une contribution sociale généralisée déductible à hauteur de 6,8 points au lieu de 1,02 point.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. L'article 150-0 D du code général des impôts prévoit les conditions dans lesquelles les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés sont soumises à l'impôt sur le revenu. Son 1 ter instaure un abattement de droit commun et son 1 quater un abattement renforcé, dont les taux varient en fonction de la durée de détention.
3. Aux termes du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige et issue de l'article 67 de la loi du 30 décembre 2017 : " La [CSG] afférente aux revenus mentionnés aux a à e et f du I (...) de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale (...), imposés dans les conditions prévues à l'article 197 du présent code, est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement, à hauteur de 6,8 points / La contribution est déductible, dans les conditions et pour la part définies au premier alinéa du présent II, à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l'impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour : / a) Les gains mentionnés à l'article 150-0 A qui bénéficient de l'abattement prévu au 1 quater de l'article 150-0 D ou de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter / (...) ". Aux termes du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une [CSG] sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu (...) : / (...) / e) Des plus-values, gains en capital et profits soumis à l'impôt sur le revenu (...) / (...) / Pour la détermination de l'assiette de la contribution, il n'est pas fait application des abattements mentionnés (...) aux 1 ter et 1 quater de l'article 150-0 D (...) ".
4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la déductibilité de la CSG acquittée sur les plus-values mobilières, qui bénéficient de l'abattement prévu au 1 quater de l'article 150-0 D du même code et qui ont été imposés au barème progressif de l'impôt sur le revenu, est limitée à hauteur du rapport entre le montant de ces plus-values soumises à l'impôt sur le revenu et le montant des mêmes plus-values soumises à la CSG. En revanche, la déductibilité de la CSG acquittée au titre des plus-values bénéficiant de l'abattement prévu au 1 ter du même article et imposées au barème progressif de l'impôt sur le revenu n'est pas soumise à ce plafonnement.
5. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
6. En premier lieu, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi.
7. D'une part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2017 que, en adoptant les dispositions précitées du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, le législateur a entendu instaurer un mécanisme de pondération de la déductibilité de la contribution sociale généralisée acquittée au titre de certaines plus-values mobilières ayant déjà fait l'objet d'abattements importants, afin de limiter un cumul d'avantages fiscaux.
8. D'autre part, les abattements prévus aux 1 ter et 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, qui n'ont pas le même champ d'application, n'ouvrent pas droit aux mêmes avantages. L'abattement prévu au 1 ter s'applique, sous certaines conditions, à toutes les plus-values mobilières et peut atteindre un taux de 65 % lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession. L'abattement prévu au 1 quater bénéficie, quant à lui, seulement aux plus-values de cession de titres émis par de petites ou moyennes entreprises, créées depuis moins de dix ans, qui respectent certaines conditions, et son taux peut atteindre 85 % au terme de la même durée de détention. Les contribuables bénéficiant de ces abattements ne sont ainsi pas placés dans la même situation.
9. Dans la mesure où la situation visée par les dispositions précitées du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts est effectivement susceptible de donner lieu à un cumul d'avantages fiscaux, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objectif poursuivi en prévoyant un plafonnement de la déductibilité de la CSG fondé sur le rapport entre le montant des plus-values soumises à l'impôt sur le revenu et le montant des mêmes plus-values soumises à la contribution. La circonstance invoquée par M. B... que, s'agissant du calcul du montant de la CSG due au titre de l'année d'imposition des plus-values au titre desquelles cette contribution est acquittée, les contribuables bénéficiant de l'abattement proportionnel, renforcé ou fixe sont soumis au même taux de CSG ainsi qu'aux mêmes règles d'assiette, est sans incidence à cet égard.
10. Dans ces conditions, dès lors que la différence de traitement résultant des dispositions précitées du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, qui est fondée sur une différence de situation justifiée par des critères objectifs et rationnels, est en rapport direct avec l'objet de la loi, le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient contraires au principe de non-discrimination résultant des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combinées à celles de l'article 1er de son premier protocole additionnel, doit être écarté.
11. En second lieu, une personne ne peut prétendre au bénéfice des stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.
12. Si M. B... entend soutenir que la fraction de cotisation primitive d'impôt sur le revenu de 95 991 euros résultant du défaut d'application du taux non plafonné de 6,8 % à la plus-value de cession de valeurs mobilières de 13 687 739 euros constitue une créance qu'il détient sur le Trésor public, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de l'économie générale des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, telle qu'exposée aux points précédents, cette créance présenterait un caractère certain ni, à tout le moins, que le requérant disposerait d'une espérance légitime d'en obtenir la restitution. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions précitées du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts seraient contraires au droit au respect des biens du contribuable garanti par les stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant au versement par l'Etat d'intérêts moratoires :
14. Les conclusions de M. B... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chevalier-Aubert, présidente de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
Le rapporteur,
M. Desvigne-Repusseau
La présidente,
V. Chevalier-Aubert
La greffière,
C. Buot
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05251