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10/07/2025 | FRANCE | N°24PA01982

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 10 juillet 2025, 24PA01982


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté n° 21-0129 du 3 mai 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a enjoint de faire cesser la mise à disposition à des fins d'habitation du local situé au rez-de-chaussée du pavillon sis 5 impasse Limanton à Sevran, de supprimer les équipements sanitaires et la cuisine au départ des occupants actuels et de reloger ces derniers dans le délai d'un mois à compter de la notification de

l'arrêté.

Par un jugement n° 2111972 du 5 mars 2024, le magistrat désigné par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté n° 21-0129 du 3 mai 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a enjoint de faire cesser la mise à disposition à des fins d'habitation du local situé au rez-de-chaussée du pavillon sis 5 impasse Limanton à Sevran, de supprimer les équipements sanitaires et la cuisine au départ des occupants actuels et de reloger ces derniers dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêté.

Par un jugement n° 2111972 du 5 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 mai 2024 et un mémoire enregistré le 25 novembre 2024, M. B... A..., représenté par Me Rossi-Landi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2111972 du 5 mars 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté n° 21-0129 du 3 mai 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en retenant que l'absence de bail ou de quittance ne remet pas en cause leur statut de bonne foi des occupants du logement, le tribunal administratif a porté une appréciation relevant de la seule compétence du juge civil, lequel était bien saisi d'une instance à cette fin ;

- l'auteur de l'arrêté litigieux, en retenant que l'existence d'une domiciliation distincte ne prouve en aucun cas l'absence de mise à disposition du local en question, s'est livré à une appréciation réservée exclusivement au juge civil ;

- l'arrêté litigieux ne peut valablement être fondé par des dispositions réglementaires relatives à l'éclairement naturel qui lui sont postérieures ;

- il est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ;

- l'exécution de l'arrêté est impossible dès lors que ses occupants se dérobent à toute tentative de relogement ;

- par un arrêt du 5 septembre 2024, la cour d'appel de Paris a fait droit à la demande d'expulsion des occupants du logement, qui ne sont donc pas des occupants de bonne foi au sens de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, et envers lesquels il ne saurait exister d'obligation de relogement.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2025, le ministre de la santé et de l'accès au soin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la décision du juge judiciaire n'a d'incidence que sur l'obligation de reloger les occupants du local et ne remet aucunement en cause la légalité de l'arrêté querellé en tant qu'il qualifie le local d'insalubre et d'impropre par nature à l'habitation, et qu'il impose au propriétaire d'en faire cesser définitivement la mise à disposition aux fins d'habitation ainsi que de supprimer les équipements sanitaires et la cuisine après le départ des occupants actuels ;

- outre que chacune des insuffisances de hauteur sous plafond et d'éclairement naturel suffit, à elle seule, à caractériser l'impropriété à l'habitation au sens de l'article L. 1331-23 du code de santé publique, la qualification du local n'est pas fondée uniquement sur l'insuffisance d'éclairement naturel mais bien également sur l'insuffisance de hauteur sous plafond ainsi que, plus accessoirement, sur des désordres d'insalubrité remédiables mais illustrant l'absence d'aménagement convenable du local pour un usage d'habitation compte tenu de l'insuffisance des systèmes de ventilation et de chauffage favorisant la présence constatée de moisissures et des risques électriques liés à l'inaccessibilité de l'organe de coupure générale et à la présence de fils électriques insuffisamment protégés ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Diémert,

- les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public,

- les observations de Me Rossi-Landi, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... est le propriétaire d'un local situé au rez-de-chaussée du pavillon sis 5 impasse Limanton à Sevran (Seine-Saint-Denis). Par un arrêté n° 21-0129 du 3 mai 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a enjoint de faire cesser la mise à disposition à des fins d'habitation de ce local, de supprimer les équipements sanitaires et la cuisine au départ des occupants actuels et de reloger ces derniers dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêté. M. A... ayant demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Montreuil, cette juridiction a rejeté sa demande par un jugement dont l'intéressé relève appel devant la Cour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le requérant soutient qu'en retenant que l'absence de bail ou de quittance ne remet pas en cause leur statut de bonne foi des occupants du logement, le tribunal administratif a porté une appréciation relevant de la seule compétence du juge civil, lequel était bien saisi d'une instance à cette fin.

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation : " Pour l'application du présent chapitre, l'occupant est le titulaire d'un droit réel conférant l'usage, le locataire, le sous-locataire ou l'occupant de bonne foi des locaux à usage d'habitation et de locaux d'hébergement constituant son habitation principale. / (...). ". Ces dispositions n'ont ni pour effet ni pour objet de retirer à l'administration la compétence, inhérente à l'exercice des prérogatives de puissance publique, de procéder à la qualification juridique de la situation de fait qu'elle envisage et de lui appliquer conséquemment, sous le contrôle du juge administratif, les mesures qu'elles prévoient. Il s'ensuit que le tribunal administratif n'a pas, en l'espèce, excédé sa compétence en retenant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction qu'aucun contrat de bail n'a été établi pour l'occupation dudit local, que le propriétaire et que les occupants ont pu s'accorder verbalement sur la mise à disposition à titre onéreux du bien et, d'autre part, que la circonstance, à la supposer établie, que les occupants disposeraient de deux adresses ne suffit pas à établir qu'ils n'occuperaient pas le local en cause à titre principal. Le moyen doit donc être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'obligation de relogement des occupants du local :

4. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation : " Le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer le relogement ou l'hébergement des occupants ou de contribuer au coût correspondant dans les conditions prévues à l'article L. 521-3-1 (...) ". Aux termes du II de l'article L. 521-3-1 du même code : " Lorsqu'un immeuble fait l'objet d'une interdiction définitive d'habiter ou lorsqu'est prescrite la cessation de la mise à disposition à des fins d'habitation des locaux mentionnés à l'article L. 1331-23 du code de la santé publique, ainsi qu'en cas d'évacuation à caractère définitif, le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer le relogement des occupants (...) ".

5. Il ressort de l'instruction que, par un arrêt du 5 septembre 2024, la Cour d'appel de Paris a ordonné l'expulsion du couple et de leurs enfants occupant sans droits ni titre le local appartenant à M. A.... Par suite, les intéressés doivent être regardés comme n'étant pas " de bonne foi " au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, et le requérant n'est pas soumis à l'obligation d'assurer leur relogement. M. A... est dès lors fondé à soutenir que l'arrêté litigieux est illégal sur ce point, sans qu'il soit besoin d'examiner les deux autres moyens articulés à cet effet contre l'arrêté attaqué et tirés, respectivement, de ce que l'auteur de l'arrêté litigieux, en retenant que l'existence d'une domiciliation distincte ne prouve en aucun cas l'absence de mise à disposition du local en question, s'est livré à une appréciation réservée exclusivement au juge civil, et de ce que l'exécution de l'arrêté est impossible dès lors que ses occupants se dérobent à toute tentative de relogement.

En ce qui concerne le caractère insalubre et impropre à l'habitation du local :

6. Aux termes de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique : " Tout local, installation, bien immeuble ou groupe de locaux, d'installations ou de biens immeubles, vacant ou non, qui constitue, soit par lui-même, soit par les conditions dans lesquelles il est occupé, exploité ou utilisé, un danger ou risque pour la santé ou la sécurité physique des personnes est insalubre ". L'article L. 1331-23 du même code dispose que : " Ne peuvent être mis à disposition aux fins d'habitation, à titre gratuit ou onéreux, les locaux insalubres dont la définition est précisée conformément aux dispositions de l'article L. 1331-22, que constituent les caves, sous-sols, combles, pièces dont la hauteur sous plafond est insuffisante, pièces de vie dépourvues d'ouverture sur l'extérieur ou dépourvues d'éclairement naturel suffisant ou de configuration exiguë, et autres locaux par nature impropres à l'habitation, ni des locaux utilisés dans des conditions qui conduisent manifestement à leur sur-occupation. ".

7. Pour prononcer l'interdiction définitive d'habitation du local en cause, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est fondé sur les constats du rapport du directeur général de l'agence régionale de santé d'Île-de-France en date du 2 mars 2021 dont il résulte, d'une part, que le local dispose d'une hauteur sous plafond et d'un éclairement naturel insuffisant, d'autre part, que celui-ci est équipé de systèmes de ventilation et de chauffage fixe insuffisants, est affecté de moisissures et présente une installation électrique dangereuse.

8. Il résulte de l'instruction, et comme l'a relevé le premier juge, que le local en cause, constitué d'une pièce principale et de deux chambres, présente une hauteur sous plafond de 2 mètres, que la pièce principale, d'une superficie de 13,4 m², dispose d'un ouvrant aux dimensions réduites, de 30 centimètres sur 50 centimètres, ainsi que d'un vitrage opacifié monté sur un châssis fixe donnant sur le pignon droit du pavillon, que l'une des deux chambres dispose d'une fenêtre de type papillon donnant sur le pignon gauche du pavillon, de taille réduite, ainsi que d'un vitrage opacifié donnant vers le garage. En outre, selon les documents photographiques joints au rapport précité, la lumière extérieure ne pénètre que faiblement dans ces pièces, qui constituent une part importante du local en cause et se trouvent ainsi en permanence dans la pénombre. La circonstance que, dans la pièce principale, la fenêtre est obstruée dans sa quasi-totalité par un meuble installé par les occupants, est sans incidence en raison de la nature même de cet ouvrant, opacifié. De même, est sans incidence la circonstance que la chambre n° 2 est réservée à un usage de stockage.

9. Par suite, et alors même que, de manière regrettable, le premier juge s'est expressément fondé sur les dispositions des articles R. 1331-21 et R. 1331-22 du code de la santé publique, postérieures à l'intervention de l'arrêté litigieux comme issues de l'article 2 du n° 2023-695 du 29 juillet 2023, et au demeurant annulées par l'arrêt n° 488640 du 29 août 2024 du Conseil d'État statuant au contentieux, l'état du local permettait de le regarder comme insalubre sur le seul fondement des dispositions législatives rappelées au point 8, d'ailleurs visées dans l'arrêté litigieux, et sans qu'il soit besoin de se fonder en outre sur des dispositions réglementaires superfétatoires en l'espèce, alors en outre que, comme le souligne le ministre en défense, la qualification du local n'est pas fondée uniquement sur l'insuffisance d'éclairement naturel mais bien également sur l'insuffisance de hauteur sous plafond ainsi que, plus accessoirement, sur des désordres d'insalubrité remédiables mais illustrant l'absence d'aménagement convenable du local pour un usage d'habitation compte tenu de l'insuffisance des systèmes de ventilation et de chauffage favorisant la présence constatée de moisissures et des risques électriques liés à l'inaccessibilité de l'organe de coupure générale et à la présence de fils électriques insuffisamment protégés. Aussi, et alors que le requérant n'apporte aucun élément sérieux de nature à permettre à la Cour de remettre en cause cette appréciation, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté litigieux en tant qu'il lui fait obligation de reloger les occupants du local situé au rez-de-chaussée du pavillon sis 5 impasse Limanton à Sevran. Ce jugement doit donc être réformé dans cette mesure et, dans l'arrêté n° 21-0129 du 3 mai 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis, doivent être annulés le troisième alinéa (" - reloger les occupants ") de l'article 1er, l'article 2, l'article 3 et, dans l'article 4, les mots " et de leur relogement dans les conditions prévues à l'article 3 du présent arrêté ".

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. A... puisse en invoquer le bénéfice, dès lors qu'il n'est pas la partie gagnante à titre principal dans la présente instance, l'annulation prononcée par le présent arrêt n'affectant qu'une mesure accessoire de l'arrêté litigieux.

DÉCIDE :

Article 1er : Dans l'arrêté n° 21-0129 du 3 mai 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis, sont annulés :

- le troisième alinéa (" - reloger les occupants ") de l'article 1er ;

- l'article 2,

- l'article 3,

- dans l'article 4, les mots " et de leur relogement dans les conditions prévues à l'article 3 du présent arrêté ".

Article 2 : Le jugement n° 2111972 du 5 mars 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus de la requête de M. B... A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles.

Copie en sera adressée au ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins et au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- M. Stéphane Diémert, président-assesseur,

- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2025.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

I. LUBEN

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA01982


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01982
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. GOBEILL
Avocat(s) : ROSSI-LANDI AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;24pa01982 ?
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