Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 18 mars 2021 par laquelle l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à mettre en œuvre un essai clinique intitulé : " comprehensive chromosomal testing of trophectoderm (TE) biopsies of blastocysts (B...) to improve live birth rates after in vitro fertilization : a prospective randomized trial. Delivery in vitro trophectoderm (DEVIT) ".
Par un jugement n° 2206833 du 7 février 2024, le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 24PA01119 le 7 mars 2024, un mémoire en production de pièce enregistré le 25 avril 2024, un mémoire en réplique enregistré le 11 mars 2025 et un mémoire récapitulatif enregistré le 5 mai 2025, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) représentée par la SCP Gouz-Fitoussi, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2206833 du 7 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la demande présentée par la Fondation Jérôme Lejeune devant le tribunal ;
3°) mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement de la somme de
5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas de signature du président et du greffier en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en affirmant sans le justifier, que l'article L. 2151-5 du code de la santé publique ne déroge pas aux articles L. 2131-4 et
L. 2131-4-1 de ce code ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'article L. 2151-5 du code de la santé publique n'a pas pour objet de déroger aux articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 de ce code, alors que l'article L. 2151-5 du code de la santé publique figure au livre I titre V intitulé " recherche sur l'embryon humain, les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites humaines " et que les articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 figurent au livre I titre III intitulé " actions de prévention concernant l'enfant, l'adolescent et le jeune adulte ", au chapitre 1 intitulé " diagnostics anténataux : diagnostic prénatal et diagnostic préimplantatoire ", ce qui indique que le législateur a distingué, d'une part, un régime relatif au diagnostic préimplantatoire en raison de l'existence d'une maladie génétique et, d'autre part, la recherche sur un embryon in vitro dans le cadre d'une AMP ; dès lors, si le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdes dit " C... " n'est pas autorisé en pratique courante en France dans le cadre d'un diagnostic régi par les articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 du code de la santé publique, il est autorisé dans le cadre d'une recherche impliquant la personne humaine (RIPH), régi par l'article L. 2151-5 législation spécifique et dérogatoire ;
- à la suite du décret n° 2016-273 du 4 mars 2016 relatif à l'assistance médicale à la procréation qui est venu modifier l'article R. 1125-14 du code de la santé publique, supprimant le renvoi aux articles R. 1121-2 et R. 1121-3 du code de la santé publique, alors relatif aux recherches non interventionnelles et en soins courants, la conduite de recherches interventionnelles menées dans le cadre de l'AMP est devenu possible ; par conséquent, l'article L. 2151-5 du code de la santé publique déroge aux articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 de ce code et autorise que dans le cadre des recherches impliquant une personne humaine (RIPH) puissent être effectuées des DP I-A ;
- les autres moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune devant le tribunal doivent être également écartés :
- en ce qui concerne la prétendue violation de l'article L. 1212-1 du code des relations entre le public et l'administration, la décision comporte les mentions des prénom, nom, qualité ainsi que du service auquel appartient son auteur, mention pleinement suffisante pour identifier sans ambiguïté l'auteur de la décision, s'assurer de sa compétence pour prendre une telle décision et la contester le cas échéant ;
- en ce qui concerne la violation des dispositions de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorisation d'une RIPH ne s'inscrivant aucunement dans le cadre d'une dérogation à une règle générale, ce moyen est inopérant ; en outre, aucune disposition particulière du code de la santé publique n'impose de motiver les décisions favorables que rend l'agence en matière de RIPH ;
- en ce qui concerne la violation de l'article L. 1123-6 du code de la santé publique, ses dispositions n'imposent pas à l'agence de se prononcer une fois seulement obtenu l'avis préalable d'un comité de protection des personnes mentionné à l'article L. 1123-1 du code de la santé publique ;
- contrairement à ce que soutient la Fondation Jérôme Lejeune, les dispositions de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique n'imposent pas une obligation de transfert des embryons dans l'utérus ; préalablement à leur transfert, les embryons font systématiquement l'objet d'une sélection, et certains ne sont pas transférés sur la base de critères de sélection qui font l'objet de la recherche ;
- en ce qui concerne la prétendue méconnaissance des dispositions de l'article 16-4 du code civil, il résulte de l'exposé des motifs de l'amendement n° 2169, dans le cadre de la discussion de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, que le ministre a expressément cité l'essai clinique Devit comme un projet de recherche permettant de déterminer si le DPI-A contribue ou non à améliorer le taux de succès de l'AMP ;
- aucune dérive eugéniste ne découle de cette autorisation ; de nombreux pays ont autorisé la mise en place de cette technique de DPI-A, tels que l'Espagne, la Belgique, la Pologne, l'Irlande, le Portugal et la Suisse ;
- contrairement à ce que prétend la Fondation Jérôme Lejeune, ce protocole de RIPH correspond au dernier état des connaissances scientifiques et ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 1121-2 du code de la santé publique ; la circonstance qu'une recherche tendant à expérimenter une méthode de DPI-A est en cours, n'est pas de nature à remettre en cause la réalisation du DPI-A via la biopsie de trophectoderme qui correspond à la méthode de
référence ;
- si la fondation se prévalait d'une méconnaissance des dispositions de l'article
L. 1122-1 du code de la santé publique, l'examen des modalités d'information et de consentement du participant à une RIPH ne relève pas du champ de la compétence de l'agence et ce moyen est inopérant ;
- dès lors que le DPI constitue une activité biologique entrant dans les activités biologiques prévues dans le cadre d'une AMP, le moyen tiré de ce que le protocole Devit méconnaît les dispositions de l'article R. 1125-14 du code de la santé publique, ne peut qu'être écarté.
Par des mémoires en défense enregistrés le 29 janvier 2025 et le 4 avril 2025 et un mémoire récapitulatif enregistré le 30 avril 2025, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Chevalier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'ANSM, ou à défaut de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention récapitulatif enregistré le 8 avril 2025, Mme J... L..., Mme A... G..., Mme K... H..., Mme I... E... et M. D... F..., représentés par Me le Gouvello concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 7 mai 2025, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, représentée par Me Pinet, persiste dans ses précédentes écritures exposées dans l'instance 24PA02615 par les mêmes moyens.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 24PA01125 le 8 mars 2024, un mémoire en réplique enregistré le 11 mars 2025 et un mémoire récapitulatif enregistré le 5 mai 2025, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) représentée par la SCP Gouz-Fitoussi, demande à la Cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2206833 du 7 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement jusqu'à ce que les couples déjà inclus dans le protocole de l'essai DEVIT puissent mener à terme le
protocole ;
3°) mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement de la somme de
5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les conditions fixées aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont réunies pour que la Cour prononce le sursis à exécution du jugement attaqué.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2024, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Chevalier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'ANSM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
III. Par une requête enregistrée sous le n° 24PA01615, le 8 avril 2024, un mémoire complémentaire enregistré le 18 avril 2024, un mémoire récapitulatif produit le 5 mai 2025, et un mémoire, enregistré le 7 mai 2025, non communiqué, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) représentée par le cabinet d'avocats François Pinet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2206833 du 7 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la demande présentée par la Fondation Jérôme Lejeune devant le tribunal et ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'autorisation litigieuse était soumise aux dispositions des articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 du code de la santé publique alors que ces dispositions n'étaient pas applicables puisqu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de régir la recherche biomédicale qui est soumise aux dispositions particulières de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique ; l'article 155 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 a notamment ajouté à cet article un paragraphe pour permettre, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation et avec le consentement de chaque membre du couple, la réalisation de recherches biomédicales sur des gamètes destinées à constituer un embryon ou sur un embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation ; la loi du 2 août 2021 n'a pas autorisé même à titre expérimental le DPI-A et ce, dans l'attente notamment, des résultats de l'étude litigieuse ;
- les autres moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune devant le tribunal doivent être également écartés :
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, dès lors qu'une partie des embryons soumis à la recherche sont voués à être détruits, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'obliger le transfert de l'ensemble des embryons relevant de la recherche ; le devenir des embryons non transférés est fixé aux articles L. 2141-3 et L. 2141-4 du code de la santé publique ;
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article 16-4 du code civil, d'une part le DPI ne relève pas de l'eugénisme prohibé par cet article, d'autre part, le protocole n'organise aucune sélection des personnes ;
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article L. 1121-2 du code de la santé publique, la circonstance que la recherche litigieuse n'aurait pu être autorisée avant qu'aient été connus des résultats d'une autre recherche autorisée le 1er mars 2021 tendant à autoriser une méthode de DPI-A non invasive est sans incidence dès lors que l'essai DEVIT repose sur des études déjà réalisées et jugées insuffisantes pour apprécier l'intérêt du DPI-A pour améliorer le taux de naissance dans le cadre d'une PMA ; en outre, contrairement à ce que soutient la fondation, l'essai litigieux ne tend pas à développer une technique de DPI-A invasif et ne fait pas courir de risque prévisible hors de proportion avec le bénéfice escompté pour les personnes et l'intérêt de la recherche ;
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article L. 1122-1 du code de la santé publique, le moyen est inopérant dès lors qu'il n'incombe pas à l'ANSM de vérifier le recueil du consentement des personnes incluses dans un protocole de recherche ; en tout état de cause, il ressort de la note d'information remise aux intéressés qu'ils ont été informés ;
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article L. 212-2 du code des relations du public et de l'administration, la décision litigieuse comporte les mentions des prénom, nom qualité ainsi que du service de son auteur dont l'ANSM a justifié de la compétence ; l'absence de signature ne cause pas de grief à la fondation ;
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article L. 211-3 du code des relations du public et de l'administration, le moyen est inopérant dès lors que la recherche sur l'embryon ne fait plus l'objet d'un régime d'interdiction sauf dérogation mais d'autorisation ;
- en ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l'article L. 1123-6 du code de la santé publique, aucune disposition ne prévoit que l'autorisation de l'ANSM ne pourrait être délivrée qu'après qu'ait été rendu l'avis du comité de protection des personnes ; au demeurant, ce comité a émis un avis favorable au projet de recherche ;
- le renvoi fait par l'article R. 1125-14 aux " activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation " n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le champ de la recherche aux seuls procédés autorisés par l'article L. 2141-1 du même code.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2025 et un mémoire en défense récapitulatif enregistré le 30 avril 2025, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par
Me Chevalier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'AP-HP ou à défaut de la ville de Paris, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention récapitulatif enregistré le 8 avril 2025,
Mme J... L..., Mme A... G..., Mme K... H...,
Mme I... E... et M. D... F..., représentés par Me le Gouvello, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
IV. Par une requête enregistrée sous le n° 24PA1803, le 18 avril 2024, l'AP-HP représentée par le cabinet d'avocats François Pinet, demande à la Cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2206833 du 7 février 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables tant pour les couples concernés par l'essai que pour l'AP-HP elle-même ;
- les moyens développés pour contester ce jugement sont sérieux ;
- sa requête remplit les conditions fixées à l'article R. 811-17 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 octobre 2024, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Chevalier conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- les observations de Me Gouz-Fitoussi, représentant l'ANSM,
- les observations de Me Chevalier, représentant la Fondation Jérôme Lejeune,
- les observations de Me Pinet, représentant l'AP-HP,
- les observations de Me le Gouvello, représentant Mme J... L..., Mme A... G..., Mme K... H..., Mme I... E... et M. D... F...,
- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 18 mars 2021, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à mener un essai clinique, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation (AMP), intitulé : " comprehensive chromosomal testing of trophectoderm (TE) biopsies of blastocysts (B...) to improve live birth rates after in vitro fertilization : a prospective randomized trial. Delivery in vitro trophectoderm (DEVIT) ". Cet essai a pour objet de comparer le taux de naissances vivantes obtenu après le premier transfert d'un seul embryon entre, d'une part, un groupe dit de contrôle, dans lequel un blastocyste, c'est-à-dire un embryon de 5 à 6 jours, de statut chromosomique inconnu aura été choisi sur la base des critères morphologiques usuels et, d'autre part, un groupe dit " interventionnel ", dans lequel le blastocyste euploïde, c'est-à-dire comportant un nombre normal de chromosomes, sera préalablement sélectionné après une analyse basée sur le test chromosomique complet des biopsies de trophectoderme de blastocystes (dit B...). Il vise notamment à évaluer les incidences de l'aneuploïdie, c'est-à-dire l'état d'une cellule possédant un nombre anormal de chromosomes, sur le taux d'implantation des embryons dans le cadre des fécondations in vitro. La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler cette décision. Par un jugement du 7 février 2024, le tribunal a fait droit à sa demande. L'ANSM, d'une part, et
l'AP-HP, d'autre part, relèvent appel de ce jugement et demandent qu'il soit sursis à son exécution.
2. Ces quatre requêtes sont dirigées contre un même jugement et on fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur l'intervention de Mme L... et autres :
3. Les intervenants soutiennent, sans être plus contestés en appel qu'en première instance, être atteints de trisomie 21 et font valoir que l'essai clinique litigieux permet, par le recours au diagnostic préimplantatoire, une élimination d'embryons porteurs d'aneuploïdies, parmi lesquelles la trisomie 21. Ils doivent ainsi être regardés comme justifiant d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande de la Fondation Jérôme Lejeune tendant à l'annulation de la décision du 18 mars 2021 autorisant ce protocole de recherche.
Sur les requêtes n° 24PA01119 et n° 24PA01615 :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
4. En premier lieu, si l'ANSM soutient que le jugement attaqué est irrégulier faute de comporter la signature du président et du greffier en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, il ressort de la minute de ce jugement que le moyen manque en fait.
5. En second lieu, si l'ANSM soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il affirme sans le justifier, que l'article L. 2151-5 du code de la santé publique ne déroge pas aux articles L. 2131-4 et L. 2131-4-1 de ce code, il ressort du point 5 de ce jugement qu'il n'est pas entaché de l'irrégularité alléguée.
En ce qui concerne la légalité de de la décision du 18 mars 2021 de l'ANSM :
6. Tout d'abord, aux termes de l'article L. 1125-3 du code de la santé publique, dans sa version en vigueur à la date de la décision litigieuse : " (...) Ne peuvent également être mises en œuvre qu'après autorisation expresse de l'autorité compétente mentionnée à l'article
L. 1123-12 les recherches impliquant la personne humaine menées dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation mentionnées au V de l'article L. 2151-5. " Aux termes de l'article
L. 1123-12 du même code : " I. -L'autorité compétente pour les recherches impliquant la personne humaine prévues à l'article L. 1121-1 est l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. ". Aux termes de l'article L. 2151-5 figurant au titre V relatif à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " (...) / V.- Sans préjudice du titre IV du présent livre Ier, des recherches biomédicales menées dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l'embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple y consent. Ces recherches sont conduites dans les conditions fixées au titre II du livre Ier de la première
partie ". Aux termes de l'article R. 1125-14 du même code, dans sa version applicable au
litige : " Les recherches impliquant la personne humaine menées dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation s'entendent des recherches qui respectent les conditions fixées au titre II du livre Ier de la première partie du présent code sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente section. Ces recherches portent sur les activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation. ".
7. Ensuite, l'article L. 2141-1 du code de la santé publique figurant dans le titre IV du livre Ier de la deuxième partie de ce code, consacré à l'assistance médicale à la procréation, prévoit que : " L'assistance médicale à la procréation s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle. La liste des procédés biologiques utilisés en assistance médicale à la procréation est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l'Agence de la biomédecine. (...) ". L'article L. 2142-1 du même code dispose : " Les activités cliniques d'assistance médicale à la procréation, à l'exception de l'insémination artificielle et de la stimulation ovarienne, ne peuvent être pratiquées que dans des établissements de santé (...) A l'exception de l'insémination artificielle et de la stimulation ovarienne, les activités, tant cliniques que biologiques, d'assistance médicale à la procréation doivent être autorisées suivant les modalités prévues par les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la partie VI du présent code (...) ". Aux termes de l'article R. 2142-1 de ce code, dans sa version en vigueur à la date de la décision litigieuse : " Les activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation mentionnées à l'article L. 2142-1 comprennent : 1° Les activités cliniques suivantes : a) Prélèvement d'ovocytes en vue d'une assistance médicale à la procréation ; b) Prélèvement de spermatozoïdes ; c) Transfert des embryons en vue de leur implantation ; d) Prélèvement d'ovocytes en vue d'un don ; e) Mise en œuvre de l'accueil des embryons ; 2° Les activités biologiques suivantes : a) Préparation et conservation du sperme en vue d'une insémination artificielle ; b) Activités relatives à la fécondation in vitro sans ou avec micromanipulation, comprenant notamment :-le recueil, la préparation et la conservation du sperme ;-la préparation et la conservation des ovocytes ; c) Recueil, préparation, conservation et mise à disposition du sperme en vue d'un don ; d) Préparation, conservation et mise à disposition d'ovocytes en vue d'un don ; e) Conservation à usage autologue des gamètes et préparation et conservation à usage autologue des tissus germinaux en application de l'article L. 2141-11 ; f) Conservation des embryons en vue d'un projet parental ou en application du 2° du II de l'article L. 2141-4 ; g) Conservation des embryons en vue de leur accueil et mise en œuvre de celui-ci. On entend par :-recueil : le processus naturel permettant l'obtention des spermatozoïdes ;-prélèvement : le processus interventionnel permettant l'obtention des gamètes ou tissus germinaux ;-préparation : toute activité liée au traitement, à la manipulation, au conditionnement et à la congélation des gamètes, des tissus germinaux ou des embryons ainsi que le fait d'utiliser des agents chimiques, de modifier le milieu ambiant ou d'utiliser d'autres procédés afin d'empêcher ou de retarder la détérioration biologique ou physique des gamètes, des tissus germinaux et des embryons ;-conservation : le maintien des gamètes, des tissus germinaux et des embryons sous conditions contrôlées et appropriées jusqu'à leur mise à disposition ;-mise à disposition : la remise à un praticien répondant aux critères mentionnés à l'article R. 2142-10 et R. 2142-11 des gamètes, des tissus germinaux ou des embryons. ".
8. Enfin, aux termes de l'article L. 2131-4 du code de la santé publique, figurant dans le titre III du livre Ier de la deuxième partie de ce code, consacré aux actions de prévention concernant notamment l'enfant : " On entend par diagnostic préimplantatoire le diagnostic biologique réalisé à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro. (...) ". Cet article précise les conditions dans lesquelles le diagnostic préimplantatoire est autorisé, à titre exceptionnel.
9. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1125-3, L. 1123-12, L. 2151-5 et R. 1125-14 du code de la santé publique que l'ANSM peut, sur leur fondement, autoriser des recherches biomédicales menées dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, ce dont il découle qu'elles portent sur les activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation.
10. Il ressort des pièces du dossier que l'essai clinique litigieux conduit dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation et relevant des recherches impliquant la personne humaine a été autorisé par l'ANSM sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 1125-3 du code de la santé publique et du V de l'article L. 2151-5 du même code. Or cet essai implique un diagnostic préimplantatoire, régi par l'article L. 2131-4 du code de la santé publique, lequel ne constitue pas une activité clinique ou biologique relevant de l'assistance médicale à la procréation en vertu des articles L. 2141-1, L. 2141-2 et R. 2142-1 de code. Par suite, la décision litigieuse est entachée d'illégalité.
11. Il résulte de ce qui précède que l'ANSM et l'AP-HP ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 18 mars 2021 par laquelle l'ANSM a autorisé l'AH-HP à mettre en œuvre un essai clinique intitulé : " comprehensive chromosomal testing of trophectoderm (TE) biopsies of blastocysts (B...) to improve live birth rates after in vitro fertilization : a prospective randomized trial. Delivery in vitro trophectoderm (DEVIT) ".
Sur les requêtes n° 24PA01125 et n° 24PA01803 :
12. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur les conclusions des requêtes
n° 24PA01119 et n° 24PA01615 de l'ANSM et de l'AP-HP tendant à l'annulation du jugement n° 2206833 du 7 février 2024 du Tribunal administratif de Montreuil, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a, par suite, plus lieu d'y statuer.
Sur les frais des instances :
13. D'une part, en application de l'article L. 5322-2 du code de la santé publique, les décisions prises par la directrice générale de l'ANSM dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient du code de la santé publique le sont au nom de l'Etat.
14. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que la Fondation Jérôme Lejeune, qui n'est pas la partie perdante, verse à l'Etat et
l'AP-HP la somme que demandent l'ANSM et l'AP-HP au titre des frais des instances. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etat et de l'AP-HP une somme de 750 euros chacun à verser à la Fondation Jérôme Lejeune sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de Mme J... L..., Mme A... G...,
Mme K... H..., Mme I... E... et M. D... F... est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des requêtes n° 24PA01125 et
n° 24PA01803.
Article 3 : Les requêtes n° 24PA01119 et n° 24PA01615 sont rejetées.
Article 4 : L'Etat et l'AP-HP verseront chacun une somme de 750 euros à la Fondation Jérôme Lejeune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, à la Fondation Jérôme Lejeune et à Mme J... L..., première dénommée pour l'ensemble des intervenants.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Philippe Delage, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
Ph. DELAGE
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA01119, 24PA01125, 24PA01615, 24PA01803 2