Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite.
Par un jugement n° 2327225/8 du 13 mars 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 23 octobre 2023, enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme B... et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 avril 2024, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 2327255/8 du 13 mars 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'arrêté en litige.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige ne méconnaît pas les stipulations du 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance doivent être écartés.
La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 13 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 3 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Segretain a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... est une ressortissante algérienne née le 15 avril 1991, entrée en France le 1er janvier 2019, selon ses déclarations. Elle a sollicité un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, qui lui a été refusé par un arrêté du 23 octobre 2023, par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite. Le préfet de police relève appel du jugement du 13 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté en litige et lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de Mme B....
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 4) au ressortissant algérien ascendant direct d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il exerce même partiellement l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins. (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des stipulations du 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée, comme en l'espèce, sur le fondement du 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Pour accueillir le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige méconnaît les stipulations précitées du 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, les premiers juges ont considéré que le préfet de police n'établissait pas, comme il en a la charge, que la reconnaissance de paternité de l'enfant de Mme B..., né le 10 juin 2022, par un ressortissant français, n'avait été souscrite qu'en vue de solliciter la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Il ressort des pièces du dossier que le ressortissant français à l'origine de la reconnaissance de paternité est l'auteur de douze reconnaissances d'enfants de mères différentes, qui ont toutes déposé des demandes de titres de séjour en qualité de mère d'enfant français, et qu'il a été condamné le 20 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Paris à douze mois d'emprisonnement avec sursis pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger en France entre le 6 octobre 2014 et le 19 août 2022 en raison de telles reconnaissances frauduleuses. Mme B... ne donne en outre aucune information sur les circonstances de sa rencontre avec celui qu'elle présente comme le père de son enfant, qui ne contribue pas à son entretien ni à son éducation, et de la relation qu'elle aurait entretenue avec lui, et ne verse pas plus d'élément susceptible d'établir l'existence d'un tel lien. Dans ces conditions, le préfet de police doit être regardé comme présentant un faisceau d'indices de nature à établir que la reconnaissance de paternité de l'enfant de Mme B... né le 10 juin 2022 était frauduleuse, la circonstance que le tribunal judiciaire n'ait pas été saisi du cas de Mme B... à l'occasion de l'action pénale engagée contre son auteur n'y faisant pas obstacle. Le préfet de police est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige méconnaît le 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour motiver l'arrêté en litige, le préfet de police a relevé que Mme B... a demandé " son admission exceptionnelle au séjour au titre de l'article 6.4 de l'accord franco-algérien " en tant que mère d'un enfant français, que le père déclaré de cet enfant, ayant reconnu douze enfants de mères différentes ayant déposé des demandes de titres de séjour, a été condamné par le tribunal judiciaire de Paris en raison de ces reconnaissances multiples de paternité et que, par ailleurs, l'intéressée était célibataire avec un enfant, non dépourvue d'attaches à l'étranger où réside sa famille. Par suite, le préfet de police, qui doit être regardé comme s'étant, implicitement mais nécessairement, prévalu du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité en se référant au jugement pénal, a suffisamment motivé l'arrêté en litige, la circonstance qu'il n'ait pas visé la convention internationale relative aux droits de l'enfant étant par ailleurs sans incidence à cet égard. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation personnelle de Mme B... au motif qu'il aurait qualifié d'admission exceptionnelle sa demande, alors qu'il a rappelé dans l'arrêté qu'elle l'avait été en tant que mère d'enfant français sur le fondement du 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, et qu'il n'aurait pas pris en compte l'intérêt supérieur de son enfant, alors que le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité fait obstacle, en l'espèce, à ce que l'enfant soit séparé de sa mère.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet n'est tenu de saisir la commission que du seul cas des ressortissants algériens qui remplissent effectivement les conditions prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou par les stipulations équivalentes de l'accord franco-algérien, auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité, et non celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que Mme B... ne justifie pas remplir les conditions prévues par le 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par suite, le préfet de police n'était pas tenu de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de se prononcer sur sa demande de titre de séjour.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. L'arrêté en litige, en refusant à Mme B... le titre de séjour qu'elle sollicitait et en l'obligeant à quitter le territoire dans le délai de trente jours, n'a ni pour objet, ni pour effet de la séparer de son fils né en juin 2022, alors qu'il est constant que l'auteur de la reconnaissance de paternité n'entretient avec lui aucun lien, et que l'enfant a dès lors vocation à vivre avec sa mère. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté comme manquant en fait.
11. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui est entrée en France selon ses déclarations le 1er janvier 2019, à l'âge de vingt-sept ans, ne peut se prévaloir que d'une présence sur le territoire d'au plus quatre ans et demi à la date de l'arrêté en litige, qu'elle est célibataire et mère d'un enfant dont le père n'est pas celui qu'elle a déclaré, qu'elle ne présente aucun signe d'intégration particulière en France, et qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où réside sa famille. Par suite, l'arrêté en litige n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 23 octobre 2023 et que la demande de Mme B... présentée devant le tribunal doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2327225/8 du 13 mars 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de police, à Mme A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2025.
Le rapporteur,
A. SEGRETAINLa présidente,
S. VIDAL
La greffière,
C. ABDI-OUAMRANELa République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
No 24PA01649