Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... et Mme B... C..., agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur enfant A..., ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 180 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de leur demande indemnitaire préalable et de la capitalisation desdits intérêts, en réparation des préjudices résultant selon eux de la carence de l'Etat dans la prise en charge éducative de leur fils, A..., conformément aux décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Seine-Saint-Denis.
Par un jugement n° 2213379 du 5 juin 2024, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à M. et Mme C..., en leur nom propre, la somme de 2 000 euros chacun, et, en leur qualité de représentants légaux de leur fils, celle de 6 000 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2022, avec capitalisation.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 juillet 2024 et le 27 janvier 2025, M. et Mme C..., agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur enfant A..., représentés par Me Taron, demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 5 juin 2024 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a limité l'indemnisation qui leur est due à la somme totale de 10 000 euros ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 190 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la carence de l'Etat dans la prise en charge de leur fils, A..., assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de leur demande indemnitaire préalable avec capitalisation desdits intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de l'Etat, tenu à une obligation de résultat en matière de prise
en charge adaptée des personnes présentant des troubles de l'autisme, est engagée du fait de sa carence dans la prise en charge de A..., sur le fondement des articles L. 111-2, L. 112-1 et L. 351-2 du code de l'éducation, et L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, les établissements désignés par des décisions de la CDAPH de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) n'ayant pu accueillir l'enfant ;
- ils établissent en effet avoir effectué des diligences auprès des établissements désignés, sans que l'on puisse leur faire grief de ne pas avoir contacté certaines structures ou de l'avoir fait tardivement, la scolarisation de leur fils dans des établissements qui ne sont pas des instituts médico-éducatifs (IME) ne pouvant leur être opposée ;
- les préjudices moraux et les troubles dans les conditions d'existence consécutifs à la défaillance de l'Etat subis par leur fils et par eux-mêmes s'établissent pour la période postérieure au 6 août 2019 à la somme totale de 190 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2025, l'agence régionale de santé d'Ile-de-France conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les requérants ne sont pas fondés à demander une indemnisation supérieure à celle obtenue en première instance.
Par ordonnance du 7 janvier 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 février 2025 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... sont les parents de A... C..., né le 1er mai 2012, diagnostiqué comme présentant un trouble du spectre autistique. La commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Seine-Saint-Denis a pris quatre décisions successives concernant l'orientation de A..., les 14 février 2017, 10 avril 2018, 6 août 2019 et 21 août 2020. Estimant que leur fils n'avait pas bénéficié d'une prise en charge pluridisciplinaire tenant compte de ses besoins et de ses difficultés spécifiques, M. et Mme C... ont sollicité le 15 juin 2022 du ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, le versement d'une somme totale de 180 000 euros en réparation des préjudices subis par l'enfant et par eux-mêmes, du fait de cette carence. Cette demande indemnitaire ayant été implicitement rejetée, M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat au versement de cette indemnité. Par un jugement du 5 juin 2024, le tribunal a condamné l'Etat à leur verser, en leur nom propre, la somme de 2 000 euros chacun, et, en leur qualité de représentants légaux de leur fils, A..., celle de 6 000 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2022, avec capitalisation. M. et Mme C... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation sollicitée à la somme totale de 10 000 euros.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. (...) ". Aux termes de l'article L. 114-1 du même code : " Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. L'Etat est garant de l'égalité de traitement des personnes handicapées sur l'ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d'actions. ".
3. Il résulte de ces dispositions que le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que cette prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé ou par l'intervention d'un service à domicile, c'est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l'état et à l'âge de la personne atteinte de ce syndrome. En vertu de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, il incombe par conséquent à la CDAPH, à la demande des parents, de se prononcer sur l'orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission. Ainsi, il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif.
4. Lorsqu'un enfant autiste ne peut être pris en charge par l'une des structures désignées par la CDAPH en raison du manque de places disponibles, l'absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l'État dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une telle prise en charge dans une structure adaptée.
5. La responsabilité de l'Etat doit toutefois être appréciée en tenant compte, s'il y a lieu, du comportement des responsables légaux de l'enfant, lequel est susceptible de l'exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité.
6. Il résulte de l'instruction que la CDAPH de la Seine-Saint-Denis a, par une décision du 6 août 2019, orienté le jeune A... vers trois instituts médico-éducatifs (IME) en semi-internat à temps plein (l'IME La Clé pour l'autisme à Vauréal (95), l'IME La Chamade à Herblay (95) et l'IME Roland Bonnard à St Martin du Tertre (95)), en demandant également à ses parents de recontacter les établissements déjà désignés précédemment au sein desquels A... était inscrit sur liste d'attente, puis a, par une nouvelle décision du 21 août 2020, orienté l'enfant vers cinq autres structures (l'IME Au Fil de l'Autre à Nanterre (92), l'IME Les Grands Champs à Roissy-en-Brie (77), l'IME La Doucette à Drancy (93), l'IME Le Nid au Raincy (93) et l'IME Soubiran à Villepinte (93)).
7. Par les pièces qu'ils produisent, M. et Mme C... établissent, d'une part, s'agissant de la première des deux périodes mentionnées ci-dessus, avoir contacté les établissements désignés par la décision du 6 août 2019 ainsi que le service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) Denisien qui avait inscrit l'enfant sur liste d'attente, et trois autres établissements identifiés par leurs propres moyens. D'autre part, pour la seconde période, il résulte également de l'instruction que les requérants ont pris l'attache des IME désignés, et que ceux-ci ont répondu, soit qu'ils n'avaient pas de place disponible pour l'enfant, soit qu'il était trop jeune, soit encore que son lieu de résidence était trop éloigné. L'agence régionale de santé d'Ile-de-France n'allègue d'ailleurs pas que des places auraient été disponibles au sein des établissements désignés. Ainsi, le comportement des requérants n'est pas de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité.
Sur le préjudice :
8. Il résulte du jugement du 5 juin 2024 et de ce qui précède que la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée au titre des périodes allant du 1er janvier au 10 avril 2018 et du 7 août 2019 à la date de mise à disposition du présent arrêt, soit une période totale de plus de six ans.
9. Eu égard aux conséquences des manquements relevés sur la progression de l'enfant qui souffre d'un trouble du spectre autistique d'intensité sévère dont la nature est notamment établie par les pièces médicales produites en appel, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par le jeune A... en portant la somme à laquelle l'Etat a été condamné pour leur réparation par le tribunal administratif de Montreuil à 12 000 euros.
10. Il sera par ailleurs fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par ses parents en portant la somme à laquelle l'Etat a été condamné pour leur réparation par le tribunal administratif de Montreuil à 4 000 euros, chacun.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... sont, dans la mesure exposée ci-dessus, fondés à demander la réformation du jugement du 5 juin 2024 du tribunal administratif de Montreuil.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les sommes de 2 000 euros, de 2 000 euros et de 6 000 euros que l'Etat a été condamné à verser respectivement à Mme C..., à M. C... et à M. et Mme C... en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, A... C..., sont portés à 4 000 euros, 4 000 euros et 12 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 2213379 du 5 juin 2024 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à Mme B... C... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée et à l'agence régionale de santé d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA03382