La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2025 | FRANCE | N°24PA02452

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 2ème chambre, 25 juin 2025, 24PA02452


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de l'obligation qui leur a été notifiée par mise en demeure, en date du 21 octobre 2021, de payer la somme de 3 877 445,63 euros correspondant à des montants restés impayés de rectifications d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2007, et des pénalités afférentes, ainsi qu'aux majorations et frais de poursuite liés à leur recouvrement.


r> Par un jugement n° 2202083 du 8 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de l'obligation qui leur a été notifiée par mise en demeure, en date du 21 octobre 2021, de payer la somme de 3 877 445,63 euros correspondant à des montants restés impayés de rectifications d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2007, et des pénalités afférentes, ainsi qu'aux majorations et frais de poursuite liés à leur recouvrement.

Par un jugement n° 2202083 du 8 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 6 juin, 20 juin et 14 octobre 2024 et 19 janvier 2025, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. et Mme A... B..., représentés par Me Sand, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) de les décharger de l'obligation de payer les impositions et majorations en litige réclamées par la mise en demeure du 21 octobre 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il est utile que la cour prescrive une enquête sur le fondement de l'article R. 623-1 du code de justice administrative ou, à défaut, qu'elle sollicite l'audition d'une personne selon la procédure prévue à l'article R. 625-2 du code de justice administrative ;

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des exigences de l'article 9 du code de justice administrative ; l'exposé des faits est incomplet, celui de leurs conclusions et moyens est erroné et incomplet, la motivation du jugement écartant leur argumentation centrale est lacunaire ;

- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de la prescription ;

- le tribunal a méconnu l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire car ils ont reçu une information trop succincte du sens des conclusions du rapporteur public avant l'audience, et car ces conclusions sont lacunaires ;

- le tribunal a méconnu l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- le tribunal a méconnu l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui implique que les jugements soient suffisamment motivés ;

- ils ne sont pas tenus à une obligation de payer les sommes en cause, du fait de la caducité des avis d'impositions complémentaires et des extraits de rôles initiaux et dès lors que de nouveaux rôles respectant les dispositions de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, et de nouveaux avis d'imposition, n'ont pas été émis ; ainsi que cela ressort de la décision du Conseil d'Etat du 16 mars 2011, n° 333860, lorsque l'administration prononce un dégrèvement elle annule le titre qui fondait le paiement de l'imposition dégrevée et elle se trouve alors dans l'obligation d'émettre dans le délai de la prescription de nouveaux rôles et de nouveaux avis d'imposition correspondant aux nouvelle bases légales ;

- eu égard au décret n° 2012-1246 du 7 décembre 2012 et de la doctrine référencée BOI-REC-PART-10-10-10 § 1 et 10, les nouveaux rôles et extraits de rôle qui devaient être établis doivent préciser les bases d'imposition retenues, la nature des contributions et taxes, le taux d'imposition, le montant total des cotisations et le montant par article ;

- le délai de quatre ans de la prescription de l'action en recouvrement des sommes mentionnées sur les avis d'imposition complémentaire a expiré le 31 octobre 2016 ;

- leur obligation au paiement de leur dette s'est éteinte en l'absence d'émission d'un nouvel avis d'imposition qui respecterait les dispositions de l'article L. 253 du livre des procédures fiscales visant à informer le contribuable inscrit au rôle des impôts directs ;

- l'administration aurait dû émettre un nouvel avis d'imposition en application de l'alinéa 2 de l'article 170-3 du code général des impôts ;

- faute d'émission préalable d'un nouveau titre exécutoire faisant état d'une substitution de la catégorie des sommes imposées et des modalités de leur imposition, ils ne sont pas tenus à une obligation de paiement, sauf à méconnaître les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice garantis par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'absence de réponse de l'administration à plusieurs de leurs moyens vaut acquiescement ;

- les conclusions du ministre tendant à ce qu'ils soient condamnés au paiement d'une amende pour recours abusif sont nouvelles en appel et, dès lors, irrecevables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut :

1°) au rejet de la requête de M. et Mme B... ;

2°) à la condamnation de M. et Mme B... au paiement d'une amende pour recours abusif sur le fondement des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que les requérants ne l'ignorent pas.

Par une ordonnance du 12 décembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 20 janvier 2025.

Par courrier du 24 mars 2025 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office, tirés de l'irrégularité du jugement en tant qu'il a omis de constater, eu égard à la jurisprudence issue de la décision du Conseil d'Etat en date du 27 juillet 2015, n° 359368, le non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins de décharge de l'obligation de payer à concurrence du montant de la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales et des pénalités afférentes auxquelles M. et Mme B... ont été assujettis au titre de l'année 2007 résultant, le cas échéant, de l'exécution des articles 1er et 2 de l'arrêt n° 19PA04244 du 1er juin 2022 de la cour administrative d'appel de Paris, et du non-lieu à statuer à due concurrence de ce qui précède.

Par courrier du 24 mars 2025 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions du ministre chargé des comptes publics tendant à ce amende pour recours abusif soit mise à la charge de M. et Mme B..., cette faculté prévue par l'article R. 741-2 du code de justice administrative constituant un pouvoir propre du juge.

Par un mémoire enregistré le 15 avril 2025 qui a été communiqué à l'administration fiscale, M. et Mme B..., représentés par Me Sand, ont répondu à ces deux courriers du 24 mars 2025.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, une mesure supplémentaire d'instruction a été communiquée aux parties le 9 mai 2025.

Le 9 mai 2025, l'administration fiscale a produit des pièces en réponse à cette mesure supplémentaire d'instruction, qui ont été communiquées à M. et Mme B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vinot,

- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,

- et les observations de Me Sand, représentant M. et Mme B....

Une note en délibéré, présentée pour M. et Mme B... par Me Sand, a été enregistrée le 27 mai 2025.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... ont été assujettis à des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2007 assortis de pénalités, mis en recouvrement le 31 octobre 2012 en exécution, respectivement, du rôle n° 50751 signé le 18 octobre 2012 en vue du recouvrement de la somme de 5 756 332 euros au titre des suppléments d'impôt sur le revenu (3 787 061 euros) et des pénalités correspondantes (1 969 271 euros), et du rôle n° 920 signé le 19 octobre 2012 de 644 762 euros au titre des contributions sociales.

2. Par un jugement n° 1312914 du 5 janvier 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la réduction, en droits et en pénalités, des impositions résultant de la taxation de la somme de 3 856 234 euros, correspondant à la plus-value réalisée par M. B... le 29 mai 2007, à concurrence de la différence entre le montant des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles les requérants avaient été assujettis au titre de l'année 2007 dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, celui des cotisations supplémentaires résultant de l'imposition de cette somme selon le régime des plus-values de cession sur le fondement des dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts. Par une décision en date du 31 mars 2016 l'administration fiscale a, en exécution de ce jugement, prononcé le dégrèvement de 468 861 euros, soit 308 462 euros de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et 160 399 euros de pénalités. M. et Mme B... ayant relevé appel de ce jugement en tant qu'il leur était défavorable, la cour de céans a, par un arrêt n° 16PA00874 du 12 avril 2018, déchargé les requérants, " le cas échéant , des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales " demeurant en litige, " ainsi que des pénalités correspondantes, à raison de la taxation dans la catégorie des traitements et salaires du gain réalisé correspondant aux parts de la société CDA apportées directement par M. B... à la société civile Adea Project et de la taxation selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, sur le fondement des dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts, du gain correspondant aux parts de la société CDA apportées par la société civile Adea à la société civile Adea Project ", et réformé le jugement dans cette mesure. En exécution de cet arrêt l'administration fiscale a, le 3 juillet 2018, prononcé le dégrèvement de 2 561 567 euros, soit 1 685 241 euros de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et 876 326 euros de pénalités. Cet arrêt a été annulé par décision n° 421452 du 20 décembre 2019 du Conseil d'Etat, qui a renvoyé l'affaire à la cour et constaté un non-lieu à statuer sur le recours incident du ministre. Par arrêt n° 19PA04244 du 1er juin 2022 rendu après renvoi la cour administrative d'appel de Paris a, de nouveau, déchargé M. et Mme B..., " le cas échéant, de la différence entre les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2007 et restant en litige, ainsi que des pénalités correspondantes, et celles résultant de la taxation dans la catégorie des traitements et salaires du gain réalisé correspondant aux parts de la société CDA apportées directement par M. B... à la société civile Adea Project et de la taxation selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, sur le fondement des dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts, du gain correspondant aux parts de la société CDA apportées par la société civile Adea à la société civile Adea Project ", et réformé dans cette mesure le jugement du 5 janvier 2016 du tribunal administratif de Paris. Le pourvoi formé contre cet arrêt n'a pas été admis.

3. Entre-temps, le comptable public compétent a notifié à M. et Mme B... une mise en demeure datée du 21 octobre 2021 de payer la somme totale de 3 877 445,63 euros soit, d'une part, 2 810 594 (2 538 004 + 272 590) euros correspondant à un " montant dû " de 5 756 332 euros augmenté de 575 633 euros à raison d'impôt sur les revenus et de prélèvements sociaux augmentés de majorations réclamés au titre de l'année 2007 par le rôle n° 53011, dont ont été déduits des " versements " de 3 218 328 euros augmentés de

303 043 euros, d'autre part, 657 341,63 (592 865,63 + 64 476) euros correspondant à un " montant dû " de 644 762 euros augmenté de 64 476 euros à raison de prélèvements sociaux augmentés de majorations réclamés au titre de l'année 2007 par le rôle n° 53201, dont ont été déduits des " versements " de 51 896,37 euros et, enfin, 409 510 euros correspondant à des " frais de poursuite " incluant des " intérêts moratoires décomptés à la date du 1er juillet 2016 suite au jugement du tribunal administratif de Paris " correspondant à un " montant dû " de 725 021 euros dont ont été déduits des " versements " de 315 511 euros. M. et Mme B... ont présenté une opposition à poursuites du 15 novembre 2021, qui a été rejetée par décision du 30 novembre 2021 du directeur régional des finances publiques de la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris. M. et Mme B... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme de 3 877 445,63 euros.

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. En l'espèce, d'une part, si M. et Mme B... soutiennent que l'exposé de leurs conclusions présentées au tribunal administratif de Paris serait erroné et incomplet, ils n'identifient aucune conclusion sur laquelle les premiers juges auraient omis de statuer.

6. D'autre part, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement en répondant, au point 5 du jugement, au moyen soulevé par la demande, tiré de l'absence d'obligation au paiement de leur créance, le bien-fondé de la réponse qu'ils ont apportée au regard des éléments du dossier étant en tout état de cause sans incidence sur la régularité du jugement.

7. Enfin, la demande présentée au tribunal comporte dix-neuf pages dépourvues de repères permettant d'identifier le ou les moyens soulevés, expose pour l'essentiel des arguments à l'appui du moyen tiré du défaut d'obligation au paiement et se borne à relever à la page 17 entre parenthèses, sans autre précision, que " (la fin du délai de prescription de l'action en recouvrement a expiré le 31.12.2016) ". Le même paragraphe est recopié dans le mémoire en réplique présenté au tribunal. Et les requérants ont précisé, dans leur réponse au courrier qui leur a été notifié sur le fondement des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que leur demande présentée au tribunal comporte un unique moyen tiré de l'absence d'obligation de payer. Dans ces conditions, ils ne sauraient être regardés comme ayant soulevé devant les premiers juges le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement, laquelle a trait à l'exigibilité de la dette et non à l'obligation au paiement. Ils ne sont dès lors pas fondés à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à ce moyen.

8. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la mention " rejet au fond " les ayant informés, avant l'audience, du sens des conclusions du rapporteur public, satisfait aux dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative.

9. D'autre part, les critiques présentées par les requérants, selon lesquelles les conclusions du rapporteur public n'auraient pas analysé la jurisprudence qu'ils invoquaient et auraient analysé trop peu de décisions juridictionnelles, dont plusieurs n'auraient pas été identifiables, ne sauraient être regardées comme de nature à établir que le tribunal n'aurait pas respecté le principe du contradictoire.

10. En troisième lieu, les requérants, qui se bornent à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre de manière complète aux arguments et preuves qu'ils avaient présentés, ne sont pas fondés à soutenir que l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui consacre l'égalité devant la justice, aurait été méconnu.

11. En quatrième lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points précédents, et en l'absence de tout autre élément utile apporté par les requérants, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que leur droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aurait été méconnu.

12. En cinquième lieu, s'agissant d'un litige étranger à la mise en œuvre du droit de l'Union européenne, au sens de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, M. et Mme B... ne peuvent, en tout état de cause, utilement soutenir que le tribunal aurait méconnu leur droit au recours effectif garanti par l'article 47 de cette charte.

Sur la demande de décharge de l'obligation de payer :

13. En réponse à une mesure supplémentaire d'instruction, l'administration fiscale a produit le 9 mai 2025 des pièces dont il ressort, d'une part, que les montants de 468 861 euros au titre des droits et pénalités et de 46 886 euros au titre des majorations pour retard de paiement ont été portés le 14 avril 2016 en déduction de sommes mises en recouvrement par rôle n° 53011 et que les montants de 2 561 567 euros au titre des droits et pénalités, de 256 157 euros au titre des majorations et de 312 511 euros au titre de l'intitulé " frais " ont été portés le 11 juillet 2018 en déduction de sommes mises en recouvrement par ce même rôle, dont le solde créditeur pour le Trésor public s'élevait à la date du 9 mai 2025 à 2 518 504 euros s'agissant des droits et pénalités et 272 590 euros s'agissant des majorations, d'autre part, que le montant de 55 396 euros a été porté en 2018 en déduction de sommes mises en recouvrement par rôle n° 53201, dont le solde créditeur pour le Trésor public s'élevait à la date du 9 mai 2025 à 589 365,63 euros s'agissant des droits et pénalités et à 64 476 euros s'agissant des majorations.

14. Il ressort de l'analyse des éléments versés au dossier, d'une part, que les mentions et les montants inscrits sur la mise en demeure du 21 octobre 2021 renvoient suffisamment clairement aux rôles n° 50751 du 18 octobre 2012 et n° 920 du 19 octobre 2012 et, d'autre part, que les montants inscrits sur les pièces produites le 9 mai 2025 par l'administration fiscale renvoient suffisamment clairement aux montants des dégrèvements qu'elle a prononcés les 21 mars 2016 et 3 juillet 2018 alors, en outre, que la mise en demeure précise que des intérêts moratoires ont été inscrits sous l'intitulé " frais de poursuite ". Dans ces conditions, quand bien même les numéros 53011 et 53201 des rôles auxquels se réfèrent la mise en demeure ainsi que les pièces produites en réponse à la mesure supplémentaire d'instruction diffèrent de ceux des rôles portant les numéros 50751 et 920, signés les 18 et 19 octobre 2012 en vue du recouvrement des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales de l'année 2017 et des pénalités correspondantes, l'administration fiscale doit être regardée comme justifiant que la somme de 3 877 445,63 euros, dont le paiement est réclamé à M. et Mme B... par la mise en demeure du 21 octobre 2021, correspond aux montants des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2007 assortis de pénalités mentionnés au point 1 du présent arrêt, augmentés de majorations de 10 % pour paiement tardif, dont ont été déduits dans la colonne " versements ", en particulier, le montant de 468 861 euros dont l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement par décision du 21 mars 2016 en exécution du jugement du 5 janvier 2016 du tribunal administratif de Paris, celui de 2 561 567 euros dont elle avait prononcé le dégrèvement par décision du 3 juillet 2018 en exécution de l'arrêt n° 16PA00874 du 12 avril 2019 de la cour de céans, et celui de 312 511 euros au titre d'intérêts moratoires dont l'administration fiscale a admis qu'ils étaient dus au contribuable en conséquence de ces dégrèvements.

S'agissant de l'obligation au paiement :

15. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites (...) Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : a) Pour les créances fiscales, devant le juge de l'impôt prévu à l'article L. 199 (...) ".

16. En premier lieu, les requérants soutiennent qu'en raison des substitutions de base légale auxquelles il a été procédé devant le tribunal administratif de Paris puis devant la cour de céans, les éléments portés sur les rôles des 18 et 19 octobre 2012 ne sont plus susceptibles de fonder la créance du Trésor public. Ils en déduisent qu'à défaut d'émission, par l'administration fiscale, de nouveaux rôles correspondant aux nouvelles bases légales retenues par les décisions de justice et de nouveaux avis d'impositions complémentaires satisfaisant, respectivement, aux dispositions des articles L. 252 A et l'article L. 253 du livre des procédures fiscales, ils ne sont pas tenus au paiement des sommes réclamées par la mise en demeure du 21 octobre 2021.

17. Aux termes de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " Les impôts directs et les taxes y assimilées sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par arrêté du préfet ou d'avis de mise en recouvrement. (...) ". Aux termes de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales : " Constituent des titres exécutoires les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir. ". Les deux premiers alinéas de l'article L. 253 du même code disposent : " Un avis d'imposition est adressé sous pli fermé à tout contribuable inscrit au rôle des impôts directs (...) dans les conditions prévues aux articles 1658 et 1659 A du code général des impôts. / L'avis d'imposition mentionne le total par nature d'impôt des sommes à acquitter, les conditions d'exigibilité, la date de mise en recouvrement et la date limite de paiement. ". Ces dispositions offrent à l'administration la faculté de procéder au recouvrement des impôts directs, s'agissant notamment de cotisations supplémentaires établies à l'issue d'une procédure de rectification, soit au moyen de rôles rendus exécutoires, soit par voie d'avis de mise en recouvrement.

18. D'une part, et ainsi qu'il a été dit au point 14, il résulte de l'instruction que la somme dont le paiement est réclamé par la mise en demeure du 21 octobre 2021 a été calculée après déduction des deux dégrèvements prononcés, respectivement, par décision du 21 mars 2016 en exécution du jugement du 5 janvier 2016 du tribunal administratif de Paris, pour un montant de 468 861 euros, et par décision du 3 juillet 2018 pour un montant de

2 561 567 euros en exécution de l'arrêt n° 16PA00874 du 12 avril 2019 dont le dispositif a été réitéré par l'arrêt n° 19PA04244 du 1er juin 2022 rendu après cassation et renvoi de l'affaire à la cour de céans. Dans ces conditions, M. et Mme B... ne peuvent pas utilement se prévaloir de la jurisprudence issue de la décision du Conseil d'Etat du 16 mars 2011, n° 333860, en vertu de laquelle, lorsque l'administration a prononcé un dégrèvement puis estime ultérieurement l'avoir consenti à tort, il lui appartient, après avoir averti le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer, d'émettre, si le délai de reprise n'est pas expiré, un nouveau titre en vue de procéder au recouvrement des impositions qu'elle entend rétablir.

19. D'autre part, une substitution de base légale, lorsqu'il y est procédé par le juge de l'impôt à la demande de l'administration, n'a pas pour objet de faire naître une nouvelle décision d'imposition qui se substituerait à la mise en recouvrement initiale de l'impôt, laquelle disparaîtrait de l'ordonnancement juridique, mais a seulement pour effet de permettre le maintien de cette décision d'imposition initiale sur un nouveau fondement de droit.

20. En deuxième lieu, lorsque l'administration entend procéder au recouvrement d'une créance fiscale en vertu d'un rôle homologué, conformément aux dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, ce rôle doit comporter l'identification du contribuable, ainsi que le total par nature d'impôt et par année des sommes à acquitter. Il n'est en revanche pas soumis à l'obligation d'indiquer les bases de la liquidation imposée par les dispositions de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, qui ne portent que sur les créances non fiscales. Il suit de là que M. et Mme B... ne sauraient utilement invoquer ces dispositions.

21. En troisième lieu, M. et Mme B... ne peuvent utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-REC-PART-10-10-10, dès lors que cette doctrine se borne à rappeler la règle selon laquelle les rôles d'imposition doivent être homologués par une autorité compétente pour être exécutoires.

S'agissant de l'exigibilité de la dette :

22. Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle, perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa, par lequel se prescrit l'action en vue du recouvrement, est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous autres actes interruptifs de la prescription ". Aux termes de l'article L. 277 du même livre : " Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge est autorisé, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. / L'exigibilité de la créance et la prescription de l'action en recouvrement sont suspendues jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 262 de ce livre, dans sa version applicable : " Les créances dont les comptables publics sont chargés du recouvrement peuvent faire l'objet d'une saisie administrative à tiers détenteur notifiée aux dépositaires, détenteurs ou débiteurs de sommes appartenant ou devant revenir aux redevables./ Dans le cas où elle porte sur plusieurs créances, de même nature ou de nature différente, une seule saisie peut être notifiée./ L'avis de saisie administrative à tiers détenteur est notifié au redevable et au tiers détenteur. (...) "

23. Il résulte de l'instruction, en particulier des mentions non contestées du courrier du 30 novembre 2021 ayant rejeté l'opposition à la mise en demeure du 21 octobre 2021 présentée par M. et Mme B..., que ces derniers ont déposé, le 7 janvier 2013, une réclamation contre les impositions et pénalités en litige, assortie d'une demande de sursis de paiement, de sorte qu'en application des dispositions de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales la prescription de l'action en recouvrement a été suspendue jusqu'au jugement du 5 janvier 2016 du tribunal administratif de Paris, puis qu'une mise en demeure de payer du 4 mai 2016 a été notifiée aux requérants qui en ont accusé réception le 17 mai 2016, puis qu'un avis à tiers détenteur a été notifié aux requérants le 9 octobre 2019 aux fins d'appréhender la somme allouée à M. et Mme B... par la décision n° 421452 du 20 décembre 2019 du Conseil d'Etat mentionnée au point 2 du présent arrêt.

24. Dans ces conditions, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que le délai de prescription aurait expiré le 31 octobre 2016.

S'agissant des autres moyens :

25. En premier lieu, aux termes de l'article 170 du code général des impôts :

" (...) 3. Lorsque la déclaration du contribuable doit seulement comporter l'indication du montant des éléments du revenu global et des charges ouvrant droit à la réduction d'impôt prévue par l'article 199 septies, l'administration calcule le revenu imposable compte tenu des déductions et charges du revenu auxquelles le contribuable a légalement droit ainsi que les réductions d'impôt./ Les avis d'imposition correspondants devront comporter le décompte détaillé du revenu imposable faisant apparaître notamment le montant des revenus catégoriels, celui des déductions pratiquées ou des charges retranchées du revenu global. Ils doivent également faire apparaître le montant des charges ouvrant droit à réduction d'impôt et le montant de cette réduction. / (...) /Pour l'application des dispositions du présent code, le revenu déclaré s'entend du revenu imposable calculé comme il est indiqué au premier alinéa. ".

26. Il ressort du texte même de ces dispositions que l'avis d'imposition mentionné au deuxième alinéa du 3 de l'article 170 du code général des impôts concerne l'imposition primitive à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales et non les cotisations supplémentaires à cet impôt et à ces contributions. Ainsi, M. et Mme B... ne sauraient utilement s'en prévaloir.

27. En deuxième lieu, les requérants ne peuvent utilement invoquer les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à l'encontre de la mise en demeure en litige, qui n'a pas été prise pour mettre en œuvre le droit de l'Union européenne.

28. En troisième lieu, contrairement à ce qu'ils soutiennent, M. et Mme B..., qui n'assortissent d'ailleurs leur allégation d'aucun argument de droit, ne sauraient se prévaloir d'un quelconque acquiescement de l'administration fiscale à leurs écritures.

29. Il résulte de ce tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prescrire une enquête sur le fondement de l'article R. 623-1 du code de justice administrative ni de prévoir une audience d'instruction telle que prévue par l'article R. 625-2 du même code, que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de décharge de l'obligation de payer la somme de 3 877 445,63 euros réclamée par la mise en demeure du 21 octobre 2021.

Sur la demande de condamnation de M. et Mme B... au paiement d'une amende pour recours abusif :

30. Les conclusions par lesquelles le ministre chargé des comptes publics demande qu'une amende pour recours abusif soit mise à la charge de M. et Mme B... sont irrecevables, cette faculté prévue par l'article R. 741-2 du code de justice administrative constituant un pouvoir propre du juge. Elles ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. et Mme B... demandent au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande la condamnation de M. et Mme B... au paiement d'une amende pour recours abusif sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (contentieux du recouvrement).

Délibéré après l'audience du 21 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- Mme Vinot, présidente honoraire,

- Mme Bories, présidente assesseure.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 25 juin 2025.

La rapporteure,

H. VINOT La présidente,

S. VIDAL

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA02452 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02452
Date de la décision : 25/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: Mme Hélène VINOT
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : SAND AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-25;24pa02452 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award