Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société SPIEMEF a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de procéder à la rectification du décompte général communiqué le 22 mai 2023 afin que son solde soit porté à une somme de 13 885 200 F CFP TTC et de condamner le port autonome de Papeete à lui verser une somme de 1 179 900 F CFP TTC, majorée des intérêts de retard.
Par un jugement n° 2300312 du 8 mars 2024, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 8 juin 2024 et 7 février 2025, la société SPIEMEF, représentée par Me Lenoir, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de procéder à la rectification du décompte général communiqué le 22 mai 2023 afin que son solde soit porté à une somme de 13 885 200 F CFP TTC ;
3°) de condamner le port autonome de Papeete à lui verser une somme de
1 179 900 F CFP TTC, majorée des intérêts de droit à compter du 15 mai 2023, avec capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge du port autonome de Papeete une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande est recevable dès lors qu'elle a saisi le port autonome de Papeete d'une réclamation le 9 juin 2023 ;
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les pénalités devaient être motivées en application de l'article LP. 18 de la loi du pays du
8 octobre 2020 relative aux relations entre l'administration de la Polynésie française et ses usagers ;
- les pénalités devaient être motivées en application de l'article LP. 18 de la loi du pays du 8 octobre 2020 ;
- elles ne sont pas fondées dès lors que l'échéance de la période de préparation a été reportée au 26 octobre 2022 par un ordre de service du 9 novembre 2022, ce qui montre que les raisons de ce report ne lui sont pas imputables, et qu'à cette date, tous les documents requis avaient été transmis.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 octobre 2024, le port autonome de Papeete, représenté par Me Mendolia-Aromaiterai, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société SPIEMEF une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de la société SPIEMEF est irrecevable, faute pour elle d'avoir formé un mémoire en réclamation pour contester le décompte général qui lui a été notifié le 22 mai 2023 ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code polynésien des marchés publics ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le port autonome de Papeete a lancé, le 12 novembre 2021, un appel d'offres ouvert pour la réalisation de travaux de rénovation de la gare maritime d'Uturoa à Raiatea. Le lot n° 3 de ce marché, correspondant aux ascenseurs, a été notifié le 28 avril 2022 à la société SPIEMEF. Les travaux ont été réceptionnés avec effet au 15 mars 2023. Le 13 avril 2022, la société SPIEMEF a transmis au port autonome de Papeete un projet de décompte final faisant apparaître un solde de 12 000 000 F CFP HT correspondant au montant du marché. Le 22 mai 2023, le pouvoir adjudicateur a transmis à la société SPIEMEF un décompté général du marché faisant apparaître un solde de 10 833 000 F CFP HT après actualisation des prix et application d'une réfaction et de pénalités d'un montant de 1 035 000 F FP HT et 1 179 900 F CFP. La société SPIEMEF relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande de rectification du projet de décompte général communiqué le 22 mai 2023 afin que son solde soit porté à une somme de 12 180 000 F CFP HT ou 13 885 200 F CFP TTC et de condamnation du port autonome de Papeete à lui verser une somme de
1 179 900 F CFP TTC.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Ainsi que le précise l'article LP. 1 de la loi du pays n° 2020-34 du 8 octobre 2020 relative aux relations entre l'administration de la Polynésie française et ses usagers, son article LP. 18, en vertu duquel les décisions infligeant une sanction doivent être motivées, n'est applicable qu'aux échanges entre l'administration et ses usagers, et n'a ainsi pas vocation à régir les échanges entre co-contractants. Par suite, le tribunal, qui a écarté, au point 4 du jugement attaqué, le moyen tiré du défaut de motivation des pénalités de retard infligées à la société SPIEMEF, n'était pas tenu de mentionner cette loi, dont la méconnaissance ne pouvait être utilement invoquée.
Sur la recevabilité de la demande de la société SPIEMEF :
3. Aux termes de l'article 13.4.3. du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux de la Polynésie française (CCAG) : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie à l'autorité compétente, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer (...). / En cas de contestation sur le montant des sommes dues, l'autorité compétente fait procéder, dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la notification du décompte général assorti des réserves émises par le titulaire ou de la date de réception des motifs pour lesquels le titulaire refuse de signer, au mandatement des sommes admises dans le décompte final. Après résolution du désaccord, elle fait procéder, le cas échéant au mandatement d'un complément et, s'il y a lieu, au mandatement par ailleurs des intérêts moratoires correspondants, courant à compter de la date de la demande présentée par le titulaire. / Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG ". L'article 50.1.1. de ce document précise : " Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ".
4. D'une part, il résulte de l'instruction que la société SPIEMEF a adressé au pouvoir adjudicateur, le 9 juin 2023, un mémoire en réclamation contre le décompte général qui lui a été transmis le 22 mai 2023. Si ce mémoire indique contester le " projet " de décompte général transmis le 22 mai 2023 et non le décompte général, il ne comporte aucune ambiguïté quant au document réellement contesté, seul un décompte général ayant été transmis à la société le
22 mai 2023. Dans ces conditions, le port autonome de Papeete n'est pas fondé à soutenir que la société SPIEMEF n'aurait pas formé de réclamation à l'encontre du décompte général dans le délai de trente jours prescrit par les stipulations précitées.
5. D'autre part, la société SPIEMEF ayant produit le mémoire en réclamation auquel il n'a pas été répondu, le port autonome de Papeete n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige ne serait pas produite.
Sur la régularité des pénalités :
6. L'article 19.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché (CCAP) prévoit : " Le délai d'exécution du marché comprend la période de préparation définie à l'article 28.1 et le délai d'exécution des travaux défini ci-dessous. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle se termine la période de préparation (...) ". L'article 28.1 du même cahier précise : " Le marché prévoit une période de préparation pendant laquelle, avant l'exécution des travaux, certaines dispositions préparatoires doivent être prises et certains documents nécessaires à la réalisation des ouvrages doivent être établis, cette période est incluse dans le délai d'exécution du marché et a une durée de 4 semaines pour chacun des lots. La durée de la période de préparation peut être prolongée par ordre de service, sauf si la raison du retard éventuel est imputable au titulaire ; l'ordre de service prolonge le délai d'exécution du marché à la même durée ". Enfin, selon l'article 20.1 de ce cahier : " L'entrepreneur subira, en cas de retard dans l'achèvement de chacune de ses phases de préparation et de travaux, une pénalité de QUINZE MILLES FRANCS (15 000 F CFP) par jour calendaire de retard ".
7. Il résulte de l'instruction que par un ordre de service du maître d'ouvrage du
20 juin 2022, le début de la période de préparation a été fixé au 21 juin 2022, et que par une décision notifiée par un ordre de service du 30 septembre 2022, cette période de préparation a été prolongée de quatre semaines et trois jours, soit jusqu'au 19 août 2022. Si le port autonome de Papeete soutient que cette période s'achevait le 18 août 2022 et que la société SPIEMEF a remis les derniers documents prévus par les stipulations de l'article 28.1 du CCAP le
26 octobre 2022, avec 69 jours de retard, il résulte de l'instruction que par un nouvel ordre de service du 9 novembre 2022, la fin de la période de préparation du chantier a été fixée au
26 octobre 2022. Compte tenu des stipulations précitées de l'article 28.1 du CCAP, dont il résulte que la durée de la période de préparation ne peut être prolongée par ordre de service qu'à la condition que la raison du retard ne soit pas imputable au titulaire, et en l'absence de toute mention, sur l'ordre de service du 9 novembre 2022, de l'imputabilité du retard à la société SPIEMEF, cette dernière est fondée à soutenir que la seconde prolongation du délai de la période de préparation ne lui est pas imputable. Par suite, elle est fondée à demander le retrait du décompte général de la somme de 1 035 000 F CFP inscrite au titre d'un retard dans l'achèvement de la phase de préparation des travaux.
Sur le solde du décompte :
8. Il résulte de l'instruction que le montant initial du marché était de
12 000 000 F CFP HT, dont doit être déduite la réfaction non contestée de 132 000 F CFP au titre de la non-conformité des ascenseurs, et auquel doit être ajoutée l'actualisation des prix à hauteur de 312 000 F CFP, soit 12 180 000 F CFP HT et 13 885 200 F CFP TTC. Le port autonome de Papeete ayant déjà versé à la société SPIEMEF la somme de 12 705 300 F CFP, le solde du marché restant à lui payer s'établit au montant de 1 179 900 F CFP. Il y a lieu de condamner le port autonome de Papeete à verser cette somme à la société SPIEMEF.
Sur les intérêts de retard et leur capitalisation :
9. Aux termes de l'article A 411-6 du code polynésien des marchés publics : " Conformément au dernier alinéa de l'article LP 411-16 et aux dispositions de l'article LP 411-18, le défaut de mandatement des acomptes et du solde dans le délai précisé au marché fait courir au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant des intérêts moratoires dont le taux est égal au taux d'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de deux points de pourcentage ".
10. Il résulte de l'instruction que si le port autonome de Papeete a notifié, par un ordre de service du 17 avril 2023, une rectification du projet de décompte final transmis par le titulaire du marché, il n'a notifié le décompte général que le 22 mai 2023, que la société SPIEMEF a contesté par un mémoire en réclamation reçu le 9 juin 2023. Il résulte des stipulations précitées de l'article 13.4.3. du CCAG et des dispositions de l'article A. 411-6 du code polynésien des marchés publics que la société SMIEPEF peut prétendre aux intérêts moratoires sur la somme de 1 179 900 F CFP à compter du 9 juin 2023, au taux légal en vigueur à cette date, majoré de deux points de pourcentage, et à la capitalisation des intérêts le 9 juin 2024 et à chaque échéance annuelle.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que la société SPIEMEF est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande de rectification du décompte général et de condamnation du port autonome de Papeete.
Sur les frais du litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du port autonome de Papeete une somme de 1 500 euros à verser à la société SPIEMEF en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SPIEMEF, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que le port autonome de Papeete demande sur ce fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2300312 du 8 mars 2024 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.
Article 2 : Le solde du décompte général du marché est fixé à une somme de 1 179 900 F CFP TTC.
Article 3 : Le port autonome de Papeete est condamné à verser à la société SPIEMEF une somme de 1 179 900 F CFP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2023, majorés de deux points de pourcentage, et à la capitalisation des intérêts le 9 juin 2024 et à chaque échéance annuelle.
Article 4 : Le port autonome de Papeete versera la somme de 1 500 euros à la société SPIEMEF en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions du port autonome de Papeete présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société SPIEMEF et au port autonome de Papeete.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente de chambre,
Mme Bruston, présidente-assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2025.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA02484 2