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20/06/2025 | FRANCE | N°24PA01602

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 4ème chambre, 20 juin 2025, 24PA01602


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Les sociétés Groupe 6 et CET Ingénierie ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier intercommunal de Créteil à leur verser la somme de 362 285, 91 euros TTC, au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre n° 10-7004 relatif à la construction d'un plateau central des urgences sur le site du centre hospitalier, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts.



Par un jugement n° 1702159 du 8

février 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.



Procédure devant la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Groupe 6 et CET Ingénierie ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier intercommunal de Créteil à leur verser la somme de 362 285, 91 euros TTC, au titre du solde du marché de maîtrise d'œuvre n° 10-7004 relatif à la construction d'un plateau central des urgences sur le site du centre hospitalier, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1702159 du 8 février 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 avril 2024 et régularisée le 24 avril 2024, la société Groupe 6, représentée par la SELARL Clairance avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal de Créteil à lui verser la somme de 198 762,60 euros TTC, assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts échus ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de Créteil une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a réalisé des prestations supplémentaires en raison des travaux modificatifs demandés par le maître d'ouvrage pour un montant de 625 307,53 euros HT ;

- elle n'a pas dépassé le seuil de tolérance du fait des travaux supplémentaires ;

- elle a réalisé des prestations supplémentaires en raison d'aléas techniques qui ont nécessité des travaux pour un montant de 542 770,08 euros HT ;

- elle a réalisé des prestations supplémentaires en raison de l'allongement de la durée de chantier de six mois ;

- cet allongement a bouleversé l'économie de son contrat ;

- cet allongement est lié à une carence du maître d'ouvrage dans l'exercice de son pouvoir de direction ;

- elle a dû réaliser des prestations supplémentaires en raison de la liquidation judiciaire de la société Bernet ;

- elle peut prétendre au versement d'une somme de 6 843,64 euros HT au titre du montant des révisions dues ;

- elle a droit au paiement des intérêts moratoires sur la somme demandée à compter du 23 juillet 2016.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 octobre 2024, le centre hospitalier intercommunal de Créteil, représenté par Me Entremont, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Groupe 6 une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la société Groupe 6 n'est pas fondée à demander le paiement de prestations supplémentaires ;

- elle ne justifie pas de la somme demandée au titre de la révision des prix ;

- subsidiairement, sa demande est irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre une décision confirmative.

Par une ordonnance du 26 novembre 2024, l'instruction a été close avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire présenté pour la société Groupe 6 a été enregistré le 3 février 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Fournier substituant Me Renaudin, représentant la société Groupe 6, et de Me Entremont, représentant le centre hospitalier intercommunal de Créteil.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier intercommunal de Créteil a conclu, le 18 février 2010, avec un groupement de maîtrise d'œuvre composé des sociétés Groupe 6 (architecte mandataire) et

CET Ingénierie (bureau d'études), un marché de maîtrise d'œuvre pour la construction d'un plateau central des urgences. Les travaux ont été réceptionnés le 29 octobre 2013. Deux avenants ont été passés les 9 juillet 2012 et le 30 mai 2013 pour prendre en compte, respectivement, la mise en place d'une unité MPU dans l'enceinte des urgences adultes situées en rez-de-jardin du futur bâtiment des Urgences, et la mise en place d'un service de PMA dans l'emprise du futur bâtiment des Urgences, portant le montant total du marché à

2 774 381,00 euros HT (3 318 159,68 euros TTC). A la suite de travaux supplémentaires demandés par le maître d'ouvrage et de la prolongation de la durée du chantier au-delà des

24 mois contractuellement prévus, la société Groupe 6 a proposé la signature d'un avenant d'un montant de 218 940 euros HT. Par un courrier du 15 novembre 2016, le groupement de maîtrise d'œuvre a transmis au maître d'ouvrage son projet de décompte final faisant apparaître un solde de 362 285,91 euros TTC en sa faveur, dont 198 762,60 euros TTC pour la société Groupe 6. Cette dernière relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande, formée avec la société CET Ingénierie, tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal de Créteil à leur verser une somme de 362 285,91 euros TTC, et demande la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 198 762,60 euros.

Sur le bien-fondé des conclusions aux fins de condamnation :

En ce qui concerne les demandes relatives à l'adaptation de la rémunération de la maîtrise d'œuvre :

2. Aux termes de l'article 9 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, applicable au marché en litige : " La mission de maîtrise d'œuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement. Le montant de cette rémunération tient compte de l'étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux ". Aux termes de l'article 30 du décret du

29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, applicable au marché en litige : " Le contrat de maîtrise d'œuvre précise, d'une part, les modalités selon lesquelles est arrêté le coût prévisionnel assorti d'un seuil de tolérance, sur lesquels s'engage le maître d'œuvre, et, d'autre part, les conséquences, pour celui-ci, des engagements souscrits (...) / III. En cas de modification de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage, le contrat de maîtrise d'œuvre fait l'objet d'un avenant qui arrête le programme modifié et le coût prévisionnel des travaux concernés par cette modification, et adapte en conséquence la rémunération du maître d'œuvre et les modalités de son engagement sur le coût prévisionnel (...) ".

3. Il résulte des dispositions des articles 9 de la loi du 12 juillet 1985 et 30 du décret du 29 décembre 1993 que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage. En outre, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage, a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché, si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat. Enfin, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ouvrent droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché si

celle-ci justifie que ces difficultés sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

4. En premier lieu, si la société Groupe 6 produit de nombreuses pièces, tels des ordres de service, des décomptes généraux, des fiches de travaux modificatifs ou des comptes-rendus de réunion de chantier, pour démontrer que des travaux supplémentaires ont été demandés aux entrepreneurs par le maître d'ouvrage pour un montant de 625 307,53 euros HT, ces éléments ne sont pas de nature à établir que ces travaux auraient donné lieu à la réalisation, de la part du groupement de maîtrise d'œuvre, de prestations supplémentaires, non prévues par son marché, et utiles à la réalisation de ces travaux. La requérante se borne d'ailleurs, pour aboutir au montant de 48 486 euros HT qu'elle demande, à appliquer les taux de rémunération contractuels prévus par son marché au montant de ces travaux.

5. En deuxième lieu, si la société Groupe 6 soutient que le chantier a été confronté à des aléas techniques, notamment en raison de la découverte de massifs de fondations très importants lors du démarrage de la dernière phase de travaux du lot n° 1 " Fondations spéciales - gros œuvre ", ces aléas ayant généré des travaux supplémentaires d'un montant de

542 770,08 euros HT ", elle ne justifie ni avoir été confrontée à des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie de son contrat, ni de la réalisation de missions ou de prestations non prévues à son marché et indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art qu'elle aurait été amenée à réaliser en raison de ces aléas. Enfin, à supposer qu'elle ait entendu soutenir que le maître d'ouvrage aurait commis une faute relative au rapport d'étude de sol qui serait à l'origine des difficultés rencontrées pour le lot n° 1, elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations, alors en outre que le groupement de maîtrise d'œuvre auquel elle appartenait était chargé des études de projet en vertu de l'article 1.5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché.

6. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que des sujétions imprévues seraient à l'origine de l'allongement de six mois de la durée du chantier, la société Groupe 6 imputant d'ailleurs ce retard au comportement de plusieurs intervenants au chantier. Par ailleurs, la société Groupe 6 n'établit pas que les défaillances de la société IPCS, chargée de la mission OPC, et l'interruption de sa mission ainsi que celle de son successeur, M. A..., seraient à l'origine de ce retard. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'ouvrage aurait commis une faute en choisissant la société IPCS pour exercer la mission OPC, ni qu'il aurait refusé de prolonger son contrat ou celui de M. A..., la société requérante ne pouvant au demeurant sans contradiction lui reprocher à la fois les défaillances de la société IPCS et la non-prolongation de sa mission. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction qu'une faute du maître d'ouvrage serait à l'origine des retards des entreprises Pitel, chargée du

gros-œuvre et de la société Coframenal, chargée des menuiseries extérieures, ni de la défaillance de la société Bernet, chargée du lot CVCD. A cet égard, le rapport mensuel de l'OPC du mois de mars 2012 et le compte-rendu de coordination de chantier du 5 mars 2013 auxquels la requérante renvoie, ne révèlent aucune inertie de la part du maître d'ouvrage, notamment en ce qu'il aurait refusé d'exercer son pouvoir coercitif à l'égard des entrepreneurs retardataires, malgré les alertes de la maîtrise d'œuvre. Enfin, les comptes-rendus de réunion de chantier des 27 mars et 15 mai 2012 et l'ordre de service 01BIS15 du 29 octobre 2012 témoignent de la réactivité du maître d'ouvrage dans la gestion de la liquidation judiciaire de la société Bernet et de ce qu'il a demandé au nouveau titulaire, la société Europ-Air, de mettre en place des moyens supplémentaires pour respecter le calendrier contractuel.

7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier de l'acte d'engagement du groupement de maîtrise d'œuvre et de l'article 1.5 du CCAP de son marché, que les prestations correspondant à la mission " assistance au maître d'ouvrage pour la passation des contrats et travaux " étaient prévues au contrat et ont ainsi fait l'objet d'une rémunération forfaitaire. Par suite, la société Groupe 6 n'est pas fondée à demander l'indemnisation des prestations qu'elle a réalisées pour assister le maître d'ouvrage dans la passation du contrat avec la société Europ'Air, successeur de la société Bernet.

En ce qui concerne le montant des révisions :

8. La société Groupe 6 n'apporte pas plus qu'en première instance de précisions sur la somme de 6 843,64 euros HT à laquelle elle prétend avoir droit au titre de la révision des prix du marché. Dès lors, il y a lieu de rejeter sa demande par adoption des motifs retenus au point 25 du jugement attaqué.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de sa demande, que la société Groupe 6 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande de condamnation du centre hospitalier intercommunal de Créteil.

Sur les frais du litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier intercommunal de Créteil, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Groupe 6 demande sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Groupe 6 la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le centre hospitalier intercommunal de Créteil et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Groupe 6 est rejetée.

Article 2 : La société Groupe 6 versera la somme de 1 500 euros au centre hospitalier intercommunal de Créteil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe 6 et au centre hospitalier intercommunal de Créteil.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Doumergue, présidente de chambre,

Mme Bruston, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2025.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. DOUMERGUE

La greffière,

E. FERNANDO

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

24PA01602 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01602
Date de la décision : 20/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : CABINET LOUBEYRE-ENTREMONT-PORNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-20;24pa01602 ?
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